PROVINCE D'ANVERS. 145 avec sa bouseulade de personnages éjoyés et béats, l’autre évoque la sensation d'un rite mystique, accompli sans violence. Sur la première les flambeaux projettent des reflets vacillants qui, dans la pénombre, allument les pourpres, les ors, une pompe de fète ; la haute splendeur méridienne ruisselle sur l’autre, dans la nudité sévère d'un paysage grandiose. Et, tandis qu'on croit ouir là-bas les flûtes et les violons, accordés sur des rythmes pressés, le mugissement sourd des flots se prolonge ici avec lenteur. Ce fut pour la corporation des Poissonniers de Malines que Rubens exécuta le tableau de Notre-Dame. En ce temps on associait l’art à toutes les idées de munificence, et de simples marchands ne trouvaient pas de plus bel emploi de leur argent que l'acquisition d'un ouvrage de peinture. Le maitre, en représentant le miracle qui lui était demandé, songea sans doute à glorifier la puissance infinie des eaux : la «Pêche », en effet, évoque l'idée des forces secrètes et des genèses inépuisables que l'Océan cèle en lui; les filets regorgeant de marée y disent le laboratoire perpétuellement en travail de la création sous-marine, la fermentation active des éléments propres à constituer la vie, l’animalité éternellement jaillissante des abimes. C'est le miracle permanent des flots que chante la couleur avec la joie de ses notes claires et frémissantes, semées par l'air comme les gouttes d'une pluie astrale. Elle S'abat sur la mer, les hommes, l'amas scintillant des poissons, du haut d'un ciel divinement pile ; et les vagues se confondent à la nue dans les fluides dorés d’une atmosphère d’après- midi. Des hommes rudes, à face boucanée, les muscles en saillie sur des membres bien d'aplomb, se meuvent dans ce cadre éclatant: une silhouette les domine, altière et douce cest le Christ: et la noblesse de son attitude tranche sur la virilité bourrue du groupe, comme la marque de sa divine origme. On se souvient, à regarder les apôtres, des robustes marins des ports : ils ont de ceux-ci les mouvements rythmés et forts, les larges torses noueux et les pieds carrément plantés sur le sol. Le maitre les entrevit sûrement à travers les famées des tavernes anversoises. Au contraire, la belle tête de l’'Homme-Dieu signale un de ces efforts par lesquels le réalisme de l'école savait s'élever à l'intuition d’une humanité supérieure ; Jésus ne cesse point d'appartenir à la race mortelle, et pourtant une vie subli- misée se lit sur son front, comme un reflet des gloires célestes : il marche dans une apothéose, et son talon semble fouler les degrés d'un escalier qui mènerait aux étoiles. L'« Adoration des mages», d'autre part, a la clarté et la grâce d'une vision. Quand, au fond de la vieille église de Saint-Jean, dans les ors et les marbres du maitre-autel surmonté des statues de Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit, assises sur un nuage parmi les chérubins, se découvre, au mouvement du sacristain tirant les rideaux, l'éblouis- sante peinture, on croit assister à l'ouverture des portes du paradis flamand. À gauche apparaît la Vierge ; ses yeux noyés, placides, chargés de langueurs maternelles, illuminent comme des soleils charnels: et il en descend un sourire qui tombe sur la foule, autour de l'enfant divin. Ce sourire est irrésistible : il est en quelque manière le point central du tableau : c’est le bonheur dans son expression la plus haute. Cependant des splendeurs de costume et d'accessoires flamboient dans la pénombre, aux poussées de ce peuple qui s'entasse et veut avoir sa part de la fête, sur les pas des rois mages drapés d'étoiles chatoyantes et pieusement accroupis dans des postures d’adoration ; les soies, les broderies, les aciers sont moins scintillants toutefois que les regards, vrais brasiers où s'attise un feu d'amour à la fois humain et religieux, humble et hardi, d'une dévotion soumise qui alterne avec des allégresses de paternité; et cette scène d'étable, voisine des bœufs mugissants, (out à coup se transforme en magnificences royales, dans un train de palais dont la paille gisante à terre simulerait un tapis tissé d'or et de laines précieuses. Un accord de couleurs claires, légères, fondues, forme l'atmosphère de la toile, se combine aux blancheurs lactées