LA BELGIQUE. I Abords d'Anvers. -- Les fortifications. — Aspect général, — Impressions et souvenirs personnels. Le train qui va de Malines à Anvers longe des hameaux, des cultures, une terre mer- veilleusement fécondée par le travail du paysan. Çà et là l'eau d'un fossé s'écaille au soleil, une bastide rustique s'entoure d'un pare, une file de grands arbres suit les sinuosités d'une chaussée. Et partout, l'activité silencieuse des campagnes, les chevaux labourant en automne, les femmes fauchant en été, les hommes répandant les fumiers en hiver. Aux stations appa- raissent derrière les barrières des faces placides où roulent des yeux somnolents et doux; des fermiers robustes sont vêtus du sarrau bleu reluisant; des cabriolets poudreux stoppent en attendant que le train soit passé. Point d'industries : la préoccupation constante est la glèbe; on vit et meurt dans ses sillons. La terre ainsi aimée paye largement l'agri- culteur. Dès l’avril elle se pare de floraisons grasses qui, s'étendant de proche en proche, finissent par couvrir tout le pays d'une clarté émaillée de bouquet. Non loin de Vieux-Dieu, les talus du remblai s'enflambent à chaque printemps d'une immense trainée lactée ; on dirait qu'il y neige des pâquerettes ; et cet éclat magnifique est répercuté au loin par l'étincellement des prairies. Inopinément des sonneries de clairons s'entendent à travers les souffles ralentis de la machine : on s'arrête, et les yeux se portent sur les anguleux profils des buttes de terre taillées à angle droit, le long des fossés des fortifications. A la paix profonde des cam- pagnes succèdent le va-et-vient des soldats, le roulement des caissons de vivres et de muni- tions; et le pantalon bleu du piou-piou en corvée remplace, dans le paysage, la culotte en « pilou » éraillé du laboureur. Nous sommes entrés dans la zone des installations organisées pour la défense du pays. À Berchem, de hautes portes monumentales surmontées de colosses en fonte ont quelque chose de menaçant, comme la barrière qu'un petit peuple oppose aux envahissements du dehors. Bientôt Anvers se dessine à l'horizon ; les disques jouent; les approches de la gare ressemblent aux avancées d'une ville fortifiée. La ligne, bordée de murs crénelés, hérisse des tours à poivrières, un appareil guerrier qui évoque les entrées des places fortes allemandes. Puis c'est la gare spacieuse, monumentale, qui, par des jeux d’escaliers, communique avec les niveaux en contrebas de la ville. Dès l'abord on se sent en présence d'une grande ville; la circulation s'active autour de la gare, gagne le cœur de la cité, se répand vers les bassins, les entrepôts, les agences, la Bourse, les marchés. Une large voie, portant le nom du grand peintre Leys, en sou- venir de la demeure qu'y occupa cet incomparable évocateur de la cité historique, est comme l'accès de l’Anvers nouveau. Son opulence architecturale, d’un goût d'ailleurs douteux, se conforme à la haute fortune de la métropole qui la fait la rivale des grands ports maritimes du monde. Le faste répandu à profusion dans la pierre et les métaux annonce une prospérité orgueilleuse et sûre d'elle-même. À peine débarqué, on entrevoit, au passage, des théâtres, des hôtels richement décorés, de massifs candélabres ornementés, des statues en marbre et en bronze, une sorte d'ani- mation de la pierre en rapport avec la mentalité publique. On n'a point encore touché le port, cette ouverture prodigieuse sur la mer et les grands appareillages, que déjà la grande