LE BRABANT. Ho ruines de Hougomont, sans me sentir remué dans les profondeurs de mon être; c'est que l'extermination et le carnage sont demeurés inscrits ici partout. Dès que vous avez franchi l'enceinte du verger, l'herbe, plus haute en cet endroit, d’une épaisseur grasse qui fait penser à de monstrueux engrais, vous monte aux genoux, ef, entre l'espacement des pommiers bistournés, les murailles de lancien pare vous apparaissent, en partie, recouvertes d'un manteau de lierres et de chèvrefeuilles. Il n'existe plus, sur toute leur longueur, une trace de crépi large comme la main; la brique partout s'est effritée sous la volée des balles, avec çà et là des ouvertures de créneaux. À l'est, particulièrement, les trous se rapprochent au point de percer à jour toute cette partie de la clôture, en une continuité de brèches qui ne finit qu'à la porte charretière de la ferme. La maçonnerie, massive ect trapue, a résisté d'ailleurs à ses blessures, moins désastreuses que l'incessant vandalisme des touristes qui, sous prétexte de reliques historiques, élargissent les meurtrières originelles et dénaturent leurs mutilations glorieuses. Hougomont, en 1815, était habité par un comte de Neuville et se composait d'une ferme et d'un château qui appartenaient à la femme du comte, la comtesse de Hougomont. Dès l'approche des troupes, tout Île monde avait déserté; le comte et la comtesse s'étaient réfugiés en France, et la domesticité avait gagné les villages voisins. Quand les serviteurs revinrent, ils trouvèrent la maison incendiée, à l'exception de l'habitation du jardinier et d'une partie des communs; mais aucun des denx époux ne revit ce funeste séjour : trois jours après la bataille, le comte mourait à Paris. Un an se passa, puis la propriété fut vendue. IL semble qu'on se soit gardé, comme d'un sacrilège, de toucher à l'œuvre de dévastation laissée par la guerre; les bâtiments n'ont pas été réédifiés, et la cour continue à dérouler ses espaces vides, dans une désolation à laquelle ajoutent les pans de mur émergeant des briques éboultes. Des ménages de paysans se sont installés dans les dépendances épargnées; celles-ci alignent sur la gauche une suite de constructions basses, faisant équerre avec une facade plus haute, la demeure de ancien jardinier, encore occupée aujourd'hui par son fils. On vous montrera dans les chambres l’œuvre des balles : ici les crépis eriblés d'éraflures, là les excavations de la pierre déchiquetée, ailleurs une porte en chène percée à jour. Dans une petite pièce carrelée de dalles. moisit un médiocre fonds de musée, rongé par la rouille : étriers, baionnettes, fragments de sabres et de fusils ramassés dans les décombres. Au milieu de la cour, une margelle de puits dresse une maçonnerie, ruinée comme toul le reste; en vous penchant par-dessus l'ouverture, vous apercevrez un amoncellement d’ais pourris et de briques jetés pêle-mêle. Le guide ne manque pas de vous dire que deux cents cadavres gisent dessous, empilés les uns sur les autres, sans qu'on ait jamais rien fait pour leur donner une sépulture décente. C'est une des rencontres lugubres de cette maison hantée que ce trou sombre regorgeant d'épaves humaines, sur lesquelles comme pour mieux les séparer des vivants, on aurait déversé des gravats et de la volige. Mème, sil faut en croire les récits qui circulent encore dans les fermes d'alentour, tous ceux qu'on y précipita n'étaient pas morts; dans la hâte du déblaiement, des agonisants furent confondus à la funèbre fournée; et pendant toute une nuit leurs lamentations s’entendirent au loin, mêlées à des appels, des supplications vagues, qui, des profondeurs du puits, montaient dans les silences de l'air. Non loin s'élève la chapelle : quatre murs unis, recouverts d'une lèpre de noms et d'inscriptions, avec une caisse d'autel barbouillée d'un reste de peinture et sur cet autel