124 LA BELGIQUE. les bruits semblent s'y dissoudre dans du sommeil, un sommeil qui monterait des pavés, gagnerait le dedans des maisons, petit à petit endormirait les êtres et les choses; c'est la torpeur d'un jour de dimanche empiétant sur Je ee de la ne avec une mélancolie douce; et la placide petite ville y est à ce point enfoncée, ue de certains quartiers le battant d'une porte frappant son chambranle suscite, dans l’assoupissement général, comme l'inquiétude d'un événement insolite. Malines partage, d'ailleurs, avec les villes en qui saigne le deuil du passé, le charme de cette physionomie silencieuse, un peu effacée, où se marque le regret des jours révolus. Il semble que la déchéance soit l'envers de toutes les splendeurs humaines et que, pour les cités comme pour les hommes, la gloire doive être suivie d’un abaissement irrémédiable. Il y a loin de ces quartiers déserts où le pas du promeneur éveille aujourd'hui des échos, Los de cette existence monotone et casanière, aux magnificences bruyantes de la cour de Marguerite d'Autriche passant par les rues au galop des équipages et par désœuvrement s'amusant à traquer à travers places et carrefours un dix-cors affolé. En ce temps, l'esprit et les grâces florissaient à Malines; le palais de la régente retentissait du bruit des musiques succédant au récit scandé des beaux vers. Elle-même composait des stances à Notre Dame; et, sous les lambris sculptés, Jean Second, Érasme, Corneille Agrippa, Jean Lemaire se donnaient la réplique, écoutés des peintres Mabuse, Coxcie et Van Orley. Chevauchées, kermesses, ballets réunissaient les belles dames et les beaux chevaliers dans de grandes parties égayées par les parades de rosse Bayard, les farces des Aymon et les saltations grotesques des Géants. De ces temps lointains il n'existe plus que des vestiges; les pierres seules parlent encore, en leur muet langage, des fastes passés; un vent de mort a soufflé sur le reste, sur les fêtes, les tumultes et les gaités; et les figures illustres et charmantes, la grâce et la toute-puissance d'un jour ont disparu sans retour. Ce n'est point encore la douloureuse nécropole que fut longtemps Bruges et qui n'a pas disparu tout à fait; le contraste entre la grandeur ancienne et la médiocrité moderne est moins saisissant; mais déjà, à Malines, nous pénétrons dans cette obscurité que laisse après lui le soleil des belles époques de l'histoire et qui rend si irréparablement mélancoliques les lieux autrefois célèbres. Elle ne fera que grandir quand nous aurons dépassé les cercles de la vie et que nous nous approcherons des villes mortes des Flandres. Pénétrons dans la ville par une de ses artères principales et suivons, par exemple, la Grande-Rue qui part de la gare. Des commerces variés alternent avec des aspects de maisons bourgeoises, reluisantes de vernis, les fenêtres ornées de mousselines et de guipures, derrière lesquelles s'entrevoient des appartements confortables, d'une richesse lourde et surannée. Rien de particulier dans ces échappées sur le train des ménages; on rêvait de vieilles chambres éclairées d'une lumière trouble et meublées de dressoirs, de bahuts, d'escabeaux noircis par le temps, avec d'archaïques personnages se mouvant lentement et pareils à des figures de tableaux gothiques; il faut en rabattre : la banalité uniforme des étagères chargées de brimborions, des crédences en acajou et des fauteuils en moleskine a remplacé, dans les familles bourgeoises, la vétusté pittoresque des ameublements. Malines à perdu, principalement dans les quartiers commerçants, son caractère de ville historique. Partout les magasins, les cafés, les restaurants s'affublent de dénominations lrançaises, peinturlurées au-dessus des portes en grosses lettres noires, ou incrustées en zine doré sur les enseignes. À peine la joyeuse fantaisie des écus pendus à des tringles et