CHAPITRE I. moindre prétexte à excursion, C'est sur une chaussée longue de trois cents pas sur sept ou huit en largeur que se réfugie et se concentre tout le mouvement des baigneurs. C'est là que du matin au soir ils stationnent, fument, causent, boivent, contemplent, lisent et se livrent à la promenade précipitée que le besoin de réaction nécessite au sortir du bain. L’in- finie variété de la mer, dans son apparente monotonie, peut seule rendre possible un mode d'existence et de locomotion si immuable. Tantôt elle vient battre les pierres bleues de la digue, grondant avec furie et lançant ses flots jaunes ou blancs d’écume à l'inutile escalade de ce rempart; tantôt elle se retire au loin, comme sentant son impuissance à dé- truire l'ouvrage des hommes, bien plus encore à dépasser les limites tracées par Dieu. Elle laisse alors à découvert une grève merveilleuse, unie comme l'allée sablée d’un pare anglais, moelleuse, douce , lustrée comme une étoffe de soie, et pourtant d’une consistance inébranlable sous le pied. La foule des enfants et des baigneurs eux-mêmes se hâte de l'envahir avec des cris joyeux, jusqu'à ce que le retour du flot vienne circonscrire la chaussée d’un nouveau blocus maritime. Ces journées uniformes ont, moins le mal de mer , une grande analogie avec la vie de bord. En effet, les baigneurs, parqués sur leur éternelle chaussée , peuvent, sans grand effort d'imagination, se croire sur le pont d’un navire, etleur perpétuel va-et-vient dans cet étroit domaine rappelle assez les trois ou quatre lieues par jour qu’en fumant leur pipe les marins trouvent communément à faire du gaillard d’arrière au gaillard d’avant. Cette immobilité active et cette vie semi- nautique , semi-contemplative, suffisent difficilement au Pa- risien ; c’est peut-être une des raisons qui font que l'on trouve à Ostende si peu de nos compatriotes ; mais les Allemands et les Flamands sont de meilleure composition, et s'amusent patiemment.