82 LA BELGIQUE. terre presque en vue de sa maison, à s'enfermer dans le bien-être d’une pièce surchauffée, qui pet à petit s'est ornée, sur un fond blanchi de muraille, de miroirs, d'images encadrées, de petites Vierges enguirlandées de paillon, parmi des scintillements de cuivres et de faiences régulièrement bouchonnés. Naturellement häâbleur, le Wallon aime les parlotes de cabaret : le dimanche, il sy attarde, joue aux quilles, et la grosse gaieté des tablées Tui semble préférable aux silences de la chambre où ronronne le chat dans les cendres, avec des intermittences de sonneries de pendule et de sifflotements de bouilloire. D'ailleurs le sens des coquetteries de la maison lui manque : vous ne verrez pas chez lui, comme sous le chaume flamand, se perpétuer la douceur des choses séculaires, réjouissantes à l'œil, bahuts polis par l'usure et les netloyages, vieux cuivres cabossés, héréditaires poteries reluisantes d'émail. Sous le jour cru des vitres, à peine tamisé par un bout de rideau, le battant neuf d'un mobilier de noyer acheté à la ville miroite d'un éclat dur de vernis. Cette déperdition du goût de la couleur s'atteste à mesure qu'on s'écarte des régions flamandes, et le touriste qui, venant de Genappe, se dirigera sur Nivelles, pour ne citer que cette partie du pays wallon, pourra en faire la remarque. Au surplus, un bon marcheur abat en moins de deux heures cette route qui n'est pas variée, mais s'impose à quiconque à oui parler de Jean de Nivelles et de son chien légendaire : — «Le chien de Jean de Nivelles qui fuit quand on l'appelle ». Cette réputation chagrine s’est trouvée confirmée par un fut qui ne laisse aucun doute sur le caractère du rébarbatif quadrupède, Jean de Nivelles, le guerrier hardi du quinzième siècle, dont la haute silhouette de cuivre doré s'accole toujours à la tour de Sainte-Gertrude, partageait autrefois son piédestal avec la bête que l'histoire a associée à son nom; ee ee mais le sentiment de l'indépendance avait des racines si profondes dans le légendaire toutou, qu'il profita d'une tempête pour se séparer violemment du guerrier; et, jugeant à cette obstination que, si on le replaçait, il céderait de nouveau à son penchant, on laissa le grand Jean tournoyer son épée dans l’air sans lui restituer son rétif compagnon. Sans doute ce quinteux animal n'était pas de souche nivelloise : on a peine à concilier une si maussade humeur avec la jovialité goguenarde qui s'exhilare de la bonne ville. Et cette gaieté ne se concentre pas uniquement, comme une précieuse essence, au caractère des habitants : elle se volatilise par l'air et Ssinfuse jusque dans la topographie pittoresque des rues, la dégringolade des toits sur les pentes, la curieuse physionomie de toutes ces petites façades irrécusablement rieuses. Il y a des villes tristes et des villes gaies Nivelles appartient à la catégorie de celles-ci. Le soleil impénétrant l'écheveau de ses venelles met dans les vitres, dans les vieux murs fleuris de violiers, dans les fouillis de torves cheminées comme une joie de vivre qui nest pas démentie par l'accorte bonhomie des ménages. On vit là porte à porte, dans la familiarité d'un vis-à-vis si resserré que d'une fenêtre à l'autre on peut se tendre Ia main. A peine une ou deux grandes rues,