Full text |
(V 18.)
MVERS , Samedi 18 JMV1ER (Quatrièsise Aimée.)
gy:
' - -
OM EAUOPJNE
A Anvers, au Burp.au du
précurseur, rue des Fa-
gots N° 1095, où sc trouve
lune boîte au* lettres et où
doivent s’adresser tous les
«vis. >
En llclgique et à l'étran-
Iger, chez tous les direc-
teurs des postes.
A Paris, à l’Office-Cor-
«..«■fespondance de Lepclle-
,aB ^Itier-Bourgoin et cotnp.e,
[•{lj|Age Notre-Dame-dcs-Vic-
lloires N° 18.
LE PRECURSEUR
JOURNAL POLITIQUE, COMMERCIAL, MARITIME ET LITTÉRAIRE.
FAIX.
LIBERTÉ.
PROGRÈS.
ABOKNIHXI
Par An.........6<
■> 6 mois....... 30
» 3 » If.
POUR LA BELGIQU
Par 3 mois..... Il
POUR L’ÉTBANGEP
Par 3 mois..... 2
ASTÏTONCES
25 centimes la ligne
Lnquatriéme page,
sacrée aux annonces
affichée à la bourse
vers et à la bourse ■
principales villes de ce
merce.
lici
LE
-e navi|
pit. J.
nuessan
:ions cH
’a > snateil
(50j
(40)
;rs.
,e scliod
t. Land
it.
Le bric
Iedlunf
A. - Il
»ur parti
'tiinfç.
er de wj
(49)
iar :
S A BU
12 JANVIER.
DU TRANSIT, A PROPOS DE LA
NAVIGATION.
Depuis quelque temps, afin d’entraver toute mesure
libérale en ce qui concerne le commerce, on a été jus-
qu’à vouloir déprécier le transit : et cela à propos des
traités de navigation, c’est être bien mal inspiré sous
tous les rapports. L’Angleterre, la France, et les villes
res d’Allemagne ont bien su comprendre l'impor-
tance d'un système pour l’établissement duquel la
Belgique est merveilleusement située, et dont cer laines
gensseraient très disposées à lui faire perdre les fruits.
Ces dernières villes surtout, quoique n’ayant pas de
fabriques essentielles, et quoique renfermées dans un
territoire étroitement limité, sont, à l’aide de ce systè-
me, parvenues à atteindre un tel degré de prospér té,
quelles sont non-seulement le point d’introduction
d'une foule de marchandises nécessaires aux besoins
de l'Allemagne, telles que les fruits, les thés, les
labacs, les sucres , etc., mais encore le point de con-
centration d’une foule de produits étrangers, qu’elles
écoulent vers l’Angleterre, la France, le Brésil, le Nord
I et d’autres contrées.Gomme leur position est beaucoup
moins favorable que la nôtre, il est évident que nous
en retirerions plus d’avantages, si enfin nous possé-
dions les éléments qui nous manquent encore pour
| pouvoir exploiter le transit sur une grande échelle.
Et c’est à propos de la navigation que l’on affecte
I de l’indifférence, pour ne pas dire plus, à l’égard du
transit. C’est vraiment bien mal choisir son prétexte,
car précisément la liberté du transit exerce la plus
salutaire influence sur la navigation. Ce système, en
effet, tend essentiellement à réunir toute espèce de
I marchandises sur les marchés des nations qui l’adop-
lent. Le transport de ces marchandises nécessite cer-
tainement 1’ mploi de navires; il en résulte en outre
que les bâtiments y trouvent la ressource des frets
de retour, frets qui constituent l’économie des expé-
ditions maritimes. Et c’est là principalement ce qui
I manque aux ports belges- 11 n’est personne qui ne
sache combien il est difficile en notre pays de trou-
| ver des frets de sortie, pour les navires nationaux,
des frets de retour, pour les navires étrangers. La
preuve en est dans le nombre relatif des navires
qui chaque année quittent sur lest le port d’An-
vers. El cependant c'est là ce qui constitue l'élément
essentiel d'une marine. Voulez-vous avoir une na-
vigation florissante ? Commencez par assurer le
chargement des navires qui partiront de vos ports.
Vous n’aurez jamais de marine, si vos bâtiments en
sont réduits à l'importation. Les capitaux ne seront
pas consacrés à une matière aussi ingrate. Eh bien!
| c’est le résultat auquel on arrivera nécessairement, si
l’on persévère dans ce système d’isolement où l’on
voudrait tenir la Belgique dénuée de toute colonie.
Quelles ressources aurait-elle, pour Importation,
par conséquent pour les frets de sortie, si elle se fer-
mait l’accès économique des ports étrangers ; elle
n’aurait pas même celle du petit cabotage, le long de
ses côtes, car elle n’a pas de littoral. El voilà un pays
où l’on voudrait mettre la navigation en première ligne,
où l’on voudrait sacrifier à une ombre de marine, in-
capable de vivre par elle-même, tous les intérêts de
l’industrie et du commerce ! et le Journal du Com-
merce d’Anvers est assez bien inspiré pour soutenir
un pareil système.
ESPAGNE.
Madrid, 3 janvier.— La discussion relative à l’autorisa-
tion à donner aux poursuites contre le député Alvarez, s'est
terminée dans la séance de la chambre des députés d’hier.
La proposition de MM. Arguelleset Olozaga de blâmer offi-
ciellemcnt les poursuites exercées contre le député Alvarez,
a été rejetée par 91 voix contre 47; par conséquent, ces pour-
suites ont été approuvées.
— La tranquilité continue à régner dans les provinces du
Midi; l’état de siège y est cependant toujours en vigueur.
FRANCE. — Paris, 10 janvier.
CHRONIQUE ET BRUITS DE SALON.
la séance du 9 jugée par l’opposition. — Il est diffi-
cile de trouver dans nos fastes parlementaires une dis-
cussion aussi orageuse et en même temps aussi élo-
quente que celle d’hier. Jamais non plus le ministère ne
s’était montré aussi faible dans sa dél'ence. Il faut ren-
dre au moins cette justice aux deux parties qui divisent
Ja chambre d’une manière presque égaie que la position
est désormais tellement tranchée qu’il faut qu’on s’ex-
plique sans détour. Le projet d’adresse est énergique-
ment hostile au ministère, et l’amendement de M.
Amilhau substitue au blâme de la chambre, un cloge
complet pour les actes du gouvernement. Si cet amende-
ment est adopté, il faut refaire entièrement le travailjdc
la commission. Car on ne peut pas louer la ligne politique
suivie par le cabinet dans le premier paragraphe, et la
blâmer dans tous les paragraphes suivants. Aussi la coa-
lition a déployé hier toute la force d’éloquence dont
elle dispose. MM. Guizot et Thicrs se sont élevés à une
hauteur de dialectique qui a saisi la chambre d’admi-
ration.
C’est M. Garnier-Pagès qui a le premier abordé la
tribune, non pas pour entrer dans le fond de la discus-
sion et pour parler sur l’amendement, mais pour récla-
mer au nom de la petite cohorte de l’extrême gauche
contre la ligne de conduite adoptée par M. O. Barrot au
nom delà gauche. Depuis quelques jours M. O. Barrot a
grandi comme chef départi. La modération de son lan-
gage a dissipé bien des préventions dont le ministère se
servait pour effrayer les centres. Il n’est pas étonnant
que celle position ne plaise pas à M. Garnier-Pagès.
Mais la manière dont il se sépare de l’opposition modé-
rée ne peut que fairedu bien à la coalition, en prouvant
que tous ceux qui en font partie ne veulent d'aucun
excès.
La discussion du 1er paragraphe n’a guère commencé
que par le discours de M. Barthe. Jamais l’ex-carbonaro
ne s’était montré plus abondant en lieux communs et
en trivialités. Il a prétendit que l’adresse était révolu-
tionnaire et factieuse parce qu’elle penchait à gauche.
M. Guizot, qui lui a succédé à la tribune, a répondu â
ces étranges accusations, et il a établi qu’elle n’était ni
factieuse ni révolutionnaire. Jamais M. Guizot ne s’était
élevé à une pareille hauteur d’éloquence. Il a été vrai-
ment admirable. Lui qui d’ordinaire se montre froid et
compassé dans les discussions, a parle avec une viva-
cité et un entraînement impossibles à décrire.
L’orateur était si ému et les interruptions du centre
l’avaient tellement fatigué qu’il a été obligé de déclarer
en finissant qu’il épuisait le peu de forces qu'il a plu à
Dieu de lui donner. C’était un spectacle fort curieux de
voir M. Guizot écoulé pendant si long-temps comme un
oracle, se trouver tout-à-coup en butte aux vociféra-
tions des centres, tandis que ses paroles étaient accueil-
lies avec enthousiasme par ses anciens ennemis de la
gauche.
AI. Mole est monté à la tribune pour retracter les
épithètes de factieuse et révolutionnaire accordées à
l’adresse; mais il l’a trouvée inconstitutionnelle.
C’est alors que M. Thiers est monté à la tribune pour
relever celte assertion et pour faire justice d’un pareil
reproche. M. Thiers s’est élevé presque à la même hau-
teur que M. Guizot, et ces deux orateurs ont bien vengé
le quasi-échec qu’ils avaient éprouvé au dire des feuil-
les ministérielles, pendant la discussion générale. La
chambre a le droit de déclarer au pouvoir royal que le
ministère ne marche pas d’accord avec le pouvoir par-
lementaire.
C’est M. de ATonlalivel qui s’est chargé de prouver
que le reproche d’inconstilutionnalité était fondé, et il
a cherché à soulever la grande question de la royauté
irresponsable, que personne n’aurait dù aborder.
Au total, la séance d’hier s’est terminée lout-à-fait au
désavantage du ministère. Il a été battu sur tous les
points pendant la discussion, et il a prouvé ce que tout
le monde savait déjà, qu’il était incapable de lutter con-
tre les orateurs de la coalition. Nous verrons bientôt
s’il aura été plus adroit pour augmenter le nombre de
scs partisans tacites.
En attendant, le Journal des Débats continue dans la
presse la manoeuvre commencée à la tribune par Al. de
Alontalivet. On veut effrayer une partie des députés en
leur faisant croire que la coalition s’adresse directement
au roi. Lisez en effet le Journal des Débats , et vous
verrez si ce n’est pas là le dernier refuge du cabinet du
13 avril;, triste refuge en vérité d’un ministère aux
abois. Le sens du dernier paragraphe de voire adresse,
dit ce journal en s’adressant àla coalition, le voici :
» Ce gouvernement que nous accusons de négliger
l’honneur national, de n’êlre ni ferme, ni habile , c’est
le gouvernement immédiat de la couronne , c'est jus-
qu’à la royauté que remonte notre blâme. C’est à la
royauté que nous voulons faire sentir l’improbation de
la chambre. La couronne nous a laissés de côté; il faut
qu’elle s’en répente. Il n’y a que nous qui soyons en
état de couvrir la couronne de nolre|responsabilité. »
Ainsi s’exprime ce matin la feuille de AI. Berlin !
Triste argument d’un ministère.qui ne peutplus se sou-
tenir au pouvoir où il s’est cramponné pendant si long-
tems , et qui laisse voir jusqu’où va la terreur du ca-
binet.
réception. — Le Moniteur ne rend pas un compte
détaillé de la réception de la chambre des députés aux
Tuileries, à l’occasion de la mort de la princesse Alarie.
C’est qu’en effet M. Dupin aîné n’a adressé que quelques
mots au roi. Sire, a-t-il dit, voici la chambre, toute la
chambre.... Sa vive émotion l’a empêché de rien ajou-
ter. Le roi a répondu quelques paroles entrecoupées, et
toute la chambre, qui était venue en masse, a défilé de-
vant lui.
— Aujourd’hui, à deux heures, la chambre des pairs
est allée aux Tuileries présenter au roi ses compliments
de condoléance.
— Hier l’archevêque de Paris est allé au château des
Tuileries pour adresser au roi les compliments de con-
doléance au sujet de la mort de la princesse Alarie.
l’amiral gallois. — On écrit de Toulon, du 6 jan-
vier : La santé de AI. le contre-amiral Gallois continue
à donner quelques inquiétudes à scs amis. Lors de l’en-
trée en libre pratique du Triton, on a été obligé de por-
ter cet officier-général jusqu’à sa demeure.
les femmes tronquées. — Un fait assez plaisant s’est
passé dans la soirée de dimanche à la descente du che-
min de fer de Sl-Gèrmain à Paris. Les époux L...., épi-
ciers dans le quartier du Alarais, et les époux La V....,
marchands de vin dans le faubourg St-Germain, étaient
montés dans le meme wagon à la station de Nanterre.
Il était neuf heures du soir; la petite lumière qui éclaire
ordinairement l’intérieur des voitures avait été éteinte
par le vent, et les voyageurs plongés dans une obscurité
complète, transis de froid etd’humidité, s’enveloppaient
douillettement dans leurs manteaux, et se laissaient
aller à l’assoupissement .que provoque le cahotement
presque insensible des roues sur les rails du chemin.
On arrive à Paris, la locomotive s’arrête; on descend
de voiture à moitié engourdi de sommeil et de froid ;
les ténèbres sont aussi épaisses au dehors qu’au dedans,
et de plus une pluie fine et glacée vient fouetter le vi-
sage des malheureux voyageurs, qui imprudemment
confiants dans le beau temps de la matinée, n’ont
pris la précaution de se munir du parapluie proteef
ils se recoquillent mieux que jamais dans leurs m
leaux.
Une scène de nuit a lieu; les deux maris cherci'
une femme, les deux femmes cherchent un mari. Dec
couples se forment sans sc parler, de peur de rhum;
les dames se jettent précipitamment dans deux fiacre
les maris disent leur adresse au cocher , montent e
suite, et les deux fiacres roulent, l’un vers la rue Sait
Louis, l’autre vers la rue du Bac. Ce dernier fut le pr:
mier arrivé.
Qu’on juge de la stupéfaction du marchand de vin
AI. La V., lorsqu'en mettant pied à terre et en offrant
la main à celle qu’il croit sa femme, il aperçoit, à la
lueur de la lanterne du fiacre, une figure complètement
étrangère, et qui pousse elle-même un cri d’effroi en se
voyant enlevée par un inconnu qu’elle a pris jusque-là
pour son mari !
On crie à la trahison, au guet-apens, au rapt...mais
on finit par s’expliquer, et à la suite de cette explication
on remonte en voiture et l’on se fait conduire au Ala-
rais, à I adresse de M. L..., épicier. La même scène d'é-
tonnement qui s’était passée rue du Bac avait eu sa se-
conde représentation rue Saint-Louis, mais fort heureu-
sement Mm« LaV... avaitjugéà propos de s'évanouir en
trouvant la tête de M. L... surlesépaulcsde celuiqu’eiie
croyait être son époux.
La dame, transportée dans la boutique de l’épicier .
avait reçu tous les secours nécessaires ; au bout d’un
quart d’heure elle avait repris ses sens, et on allait aussi
remonter en voiture pour se rendre rue du Bac, quand
le fiacre, parti de cette dernière rue , arriva et mit un
terme à cet imbroglio conjugal, qui eut pu se prolonger
à 1 infini si les voitures se lussent encore croisées en
chemin ; cequi aurait eu lieu sans l’évanouissement de
madame La V... Les deux maris se sont juré récipro-
quement que le quiproquo n’avait pas eu d’autres con-
séquences.
CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
Séance du 10 janvier.
(PRÉSIDENCE DK M. DUPIN.)
A une heure un quart la séance est ouverte. Le procès-
verbal est lu et adopté. La foule est nombreuse dans les tri-
bunes. Tous les ministres sont à leurs bancs.
L’ordre du jour est la proposition de M. Vivien afin de re-
prendre la proposition de Al. Larabit sur la réforme du régle-
ment de la chambre.
La proposition est mise aux voix et adoptée.
M. Vivien propose d'en fixer la discussion après celle du
projet d’adresse ; adopté.
A4. Gallos propose la reprise du projet de loi portant régle-
ment définitif des comptes de 1836 ; adopté.
Al. Bonde propose la reprise du projet de loi relatif à la
perception des droits de navigation intérieure ; adopté.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet
d’adresse.
M. Beudin. Je viens sans haine et sans crainte exprimer
mon opinion et les réflexions pénibles que lui ont suggéré les
débats qui s’agitent depuis trois jours. Quoique je respecte
les talents éminents, je ne reconnais ici que l'égalité des con-
victions et de la conscience. (Très bien ! très bien ! )
L’orateur dit que la discussion n'a pas été avancée depuis
trois jours. On ne s'est pas occupé de l’adresse ni du pays. Les
questions ont été toutes personnelles. Après deui jours de
stériles débats, la Chambre croyait en fermant la discussion
générale, qu’on en viendrait aux faits et aux preuves.On s’est
tenu sur le terrain des récriminations, et on n'a pas abordé
celui des principes.
L’orateur dit que l'adresse est un pas vers la gaucho, voilé
pourquoi Al. Thiers Ta appuyée. Al.Guizot la soutient parce-
qu’elle est hostile au ministère et qu’elle tend à blâmer la
faiblesse du pouvoir. Ainsi chacun l’interprète à sa manière.
L’adresse est-elle factieuse et inconstitutionnelle ? L'adresse
n’est pas tout cela, mais elle'peut être tout cela. (Interruption,
rires à gauche.)
L'orateur déclare qu'il restera pur de tout engagement; que
lui et ses amis ne veulent que le bonheur de la France sous
Feuilleton du Frécursenr.
un TIBTTZ COF.FS
POUR UNE JEUNE AME.
C'était en 1836, par un beau soir de juillet ; le ciel trans-
parent et bleu était couvert d'étoiles, pas un souille d’air
n'agitait les hautes têtes fleuries des aloés ; car, à Barcelone,
la brise se couche en même temps que le soleil, et la chaleur
de la nuit est plus difficile à supporter que celle du jour. A une
demi-lieue de la ville, toute rumeur est éteinte ; les oiseaux
fatigués s'endorment sur les arbres immobiles, et la voix de la
mer elle-même se tait au milieu de ce grand silence. Cepen-
dant la guerre civile règne sous ce ciel sans nuages, la main
de Dieu châtie la cité Insouciante, et de temps en temps on
tressaille en entendant au loin quelques coups de fusils, qui
font songer aux coups de poignard, qu'on n'entend pas.
Un vieux moine était assis sur ie bord de la rGute, les pieds
nus et la tête découverte, son front chauve et ridé penché sur
sa poitrine, pensant aux hommes qui meurent, et plaignant
surtout ceux qui tuent ; il priait pour tous. En ce moment un
cavalier venant de Barcelone passa devant le vieillard; en
l'apercevant il arrêta son cheval d’une main ferme, et jeta sur
son visage le large manteau qui couvrait déjà tout son corps.
« N’es-lu pas don Estcban ducouvent des Franciscains, de-
manda-t-il rudement? — Je le juis, répondit le moine. —
N'es-tu pas le confesseur de la duchesse de Varès et de sa fille
dona Térésita ?
— En effet. — D’où viens-tu ? continua l’étranger. — De
voir des pauvres et des malades â Barcelonnette. — Et main-
tenant, où vas-tu ?
— Je rentre au couvent. Mais que signifient ces questions?
— Ecoule bien, moine, et lu vas le savoir.... Ce soir même
on viendra te chercher de la part de dona Térésita ; cette
jeune fille a un secret à te confier, un conseil à te demander;
que sais-je enfin , c’est un enfantillage inouï ; mais elle ne
veut rien faire sans te consulter. Or, moi, je te conseille de
faire attention à ta parole , car ta vie en dépend. Tâche que
ton avis soit conforme é la volonté de la personne dont elle
te parlera , et alors tu seras bien récompensé de tes soins ;
autrement, et si tu as l'imprudence de résister, la lutte sera
courte et terrible.
— J’agirai selon ma conscience, jeune homme, reprit le
moine.
— Qui t'a dit que j’étais jeune? s'écria le cavalier avec
surprise.
— Ton insolence et tes menaces. Il faut soi-même être
bien épris de la vie pour oppuser ainsi la crainte de la mort à
la crainte de Dieu, en espérant que la première l'emportera,
et ceux qui aiment tant la vie, vois-tu, ce sont ceux qui ne la
connaissent pas encore.
— Voilà qui est bien, interrompit l'autre ; mais, au surplus
mon âge ne fait rien à l’affaire. Ce qui importe véritablement,
c'est que tu saches bien que les paroles que je t'ai dites sont
sérieuses et que celui qui les a prononcées ne les oubliera pas.
— Alors, mon fils, reprit doucement le vieillard, il existe
entre nous cette différence, car je vous assure que je ne m’en
souviens déjà plus.
— Les belles paroles coulent quelquefois cher dans ce
monde, dit l’étranger avec mépris.
— Pas si cher que les mauvaises actions dans l'autre. »
Le cavalier, sans rien répliquer, donna un coup d'éperon
dans les flancs de son cheval et disparut bientôt aux yeux du
franciscain , qui, appuyé sur son bâton, regagnait pénible-
ment Barcelone. Cependant, absorbé par ses réflexions, le
vieillard oubliait la fatigue ; il croyait deviner quel était celui
qui venait de menacer sa vie, et il tremblait qu'il ne fût peut-
être plus temps de la sacrifier utilement pour ia jeune fille
qui allait avoir recours à lui. Il arriva enfin à la porte du
couvent; un domestique i'y attendait.
« Ne venez-vous pas de la part de dona Térésita de Varès ?
lui dit don Esteban.
—■ Oui, mon père, Mademoiselle m'envoio pour vous prier
de venir la voir ce soir. Je dois vous attendre et vous accom-
pagner, car les rues ne sont pas sûres pour ceux qui portent
votre habit.
— Je vous suis mon père, » répondit le moine.
Ils traversèrent une partie de ia ville, déjà presque déserte
à cette heure peu avancée de la nuit, et où. seuls, quelques
soldats effrayés se tenaient prêts à s'enfuir au premier bruit.
Puis, ils arrivèrent devant une vieille maison d’un aspect
sombre et imposant, et le domestique frappa deux coups à la
porte. C'était le signal convenu ; pourtant la prudence du con-
cierge ne lui permit pas de se rendre à la première somma-
tion, et un ; qui est là ? rempli d’émotion, dénonça aux arri-
vants toute la frayeur du pauvre homme. Le guide de don
Esteban répondit par un jurement devant lequel tous les ver-
rous cédèrent ; son camarade l’avait reconnu. Un domestique
alla prévenir sa maîtresse de l’arrivée du confesseur, et celui-
ci fut introduit, par de vastes salles et de longs corridors,
dans l’oratoire de la jeune|Térésita de Varès, de la noble perle
de la Catalogne. C'était là que le cœur innocent de cette belle
enfant venait s'épancher dans celui de ce vieillard vénérable,
et que vivait, pleine de candeur et de pureté, la seule affec-
tion terrestre que don Esteban se crut encore permise. Il n’en-
trait jamais sans un battement de cœur dans cet oratoire d’où
s’exhalait un parfum d’innocence plus agréable à Dieu que
celui de l’encens qu’on y brûlait, et le vieux et saint confes-
seur, que son devoir sévère forçait à comprendre chaque jour
tes misères et les ignominies du monde, venait s’incliner avec
respect devant la religieuse ignorance de sa pénitente.
Depuis quelques mois pourtant il n'était pas sans inquié-
tude. Térésita avait seize ans, et son cousin don Pablode
Cerda venait d’arriver de France . où il avait été élevé. Don
Esteban ne l'avait jamais vu ; mais d’après le portrait souvent
tracé par Térésita, il lui avait été facile de deviner dans le
jeune homme une grande exaltation d’esprit, un grand défaut
de jugement et nnc volonté de fer. Il n’était pas, non plus,
bien difficile dé prévoir que cette exaltation, toute dange-
reuse qu’elle était, et peut-être même à cause de son danger,
serait une séduction de plus pour la jeune fille, et qu’une fois
sous le joug de celte volonté terrible , elle attribuerait à un
amour irrésistible l’empire que la violence aurait pris sur sa
faiblesse. Souvent le moine avait eu la pensée d’avertir la
duchesse de Varès ; puis, au moment de le faire, ii éprouvait
je ne sais quelle jalouse répugnance à confier, même à la
mère, les naïves impressions d’un cœur qui s’ignorait lui-
même; car c’était après la confession, et comme une douce
causerie, que Térésita racontait à celui qui remplaçait alors
son père lesardentes paroles de son cousin et le troublequ’elle
ressentait en le voyant. Elle ne disait rien de plus ; pourtant,
la pauvre enfant ne cachait rien , mais elle ne savait pas en-
core. Don Esteban était instruit que la duchesse serait fort
opposée à un mariage entre sa fille et son neveu, et quoiqu’ils
fussent rarementdu même avis, celte fois et sans se rien dire,
lis s’étaient parfaitement accordés. Don Esteban ne voyait
pas, dans cette union, de bonheur possible pour Térésita, et le
bonheur de cette enfant sur la terre l’occupait tout de suite
après son salut dans le ciel. Pour la duchesse, elle n’en était
pas même venue à peser cette considération, que son cœur
de mère, quelque altier qu’il fût , eût fini par comprendre.
Don Pablo n’avait rien que son épée , dont il faisait jus-
qu’alors un fort mauvais usage, se battant contre tout le mon-
de et pour toutes les causes, et traînant la noblesse de son
nom au milieu d’une société si méprisable, qu’on finissait par
douter de la noblesse de sa personne ; il n’était donc pas éton-
nant qu’on ne songàt guère â l'avoir pour gendre; et quant
à l'amour, il n'enlrait jamais dans les calculs de la duchesse |