LE BRABANT. 79 19 nourris, piqués de notes vives. La ligne se noie dans les moiteurs d'une atmosphère qui fond les contours et leur donne la plénitude d'une gamme vigoureuse sur laquelle les bluettes du prisme scintillent avee des éelats de pierreries. Il semble qu'on ait là le secret de cet art de la peinture auquel la pensée constamment se reporte en Belgique. Bien avant que le pays n'eut une littérature, les peintres furent l'expression vivante de Ja terre natale. Elle leur délègua ses forces, ses énergies, Son àme visible comme à des fils de dilection chargés de la magnifier. La Campine, les Flandres, là-bas le Condroz furent de merveilleuses écoles de paysage où les Baron, les Heymans, les Rosseels, les Dubois, les Verheyden, les Verwée, les Courtens. les Claus communièrent avec les vestiges de la farouche genèse pélasgienne, avec le grand cœur tellurique sensible aussi bien sous les pétrifications mosaines qu'à travers les landes, les eaux, les pâturages et les bois. Plus près de la capitale, vers 1850, un jeune peintre allait fonder, dans une région arable et forestière, une libre académie d'art qu'il appelait l'École de Tervueren. Le pays était bucolique, aimable et grave en ses modulations variées ; on y vit bientôt se planter les chevalets devant les horizons. Hippolyte Boulenger y vécu une vie charmée, solitaire et brève, après avoir longtemps souffert dans les villes; son art vibrant, passionné, nerveux, adroit. avait été un cri d'éveil; ondoyé de vent, trempé aux aubes et aux crépuscules, tout frais de sèves vives, il étonna, séduisit, convainquit. Il demeure à jamais associé au coim de nature où il prit naissance et qu'il exalta d'une poésie émerveillée. Cependant le caractère prairial et maraicher de la région suburbaine n'est pas exclusif. A l'extrémité de la longue avenue Louise, séjour préféré de la haute bourgeoisie, commence le bois de la Cambre, ancienne dépendance de la forèt de Soignes, dont les taillis et les futaies formaient dans le passé un prodigicux enchevétrement vert où patu- raient les sangliers et les daims. On y accédait autrefois par une avenue qui partait du pied de l'abbaye, aujourd'hui L'ÉGLISE DE LA CAMBRE. transformée en lycée militaire et dont on aperçoit toujours les facades régulièrement alignées, le grand portail d'entrée et la chapelle isolée au milieu des cours, restes du monastère où l'abbesse Giselle conduisait un troupeau de religieuses. L'ombre était profonde sous les arbres séculaires dont les racines se nouaient au ras du sol comme des biceps. Les cimes, hantées par le chat sauvage, l'écureuil et les corbeaux, mettaient au-dessus des allées encombrées de mousses et de feuilles mortes des épaisseurs sombres de dômes, appuyées sur les troncs lUgUEUX COMME sur des piliers de basilique. Les dimanches, piétons et cavaliers, par petites troupes, s'engagealent sous les arceaux de la Drève de Lorraine, au bout de laquelle on rencontrait le pavé qui mène à Boitsfort, le but des parties d'alors, que dédaignaient les amoureux des marches forcées à travers les futaies plus lointaines. À présent l'ancien bois, émondé, redressé, symétriquement coupé de vastes percées sans mystère, avec boulingrins, pièces d'eau, chemins de ronde, mails, laiteries et trink-hall, ponts rustiques, rocailles, ressemble à un jardin aligné au cordeau, où les restes éclaircis des frondaisons primitives servent de toile de fond au défilé des équipages, à l'étalage des toilettes, à la flânerie lente des familles déversées par les tramways. Dépassez cependant la première enceinte : le silence de la forèt recommence brusquement, 10