LE BRABANT. 19 porte-bannière, ces jurés en robe de drap rouge, ne correspondait la procession funèbre de ces cent cinquante gentilshommes espagnols et italiens qui, le jeudi saint de la même année 4349, par condescendance pour la dévotion de l'héritier de l'empire, se flagellèrent par les rues jusqu'au sang! LIL Une Cour des Miracles. — Musiciens du pavé. — Le goût de la musique cl du spectacle chez les Belges. Le théâtre flamand. Une vraie Cour des Miracles fleurit encore dans certains quartiers bruxellois, principale- ment dans les cloaques humides et malsains qui abondent au fond des agglomérations populeuses de la rue Haute, de la rue de Flandre et de la rue d'Anderlecht, ravinées, comme des madrépores, d'un lacis de ruelles boueuses où vit un peuple ravagé par le vice, la maladie et la misère. À de certains jours, truands, mendiants, claque-patins ct marmiteux partent de là et envahissent la rue, les porches des églises, le seuil des maisons, les boiteux béquillant et sautant à cloche-pieds, les aveugles menés à pas menus par de vieilles femmes et de jeunes enfants, tous courant à leurs affaires avec une activité furieuse de vermines. Bruges, Gand, Malines, Louvain et même encore aujourd'hui Bruxelles, malgré les efforts de l'initiative privée pour canaliser la mendicité des rues, ont gardé leur type du petit pauvre, humble, patient et résigné, d'une tenue décente, sonnant doucement aux portes, les mains en croix sur la poitrine et inclinant sur l'épaule un visage aux yeux tristes et rusés. Bruxelles paye encore le tribut aux musiciens ambulants, gratteurs de guitare, limeurs de violon, tourmenteurs de harpe et d'accordéon, chanteurs de romances et de complaintes, une variété d'artistes déclassés dont un ancien quartier, à présent disparu, les Marolles, monopolisait autrefois la possession. C'était là comme un dépotoir de tout le déchet social, lentement infiltré parmi la population primitive, très particulière celle-là, avec des mœurs, des coutumes, des fêtes et même un langage différents du reste de l’agglomération bruxelloise. Tout ce monde encombrait des logis étroits et bas, souvrant sur des ruelles encombrées de détritus; chiffonniers, ramasseurs d'escarbilles, ramoneurs, marchandes de pommes et d'oranges, aux provoquants accroche-cœurs, débardeurs et portefaix, troubadours et ménestrels fraternisaient comme une vaste famille sur laquelle s'était greffé le ramassis de ribauds et de sabouleux qui, les jours de kermesse, se débandaient le long des prome- nades, avec des étalages d'ulcères et d'adroites fractures. A cette époque, les Marolles étaient une des singularités bruxelloises; on y allait accompagné des gens de police, comme on va voir certains quartiers de Londres et de Manchester: mais l'horreur, à beaucoup près, n’était pas aussi grande. IL existait bien des bouges suspects et des ruelles mal famées où se faisaient prendre, comme dans un traque- nard, les chourineurs et les voleurs de profession. Toutefois, c'était l'exception : une dépra- vation inconsciente, produite par les promiscuités de l'habitation et le parquement obligé des ménages dans des locaux exigus, remplaçait l’effroyable criminalité des carrefours anglais. D'honnètes artisans sy rencontraient même, qui, nés dans ce dédale de petites rues, continuaient à y demeurer, par suite de l'attachement aux vieilles choses, indéracinable chez le peuple, surtout chez celui-là.