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JLE PRECVR8E ER, Dimanche 6 Septembre 1810,
Cela étant, remarquons encore que le désordre et l'indiscipline ne
se voient pas parmi les ouvriers des fabriques. Ce sont, je le répété,
les ouvriers de metier qui s'agitent. Les tailleurs ont commencé. 11
ont été imités par les bonnetiers, les charpentiers, les charrons, les
menuisiers. Aujourd’hui tous les ateliers s'en mêlent,grâce aux sug-
gestions, à l'entrainement de l'esprit de corps, aux violences exercées
par les oisifs contre les travailleurs. Enfin presque tous ces hommes
qui ont déserté l’ouvrage depuis huit jours, dépensent néanmoins de
l’argent qu'ils n'ont pas gagné.
De tout cela que conclure ? Sinon qu’ils agissent par instigation
bien plutôt qu’en vertu de leurs prétendus griefs. Il ne faut pas per-
dre de vue la situation où se trouve la France, en face d'une coalition
européenne, et peut être à la veille d’une guerre, pressée par les par-
tis dont l'un vent la guerre, dont l’autre croit y avoir intérêt, taud s
qtie la majorité du pays n’aspire qu’à la paix honorable et au bon or-
dre intérieur.
Le parti qui veut la guerre a contribué à faire naître les troubles
actuels par ses manifestations bruyantes et intempestives. Sans doute
on ne peut lui savoir mauvais gré d’avoir voulu exalter l'esprit public
et échauffer le patriotisme des masses, dans la prévision des dangers
qui menacent le pays. Mais, il faut le dire, on a vu avec un sentiment
de peine et de répugnance générale, qu'il ait choisi un pareil moment
et de pareilles circonstances pour faire un appel à des changement
politiques qui ne peuvent être qu’un objet de débat domestique et uue
question d’avenir. Gomme ces changements, celte réforme, ont préci-
sément pour but de conférer des droits politiques aux classes ouvrières,
celles-ci ne voient dans les réclamations des réformistes qu’une preuve
de leur propre importance et de I injustice de la société à leur égard.
Elles partent delà pour regarder comme une usurpation touie autorité
qui pèse sur elles immédiatement. « i\otre ennemi, c’est notre maî-
tre. » Cet adage du fabuliste est presque devenu le mot d’ordre des
ouvriers. Leur esprit travaillé par les utopies de quelques socialistes
modernes, a perçu vaguement certaines idées d’association et de par-
tage dans les bénéfices des capitaux- Ignorants, incomplets comme ils
sont, ils croient que leurs maîtres sont obligés de leur abandonner une
portiondece qu’ils gagnent, et cette portion ils la réclament tantôt sous
la forme du salaire augmenté, tantôt sous la forme du travail diminué.
Ainsi, tandis que les réformistes demandent pour eux des droits de
suffrage, plus positifs et plus matériel', ils réclament directement uue
augmentation de jouissances physiques. Conserver le salaire actuel, et
avoir plus de temps pour le dépenser, tel est en effet le programme
tout nouveau de l’émeute qui agile Paris en ce moment, et qui a ac-
compagné ou suivi de près les réunions des radicaux.
Soumisàcette influence d’unégoïsme facile à concevoir, les ouvriers
subissent encore celle des agitateurs qui ont un inléiêt à faire naître la
guerre civile comme ils en ont un à voir éclater la guerre extérieure,
espérant toujours eu voir sortir la restauration de leur influence et
d’un pouvoir qu'ils ont perdu à force d'en mesuser. Les éventualités
d un conflit européen ont ranimé ce parti qui semble par moments en-
dormi ou résigné, niais qui veille toujours comme un mauvais génie
pour exploiter ou pour inspirer le mal. Dieu sait quelle influence fatale
il exerce, par ses congrégations, sur les associations du compagnonage
et sur les individus de la classe ouvrière !
Le gouvernement a le tort grave de ne pas suivre d’assez près les
menées de ce parti. Il a, en outre celui de n’avoir rien fait, depuis dix
ans, pour prévenir l’anarchie qu’on soulève et qu’on entretient si aisé-
ment parmi les ouvriers. Les maliresont des syndicats, des conseils de
prudhornmes; ces institutions rendent de grands services ; elles pré-
viennent beaucoup d’abus et concilient une foule d’intérêts rivaux. De
toutes parts on réclame quelque chose d’analogue pour les ouvriers.
Sans doute beaucoup de gens le réclament parce qu’ils croient y voir
un retour aux corporations féodales. Mais les esprits raisonnables sen-
tent bien qu il est aisé d’éviter ce retour, et que même le changement
des temps et des circonstances est un obstacle tout naturel à la recon-
stitution du passé. Ce qu'il faut aujourd hui c’est un agent intermé-
diaire entre les maîtres et les ouvriers.
, Le gouvernement a reculé jusqu’ici devant la création des syndicats
d’ouvriers ou des conseils de prudhornmes, parce qu'il voit dans cela
un système électif qui peut hâter le renversement de la loi électorale
politique et former un précédent en faveur du suffrage universel. Cette
crainte est puérile. Le meilleur moyen d'ajourner ce suffrage c’est de
lui substituer un équivalent. El quand même cet équivalent devrait
être un apprentissage électoral, ne serait-ce donc rien d’avoir préparé
pacifiquement cette voie à une réforme qui aura lieu un jour infailli-
blement, et de lui avoir posé d’avance des bornes que l'habitude empê-
chera la classe ouvrière de franchir ? Voilà ce que tout le monde se
dit, au milieu du trouble qui nous agite. M. Thiers a, dit-on, des idées
sur l’organisition du travail Le moment arrive où il fera bien de les
mettre en pratique. Il est fâcheux sans doute que cette complication
vienne se joindre à celles de ta politique extérieure: mais c'est une rai-
son de plus pour s’occuper d'une question qui ne cessera d'être un em-
barras jusqu’à ce qu’elle soit résolue.
akgletkriie:.
Loxdres, 3 septembre. — L’anniversaire de la naissance du prince Al-
bert a été célébré au château de Windsor d'une manière charmante.
Au lever du prince, S. M. lit connaître à S. A. R. qu’à l’occasion de son
anniversaire, ils iraient déjeûner en tète à tête au pavillon d’Adélaïde,
à quelque distance du château, au fond du parc. La reine et le prince s'y
rendirent donc; mais quelle ne fut pas la surprise de S. A. R. quand, à
sonarrivéeau pavillon, il remarqua non-seulement que les préparatifs
les plus brillants poursa réception, avaient été faits par ordre de S. M.,
mais encore que tous les personnages les plus distingués qui fréquen-
tent le château, toute la maison de la reine se trouvaient là, attendant
l’arrivée de S. A. R. pour lui présenter leurs félicitations sur l’anniver-
saire desa naissance. Après le déjeûner, le couple royal et le noble cer-
cle sont rentrés au château.
— Les vaisseaux suivants sont prêts à partir pour la Méditerranée :
En rade de Portsmouth : le U ri tu nui a de 120 canons, la Reine de 110, qui
portera le pavillon de l’amiral sir Edward Codrington, et le Vanguard
de 84 canons, chargé d’une grande quantité de munitions et de matériel
de guerre; en rade de Plymouth : le Calcutta, de 84 canons, capitaine
sir Samuel Roberts; on met la plus grande hâte à compléter l’équipement
de ces divers bâtiments. (t riyhton Gazette.)
— Les lettres de Manchester annoncent la faillite d’un négociant de
cette ville donl le déficit s’élève à 30,000 liv.; il était engagé dans le com-
merce d’exportation avec la Belgique et la Hollande; mais on suppose
qu’il est entré dans des spéculations exagérées. Cette faillite a eu pour
elfet de jeter quelque lourdeur sur le marché de Manchester. {Globe.)
— Le prix moyen cumulé du froment pour les six semaines prenant
fin au 28 août, ayant été déclaré à 72 sh. 3 d. par quarter, le droit d’im-
portation sur le blé étranger est réduit à 2 sh. 8 d. 11 est notoire qu’en
cette occasion toute espèce d’intrigues et de manœuvres ont été mises
en œuvre pour influencer le prix moyen. Mais les possesseurs de blés
étrangers ont débouté leurs adversaires. Sans ces menées occultes il est
très probable que le droit ne serait pas descendu au-dessous de 10 sh.
8 den. par quarter eten conséquence le fisc perdra à cette hausse factice
une somme d’environ 400,000 livres, ce qui vaut bien la peine qu’on y
pense. Cependant les spéculateurs ne réaliseront pas tous les bénéfices
qu’ils avaient espérés, car ils seront probablement forcés de vendre
leurs blés à des prix inférieurs à ceux qu’ils eussent obtenus il y a un
mois. (t-sem.)
IKAVCE.
Paris, 4 septembre. — Le conseil des ministres délibère depuis 2 jours
sur la nouvelle note des quatre puissances qui propose, dit-on, à la
France de rouvrir les négociations relatives à l’Orient, en prenant pour
bases les conditions signalées dernièrement par la Revue des deux Mon-
des et qui concéderaient la Syrie viagèrement à Méhémet-Ali. Le con-
seil s'est encore prolongé hier depuis midi jusqu’à 3 heures.
— On lit dans le Courrier de Ly on du 4 septembre.
Livourne, le 28 août 1840.
Les nouvelles qui nous arrivent aujourd’hui de la Haute-Italie, sont du
plus grand intérêt ; il règne dans ces contrées une agitation extraordi-
naire provoquée par les bruits de guerre, qui s’y sont répandus avec la
rapidité de l’éclair. On avait appris par des lettres de Scutari que l’Al-
banie était déjà en mouvement, et que les populations de cette province
paraissent disposées à se prononcer en faveur de Méhémet-Ali. Partout
les autorités turques se trouvent dans une fâcheuse position, étant à la
tète des populations qui toutes font des vœux pour le succès du vice
roi d’Egypte.
— On lit dans le Sud du 1" septembre :
L’heure à laquelle nousparvient notre correspondance du Levant, ne
nous permet pas de l’insérer intégralement. Sur tous les points de l’em-
pire, depuis Constantinople jusqu’à Alexandrie et dans la Syrie, une
fermentation dangereuse contre les chrétiens semble jusqu’à ce moment
donner raison aux prévisions de Méhémet-Ali.
HOliliAiVOE.
Le Handelsblad exprime avec amertume le désappointement causé
aux Hollandais par les débats sur la révision delà loi fondamentale:
« Les discussions, dit-il, ont abouti à ce triste résultat, que la révision
de la constitution n’est pas terminée, que te besoin de nouveaux chan-
gements sera plus vivement senti de jour en jour, et qu’on attribuera à
la 2' chambre tout ce qui pourra survenir de fâcheux.
:> Ce qu’on n'a pas fait maintenant, on devra le faire plus tard, on de-
vra même faire davantage ; alors on regrettera de ne pas pouvoir se
borner à ce qu'on a refusé aujourd’hui.
« On a laissé échapper l’occasion actuelle, mais tout homme prévoyant
reconnaît qu’on n’a fait que du provisoire, sur lequel il faudra revenir. !
Le Handelsblad dit que les derniers débats ont prouvé que le système
électoral des Pays Bas est vicieux et qu’il importe à la nation de pouvoir
exercer une influence plus directe sur la nomination de ses représen-
tants : « Ainsi, dit-il, s’accrédite l’opinion qu’il n’y a rien de bon à atten-
dre de la chambre actuelle. _
Jamais encore le Handelsblad n’avait donné à son opposition un ca-
ractère aussi décidé.
AXVEKS, IiE » SEPTEMBRE.
C’est demain à 9 3;4 heures que la dépouille mortelle de M. Florent
Van Ertborn quittera sa maison, place de Meir. Le collège de régence
accompagnera en corps le convoi funèbre, auquel toutes les autorités et
les membres du conseil communal ont été invités d’assister. Les funé-
railles auront lieu comme on sait à Hoboken, à onze heures du matin.
Sans doute une foule de nos concitoyens s’empresseront de rendre les
devoirs à un homme qui a consacré une grande partie de sa vie à la
prospérité de notre ville, et qui à sa mort lui lègue une collection de
tableaux d’une grande valeur.
— Nous avons reçu aujourd’hui une nouvelle livraison de la Revue
Nationale. Elle ne contient pas d’article sur les questions politiques du
moment. Nous y avons trouvé un Essai historique sur la guerre dite de
la Marmite en 1784 ; des souvenirs d’Allemagne, et des articles de criti-
que sur l'ouvrage de Clot-bey et sur celui de Michel Chevalier, relatif
aux voies de communication dans l’Amérique du Nord.
— Aujourd’hui est parti pour Londres le bateau à vapeur anglais
Soho, avec un chargement complet de froment et 800 paniers noix ver-
tes, les premières de cett» année que l’on exporte.
— Hier sont arrivés de Rotterdam par bateau à vapeur Stad Nymwe-
gen, lord Charles St-Clair, le général américain Ilamillon, le comte Gui-
schard de Quintus Zcilius etM. Sandelin, ex-membre des Etats-Généraux
à La Haye.
— Le 3 mâts norwégien Norge, cap. Wright, venant de Nerva, est ar-
rivé hier soir devant la ville à 1a remorque du bateau à vapeur du pas-
sage de la Tête-des-Flandre. Il est entré à la marée au bassin.
— Le débarquement de toute la cargaison de sucre du brick belge
Camille, c. Wagenaer, s’est terminé hier après-midi. Quarante caisses
environ sur tout le chargement se trouvent légèrement avariées d’eau
de mer. Cette petite avarie a surpris les intéressés; on sait en effet que
la Camille qui avait fait voile de la Havane le 14 juillet reçut dès le 21 du
même mois un violent coup de vent qui lui fit perdre plusieurs voiles
et lui occasionna une voie d’eau. Le 16 août par un gros temps la voie
d’eau devint tellement forte que le navire ne fit pas moins de 48 pouces
d’eau à l’heure et dès cet instant les2 pompes furent mises en œuvre.On
sait que le 19 le capitaine fut forcé de relâcher à Cowes.
Nous ne pouvons nous empêcher de rendre hommage au capitaine
Wagenaer et à son second H. Alberts, qui par des soins et des travaux
assidus, ont su préserver la cargaison d’une avarie totale.
— La troupe du théâtre de Garni se trouve tellement mauvaise — s’il
faut en juger par un article du Messager d’hier — que le directeur va se
trouver dans la nécessité d’en former une nouvelle et de suspendre
momentanément ses représentations. La magnifique salle de spectacle
de nos voisins n’a pu donner de la voix à leurs chanteurs ni du talent a
leurs comédiens.Il paraîtrait au surplus que tous les artistes de la troupe
gantoise, qui avaient été trouvés très passables par les procurateurs
sur des théâtres ordinaires, n’ont plus été que misérables et insuppor-
tables sur un théâtre si magnifique : il est p -obable qu’en présence de
tant de luxe, d’éblouissement et de dorures, iis se sont trouvés littérale-
ment enchantés.
— On écrit de St.-Pétersbourg, le 23 août, à la Gazette d’Etat de Prusse:
Un affreux malheur est arrivé avant-hier, vers minuit, sur notre che-
min de fer. La direction avait fait prévenir de nouveau le matin le ma-
chiniste de Czarskojezélo que, vers cette heure de la nuit, elle ferait
partir exceptionnellement un train pour Czarskojezélo à cause de la
grande affluence des voyageurs. Ce machiniste, ayant entièrement
oublié cet avertissement, partit de Czarskojezélo vers minuit avec un
train de 18 voitures et ne s’arrêta pas à l’endroit où il devait attendre
le passage du convoi venant de St.-Pétersbourg. Les deux convois se
heurtèrent si violemment à 8 werstes de St.-Pétersbourg, que trois
wagons furent entièrement brisés et trois autres fortement endomma-
gés. Ce malheur a coûté lavieàsix personnes, et 21 autres sont blessées
dont six très gravement. Le machiniste de Czarskojezélo est entre les
mains de la justice : c’est un Anglais nommé Robert Maxwell.
Correspnmltanee.
Anvers, le 3 septembre.
Monsieur le Rédacteur,
Je viens de lire avec le plus haut intérêt le feuilleton de votre numéro
de ce jour, intitulé Romans-Fecilletoss, auquel vous me permett rez
d’ajouter la conclusion qui manque en demandant à nos hommes d’Etat
pourquoi il se fait qu’il existe des lois, des réglements de police qui dé-
fendent la vente des drogues vénéneuses pouvant donner la mort ou
occasionner des maladies; qui défendent dans certaines saisons la cir-
culation de nos rues aux chiens non muselés, dans la crainte de leurs
morsures et des maladies que ces morsures peuventoecasionner; tandis
que rien ne s’oppose à la contagion du vice, àla contagion de l’hérésie,
à la contagion des mauvaises mœurs, comme si réellement les maladies
morales n’étaient pas aussi redoutables que les maladies physiques.
Quel est le père qui, pour son enfant, ne préférera pas mille fois la
mort à l’infamie ? Et cependant c’est à l’infamie que conduisent insen-
siblement toutes ces lectures pernicieuses auxquelles il est devenu
presqu’impossible de soustraire les enfants d’aujourd’hui.
en outre une foule de ces petits talenls d’agrément qui apportent tant
de charme aux lemmes et leur aidentavec tant de complaisance à trou-
ver un mari. D’après ceci, tu peux très facilement deviner qu’Ernestine
ne manquait pas d’adorateurs. Allait-elle-au bal, une foule de jeunes gens
s’empressaient autour d’elle, se disputant un de ses regards: c’est à qui
ootiendra le plus grand nombre de contredanses pour la nuit. A la pro-
menade, chacun la suivait des yeux; en effet, il eut été assez difficile, je
crois, devoir Ernestine et ne pas l’aimer.Ceux qui ne l’aimaient pas d’a-
mour, la r< gardaient au moins avec une admiration hautement formulée.
Parmi tous ces jeunes gens qui papillonnaient autour de celle belle
et tendre (leur, Emestine n’en avait distingué qu’un seul ; c'était un
Anglais. Edward Cowsby était un jeune homme de mœurs douces et fa-
ciles. Rangé et laborieux, une eertaine élégance dans les manières, une
assez bonne mine, tout cela lui avait valu la sympathie de la famille R *.
Edward, placé en qualité de commis dans une de nos premières maisons
de commerce, promettait, par son assiduité au travail et par une apti-
tude particulière, d’être un jour un négociant accompli. Edward était
né pour le négoce, et la carrière s’ouvrait largement devant lui. Aussi il
lailait voir avec quelle ardeur il s’y jetait !
Quoique jeunes, Edward et Ernestine comprirent bien vite, de part et
d autre, qu’ils pourraient être heureux ensemble. Edward avait vingt-
et-un ans, Ernestine n’en comptait que dix-sept! — âges d’or remplis
d illusions reflétant le bonheur de toutes leurs facettes unies et brillan-
tes ! Ils s’aimaient déjà, ces deux enfants, sans que pourtant ils se le fus-
sent dit : il y a des âmes qui se devinent par cette attraction sympathi-
que qui les entraîne l’une vers l’autre comme l’aimant attire l’acier,
“dward dut bien vite s’apercevoir qu’Ernestine ne le voyait pas avec
indifférence, et, en effet, la naïve jeune fille ne faisait pas de violents
efforts pour cacher le sentiment marqué de préférence qu’elle éprouvait
pour le blond Cowsby.
Que l’amour est un enfant malin, il n’y a pas à en douter. D’ailleurs,
on le répété depuis si long-temps qu’à la fin on doit bien finir par y
croire, n’est-ce pas.’Edward parvint-il à parler de son amour à Ernestine;
— celle-ci lui avoua-t-elle qu’elle songeait souvent à lui ? Voilà des ques-
tions auxquelles jene pourrais répondre qu’avec une certaine hésitation.
Toujours est-il qu’un jour, pendant que j’étais chez Monsieur K”’, sa
femme lui dit d’un air moitié plaisant, moitié sérieux :
— Mais ne vois-tu pas, mon ami, que depuis quelque temps Ernes-
tine n’est plus du tout ce qu’elle était autrefois Jamais je’ne lui ai
connu ce caractère fantasque qu’elle montre aujourd’hui : là elle est
gaie jusqu’à la folâtrerie, puis un monientaprès elle tombe dans des rê-
veries qui commencent à m’inquiéter. Elle ne se doute pas alors que je
1 observe de loin, que j’épie ses moindres gestes; si, par hasard, elle,
s aperçoit de cet espionnage de ma sollicitude maternelle, elle devient
tout interdite; elle détourne la tête pour me dérober la rougeur qui lui
monteau front. Il y a du mystère dans la conduite d’Ernesline; son
embarras me le dit. Elle nous cache quelque chose, il n’y a pas de doute.
Mais j’ai beau m’interroger sur le passé, je ne découvre rien, absolu-
ment rien qui me fasse soupçonner la cause de ce changement soudain
dans la conduite de ma fille... que penses-tu de tout ceci, R”’ ?
— Moi !... ce que j’en pense... mais... rien !...
— Comment, rien !
— Madame, dis-je en interrompant les deux époux, madame, n’y
a-t-il donc rien — rien — songez-y, qui puisse changer ainsi Hhumeur
d une jeune personne ? ’
— Je vous comprends, Monsieur, me répondit madame R”* 1*; je vous
■comprends, ou du moins je crois vous comprendre : vous voulez faire
allusion à l’amour !
— Probablement, madame.
— Ernestine est bien jeune !... et qui aimerait-elle d’abord ?
— Alt voilà ! dit monsieur R’** en introduisant le pouce et l’index
dans l’ouverture de sa tabatière d’argent. Voilà! répéta-t-il en prenant
«ne prise monstrueuse.
— Je veuxinterroger ma fille, dit à son tour la femme du rentier.
Presqu’au même instant, Ernestine entra dans le salon oû nous nous
trouvions assis. Tu sens que le texte de la conversation se modifia con-
sidérablement, à cause de la présence de ce nouveau témoin.
Quelque temps après cet entretien, Monsieur Edward Cowsby reçut à
l’improviste une lettre de sou père qui l’appelait immédiatement à Li-
verpool, sa ville natale. Des affaires urgentes réclamaient sa présence
au milieu de sa famille, peut-être pour deux ou trois mois. Edward réflé-
chit un moment et songea à Ernestine ; puis il s’en alla résolument se
présenter chez Monsieur et Madame R’”. Quand il se trouva devant
eux, il ressentit bien quelques craintes, mais surmontant bientôt son
embarras, il leur exposa brièvement les motifs qui allaient le forcer à
partir pour l’Angleterre, ainsi que le temps qui, selon toutes probabi-
lités, l’y retiendrait. Edward finit, en hésitant beaucoup, par leur dire
qu’il ne voulait pas quitter Anvers sans avoir reçu d’eux l’arrêt qui
déciderait de son existence, — un arrêt de bonheur ou de désespoir !
Alors le jeune homme leur apprit avec émotion — qu’il aimait Ernes-
tine....
— Maintenant, ajouta l’Anglais enhardi par l’indulgence avec laquelle
on semblait l’écouter; maintenant oserais-je vous prier de m’accorder
la main d’Ernesline ?. .. Parlez, parlez, je vous en supplie ; car d’fin seul
mot vous allez disposer de mon avenir !.... Parlez, au nom de Dieu !....
Vous connaissez assez ma famille et ma fortune pour que de ce côté, je
l’espère, il n’y ait pas d’obstacles.... et puis, j’aime tantvotreErnestine !...
Dites, dites un mot, et je pars heureux — heureux comme un homme
peut l ètre !....
Monsieur et Madame R’" gardaient le silence; l’étonnement leur tenait
la bouche close, tant ce qu’ils venaient d’entendre là si brusquement
leur parut singulier. Tout cela arrivait si inopinément, qu’ils n’eurent
pas le temps de lu réflexion. Ernestine était si jeune encore ; ils chéris-
saient tellement cette douce enfant que jamais l’idée de s’en séparer ne
leur élaitvenue A la lin. Monsieur Rvoyant l’anxiété qui se dessinait
vigoureusement sur la figure d’Edward, prit la parole :
— Monsieur Cowsby, dit-il, voilà une démarche bien imprévue pour
nous. ... démarche qui, au reste, ne peut que nous honorer, j’aime à le ,
croire.... Mais, que diable ! monsieur, vous devriez, ce me semble, nous
donner quelque répit; il faut, pour le moins, que nous puissions réfié- !
chir à la demande solennelle, oui, solennelle, c’est bien cela ! que vous
venez de nous luire. On ne marche pas à la légère là-dessus. Parbleu !
on ne cède pas ainsi son bien le plus précieux sans avoir pesé les chances
qu’il peut courir... Revenez, monsieur; revenez dans quelques jours....
nous verrons.... nous aviserons.... Ma femme et moi, nous sommes loin
de vouloir repousser vos prétentions. C’est tout ce que je puis vous dire
à présent, monsieur.
Pendant cette tirade, la tabatière du digne rentier avait joué un rôle
actif. Par trois fois elle s’était ouverte et a chaque manœuvre son con-
tenu avait considérablement diminué.
— Mais, monsieur, s’écria Edward avec feu. songez donc que demain
je serai peut-être loin d’ici ! Comment voulez-vous que je parte avec la
plus affreuse inquiétude dans le cœur?...- N’est-ce pas l’impossible que
vous voulez exiger de moi?.... Je vous en prie, un mot — un seul....
Le jeune Anglais était presque à genoux et des larmes tremblottaient
entre ses cils.
— Vous aimez ma fille, monsieur Cowsby, objecta madame R’**, qui
jusqu’alors avait gardé le silence et s’était contentée de regarder fixe-
ment l’insulaire amoureux; vous aimez ma fille, tout cela est bien, il n’y
a pas de si grand crime après tout ; mais Ernestine vous ahne-t-elle,
monsieur ?... Répondez, monsieur ; répondez franchement....
— Madame, fit Edward un peu embarrassé, je ne pense pas que ma-
demoiselle Ernestine me voie avec trop d’aversion.
— Il suffit, monsieur; nous consulterons l’inclination denotre enfant;
sa réponse dictera celle que nous vous réservons.
Edward Cowsby prit congé des deux époux, et partit en emportant
toutefois l’autorisation de pouvoir revenir le lendemain.
Inutile de te dire qu’il fut exact au rendez-vous.
Quand Madame R”* avait demandé à sa fille, après l’avoir sondée sur
ses inclinations amoureuses,ai elle se sentait des dispositions pour le ma-
riage, Ernestine s’était jetée dans ses bras en s’écriant avec une voix
pleine de tendresse vraie ou feinte :
— Ma bonne mère, je suis si bien auprès de toi ! — petite phrase per-
fide que les jeunes filles ont communément à la bouche dans semblable
occasion et qu’elles prononcent assez distinctement. Le reste de leur
pensée qui équivaut à peu prèsà : « Mais je serais encore mieux auprès
de mon mari ! :> — se perd d’ordinaire dans les steppes de la mâchoire.
— Et n’aimes-tu personne ?
Ernestine qui ne savait pas mentir, n’avait pas osé non pins répondre
catégoriquement à cette question ; elle s’était contentée de rougir et de
cacher sa figure dans le sein de sa mère. .
— Allons enfant, réponds-moi :simonsieur Cowsby sollicitait ta main,
voudrais-tu devenir sa femme ?
— Ma mère !....
—■ Tu l’aimes donc ! Allons, Ernestine, ne crains pas de te confier à ta
meilleure amie....tu sais bien que je ne veux que ton bonheur, meme
aux dépens du mien, si c’était nécessaire..... aimes-tu Edward ?..
Un oui bien bas, presqu’impcrceptible parvint à l’oreille de Madame
R’*'. Le Rubicon était franchi. Un silence assez long suivit la réponse ue
la jeune tille. L’idée de devoir quitter son enfant fit pousser quelques
soupirs à Madame R‘” ; enfin, s’armant de courage, elle dit à Ernestnie
après lui avoir déposé un tendre baiser sur le front :
-- Eli bien ! demain, ma chère enfant, je veux te présenter tonfiance
Monsieur Edward Cowsby. ,
Ceci s’était passé le soir du même jour de la visite de l’Anglais.
Toute la famille se trouvait réunie quand Edward entra. En l’aperce-
cevant, Ernestine rougit beaucoup. Monsieur R”* se mit à sourire a la
vue de l’embarras de sa fille. Les premières formules de civilité épui-
sées, Madame R’’”, prenant un petit air de matrone, dit d’une voix
’ — Monsieur Cowsby, mon mari et moi nous avons réfléchi à l’honora-
ble demande que vous nous avez faite ; nous avons consulté le cœur ae
notre fille,et je puis vous félicitersur votre bonne étoile : tout aparté eu
votre faveur. Je vous dirai donc que la main d’Ernestine vous estaccor-
dée,à la condition toutefois que vous vous efforcerez de rendre heureuse
l’épouse que nous vous donnons. Je ne veux pas douter un instant que
vous ue serez le meilleur des maris..Edward, venez embrasser voire
fiancée. .
Lejeune homme était ivre de bonheur; la joie lui ôtait la force u
parler. 11 s’avança avec une charmante timidité vers Ernestine et dêpos
un chaste baiser sur son front. La figure de la jeune fille se couvrit d ui
aimable rougeur et ses beaux yeux se tournèrent avec confusion ver
le parquet. . ,,, .g
— A présent, jeune homme, s’écria joyeusement Monsieur K en »
frottant les mains, à présent vous pouvez vous mettre en v0-v‘!" ’
Vous n’avez plus rien à craindre, j’espère; d’ailleurs, les ordres pa ■
nels sont là, comme vous savez. Tâchez de revenir au plus vite,
vous attendra avec impatience, j’en suis sûr ! , ..
— Il part ! exclama Ernestine avec une expression de regret uu
Ioureux qui peignait toute la force de son amour.
Une courte explication fut jugée nécessaire pour mettre n..
courant de la position d’Edward. La jeune fille se résigna. U lu
venu que l’on attendrait le retour du jeune Cowsby, de Liverpooi, p
célébrer le mariage qui devait combler les vœux des deux amants, u
jours après,Edward prit congé de sa jolie future, et partit pour l A b
terre à borddu Tourist.En voyants’éloignerlesteameranglais.Bmc»
,ix se mouiller de larmes. Elle était triste sans savo P
sentit ses yeux se uiumuei uc km mes. nue cwu ----- roues
quoi. Il lui semblait, à la jeune fille, que chaque tournoiement
de la machine lui enlevait une de ses espérances ! Aussi long-i r |