Full text |
IÆ PRECURSEUR , Jeudi £4 Janvier 1841.
.. . ' 1 .—'.■'■a. i 111
chilectes. Il ne peut s’en prendre rationnellement qu’à lui-même et
patienter jusqu’au jour prochain où le mandai de ses délégués expire.
Mais pour que ce modèle des gouvernements ait la faculté de sortir
large et puissant des liens dont il est entouré aujourd'hui, il faut qu’il
s’applique régulièrement et librement. t
Or, est-il un seul homme consciencieux qui puisse soutenir qu’il
existe quelque part en Europe un gouvernement, véritablement repré-
sentatif? — Nous affirmons que non et nous le prouverons demain.
NOUVELLES ME LA CHINE.
Macao, 15 octobre 1840. — Le bâtiment le Croiseur est arrivé de Pet-
chelle depuis le 7. L’amiral et le capitaine Elliot y sontégalement arrivés
avec toute la flotte, afin de traiter avec le commissaire que l’empereur
y a envoyé à cet effet. La conduite du gouverneur actuel, Lin, est l’ob-
jet d’une enquête rigoureuse. . , . .
Quelques circonstances et quelques motséchappés à l’amiral à Chusan,
me persuadent que son opinion sur sa conférence avec le commissaire
Keshen, à Canton, est qu’elle n’a pas pour but d’arriver à un arrange-
ment définitif, mais de mettre un terme aux hostillités pour la durée de
la saison, afin de travailler au printemps prochain, à Peking, à une con-
clusion finale. C’est dans ce sens que l’édit impérial ci-dessous meparaît
avoir une grande imporlance. Il est évident que ce document n’a pas
tant pour objet le désir sincère de nous rendre justice que de faire reti-
rer les forces anglaises du voisinage de Peking.
« Le 9e jour delà 911 lune de la 2"1 année deTaoukwang(4octobre 1840),
le gouverneur de Canton a ouvert la dépêche suivante du conseil privé :
» Le 22= jour de la 8e lune (17 septembre), l’édit impérial suivant a
été reçu : .
» Les Anglais barbares étant venus dernièrement à Teensin, pour y
présenter leurs griefs, et ayant remarqué de mon côté que leur placet
était rédigé dans un style respectueux et plein d’obéissance, invoquant
avec les plus grandes instances qu’il nous plût leur accorder notre fa-
veur et notre bienveillance impériales, j’ai trouvé bon d’ordonner à
Keshed de préparer avec la plus grande attention et le plus grand soin,
un édit rédigé avec clarté, défendant et interdisant aux Anglais de cau-
ser aucun désordre, mais qui leur permet de se rendre à Canton, et là
de se cogner la tête (kowhvan) et de développer leurs griefs; et si réel-
lement ils ont des motifs fondés de se plaindre, ledit grand ministre
dressera et transmettra un rapport en leur faveur et implorera notre
grâce impériale.
» II est avéré que précédemment Keshen m’a fait un rapport disant
que lesdits barbares ont entendu et reçu mes instructions et comman-
dements impériaux,
« A l’heure qu’il est la totalité des escadres anglaises ont déjà mis en
mouvement leurs gouvernails et sont retournés vers le Sud, après avoir
déclaré que tout le long de la côte les hostilités cesseraient des deux
côtés et qu’ils ne se permettraient de provoquer aucuns motifs de trou-
bles, mais que s’ils étaient attaqués leur puissance et leur force ren-
draient difficiles de ne pas rendre la pareille; la moitié des troupes de
Tinghae sera également retirée préalablement. Telles sont les propres
paroles des barbares.
» Lesdits barbares, pour leur conduite précédente, pleine de déso-
béissance et de désordres, qui, quoiqu’ils y aient été provoqués, mérite
cette indignation qui faitdresser les cheveux en pileetsoulèvelebonnet
sur la tête au point de le faire tomber, auraient dû être exterminés im-
médiatement s’ils l’avaient continuée.
» Actuellement Treenchou dans Flikkeen, Taepoo dans Chekeang ,
Paouskan et Snngming dans Keangsoe, toutes villes maritimes, ont
successivement attaqué les vaisseaux barbares de leurs canons tonnants
et rabattu leur témérité; et lesdits étrangers ayant déjà consenti ou
exprimé leur désir de venir développer leurs griefs et implorer notre
faveur impériale ; certainement les causes de ce qui s'est passé, doivent
être recherchées jusqu’au fond.
» Aujourd’hui j’ai ordonné à Keshen de prendre le rang et les pou-
voirs d’un envoyé impérial (yumehae) et à se rendre en toute hâte à
Canton pour préparer ledit travail ; dès qu’il y sera arrivé il devra pré-
parer et arranger toutes choses d’une manière certaine et définitive.
» Cependant, je crains que les gouvernements et les lieutenants-gou-
verneurs des provinces maritimes n’ignorent l’état actuel de la question.
Pour cette raison, j’ordonne à E. Lepoo-Ta , d’envoyer cinq cents pro-
clamations pour que tous obéissent en conséquence. Si un ou plusieurs
de ces vaisseaux barbares sont à l’ancre dans la mer, il n’est pas néces-
saire d’ouvrir le feu sur eux, mais il est important d'être rigoureuse-
ment sur ses gardes et de ne pas être les premiers à attaquer; mais les
arrangements les plus stricts et les plus secrets doivent être pris sans
la moindre apparencededésordre; cela est de la plus haute importance.
» J’ordonne que le document original adressé à Keshen,celui adressé
à la canaille ( tekaou ) grossière des barbares, de même que la réponse
desdits barbares, soient copiés aujourd’hui même et envoyés à E. Lepoo-
Ta, pour qu’il les examine et fasse partir ses ordres au nombre de 500
copies, afin que personne n’en ignore et que chacun leur obéisse. »
ANKLETEXRE.
Londres, 11 janvier. — Un accident est arrivé jeudi à la reine et au
prince Albert, qui, quoiqu’insigniüant en lui-même, aurait pu avoir les
conséquences les plus graves. S. M. avait été pendant quelque temps
sur le lac de Frogmore à regarder patiner le prince Albert. Elle a dans
ces cas-là l’habitude de se tenir tout auprès du prince dans son traîneau.
Ce jour-là la glace se mit à craquer violemment et les augustes person-
nages furent quelque temps en danger. Mais heureusement des secours
arrivèrent et la reine et le prince en furent quittes pour avoir été mouil-
lés par l’eau froide. (Observer.)
— Le ministre belge, M. Van de Weyer, et M»< Van de Weyer, ont
quitté hier matin Portland-Place. Us se sont embarqués sur un paque-
bot à vapeur pour Ostende, d’où ils se rendront à Bruxelles. M. Drouet,
secrétaire de légation, est arrivé à Londres mardi; il remplira les fonc-
tions de chargé d’affaires pendant l’absence du ministre.
FRANCE.
Paris, 12 janvier.
DÉPÊCHES TÉLÉGRAPHIQUES.
Une dépêche télégraphique, reçue ce matin, annonce que la paix est
anonymes du bal, rencontrent le lendemain leurs vainqueurs expédiant
des rôles dans l’étude d’un procureur ou bien aimant du calicot à l’en-
seigne du Page inconstant. C’est l’histoire de la grandeur et de la déca-
dence de l’amour.
Ami, quel est celui des deux qui trompe l’autre ?
pourrait demander Figaro aux couples qui échangent des rendez-vous
au pied de l’horloge. Ce serait parier à coup sûr que de répondre : Tous
deux. Mais Figaro est dans la salle ; il danse, et se garde bien de rien
demander, car il a trop d’esprit pour ne pas savoir que le meilleur usa-
ge qu’il puisse faire du sien est de le cacher. Au bal masqué, c’est la
jambe qui gouverne, Quand le monde est sens dessus dessous, c’est
bien le moins que le pied passe avant la tête.
De l’Académie royale de musique au théâtre de la Renaissance il n’y
a qu’un boulevard et deux rues : un méchant cabriolet de place y trans-
portait lestement les grands seigneurs du Toyerde l’Opéra, et la même
cohue qu’ils venaient de quitter, ils la retrouvaient bientôt. Bien que
la salle Ventadour n’ait fait que se rouvrir pour se mieux refermer, le
souvenir de ses bals ne périra pas dans la mémoire de la population pa-
risienne. Le galop des tambours fait trembler encore les vitres du pas-
sage Choiseul. C’était un bruit, un tumulte, un tourbillon à donner de
vertige; c’était Musard greffé sur l’Opéra : la gaieté bruyante de l’un, le
monde innombrable de l’autre. Les lions stationnaient entre la rampe
et le foyer, et le cortège de Chicard traversait en hurlant son peuple de
danseurs.
Comme l’antique dieu Janus, les bals de la Renaissance avaient aussi
deux faces : la salle et le foyer; ces deux faces s’embrassaient quelque-
fois. Le Janus du carnaval est mort, mais il se peut qu’il ressuscite.
Le bal Musard est une gloire éteinte, une réputation à son déclin, un
royaume envahi, un vaisseau démâté, un ex-beau. Tous ses danseurs ne
lui viennent plus que des messageries Laflite et Caillard ; il recrute ses
habitués dans les rotondes des diligences, aux débarcadères des chemins
de fer. On l’aime à Pithiviers, on le vénère à Châteauroux, on l’estime
à Limoges, on l’admire à Carpentras, mais on l’oublie à Paris. Il est fré-
quenté par les commis-voyageurs et les étudiants de première année;
après avoir débuté à la Chaumière, les grisettes passent au bal Musard.
mais ne s’y, arrêtent même plus. La province seule lui conserve ses af-
fections comme au Palais-Royal et à la colonne Vendôme :lesbalsont
leurs ruines commeles empires. Musard estle Balbeck du carnaval. Son
illustre galop n’est plus guère bon qu’à mettre au musée des antiques.
C’est un galop fruste.
Nous sommes loin du temps où, dès minuit, les abords de la rue Vi-
vienne étaient assiégés par une foule ardente et désordonnée que les
gardes municipaux, patients et graves, avaient peine à contenir. Dé-
bardeurs venus à pied, postillons descendus de citadines, tous pêle-
mêle, robert-macaires et pierrettes, balochards et bergères, hussards
•t •deaeieunas, marquis et titis, bondissaient et criaient sur les trotoirs
conclue entre la France etBuénos-Ayres.Cet événement est important :
il nous rend la libre disposition de nos forces navales engagées dans ces
parages. 11 fait sentir dans ces contrées lointaines la puissance de nos
armes et assure protection à nos intérêts commerciaux en rendant à
notre pavillion le prestige et l’influence qu’il doit avoir partout, mais
surtout dans des pays où le droit des gens n’est pas encore assez
respecté.
Cette active sollicitude pour l’honneur du nom français est la plus no-
ble réponse que le gouvernement puisse faire à ceux qui l’accusent
d’indifférence pour notre considération au dehors et les intérêts de no-
tre commerce.
Toulon, 11 janvier 1841.
Alger, 5 janvier.
Le maréchal Calée au ministre de la guerre.
La province d’Alger est parfaitement tranquille. Le mauvais temps a
empêché de communiquer avec Médéah.
Un léger engagement a eu lieu à Mostaganem. Les Arabes ont été
battus.
Le courrier de Constantine n’est pas arrivé.
— La Gazette du Herri, du 9, annonce que M. de Tinan, aide-de-camp
de M. le maréchal Sonlt, est arrivé à Bourges, « Nous pourrons sans
doute plus tard, dit la même feuille, donner les motifs de cette visite
inattendue. »
— On lit dans la France :
u Une lettre d’Aix-la-Chapelle, arrivée hier à Paris, annonce l’entrée
à Mayence d’un corps de cavalerie de2.000 hommes. Une autre division
de la même force est attendue dans cette place. »
— Les armements se continuent dans toute la péninsule italique. Le
roi de Naples porte son armée à 100,000 hommes.
— Le rapport de la commission des fortifications ne sera présenté à la
chambre que mercredi 13 janvier.
bulletin de la bourse. — La rente a été calme, et elle a un peu re-
monté à la bourse d’aujourd’hui. Mais il y avait bien peu d’affaires. Il
n’y avait aucune nouvelle politique de nature à influer sur les cours, ce
qui d’ordinaire donne lieu à un léger mouvement de hausse.
Le 3 p. c. qui avait fermé hier à 77 40 a ouvert à 77 50 et fermé à 77 65.
On remarquait que lesachats étaient faits principalement par la coulisse.
Le 5 p. c. qui avait fermé hier à 112 03 a ouvert à 112 20 et il ferme à
112 40.
C’est une hausse de 25 c. sur le 3 p. c. et de 35 c. sur le 5 p. c. On voit
que cette dernière tend toujours à monter davantage que le 3 p. c. ce
qui tient à l’approche du coupon échéant en avril prochain.
Après la bourse, le 3 p. c. français était à 77 65.
Les actions de la banque de France ont fait 3270, celles de la banque
de Belgique 875, le 5 p.c. belge99, la rente active 24 5(8.
Grand déanalre maritime.
Nous avons parlé d’un violent ouragan quiavaitsévi surles côtes de
Catalogne dans les journées du 23 au 26 décembre. On écrit de Barce-
lone que le brick de guerre français Mèlêagre, parti de Toulon pour la
station de Barcelone, a eu beaucoup à souffrir ; ses bossoirs ont été bri-
sées, son petit canot broyé par un trois mâts du commerce qui, ayant
cassé son ancre, est venu se heurter contre le Mèlèagre. Il y avait plus
de 2U0 navires dans le port de Barcelone, et tous, sans exception, ont
éprouvé plus ou moins dédommagés. On entendait le craquement des
navires qui se brisaient les uns contre les autres. Plus de la moitié de
ces navires avaient été abandonnés par leurs équipages, et la mer était
couvertededébris et d’embarcations chavirées.Un brick-goélette poussé
sur la jetée s’est englouti en moins de cinq minutes. Un navire a été
brisé en mille pièces sur les remparts delà ville ;4 bricks amarrés les
uns à côté des autres ont coulé; un navire catalan, ayant cassésesamar-
res, s’en allait en dérive vers la barre, où d’autres s’étaient déjà brisés,
lorsqu’un canot du brick la Surprise, luttant contre d’énormes vagues,
l’accosta, non sans danger, et parvint, après avoir surmonté les plus
grandesdillicullés, à recueillir l’équipage. Le navire s’engloutit un in-
stant après. Les navires français, mieux installés sans doute que les au-
tres, sont ceux qui ont le moins souffert.
— Le journal ministériel du soir publie d’autres détails sur ce ter-
rible ouragan qui a duré avec la plus grande violence pendant deux
jours et trois nuits.
Trois bâtiments de la marine royale de France se trouvaient, dit aussi
le Messager, dans le port de Barcelone : le brick le Mèlèagre que com-
mande M. Belvèze, capitaine de corvette; la Surprise, autre brick, et la
Lamproie, gabare, commandés l’un par M. Rigaud de Genouilly, lieute-
tenant de vaisseau, et l’autre par M. Pironneau, officier du même grade.
Par une lettre du 25 décembre dernier, qui n’est parvenue que le 11
de mois, M . Belvèze a rendu compte de cet événement à M. le ministre
de la marine et des colonies.
« Je ne décrirai pas, dit cet officier supérieur. le coup de vent qui a
causé d’aussi grands désastres. Les effets feront mieux connaître que
mes paroles le danger auquel les bâtiments du roi ont si heureusement
échappé, a
Plus de dix navires de commerce ont sombré dans divers points de
l'intérieur du port; une centaine d’autres navires mouillés dans le port
ont éprouvé d’immenses avaries; enfin une partie du môle neuf et les
établissements qui y étaient bâtis sont démolis.
Les bâtiments de la marine royale de France ont couru les plus grands
dangers; la Surprise a été en perdition pendant plus d’une heure. M.
Belvèze a envoyé à ce brick, à travers mille périls, un câble et une ancre
de la Lamproie, que M. Pironneau est allé lui-même mouiller.
M. Belvèze, les autres capitaines, Etats-majors, équipages, chacun a
fait son devoir dans ces terribles circonstances, et M. Belvèze termine
son rapport ainsi qu’il suit :
u Jedois appeleravec instance l’attention du ministre sur la conduite
de M. Piquit, lieutenant de vaisseau, mon second; de M. Rigaud de Ge-
nouilly, capitaine de la Surprise, et de M. Pironneau, capitaine de la
Lamproie. Tout ce qu’il est possible de déployer de constance, de cou-
rage, d’habileté, ces officiers l’ont montré, et je supplie instamment le
ministre de vouloir bien tenir compte de cette recommandation.
n Monsieur l’amiral me permettra aussi de lui soumettre ma proposi-
tion d’avancements extraordinaires pour des maîtres et matelots qui
ont plusieurs fois risqué leur vie dans les opérations dangereuses que
j’ai eu à commander. »
en frappant aux portes. Alors, quand les portes s’ouvraient, la masse
bruyante s’élancait, et avant même que l’orchestre eut préludé, le galop
tournoyait autour des colones, galop puissant, terrible, infatigable, qui
ne s’arrêtait pas et finissait au matin par emporter la tête, triomphant
et enivré, Musard lui même, Musard, qui, suspendu aux bras des dan-
seurs, battait encore la mesure l’archet à la main.
L’enthousiasme menait à l’émeute; mais la révolte du peuple était
l’apothéose du roi: l’Opéra et la Renaissance ont tué Musard, etsesont
partagé ses dépouilles.
Le décès des bals de la rue Vivienne a aussi profité aux bals de la rue
Saint-Honoré : languissants d’abord, ils ont maintenant la contredanse
ferme et la valse dodue. Valentino règne et gouverne heureusement:
le carnaval le compte au rang de ses premiers ministres.
La splendide enceinte du Casino s’ouvre quelquefois aux coiffeurs et
aux femmes de chambre de la Chaussée-d’Antin : le peigne et la casse-
role y dansenlde compagnie, lesdominos protestent contre l’aristocra-
tie du gant, les bottent y sont quelquefois cirées.
Les bals masqués meurent tous le mercredi des Cendres; un instant
ils ressuscitent le jeudi de la mi-carême, et leur réveil dure une nuit.
Mais, pendant tout le carnaval, ils régnent sans partage sur la ville gal-
vanisée. Paris ne dort plus ; il fait ses affaires comme il peut, à l’aven-
ture, et se laisse aller à la garde de Dieu. Le préfet de police se bouche
les oreilles et se ferme les yeux ; les gardes-municipaux et les sergents
de ville se disent les uns aux autres : « Frères, soyons miséricordieux.
David dansait devant l’arche, laissons Paris danser devant l’autorité. »
Qui ne va pas au bal masqué ? Tout le monde s’y précipite. Les douze
arrondissements passent leur temps à le perdre, et chacun d’eux y
réussit merveilleusement.
Et cependant gardez-vous de croire que l’intrigne court les bals mas-
qués, comme l’esprit les rues; elle n’a qu’y faire, vraiment. Les gens
qui se connaissent se cherchent et se racontent leurs mutuels secrets :
les dominos ont trop affaire avec leurs amis plus ou moins intimes pour
agacer les inconnus. Il n’y a guère que de jeunes bacheliers de lettres,
de naïfs étudiants, des provinciaux inexpérimentés, qui croyent encore
aux aventures, et viennent les chercher au foyer de l’Opéra ou dans la
salle Valentino. Ceux-là se posent de trois quarts aux angles des portes,
aux encoignures des fenêtres, contre l’appui d’une colonne, la main
plongée dans la cavité du gilet, la jambe en arrêt, le regard tendre ou
passionné, rêveur ou ironique, attaché aux lambris du plafond, ou jeté
au niveau des capuces de soie; ceux-là attendent long-temps. Cependant
il arrive quelquefois, car quelle règle n’a pas ses exceptions, qu’une
Héloïse en quête d’Abeilard, une Manon Lescaut veuve de Des Grieux,
les prennent par le bras à l’improviste, et leur font descendre le fleuve
du Tendre, de soupirs en soupirs, et de confidences en confidences,
jusqu’au café Anglais. Laissez passer ce bonheur-là. Abeilard ému ap-
prend bientôt qu’Héloïse, persécutée par le malheur, vient d’accepter
la maip d’un vieux général de l’empire, ami de la famille. Mais, hélas!...
Physionomie de !a presse française.
Le NATIONAL signale aujourd’hui les injures que contenaient les
journaux anglais à propos des harangues adressées au roi ; il se plaint
amèrement d’être condamné à voir chaque jour les transformalions de
ces impertinences quotidiennes qui sont jetées àla France de la part de
la coalition. — Ce journal paraît surtout avoir à cœur de répondre aux
assertions du Globe sur l’extravagance qu’il y aurait de la part de la
France à jeter un défi à l’Europe coalisée pour faire reconnaître son in-
fluence.
'( L’Anglais, dit le national, est bien fier aujourd’hui parce que son
ministère nous domine : il est bien fier parce qu’il sait qu’il peut tout
se permettreavec le gouvernement actuel qui est condamné à la lâcheté
et à l’impuissance.Il peut se vanter, comme l’a dit lord Palmerston, de le
faire passer par le trou d'une aiguille ; il peut lui écrire, comme lord
Melbourne, que s’il continue les armements, il viendra balayer tout cela.
Oui l’Anglais peut être insolent jusqu’au cynisme ; mais, qu’il le sache
bien, ces insolences passent à travers le pouvoir : le peuple les recueillie
et s’en souviendra.
Mais si le Globe était de bonne fois, ne comprendrait-il pas le sentiment
national qui inspire aujourd’hui le peuple français et qui l’a guidé dans
toute cette question ? C’est une folie que d’être un contre quatre ? mais
il y a des circonstances, pour les nations comme pour les individus,
où le nombre des ennemis ne se compte qu’après: le premier besoin,
c’est celui de sa dignité et de son indépendance. Ce n’est pas la premiè-
re fois qu’il arrive à la France de courir les hasards des batailles contre
l’Europe coalisée; mais ce que le Globe oublie, c'est que la France n’est
pas seule quand elle agite le monde avec ses idées ; elle a pour elle alors
toutes les nationalilés opprimées qui attendent avec impatience que sa
voix les appelle à l’émancipation.
Que le Globe donc épuise toutes les formules de l’impertinence ou de
la pitié : il a raison aujourd’hui. Notre pouvoir justifie toutes les auda-
ces. Mais le jour où le payrs s’appartiendra, c’est avec lui qu’il faudra
compter; et s’il est réduit à livrer bataille, alors on verra si son sang est
épuisé et si toutes les sympathies de l’Europe ont passé du côté des
despotes ou des marchands. »
La PRESSE prétend que les journaux de M. Thiers se mettent l’espri*
à la torture pour atténuer ia portée des concessions faites par la majo-
rité de la commission des fortifications, et faire croire qu’il y a transac
tion. «C'est là, dit ce journal, une version qui ne fera illusion à personne-
il n’y a pas eu réciprocité de concession,il y a eu capitulation de la part
de M. Thiers et de M. Barrot. »
Le COURRIER FRANÇAIS contient un article de M. Blanqui aîné
sur l'avenir des affaires d'Afrique qui a principalement pour but de
signaler les améliorations que le général Bugeaud pourra introduire
dans le système du gouvernement de cette colonie en ce qui concerne
l’armée et la colonisation. — Voici comment il se termine :
« On prête au général Bugeaud des connaissances pratiques en agri-
culture, et des vues arrêtées en matière décolonisation militaire. Nous
l’attendons à l'œuvre. Jusque-là nous ne nous faisons aucune illusion
sur les difficultés de sa tâche et nous souhaitons qu’il ne s’en fasse pas
lui-même. Cette tâche est immense. C’est tout un changement de sys-
tème pour les campements, pour la guerre, pourla colonisation. Puisse
cette noble tâche ne pas trop excéder les forces d’un seul homme! Mais
le pays doit l’envisager d’un œil ferme; car il y va cette fois tout de bon
de notre honneur et de notre avenir en Afrique. »
Le CONSTITUTIONNEL qui s’occupe des affaires de l’Espagne insiste
vivement sur la nécessité, reconnue par tous les partis, d’établir d’inti-
mes relations avec ce pays. Il ne veut pas, dit-il, récriminer sur le passé;
mais il tonne contre les journaux conservateurs qui cherchent à nour-
rir l’irritation qui existe entre les deux pays.
« Les conservateurs, dit-il, ennemis d’Espartero, sont contraints à
inventer des torts à une Administration qui se conduit avec mesure et
avec sagesse. Et dans quel but? Pour empêcher un rapprochement utile
à la France et à l’Espagne. Nous suivons, pour notre part, une loute au-
tre politique; et nous avons la satisfaction d’apprendre que notre lan-
gage de conciliation a déjà produit de bons effets au-delà des Pyrénées.
Un Espagnol, homme considérable dans son pays, et qui, bien que vic-
time des réactions politiques, est toujours resté fidèle à son esprit de
modération, nous écrit que les progressites modérés de l’Espagne sont
animés des meilleures dispositions envers la France. Le discours: de M.
Guizot, malgré ses réticences et quelques expressions malheureuses,
n’est pas loin d’interprêté comme un indice de rapprochement. L’es-
prit conciliant de M. Olozaga, quoi que disent de lui ses détracteurs,
aura certainement une heureuse influence sur les relations des deux
Gouvernements. Seulement, il ne faudrait pas que M. Guizot affichât sa
prétention de donner des conseils au Gouvernement espagnol. Cette
prétention n’a pas réussi, on s’en souvient, à M. le maréchal Sonlt. »
BEUGVQUE.
Chantlire îles Hcprésentnnta.
Séance du 13 janvier.
(présidence de m. fai.eon.)
La séance est ouverte à 1 heure, par l’appel nominal, la lecture du
procès verbal et l’analyse des pétitions.
m. d’hoffschmidt. La pétition des habitants de Vielsalm est très im-
portante. lis demandent la construction d’une route qui traverse leur
canton. Je ferai remarquer que cette partie du pays est sans aucune
route, eteependant elle renferme des ardoisières, et des carrières de
pierres assez considérables.Je demande donc que la commission des pé-
titions, fasse un prompt rapport sur celte pétition, avant la discussion
du budget des travaux publics.
Cette proposition est adoptée.
m. de garcia. Si je suis bien informé, c’est demain à onze heures que
doit avoir lieu le service funèbre de notre ancien collègue M. Seron; je
demande que la commission qui a représenté la chambre a son enterre-
ment, soit invitée à se rendre à son service. — Adopté.
m. ue président. Avant d’aborder l’ordre du jour d’aujourd’hui, je
demanderai à la chambre qu’elle veuille bien fixer son ordre du jour de
demain. Nous avons le budget de l’intérieur, la loi sur les pensions, le
projet d’interprétation de la loi sur les successions, et le projet relatif
a l’aliénation des établissements d’UccIe eide Meslin-l'Evêque.
ruusiEURS voix. Le budget de l’intérieur.
m. de garcia. Il y a un projet de loi qui a trait directement au budget
de l’intérieur; c’est celui relatif à l’aliénation des établissements d’UccIe
Cet hélas décide du sort d’Abeilard. II aime, il est aimé, et le lendemain,
à midi, il se réveille dans une maison de la rue de Bréda, au cinquième
au-dessus de l’entre-sol. L’appartement est meublé de quatre pots de
rouge végétal et de trois pantoufles dépareillées. La fiancée du vieux
général tient l’emploi démarcheuse à l’Académie royale de musique.
S’il nous fallait compterions les établissements de bal qui ouvrent au
public leurs portes, une page ne suffirait seulement pas à l'énumération
de leurs titres. Après l'Opéra , la Renaissance, Valentine, Musard , ces
grands seigneurs du carnaval,combien de bals fourmillent de la Bastille
a la Madelaine, de Montmartre au Panthéon ! M. Charles Dupin seul les
pourrait dénombrer. Tous les arondissements, tous les quartiers, toutes
les rues, les places les plus obscures, les maisons les plus humbles, les
barrières les plus reculées ont les leurs. Allez, cherchez, fouillez , vous
ne trouverez pas une famille qui ne soit représentée dans ce grand tour-
billon.
Qui parle encore du carnaval de Venise ? Paris a tué cette antique
gloire, cette vieille renommée. Le Rialto s’éclipse devant le boulevard
des Italiens. Ce n’était pas assez pour la grande ville d’avoir autour du
front la couronne de l’intelligence, il lui a fallu de plus conquérir la roy-
auté du plaisir. Le carnaval de Paris est une des illustrations de la Fran-
ce. Et, d’ailleurs, les splendides fêtes de chacune de ses nuits ne donnent-
elles pas du travail à dix fabriques?
Quand viennenlles jours gras, la fièvre fait bondir les pieds; les hom-
mes les plus sages et les plus rangés aspirent la folie dans l’air. Le bal
attire les femmes comme l’aimant le fer. Alors la grisette improvise un
costume avec les loques éparses dans le grenier, l’étudiant mange du
pain, boit de l’eau, met son paletot chez matante, et danse pendant
soixante heures sous le catogan d’un hussard. Ceux qui n’ont rien em-
pruntent, ceux qui doivent achètent, et tout Paris répond à l’appel du
mardi gras.
Les masques tombent avec le jour des Cendres, mais le bal ne meurt
pas. Quand le grand bruit du carnaval a passé comme une tempête, le
faubourg Saint-Germain et le faubourg Saint-Honoré, ces deux frères
siamois de l’aristocratie, ouvrent à deux battants les portes de leurs
hôtels : les ambassades dansent. C’est le tour des bals à bénéfice : les jo-
lies femmes de la Chaussée-d’Antin tournent une valseau profit des in-
digents. On galopait l’an dernier pourla Pologne, on galopera l’an pro-
chain pour la Navarre et le Guipuscoa. Laissez faire le temps, et les
bals de Paris viendront en aide à tousles empires, à toutes les royautés.
Mais, enfin, une brise tiède a fondu les neiges; les chimériques lilas de
Romainville fleurissent, le maronier du 20 mars se couronne de feuilles
vertes, l’herbe s’étoffe de fleurs; le printemps est venu ! En avant ! en
avant! Les Parisiens montent aux barrières, et les bals en robes blan-
ches s’envolent dans les campagnes.
Chicard redevient Tircis, et Manon Lescaut, Galalhée.
ÀMÉDÊE ACHARD. |