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1877
Nº 8.
3eANNÉE.
ABONNEMENTS
Belgique: fr. 25-00.—Etranger: fr. 28-00 (Port en sus.)
L’Année parue:
Belgique: fr. 30-00.—Etranger: fr. 33-00(Port eu sus.)
L’ÉMULATION
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE
ANNONCES & RÉCLAMES
A FORFAIT.
S’adresser rue Cans, 22,
IXELLES.
D’ARCHITECTURE
DIRECTION-ADMINISTRATION:
Rue Cans, 22, Ixelles.
— DÉPOSÉ —
DE BELGIQUE
— DÉPOSÉ —
DIRECTION - RÉDACTION :
Rue des Quatre-Bras, 5, Bruxelles.
— 49 —
Bruxelles, Août-Septembre 1877.
SOMMAIRE:
Le Congrès artistique d’Anvers. Section d’Architecture. Etude.
— L’organisation des Concours publics en Suisse. —• Les
Concours et l’Exposition de la Société centrale d’Architec-
ture. E. A. — Faits divers.
Le Congrès artistique d’Anvers
SECTION D’ARCHITECTURE.
Chaque pays doit-il respecter, dans ses construc-
tions, les traditions de l'architecture nationale?
Tel était le premier membre de la première ques-
tion soumise aux délibérations de la section d'archi-
tecture ; question embarrassante s’il en fut, particuliè-
rement s'il s'agit d'architecture belge.
En effet, depuis la ruine de l'empire Romain, ou,
pour être plus précis, depuis les conquêtes du chris-
tianisme dans les Gaules et son installation définitive
et reconnue dans nos contrées, la Belgique a connu,
comme la France, l’Allemagne, l’Angleterre, la Hol-
lande, d'ailleurs, un nombre assez considérable de
genres d’architecture auxquels, un peu trop généreu-
sement, on a accordé le nom de styles.
Depuis le roman et la transition romano-ogivale,
nos contrées ont vu naître, resplendir et s’étioler (3 épo-
ques) l'art ogival, le style gothique ; puis, après une
courte époque de transition et d’ignorance artistique,
elles ont vu surgir tout à coup la Renaissance, ce re-
tour enthousiaste vers l’art des Grecs et des Romains.
Nous ferons comme ceux qui ont rédigé le programme
du Congrès, nous nous arrêterons à la Renaissance ;
après cette époque nous ne trouvons plus guère de
trace de la grande, philosophique et immuable pensée
de l'art architectural.
Quel est donc, dans cette succession de styles et
de genres, quel est notre style national?
Ainsi que le faisait, sans obtenir de réponse, M. l’ar-
chitecte provincial Vincent,de Mons, nous posons cette
interrogation, non sans quelque crainte, car il nous
semble que, depuis que l’on agite cette question d’art
national, d’art flamand, la discussion a perdu singu-
lièrement de lucidité, qu'elle s’est noyée au sein de
considérations toutes étrangères à sa pensée et à son
but.
* *
♦
Nous l’avouons, ce n’est pas sans quelque hésitation
que nous allons, selon notre conscience et notre sen-
timent, répondre à cette question qui bat les quatre
coins de notre horizon belge sans rencontrer de solu-
tion:
Nous n'avons pas d'art national.
Je me hâte de le dire, pas plus que la France, pas
plus que l’Allemagne, etc., et j’ajouterai immédiate-
ment : l'art appartient à l’homme, l’art est né avec lui, en
lui, et pour lui ; il s’est développé, il a trouvé ses ma-
nifestations chez tous les peuples et par la civilisation.
Les vertus, la pudeur, le courage, la vérité, appar-
tiennent-ils à certaines nations, plutôt qu’à telles au-
tres et n en est-il pas de l’art comme de la parole : tous
les peuples, toutes les nations ont ce précieux, cet
admirable don d exprimer la pensée autrement que par
des signes. —- Mais tous n’emploient pas la même
langue, les mêmes sons, les mêmes combinaisons de
sons, comme tous les peuples, ou plutôt, comme toutes
les races ont l'art, un, indivisible et uni-synthétique,
et une manière, une expression, un style particulier.
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L’art est, comme la gravitation, comme l’équilibre
universel, comme le monde lui-même ; rien n’est
sans le tout, le tout ne peut être sans l’une de
ces parties ; ôtez-en une seule, l’univers, l’humanité
s écroule et de l’infini il ne reste que l'incomplet,
lebauche.-
De même l’art est avec la raison, avec l'organisme
humain ; l’homme n’a pas créé l’art, il l’a trouvé ou
plutôt, il l’a senti en lui et l’a appliqué à toutes choses ;
il a trouvé dans son âme le sentimentet la jouissance,
l’enthousiasme du beau, du grand, du noble et, jetant
autour de lui ses premiers regards, il a dû sentir les
premières vibrations de sa sensibilité.
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* *
L’architecture est le premier des arts : elle fut con-
nue du premier homme, premier constructeur du pre-
mier abri.
*
* *
La civilisation, le travail de l'intelligence humaine
à la recherche du bien-être absolu, ne s’applique pas
seulement à la satisfaction des besoins matériels ;
satisfaite de ce premier résultat, la raison humaine
veut, exige aussi ses jouissances; le progrès physique
n’est pas possible sans le progrès moral ; celui-ci n’est
point sans celui-là. L’art devait suivre la même mar-
che progressive.
De l’homme sortit la famille, de la famille la tribu ;
la tribu devint race et les races en occupant le monde
formèrent les nations ; l’art ne fut abandonné par
aucune d’elles pas plus que les souvenirs des ancê-
tres.
Mais les races dispersées eurent nécessairement
leurs mœurs, leurs idées; la différence des climats
engendra d’autres besoins, les tempéraments mêmes
se modifièrent peut-être, et de l’art il ne resta que
l’art, c’est-à-dire l’idée, le sentiment du beau ; l’ex-
pression ne devait-elle pas se modifier, ne devait-elle
pas subir aussi ces inévitables, ces toutes puissantes
influences. — Voilà les styles.
★
* *
Le style appartient donc lui-même à une race hu-
maine plutôt qu’à une nation, et dans l’histoire de
l’architecture surtout ce principe trouve une démon-
stration incontestable : l’éclosion en quelque sorte
simultanée du style ogival en Belgique, en France,
en Allemagne, en Angleterre et même en Danemark,
en Suède et en Norwége.
La Renaissance elle-même, ne la voyons-nous pas
apparaître, presqu’en même temps, en Italie, en
France, en Belgique et en Allemagne, lorsque le style
gothique eut donné les innombrables et étonnantes
conceptions de cinq générations d’artistes.
Nous la voyons arriver au moment où, au milieu
des luttes incessantes du moyen-âge, des querelles
politiques et religieuses, les vrais principes de l’ar-
chitecture avaient été oubliés ; où de l’architecte, du
maître de l’œuvre il restait à peine le nom !
Et comment vint-elle ? Nos artistes, comme les
artistes des autres nations d’ailleurs, s'étaient rendus
en Italie et les peintres ne s’enthousiasmaient pas
moins devant les œuvres des grands maîtres des
écoles de l’Italie qu’en présence des splendides palais,
des édifices imposants qu’ils trouvèrent dans Rome.
La Renaissance est donc évidemment inspirée d’une
architecture méridionale ; mais transportée dans le
Nord elle devait nécessairement se transformer; les
Italiens conservèrent les grands éléments, la gran-
deur du classique romain en y ajoutant les décorations
pleines d’imagination et de vie que Raphaël lui-même
avait connues. En passant en France elle prit, au
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point de vue décoratif, un caractère d’originalité fan-
tasque, les parties ornées deviennent les plus impor-
tantes, mais l’on se rapproche encore de la donnée
classique. La Renaissance flamande est l’architecture
d’une nation qui ne pouvait comprendre le classique
et qui, avant tout, devait pousser dans une direction
plus matérielle ses études et ses progrès. La forme
surtout distingue la Renaissance flamande, par le
mouvement, la turbulence, dirions-nous, des lignes et
des motifs, par la vigueur dans les détails.
Mais, enfin, nous y trouvons une impression, une
manière, mais nous n'y trouvons pas un art national.
■k
* *
Est-il possible que nous, artistes du 19e siècle,
nous comprenions encore l’architecture d’une façon
aussi fantaisiste que'lle l’était à la Renaissance ? N’a-
vons-nous donc fait tant de recherches, publié tant
de volumes pour exhumer de l’oubli les grands, les
vrais et immuables principes de l’architecture, de ceux
que nous voyons appliquer, avec une esthétique diffé-
rente, à Athènes, à Rome, dans l’ancienne Gaule,
que pour en revenir à un style qui n’est pas une mani-
festation nationale, qui n’a aucun lien avec les mœurs,
les idées et les coutumes de nos contrées, qui n’a au-
cune analogie avec notre sol même et les matériaux
qu’il nous donne.
Et, pour arriver au progrès, en architecture, allons-
nous nous poser en conservateurs, en rétrogrades
plutôt! Alors que les lettres, la musique, l’industrie
font des efforts énergiques pour marcher en avant ;
alors que la science marche à pas de géant dans la
voie des découvertes, du progrès, allons-nous nous
fermer toutes issues et, retournant au 16e siècle, lui
demander des habitations, des édifices, des villes
mêmes pour nous gens du 19e!
Croyez-vous qu’à la fin du 16e siècle un grand mou-
vement se soit produit dans tous les arts et que de
toutes parts on se soit écrié : Nous voulons une archi-
tecture nationale ! Croyez-vous que l’architecture nou-
velle ait été voulue ?
Elle n’est qu’une conséquence, qu’un effet de la
marche progressive et civilisatrice, que l'une des
manifestations de la transformation des idées ; c’est
aux grands mouvements des nations vers la liberté,
vers le progrès politique et social qu’ont correspondu
toutes les phases de l’art architectural.
* *
Que l’on ne nous parle pas plus, par conséquent,
d’architecture nationale, que d’architecture, de pein-
ture officielles, pas plus que de religion d’Etat. Le
système de protectorat est fatal à l’art comme il l’était
au commerce ; celui-ci marche au libre-échange , que
nous ayons le libre-échange d idées, politiques, sociales
et artistiques, et qu’en un mot l'on nous laisse la liberté.
Au sein du Congrès, l’un de nos architectes les plus
éminents, M. Beyaert, en communion d’idées d’ail-
leurs avec le célèbre M. Garnier de Paris, revendiqua
hautement pour les artistes cette condition, la liberté,
sans laquelle il ne peut plus y avoir d’art, puisqu’il
n'y aurait plus d imagination, puisqu a celle-ci et à la
pensée, serait substituée la mémoire.
Rappelons-nous l'Ecole byzantine et son code artis-
tique ; profitons au moins de l’expérience, produit de
letude de tant de générations, empruntons à toutes
les époques les découvertes qui peuvent être utiles à
notre éducation artistique ; formons-nous enfin la mé-
moire. Nous arriverons ainsi à trouver le langage archi-
tectural qui convient à notre époque, la faculté d’ex-
primer nos pensées, nos conceptions architecturales.
Etudions avec soin le grand art, l’art classique, |