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1882.
8e ANNEE.
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S’adresser rue de la Pompe, a
BRUXELLES
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S’adresser rue de la Pompe, 5
BRUXELLES
L'ÉMULATION
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE
D'ARCHITECTURE
DE BELGIQUE
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Bruxelles
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— DEPOSE --
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— DÉPOSÉ —
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SOMMAIRE
Origine de l'art ■ roman et de l'art ogival. E. A. — A pro-
pos du Concours de Liège. V. D. — Jurisprudence. —
Société centrale d'Architecture.
Origines te l'art roman et de l'art ogival
Une tendance générale de ceux qui se sont livrés aux savan-
tes études historiques est de rapporter tout ce qui nous touche
et jusqu’à la civilisation des Gaules, à l’époque de la domination
romaine.
Que, dans l’organisation politique, dans la législation sur-
tout, nous fussions tributaires des Romains, nul ne le contestera.
Dans le domaine artistique, il est intéressant d’examiner si
nous devons tant à Rome qu’il semble convenu que nous lui
devions.
*
* *
Il est un fait généralement admis, c’est que l’époque gallo-
romaine a vu s’élever dans nos contrées de nombreux édifices
dont l’art est essentiellement romain.
Nous connaissons encore les basiliques de Nîmes et d’Arles,
l'arc de Saint-Remy en France; en Allemagne, la Porta Nigra
de Trêves, la basilique restaurée de Cologne; les thermes de
Paris (Cluny) et les nombreuses villa dont les vestiges ont été
retrouvés même en Belgique.
Il paraît incontestable aussi que le catholicisme naissant se
servit d’abord des édifices laissés par les Romains, puisqu’il
employa à la construction de ses temples les ruines de ces
édifices.
C’est l’époque qui précède immédiatement l’art roman.
C’est la période historique qui comprend les huit premiers
siècles de l’Ere chrétienne.
El c’est vers la tin de cette période que les Gaules, sous les
Carlovingiens, furent en proie au pillage continuel des Nor-
mands. (C’est à partir du vu” siècle que ce nom fut donné aux
peuplades du nord : Danois,Norwégienset Suédois,qui s’étaient
jetées sur nos contrées et sur celles de l'Ouest de la France,
peuplades qui, sous Charles le Simple (912) finirent par s’éta-
blir dans ce beau et fertile pays qui a conservé leur nom jus-
qu’à nos jours : la Normandie.)
On sait que ces invasions réitérées des bordes Scandinaves
amenèrent la disparition d’un grand nombre d’édilices de
l’époque gallo-romaine.
Mais pendant l’occupation des Gaules par les Normands, on
est fondé à croire qu’ils reconstruisirent plusieurs des monu-
ments détruits par eux, et l’on sait que certaines coutumes,
conservées dans les pays Scandinaves jusqu au xvi° siècle dans
leur forme complète et primitive, se sont continuées longtemps
encore malgré les prohibitions dont elles furent 1 objet sous la
dynastie carlovingienne (Aug. Thierry. — Considérations sur
l’histoire de France, chap. 6.)
Les recherches archéologiques ont éveillé, en Suède, en Nor-
wége et en Danemark, l’intérêt d’un grand nombre d’amis des
sciences. De belles collections se sont formées comprenant de
nombreux monuments runiques, des armes, des outils et des
bijoux.
Parmi les bijoux, nous citerons notamment une précieuse
collection de monnaies des califes, d’amulettes Scandinaves, de
bracelets et d’anneaux (parmi lesquels un magnifique collier d’or
massif, en torsade) et une belle fibule en relief, ornée d’ara-
besques, réunis par le savant orientaliste, M. Halmbœ, pro-
fesseur à l’Université de Christiania.
Déjà en 1834, la Société des antiquaires, de Bergen fit
paraître le Noiisk Antiquarisk Historisklids, revue accompa-
gnée de planches lithographiées, consacrée à tous les ouvrages
et monuments historiques du Nord.
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Un examen attentif fait constater des analogies incontes-
tables entre le style de ces objets et ceux recueillis dans les
tumuli des Gaules.
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Et cette analogie n’existe pas seulement dans ces objets
d’une importance, relativement peu considérable, mais nous la
constatons encore dans l’ornementation sculpturale de membres
d’architecture d’églises des Gaules et de Scandinavie.
C’est ainsi que, sur plusieurs chapiteaux des églises nor-
mandes des x° etxi” siècles, on remarque deux chimères placées
face à face qui, selon certains archéologues, ont un sens caché.
C’est cet emblème que d’autres regardent comme celui des
deux génies du bien et du mal, emblème du manichéisme dont
la religion chrétienne, disent-ils, conservera longtemps les
traces. Mais ce dualisme en avait alors disparu et dans la reli-
gion Scandinave il se retrouve tout entier dans ce système du
bon et du mauvais principe, d’une puissance intellectuelle
agissant simultanément avec une puissance physique.
De plus, dans un chapiteau de la nef de la cathédrale du
Mans (xnc siècle),dans un tympan d’une porte latérale de l’église
deMarigny (Calvados) et dans le tympan de l’église à Colleville-
sur-mer (Calvados), on retrouve cet emblème accompagné
d’entre-Iacs qui rappellent singulièrement ceux qui ornent les
pierres runiques et notamment celle découverte à Upland.
Ces serpents entrelacés se retrouvent encore dans un cippe
funéraire de la Suède, et l’on pense qu’ils sont l’emblème du
Grand Serpent Midgard, qui, dans les croyances Scandinaves,
entourait la terre dans ses immenses replis.
Ces mêmes entrelacs bizarres se trouvent dans le tympan de
l’église de Lande-de-Cubzac (Gironde), le serpent emblémati-
que dans tous ou presque tous les édifices du roman normand.
Ce qui pourra donner de précieux renseignements con-
cernant l’inlluence Scandinave sur l’art architectural de nos
contrées ce sera l’étude approfondie des monuments runiques.
Les runes étaient en désuétude quand, en 1598, Burens les
retrouva et les déchiffra le premier. Depuis, les découvertes
de Garausson cl de Liljegren, ont fait faire de grands progrès,
ci deux ouvrages, l’un, le Run-Lara (sciences des runes) en
1832, l’autre le Run-Urkunder (titres runiques) en 1833, don-
nèrent un recueil complet de toutes les inscriptions connues,
suivies de leur traduction.
Ce qui pour nous, dans tous ces documents, offre le plus d in-
térêt, ce sont les monuments de Suède et de Norwége.
La cathédrale la plus ancienne, dit-on, est celle de Lund
(Suède). Elle fut bâtie vers lt 12. — Son architecture est de
deux styles distincts et en majeure partie byzantine. On y
remarque un hypogée soutenu par plusieurs rangs de piliers.
Son abside, circulaire, rappelle singulièrement celles des
églises de Zinzig et d’Andernach.
M. LEBAS,dans un précis intéressant de l’histoire de Suède,
décrit plusieurs antiquités de ce pays, et parle d’un monument
lapidaire, près de Saumur (Maine-et-Loire), qui aurait une
grande ressemblance avec un monument du même genre de
Westrogolhie.
Les archéologues anglais, plus versés que nous dans l’his-
toire du Nord, plus à même de comparer leurs antiquités avec
celles de la Scandinavie, ont fait entre elles des rapprochements
d’un grand intérêt. Ils ont même poussé leurs études jusqu’aux
monuments découverts en Normandie.
L’un de ces savants, M. Pinkerton, prétend que les roches
de Carnac (Bretagne) ne sont ni celtiques, ni druidiques, et
qu’elles appartiennent aux Golhs-Belges. Qui sait si elles n’ont
pas une origine plus septentrionale encore?
A l’appui de cette hypothèse nous citerons MM. de Iouffroy
et Bretou qui,dans leur Description monumentale de la Gaule,
pensent que les différentes enceintes formées par les innom-
brables pierres de Carnac sur la côte du Morbihan, débris d’un
monument dont l’origine et la destination n’ont pas encore été
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constatées, « pourraient bien avoir été consacrées aux besoins
du commerce, de la législation, de la justice et de la religion;
peut-être Carnac fut-il un Champ de Mai, une espèce de Forum
normand. »
M. Cotman, dans son ouvrage : Antiquités architecturales
de la Normandie, remarque : « Que les architectes normands
se sont appliqués à copier le genre roman, en y ajoutant des
ornements originaux, inconnus et hardis, qu'on ne peut con-
cevoir d’un peuple étranger aux lois de l'art et de l’humanité. »
Il cite, entre autres, certains détails d’ornementation ayant trait
à l’histoire et à la mythologie Scandinaves.
Pour terminer cette étude, sur laquelle nous aurons sans
doute lieu de revenir, nous citerons quelques appréciations
d’un auteur français, M. Pierre-Victor, qui a beaucoup étudié
l’archéologie Scandinave :
« Au milieu de tout ce que cette architecture (du moyen-âge)
« a emprunté au style méridional, vous y voyez toujours per-
« cer et dominer le caractère du Nord. Elle a constamment,
« dans tout son ensemble, la teinte sombre et mélancolique.
« La part que ces peuples Scandinaves, hardis et entrepre-
« nants, ont prise, après leur conversion au christianisme, à
« cette architecture que nous avons si improprement appelée
« gothique, à moins de l’attribuer aux Goths-Suédois, et dési-
« gnée avec bien plus de justesse par les Anglais, sous le nom
« A Architecture normande, n’a pas été, semble-t-il, suffisam-
« ment remarquée, non plus que le caractère septentrional
« qu’ils lui ont imprimé.
« Ce n’est que lorsque les Scandinaves eurent envahi l’Alle-
«. magne, la France, l’Italie, et lorsque, devenus chrétiens, ils
« réédifièrent les temples qu’ils avaient saccagés, qu’on la voit
« prendre naissance et. se transformer peu à peu.
« D’abord, copistes de l’arcade cintrée, dont les édifices
« existants leur offrent le modèle, les hommes du Nord l’em-
« ploient dans toute sa pureté.
« Mais , avant de s’établir dans les Gaules et la Germanie,
« ils avaient visité l’Orient, ils avaient vu Byzance, et ils asso-
« cièrent bientôt à l’architecture romaine l’architecture byzan-
« tine, fusion qui semble préluder à la composition du style
« ogival.
« Ils portent ensuite leurs armes en Espagne et en Syrie;
« ils revoient l’Orient si plein d’attrait pour eux, l’Orient où
« leurs ancêtres plaçaient Asgaard , le séjour des dieux ; et ils
« modifient de nouveau leurs moments dans le goût oriental.
« Us accolent les longs fuis de colonnes en faisceaux serrés,
« entrelacent les arcs à plein cintre et, de ces combinaisons,
« forment l’ogive.
« Cependant, constamment attachés à la mère-patrie, les
« Scandinaves semblent avoir voulu en perpétuer le souvenir
« en reproduisant dans leurs édifications la nature gigantesque
« des régions hyperboréennes. Dans ces gerbes de colonnes
« jaillissantes, dans la forme ogivale de ces arceaux élancés,
« on croit voir l’image des pins altiers de leurs montagnes, la
« courbure et le croisement des branchages de leurs forêts;
« dans ces clochetons aigus qui couronnent les portes et les
« tours, la reproduction des aiguilles de leurs rocs à pic.
« Enfin, ils ont, en quelque sorte, marqué de leur sceau
« cette grande création. Le souvenir même de leur ancienne
« religion s’y trouve fréquemment retracé, car la mémoire
« d’Odin et de Thor enflamma leur imagination longtemps
« encore après qu’ils eurent abjuré leur culte.
« Parmi les monstres qu’ils se sont plu à y figurer, plu-
« sieurs appartiennent à la mythologie Scandinave et l’on y
« voit les symboles de l’odinisme associés aux mystères du
« catholicisme.
« Ce sont des oiseaux de proie, des pommes de pin et
« d’autres objets caractéristiques de la nature septentrionale ;
« ailleurs, des casques, des boucliers qui rappellent l’armure
« des anciens guerriers normands; ailleurs encore, des mou-
« lures, des torsades, d’un goût analogue aux ornements brodés
« et sculptés qui se remarquent encore de nos jours, sur les
« vêtements et les meubles de plusieurs cantons reculés du
<i Nord. « E. A. |