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L’EMULATION
PUBLIGATION MENSUELLE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE
D’ARCHITECTURE
DE BELGIQUE
-déposé- BUREAUX : RUE DE LA POMPE, 3, BRUXELLES - déposé-
ABONNEMENTS
S'adresser rue de la Pompe, 3
BRUXELLES
ADMINISTRATION
Boulevard du Hcir.aut. 74
Bruxelles
ANNONCES & RÉCLAMES
A FORFAIT
S’adresser rue de la Pompe, 3
BRUXELLES
DIRECTION —RÉDACTION
Rue des Quatre-Bras, 5
Bruxelles
— 25 —
Bruxelles, Mai 1879.
SOMMAIRE
Architecture nationale. E. A.. — Fêtes de 1880. — Le
Palais d'Exposition des Arts industriels. E. — Biblio-
graphie. — Œuvres publiées. — Faits divers.
Architecte nationale,
Les partisans de la renaissance flamande ne
perdent pas une occasion de protester contre l’em-
ploi en Belgique d’un style architectural autre que
celui auquel ils ont donné le nom d’architecture
nationale.
Il y a peu de temps encore nous lisions, dans un
journal bruxellois très-répandu, une lettreprotestant
contre cet état de choses, lettre que nous reprodui-
sons ici dans ses parties essentielles :
Un critique des plus compétents et des plus justes aussi,
E. Leclercq, a fait, dans la Revue de Belgique (livraison du
15 octobre 1878), à propos des plans exposés au dernier Salon
par les architectes belges, des réflexions très-judicieuses qui
doivent être rappelées au moment où le gouvernement s’oc-
cupe de la construction d’un monument national.
Après avoir constaté qu’au Salon de l’année dernière « les
« formules classiques ne sont plus dominantes, que la Grèce
et Rome antiques n’influencent plus exclusivement nos
architectes, » M. E. Leclercq s’exprime ainsi : « On s’est
enfin aperçu que les lignes froides et sévères de l’art
antique n’étaient pas tout à fait en harmonie avec notre
climat, notre esprit, nos mœurs, notre paysage. On a vu,
et il était temps, que par l’envahissement de cet art étran-
• ger, nos villes allaient perdre ce qui fait leur beauté et leur
originalité, et on s’est souvenu que nous avions, nous aussi,
des lignes architecturales à mettre en œuvre, de façon à
conserver à nos cités un cachet personnel en harmonie
avec nos goûts et avec les nécessités de notre nature. Ainsi,
peu à peu, nous revenons à des idées plus rationnelles. Nous
arrêtons les tendances à l’uniformité et nous nous repre-
nons de goût pour la variété et la coloration. Les édifices
et les habitations de nos pères nous réapparaissent comme
des types pittoresques, qui donnent leur apaisement à notre
amour des formes diverses, fondues dans un ensemble har-
monique..., etc.
Maintenant que nous avons ouvert les yeux..., une réac-
tion s est faite. — Nous allons tâcher de redevenir nous-
mêmes. L élan est donné. — L'Exposition universelle de
Paris nous a prouvé que l’originalité et l’individualité
avaient plus de charme et de vraie beauté que l’imitation et
la contrefaçon. La « façade belge ”, de M. Janlet, a été une
révélation. Elle sera, il faut l’espérer, le point de départ
d’une renaissance nouvelle.
.....11 y a dans divers dessins exposés des mouvements
et une coloration bien autrement en harmonie avec nos
sentiments et notre esprit, que les édifices à colonnades et
“ à frontons, les blocs de construction uniforme, importés
“ dans le nord de l’Europe par des artistes fantaisistes,
- oublieux des nécessités de notre climat brumeux. »
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Après avoir lu ces réflexions si sensées, si patriotiques de
M. Leclercq, on est étonné d’apprendre que le gouvernement
n’en a tenu nul compte dans le projet de monument qu il s agit
d’élever à l’occasion du 50me anniversaire de l'indépendance
de la Belgique, car l’édifice adopté est de style gréco-romain,
c’est-à-dire avec colonnade double, fronton et arc de triomphe.
Pourquoi prendre pour modèle ce qu’il y a de moins national,
alors qu’on pourrait trouver parmi les édifices de nos ancêtres
d'admirables modèles d’architecture civile et politique? Cela
tient à ce que nos architectes sortent de nos académies igno-
rant profondément notre art national ; ils en sortent animés
de cette même ignorance, et de l’hostilité que donne l’igno-
rance.
Voilà pourquoi on voit partout en Belgique, comme en
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France, dans toutes les constructions officielles, toujours les
mêmes colonnes, les mêmes frontons triangulaires, les mêmes
attiques, les mêmes pilastres, en un mot les mêmes mauvaises
copies d’un ridicule modèle, adapté à tous les usages, qu’il
s’agisse d’un théâtre, d’une église, d’une caserne, d'une bourse,
d’un palais de justice.
Il appai tient à la presse de dénoncer l’enseignement qu’on
donne dans nos écoles des beaux-arts, enseignement en
contradiction directe et perpétuelle avec nos mœurs, nos
goûts et notre climat ; une architecture née sous un ciel sans
nuage ne convient -pas sous un climat brumeux et changeant.
Nous venons, Monsieur le rédacteur en chef, demander
votre appui en faveur de notre architecture nationale, qu’on
ne prétend même pas adopter pour le monument national qu’il
s’agit d’élever à Bruxelles. Votre plume est assez puissante
pour renverser une colonnade et même un arc detriomphe,
et a rêter enfin l’envahissement d’un art étranger. Ouvrez la
voie ; que l’œuvre de M. Janlet devienne le point de départ
d’une renaissance nouvelle, vous aurez rempli une belle et
patriotique mission.
X.
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On sait que nous avons toujours combattu éner-
giquement et très-sincèrement toutes tendances de
notre école d’architecture vers celles de l’étranger;
nous ne voulons de l’influence ni de l’école française,
ni de l'ecole allemande, ni de lecole anglaise; nous
désirons vivement voir notre art archilectural
revêtir un caractère qui convienne à notre climat, à
nos idées, à nos mœurs et à notre tempérament.
Nous désirons ardemment, plus ardemment peut-
être qu’aucun autre, un art architectural vraiment
national.
Et cela cependant sans que l’on puisse nous faire
le reproche d’un chauvinisme quelque peu enfantin,
étant donnée la marche des idées et du progrès
modernes.
Dans maintes études nous avons déclaré accepter
ce que l’on appelle la renaissance flamande aussi
longtemps que ce style nous donne des œuvres vrai-
ment belles, qu’il n’est pas une violation des prin-
cipes de l’esthétique architecturale,aussi longtemps
surtout que les griefs faits à l’art, classique par les
partisans de ce style ne peuvent lui être appliqués.
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Mais en faisant cette concession à ceux qui ne
voient que par la renaissance flamande, qui ne
comprennent et n’admettent que ce style, nous
n’avons pas songé un seul instant à poser un prin-
cipe exclusif.
Exclure tous autres styles que la renaissance
flamande serait une absurdité, tellement évidente
selon nous, que nous ne croyons pas devoir nous
arrêter à le démontrer.
Nos pères n’ont pas fait que de la renaissance
flamande, ils ont aussi, et surtout, fait de l’art
ogival.
Et nous n’hésitons pas à dire que cest à cette
dernière période que nous devons nos édifices les
plus beaux, les plus grandioses, ceux dont nous
devons le plus nous enorgueillir.
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Bien qu’on l’ait interprété en France (avec tant
d’analogie), en Allemagne et en Angleterre (avec
quelques nuances de forme et de caractère), l’art
ogival est pour nous un art national, au moins
autant que la renaissance flamande.
L’art ogival est né sur noire sol; ses formes
répondent à notre climat et à nos matériaux; son
caractère correspond à nos mœurs et à nos idées. Il
naquit en quelque sorte avec nos libertés et l’his-
toire nous le montre arrivant à son apogée à l’époque
la plus brillante peut-être de nos annales.
Il nous a donné des édifices civils et des monu-
ments religieux ; ses conceptions sont autant de
pages de notre histoire.
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Il possède une technique et une esthétique bien
personnelles; quelle qu’en soit l’application, il
revêt toujours un grand caractère et l'expression
est juste, qu’il s’agisse d’un hôtel de ville ou d un
édifice religieux.
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Cependant, il fallait à nos ancêtres, aux maîtres de
l’œuvre de la fin du xvie et du xviie siècle un tem-
pérament artistique réellement remarquable pour
créer ces édifices de renaissance flamande; il leur
fallait un grand pouvoir d’assimilation et une ima-
gination puissante pour faire jaillir des souvenirs
de leurs voyages en Italie et de l’étude des monu-
ments anciens ces formes pleines d’imprévu et d ori-
ginalité, et donner à des éléments empruntés à l'art
classique un caractère neuf et très-personnel.
Nous constatons cela aussi pour la renaissance
française.
Mais en Allemagne et en Angleterre, cet art
n’apparaît pas avec le même enthousiasme, la
même verve; il est froid, avec des formes tourmen-
tées ; souvent pâle avec des éléments trop impor-
tants, sans silhouette avec les lignes les plus
heurtées.
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Pourquoi donc est-ce sur le sol de l’ancienne
Gaule que le souvenir de l’art classique (plus ou
moins modifié) fait naître le plus original, le plus
artistique par le caractère, et le plus pittoresque
des styles qui ont succédé à l’art ogival.
Est-ce parce que notre sol a été foulé par les
armées de Rome, que nous devons à cette occupa-
tion les premiers pas de notre civilisation? Les
sangs se sont-ils mêlés, et, avec les lois, avons-nous
reçu comme une inoculation, faible sans doute, des
mœurs, des idées, de l’esprit même des Latins.
Si l’on compare les édifices de la renaissance en
Belgique et en France avec les productions archi-
tecturales de même style en Allemagne et en
Angleterre, et si l’on se rappelle les faits politiques
des premiers siècles de notre ère, on se prend à
entrevoir comme une cause de cette différence.
Et l’on arrive à conclure que la renaissance
flamande n’est pas, à proprement parler, un art
national.
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Les artistes du commencement du xviie siècle et
même ceux de la fin du xvie siècle, rapportèrent
de leurs voyages en Italie une impression profonde
produite par les monuments de l’art classique.
Toutes les formes de cet art, ses éléments, sa
technique, étaient autant de découvertes pour eux ;
l’art ogival était d’ailleurs en pleine décadence
depuis un demi-siècle. Quoi détonnant, dès lors,
qu à leur retour ils se soient souvenus, qu’ils aient
appliqué ces formes, nouvelles pour eux, au hasard
de la mémoire.
Ils voulurent faire du classique, mais ils l’inter-
prétèrent avec leur imagination vive, guidée par
leur amour du pittoresque. Et ils le firent avec
une esthétique nouvelle, la leur, car ils ne pou-
vaient comprendre ni s’assimiler celle des artistes
latins.
Il en est résulté des conceptions, originales sans
doute, d’un caractère bien personnel; mais il en est
sorti aussi bien des bizarreries.
Comme tous les arts à leur origine, et pour les
artistes de la renaissance c’était une origine, le
style nouveau n’était qu’un premier jet attendant
sa forme vraie, son caractère et son unité de l'ex-
périence et de l’étude.
La renaissance n’arriva pas jusqu’à cette matu-
rité et, après bien des transformations, après avoir
subi bien des influences, elle perdit et son caractère
et son originalité.
Il n’a fallu guère plus d’un siècle pour cela, et
l’art ogival, de son origine à sa décadence, en
compte trois.
1879. N° 5. 5e ANNEE. |