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1842. — W.® 12.
AMVjEKS, ftfercrcîï! 12 Jartvlcp* Septième Aimée.
LE PRÉCURSEUR
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9
fl 3 Janvier.
APFEÏi A HTOS t’O.Vt’ITOl ESTS.
« Donnez, afin qu'on dise : il a pitié de nous! »
Vicror. Hugo.
L’hiver, saison de plaisir pour les riches et de douleur pour les mal-
heureux, l’hiver avec ses jours de glace et ses longues nuits nous fait
sentir toutes ses rigueurs.
Quel serait l’homme assez indifférent pour ne pas arrêter un moment
sa pensée sur les souffrances que doit éprouver son semblable, privé
des moyens de s’abriter contre l’intempérie des saisons et contre les
angoisses de la faim?
Mais dans de telles circonstances, une pitié stérile ne suffit pas; elle
serait même une insulte au malheur.
Tendons donc tous une main secourable aux malheureux, et vous,
jeunes femmes, qui courez aux fêtes somptueuses que ramène l’hiver,
avez-vous quelquefois songé que pendant que vous vous livrez sans re-
mords à des danses joyeuses, des femmes jeunes et bonnes comme vous,
des mères tendres comme vos mères, sont non loin de vous, livrées au
désespoir, mourant de froid, de faim peut-être en cherchant à ranimer
dans leurs bras défaillants leurs enfants plus malheureux encore? F.t si
cette pensée vous est venue, si ce tableau s’est offert à votre vue, avez-
vous hésité à sacrifier au bonheur de soulager l’infortune les vaines pa-
rures dont la mode et l’étiquette vous font une loi? Non sans doute;
l’égoïsme ne fut jamais votre partage; une femme jeuneet belle est tou-
jours compatissante. C’est une femme qui la première a présenté à nos
yeux et peint sous des couleurs effrayantes, le tableau des grandes in-
fortunes, cette femme-poète que les femmes vénèrent et dont les mal-
heureux bénissent chaque jour le nom est mademoiselle J nais Ségalas;
son tableau le voici, écoutez :
La Pauvre Femme.
Que cet hiver est long! je sens un air de glace!
Kt rien pour me couvrir, mes brassont nus, j’ai froid !
Sous ma porte, au travers des tuiles le vent passe,
La neige tombe sur le toit.
Mes enfants sont tremblants, leur faible corps tressaille,
l’as une flamme ici ne jette ses rayons :
Ah ! les pauvres petits les voilà sur la paille,
Tout blottis sous quelques baillons.
Oh ! sur un long sopha, dans un salon qui brille,
Qu’il est heureux le riche au front calme et riant
S’asseyant à côté de sa jeune famille
Auprès d’un feu tout pétillant!
Mais voici qu’un rayon ardent vient de paraître !
Dans ce grenier chétif il se glisse éclatant.
Chauffons-nous au soleil qui luit à la fenêtre;
C’est le foyer de l’indigent.
Quoi vous pleurez encor! j’entends, la faim commence
Des aliments pour eux.., et qu’on prenne aussitôt
Mon corps qui les porta, mon sang, mon existence !
Mais non, c’est de l’argent qu’il faut!
Ces enfants vont mourir car tout nous abandonne
Car on exige nn prix pour notre pain grossier!
Car on nous vend la vie enfin : Dieu nous la donne,
Mais les hommes la font payer.
Peut-être quelque aumône.., Oui,sortons ! cette femme
Au cachemir souple, aux précieux bijoux
Pourra me secourir.... La charité. Madame;
Je prirai le bon Dieu pour vous!
Vers mes jeunes enfants que votre front se penche
Ah ! par pitié; l’humble sou qu’on donne aux mendiants.
Ornerait mieux encore votre main douce et blanche
Que tous vos anneaux de brillants.
FEUILLETON.
IL’AA 1841 ET L’AMT 1941.
L’an 1841 et l’an 1941 : sous ce titre, l’on vient de représenter à Paris,
au théâtre de la Porte-Saint-Martin, un vaudeville dans lequel on passe
en revue l’année 1841 et dans lequel on assiste par anticipation aux évé-
nements qui se passeront dans un siècle. Nous donnons ci-dessous l’a-
nalyse de ce vaudeville par M. Théophile Gauthier.
La première partie de ce vaudeville ressemble à toutes les Demies pos-
sibles. L’on y fait défiler toutes les sottises de l’année défunte avec ac-
compagnement de calembourgs et de plaisanteries. — Les succès et les
chutes y sont enregistrés. C’est une espèce de feuilleton en action, et
qui a le tort de venir un an ou six mois après les feuilletons des jour-
naux. Dans l’an 1841, l’on voit passer M11' Rachel, Arbogaste, Mathilde
ou les Mémoires d’une jeune femme, imprimés sur une bandelette de
papier qui ferait sept lois le tour du globe, le tonnelier Poultier, l’air
Une fièvre brûlante, Giselle, Murat, le pavé en bois, etc. ; tout ce qui a
fait sensation en bien ou en mal pendant l’année qui vient de tomber
sans retour dans le gouffre du temps, nouveau grain de sable ajouté à
la poussière des siècles dont se compose l’éternité.—C’est la vérité sous
les traits de Mll= Lorry qui fait voir toutes ces belles choses à un bour-
geois naif et débonnaire qui s’en étonne fort. — Que serait-ce donc, si
tu pouvais voir l’année 1941. J’ai envie de te procurer ce plaisir. — En
effet, au moyen d’un breuvage quelconque,la vie du bonhomme est sus-
pendue pendant 100 ans. Nouvel Epiménide, il se relève un siècle plus
tard, juste à l'âge qu’il avait lorsqu’il s’est endormi de son sommeil ma-
gique, au milieu de ce Paris de l’avenir que nul de nous ne pourra voir,
hélas ! ’
Celte ficlionnous avait jeté dans unerèverie plus profonde,peut-être,
qu’il ne sied à un vaudeville de l’inspirer; mais tant pis pour MM.
Coignard frères, qui ont mis une idée dans leur revue.
Nous regardions cette salle, garnie de spectateurs de tout âge et de
toute condition, et cette réflexion nous venait à l’esprit : A la date in-
diquée par ce vaudeville, nul deceux qui sont ici, pas même ce petit en-
fant de deux ans, qui ouvre de grands yeux étonnésdu hautde la gale-
rie, sur le sein de sa mère, ne sera vivant pour voir si MM. Coignard
freres ont rencontré juste dans leur tableau de l’avenir. Tous ces gens-
la, plus tôt ou plus lard, seront soigneusement enfermés dans des espè-
ces de boites de violons, emmaillottés de linges, et recouverts de sept à
huit pieds de terre glaise, dans quelqu’une de ces nécropoles qui fini-
ront bientôt par envahir la cité des vivants, et qui s’étendent épouvan-
tablement à mesure que le monde vieillit. — Quelques-uns seront peut-
etre au fond de la mer, ballotés par les vagues, ou sous le sable de
1 Afrique, mangés par les poissons ou remués par le mulïle des hyènes.
Qui sait ? celle-ci laissera sesossur lesommelneigeux des Cordillères,
celui-là glissera par mégarde dans la cratère de l’Héela ; mais ce qu’il y
a de sûr, il faudra bien, ici ou là, demain ou dans vingt ans, qu’ils finis-
sent par rentrer au grand ventre de la terre; dans un siècle la terre aura
absorbé les quatre ou cinq cent millions d’hommes qui la recouvrent,
sans compter les animauxde toute espèce, et qu’on peut estimer hardi-
ment au triple. — Quelle mangeuse. — et sur combien d’étages et cor-
ruptions nous agitons-nous!
Un refus, du mépris... Le pauvre est dans le monde
Comme un insecte vil qu’un passant foule aux pieds.
Que faire !... La rivière est là., belle profonde.
Elle au moins elle aura piété ! _
Etpourquoi vivrait-on quand la vie est amère ?
La Seine qui s’étend comme un vaste tombeau,
Recouvre tant dé maux, de haillons, de misère,
Des plis de son large manteau.
Allons point de frayeur, la mort vient si rapide !
Et ces enfants privés de leur dernier soutien ,
Et Dieu qui me regarde et maudit le suicide....
Mais cependant je souffre bien !
La faim ronge mon corps, oh! quel affreux martyre!
Mes entrailles déjà se tordent ; c’est l’enfer !
Il semble qu’une main les tourne , les déchire
Avec d’horribles doigts de fer.
Maudits soient tout ce bruit et ces clameurs joyeuses,
Ces femmes étalant des plumes, des joyaux.
Et ce long froissement de leurs robes soyeuses
Qui semble railler mes lambeaux.
Aucun don ne viendrait calmer ma faim mortelle !
Le pain qui nourrirait la pauvre mère en pleurs
N’aurait qu’à les priver d’une gaze nouvelle
Ou d’une guirlande de fleurs !
Comme je m’affaiblis....des visions étranges....
Ne pleurez pas,enfants; mourir vous fait donc peur!
Voyons, consolez-vous; courage petits anges.
Nous allons trouver le Seigneur.
Au lieu d’un grenier triste avec de noirs étages
Un grabat, un vieux mur par le vent ébranlé.
Dieu nous garde là haut sa maison de nuages
Dont le toit rayonne étoilé.
Bientôt on n’entend plus les enfants ni la mère,
Parmi la foule passe un cercueil d indigent.
Point d’amis ; en voit-on suivre un char funéraire
Sans festons ni franches d’argent...
Sur le chemin pensive une femme s’arrête
Un passant se détourne et regarde un instant.
Songe aux plaisirs du jour, à la prochaine fêle
Et puis s’éloigne indifférent.
Jeunes femmes, que les prédictions du poète ne s’accomplissent point.
Vous courez au plaisir, c’est de votre âge ; mais que ce plaisir soit en
mémo temps une bonne (cuvre. Arrachez au malheur tant de familles
que les rigueurs de la saison y précipitent ; prenez une initiative qui
fera honneur à votre cœur et vous embellira aux yeux de tous ; donnez
au profit des malheureux dont nous plaidons la cause une de ces belles
fêtes dont vous êtes avides; c’est là une occasion de satisfaire à la fois
vos goûts et vos devoirs, car vous le savez, c'est un devoirsicré que de
soulager l’infortune. Oui, jeunes femmes, une fète,unconcert parexem-
ple, dont les commissaires seraient choisis parmi vous, un concert sous
votre Patronagedonné au grand Théâtre pourque tout le monde puisse
participera cette bonne œuvre, sera une innovation peut-être, mais
elle obtiendra, nous en sommes convaincu, l'approbation générale.
Jeuneset vieux voudront avoir leurs billets, tous voudront assistera la
fête des malheureux; jeunes femmes, essayez de votre puissance et
qu’une mère en pleurs ne puisse pas vous dire un jour avec le Poète :
o Mes enfants vont mourir, car tout nous abandonne. »
LE PRÉCURSEUR.
AAVEESS PORT SilBîBE. (*)
— DEUXIÈME ARTICLE. —
Quel serait le meilleur parti à prendre entre les deux moyens
(*) Voir le Précurseur du 4 janvier.
Nous pensions à tout cela en regardant sedémener, et rireet chanter
les acteurs, eL par une espèce de seconde vue, nous les apercevions à
leurs lits de morts, pâles et livides, râlant, faisant des grimaces, se rai-
dissant et luttant contre l’athlète invisible que nul n’a vaincu.
Tout ceci n’empêche pas le vaudeville de MM. Coignard d’être fort
gai — comme vous allez le voir! Mais quelques personnes ayant fait la
remarque que nous étions profondément triste à cette représentation,
nous fûmes fâché que l’on attribuât notre mélancolie à cette Revue, une
des plus jolies que l’on ait faites depuis long temps.
M. Bonnichon, Fallempin.Tartampion ou Patouillard, nous avons ou-
blié son vrai nom, se réveille précisément devant la Porte-Saint-Martiu,
laquelle a élé dorée sur trauehe et considérablement embellie.
Les maisons, auprès desquelles la fameuse Ci lé des Italiens n’est qu’une
masure borgne, élèvent de tontes parts leurs magnificences babylonien-
nes, ce ne sont que festons, ce ne sont qu’astragales. — Les rues sont
Carquetées en bois des îles, en palissandre, en citronnier; il n’y a plus de
alayeurs, les frotteurs les ont remplacés : des phares de gaz sidéral
Jettent la nuit, par toute la ville, un jour bleu aussi vif que celui du so-
leil, dont on se passe parfaitement,et dont on n’attend plus les caprices;
les statues de marbre et d’or, de Fouyou et de Chicard, considérées par
cette génération comme des mythes de la plus grande profondeur, se
dressent triomphalement sur des piédestaux ornés de bas-reliefs sym-
boliques : il est question de la reprise d'Hernani, pièce de Victor Hugo,
ancien poète fort célèbre de l’autre siècle, un peu obscur à cause de ses
archaïsmes, et dont une jeune académicienne pleine de goût vient de
refaire les vers,inintelligibles pour les spectateurs,qui ne sont pas bien
familiers avec la vieille langue française. — C’est la nouvelle du jour, et
les feuilles publiques opposent aux jeunes renommées ce grand nom
de Victor Hugo qu’elles auraient traîné dans la boue s’il eût vécu.
Les utopies des saint-simoniens seront réalisées. Les femmes sont
émancipées; la terminologie inventée par Mme Poutret de MauchampS,
rédacteuse en cheffe de la Gazette des Femmes, est en pleine activité, et
fait partie du Dictionnaire de l’Académie. — Une tamboure bat le rappel;
de jeunes lionnes à tous crins font la chasse aux grisets (car il n’y a plus
degriseltes), qui filent, le carton sous le bras et d’un air modeste, sur
les trottoirs de mosaïque. Ces mauvaises sujettes prennent la taille de
ces innocents, qui rougissent et crient : finissez ! petites coureuses de
damoiseaux, me prenez-vous pour un garçon de joie ou un lorei? Allez
chercher ailleurs vos concubins !
Telle est la condition des hommes,iis cousent, tricotent et font le mé-
nage. — Les femmes sont avocates, peintresses, écrivaines, sapeures,
tambours-rnajoies, caporales,jugeuses, compositeures, etc., etc.
Les enfants lettent des pipes culottées et laissent le biberon Darboaux
grandes personnes. — Un jeune homme deseptans, leSandde ce temps-
là, ce qui annonce pour la littérature un talent bien rare dans son sexe,
se promène une pipe énorme à la bouche, et ne peut accepter la partie
que lui propose un de ses camarades avec de jolis figurants de l’Opéra,
parce qu’il doit lire aux Français une petite trilogie de sa composition.
De toutes parts se croisent des tilburys à vapeur ; quand on veut al-
ler vite au lieu de fouetter les chevaux onsoufllele feu. —Une trompette
sonne, c’est l’omnibus de la Chine qui va partir, il n’y a plus qu’une
place,dépêchez-vous?ou il vous faudra attendre dix ou quinze minutes
le retour de l’autre wagon. Voici des Japonais, des Kirghises, des Pa-
. pous. — Comment vous portez-vous, mon cher ? — Etvous ? — Pas mal,
et madame? — Assez bien. Merci. Elle souffre un peu d’un reste d’indi-
I gestion, elleatrop mangé de lézards et de chien gras.—C’est très lourd.
indiqués dans le discours de l’honorable M. David. Serait-il dé-
sirable qu’Anvers fût port libre ou bien vaudrait-il mieux qu’il
y eut seulement un entrepôt complètement libre ?
C’est ce que nous allons examiner.
Et d’abord posons les faits. Anvers déclaré demain port libre
verrait évidemment affluer dans son port tin nombre infiniment
supérieur de navires que le nombre de ceux qu’on y voit au-
jourd'hui. Le transit qui était et qui doit rester un des princi-
paux buts du chemin de 1er et qui a déjà pris un développe-
ment si considérable, n’est point assez généralement goûté et
compris dans le pays pour que nous espérions lui voir accorder
unesollicitude croissante de la part de la législature. Les Cham-
bres et surtout celle des Représentants semblent plutôt dispo-
sées à restreindre les franchises existantes qu’à les étendre,et
comme nous avons avant tout pour but de rester dans les pré-
tentions qui peuvent avoir quelque chance de succès, nous
disons franchement que pour le moment nous pensons qu'un
grand entrepôt libre, sans frais ni entraves et soumis seulement
à la surveillance d’une administration spéciale, nous semble
mériter le plus de faveur.
En effet, déclarer Anvers port libre, et reculer la douane
jusqu’aux fortifications, qui certes seraient une des plus heu-
reuses garanties contre la fraude, a plusieurs inconvénients que
nous Dévouions point dissimuler, parce que, nous le répétons,
nous voulons l’admissible et repoussons volontiers la difficulté.
Or, d'abord la Belgique perdrait en partie la consommation de
la ville d’Anvers ; ensuite, il y aurait opposition de la part de
toutes les communes environnantes, et puis en définitive il fau-
drait introduire sur l'Escaut un système de surveillance de tou-
tes les heures et d’une grande sévérité pour que les produits
étrangers en ce moment soumis à des droits pour protéger l’in-
dustrie nationale , ne s'infiltrent pas dans le pays par l’autre
rive de l’Escaut.
Voilà donc des objections sérieuses, mais certainement sur-
montables; or, nous l’avons dit, nous ne voulons point rendre
une chose essentiellement utile tellement hérisséede difficultés,
qu’on en argue pour ne pas même la prendre en considération.
— Car nous avons à faire à des hommes qui remontent jusqu’au
bill de navigation de Cromwell pour appuyer leur système actuel
de commerce. Comme si deux siècles n’avaient rien changé à
l'économie commerciale.
On nous répondrait d'ailleurs qu’un port franc, n’est qu’une
sorte de chaos où toutes sortes de productions étrangères se
mêlent uniquement pour favoriser la spéculation ; que loin
d’aggrandir le développement de l'industrie indigène on l’affai-
blit par cela même. On nous dirait enfin tous les lieux com-
muns qu'une pensée fixe et persévérante martèle à propos
de tout,dans les esprits routiniers et souvent étroits d’un grand
nombre de membres des deux chambres.
Tout cela , et les obstacles plus véritables que nous avons
énumérés plus liant, nous font donc considérer la transforma-
tion de notre ville en ville libre ou port franc, comme hérissée
de difficultés réelles et fictives.
Mais l’autre pensée de l'honorable M. David nous paraît à
peu près réunir les avantages du port franc et en éluder les
parties contestées.
En effet, il est raisonnable, il est urgent d’accorder une sage
protection à un grand nombre île nos industries indigènes. Nés
d'hier , et nous étant vu spontanément jetés en dehors de nos
gonds par les événements de 1850 , nous ne pouvons pas sans
être niaisement généreux , ne pas tenir compte des barrières
— Voulez-vous accepter un petit dîner sans façon dans ma maison de
campagne, près de I’ékin ? Vous aurez le temps d’être revenu pour voir
le nouvel opéra. —Le Triomphe de l’électricité,donlondil tant de bien?
— Non, merci, je suis invité à une chasse aux morses, près du pôle An-
tarctique. Ce sera pour uneantre fois.
Des ballons vont et viennent en l’air. La chimère des hommes volants
est réalisée. — Quel est cet être singulier avec des ailes de chauve sou-
ris ? C’est un andro-sélénité qui vient remettre sa carte à notre planète;
car il faut que vous sachiez que, d’après la recette de Fourrier, nous
avons médicamenté la lune si long-temps malade des pâles couleurs. —
Nous lui avons refait une atmosphère : elle est habitable maintenant;on
y va très facilement, et il est de bon goût d’y avoir un vide-bouteilles
pour l’été; car aller aux antipodes cela est fadeet commun. Il n’y a que
des gens de peu qui osent passer là leur villégiature !
Toutes ces merveilles sont expliquées au pauvre Bonnichon par un
desesdescendants, tout charmé de voir en vie un de sesaïeux de 1841.,
Ce Bonnichon de l'avenir est accoutré d’une bien singulière façon.
Son chapeau, forme tromblon. dépasse en hauteur l'oursonle plus fé-
roce; il a un frac à la dernière mode, c’est-à-dire boutonné dans le dos
avec des boulons larges commfi des tabatières; — les basques pendent
par devant et font tablier. On ne saurait rien imaginer de plus bizarre
que celte transposition.
M. Bonnichon de 1841 a soif; il voit passer ce qu’il croit être un mar-
chand de coco et demande un verre du bienfaisant breuvage;car, lors-
qu’il y a centansqu’on n’a bu, on peut bien avoirsoif : c’estdela tisanne
de Champagne.-- Le coco a bien progressé, comme vous voyez.—Bon-
nichon lire ses deux liards, prix du verre du coco. Le marchand re-
tourne enlre ses doigts, comme une médaille curieuse, l’humble pièce
de monnaie : Monsieur c’est quarante francs que vous me devez. Heu-
reusement son petit neveu paie pour lui.
En 1941 comme aujourd’hui, il faut se loger quelque part. Bonnichon
voyant un écriteau de bronze doré suspendu à l’angie d’une maison,
sonne et demandé au concierge, vénérable vieillard, qui sort en simarre
de velours, achevantde prendre une giaceavec une cuillère d'or,de lui
faire voir les appartements àlouer.
D’abord, dit le concierge, nous en avons un de trois cent quarante
mille francs : avec charbonnière, remise pour ballons, et machines à
vapeur de maître, télégraphe électrique, ventilateurs chauds et froids,
raiis-roads de la cuisine à la salle à manger, water-closet à la vanille,
éclairage bleu ou blanc à volonté, enfin tout ce qui constitue une habi-
tation confortable.
— Diable, c’est un peu cher, dit Bonnichon; j’aimerais mieux une pe-
lde chambre.
— Nous avons jusle votre affaire; une chambre de demoiselle un pou
mansardée, vingt mille francs et douze cents francs d’éclairage, c’est à
prendre ou à laisser.
Et mille autres folies de ce genre, qui seront peut-être des réalités.
La Vérité prenant pitié de Bonnichon, le touche à l’épaule, le ramène
au sentiment de la réalité, lui fait voir que toutes les merveilles sont (les
décorations de théâtre et lui nomme les acteurs de la Porte-St -Martin,
qu’il a pris pour les personnages de l’avenir. 1941 est encore au fond de
l’urne mystérieuse par laquelle Dieu verse l'éternité dans l’infini.
Cette idée quoique singulière n’est pas neuve. Mercier a fait un livre
très bizarre intitulé VAnnée 233'>, et Rétif de la Bretonne une pièce le
Nouvel Epiménide. basée sur la donnée du vaudeville de MM. Cognard,
cc qui n'ôte rien à leur mérite. |