Full text |
IÆ PRECURSEUR, Vendredi 1er Janvier 1841.
irritable, quelquefois si peu raisonnable, a du moins cela de bon qu’il
revient sur ses pas, et se laisse persuader par le bon sens après s’ètre
laissé entraîner par la passion.
CVst ainsi que les vices et les dangers du système belliqueux adopté
par M. Thiersapparaissent aujourd’hui dans toute leur vérité. L’allian-
ce des puissances l a emporté, du moins pour un temps ; le gouverne-
ment français a subi le traité que M. Thiers n'a pu empêchçé; la na-
tion subit la soumission de son gouvernement qu’elle n’a pas voulu
entraîner. C’est, de toutes parts, une concurrence de concessions non
avouées, de réserves sous-entendues, de tolérance effective, qui prouve
évidemment quel est l’état d'incertitude, d'oscillation, quelle est la lutte
des principes et des intérêts, des passions et du calcul, dans nos sociétés
modernes.
Cependant, comme il faut toujours, dans une situation transitoire,
quelque bouc émissaire des erreurs ou de l'égoïsme de tous, M. Guizot
se trouve chargé d’une sorte de réprobation générale, seul sentiment
qui réunisse tous les partis. Aussi sa position est-elle plus menacée
que jamais.
M. Guizot est arrivé au pouvoir à peu près dans les mêmes circon-
stances que M. de Polignac. Comme lui, M. de Polignac avait quitté
l’ambassade de Londres pour venir prendre le portefeuille des affaires
étrangères. Comme lui, le favori de Charles X avait pour mission
d’effacer les traces de la froideur que le ministère Marlignac, partisan
de l’alliance russe, avait amenée entre la France et l’Angleterre. On n’a
jamais bien su l’influence que cette dernière a pu exercer sur la com-
binaison fatale des ordonnances de juillet 1830. On ne saura jamais
bien quels conseils M. Guizot a pu recevoir avant de quitter Londres.
Peut-être même ne restera-t il pas assez long-temps au pouvoir pour
que ses actes puissent laisser soupçonner l’influence de ces conseils.
Relativement à M. Guizot, c’est M. Molé qui a joué le rôle du minis-
tère Marlignac. M. Molé est le représentant de l’alliance russe. C est
par sa sympathie pour cette alliance qu’il a commencé la brouille du
château des Tuileries avec le Foreing-office. A la vérité M. Guizot ne
vient pas immédiatement après M.Molé, comme M. de Poliguac après
M. de la Ferronavs. Il y a eu M. Tluers entre deux. Mais M. Thiers,
avec son court ministère, n’a été qu’un épisode, un dédoublement de la
tête de la coalition parlementaire. M. Thiers, d’ailleurs, et c est le re-
proche qu’on peut lui faire, n’était en réalité pour aucune alliance.
Il est de l’école de la guerre cl des conquêtes. Aussi ne reviendra i il
au ministère que pour la guerre et les conquêtes. C’est le représentant
de l’orgueil national, de la révolution imposée au-dehors par la force.
Le pays, loin de l’abandonner, le réserve pour le jour où l’occasion se
présentera de combattre et de triompher pour la défense ou la propa-
gation des principes révolutionnaires.
Par qui M. Guizot sera-t-il remplacé, s’il tombe ? Je vous ai parlé
des obstacles qui repoussent M. Molé, des prétentions de M. Passy, de
la mauvaise volonté de M. de Broglie. Ce dernier, s’il n’était mal en
cour, réunirait les conditions les plus favorables pour réconcilier la
France et l’Angleterre. Son caractère honorable et la dignité de sa con-
duite lui ont acquis à un égal degré l’estime publique dans les deux
pays. Il a, de plus, relativement à la question d Orient, un système
mixte dont la plus grande partie cesse d être applicable aujourd hui
que le gros de la question a été emporté par la force, mais qui, dans
son principe et dans sa forme, s’éloignerait également du système de
résistance absolue de M. Thiers, et du système de tolérance inépuisable
de M. Guizot. Mais il manque à l’avènement de M. de Broglie une
condition essentielle, son consentement. Il est vrai que les hommes
d’Etat, comme les grandes coquettes, n’ont pas Je rigueurs éternelles.
M. Thiers que ses amis affirment être décidé â ne jamais reprendre un
portefeuille sous le règne actuel, se garderait bien de sanctionner offi-
ciellement cette intention qu’on lui prête. En pareil cas la persistance
du refus trouve sa limite dans la nature des circonstances et dans les
besoins pressants du bien public.
Quoiqu’il en soit, il est un ministre des affaires étrangères tout
trouvé et qu’on assure très disposé à reprendre ce département auquel
il attache un amour-propre d’autant plus singulier que cela sort en-
tièrement de la spécialité glorieuse du personnage. Je veux parler du
maréchal Soult à qui l’on a fait accroire qu’il est un grand diplomate,
peut-être parce qu’on voudrait lui faire oublier qu’il est un grand or-
ganisateur militaire.
Les conditions incomplètes que présente chacun de ces candidats
sont la meilleure raison de la durée de M. Guizot. Il tombera le jour
où de nouvelles circonstances rendront l’un d’eux possible ou néces-
saire. M Guizot qui a érigé l’impopularité en principe de gouverne-
ment, doit être satisfait de lui-même. Il remplit amplement celte con-
dition de son emploi. C’est à tel point que la cour se croit trop com-
promise avec lui, et ne manquera pas de lui chercher un successeur
dès que cela lui sera possible.
En attendant, il n’est bruit, dans un certain monde, que de nouvelles
conférence européennes auxquelles la France, représentée par M. Gui-
zot, serait appelée à concourir, et qui auraient pour objet de régler
d’accord et d’une manière définitive, toutes les questions qui restaient
encore pendantes, y compris la question d Orient. Un journal anglais
semble confirmer, en termes fort ambigus toutefois, cette importante
nouvelle. C’est le Globe, dont les relations avec le ministère whig sont
bien connues et donnent un certain poids à ses assertions. Un pareil
projet serait un acheminement favorable à une pacification générale,
et fonderait pour long-temps, peut-être, la tranquillité des Etats et la
sécurité des intérêts matériels de tous les peuples. Il faut faire des
vœux pour que ce qui parait d’abord une utopie, devienne une réalité.
Cela n’est pas impossible, si tous les gouvernements repoussent avec
une égale sincérité le fléau d’une guerre européenne. Les amis de M.
Guizot triomphent à l’idée d’un pareil résultat; il lecroieut sincèrement
appelé à le réaliser. Ils le proclament d’avance le conquérant de la paix.
Quel que soit le sort de ce projet qui occupe les espritsen ce moment,
vous lavez dit avec raison, il ne peut avoir d'effet durable qu autant
qu’il offre à l’esprit national des Français une satisfaction qu’il cher-
che obstinément depuis 25 ans. Tout traité de pacification générale
qui aurait pour base et point de départ les traités de 1815,échouerait
complètement dans l’opion de ce pays ci. On dira que l’esprit français
est puéril et bien peu raisonnable. Cela peut être vrai ; maison ne
gouverne pas les hommes par les lois d’une raison inflexible; on n y
parvient qu’en tenant compte de leurs faiblesses et de leurs passions.
On est dans l’attente de la discussion du projet de loi relatif aux
forlificationsde Paris. La commission, composée en majorité des amis
deM. Thiers, l’a nommé d’abord son président, puis son rapporteur.
M. Thiers a prévenu la commission qu’il se renfermerait, autant que
possible, dans la question spéciale. Mais la discussion fera infaillible-
ment surgir la question politique. Il faut s’attendre à des revirements
d opinions fort singuliers. La situation de celte question peut, cepen-
dant, se résumer en deux mots : les Parisiens repoussent les forts dé-
tachés, parce que ces forts sont une menace pour eux; les courtisans
repoussent l’enceinte continue, parce quelle serait une prison pour le
roi. C’est sur cette double base que s’établiront les débats.
EïAtrs-BJJSfiS.
New-York, 8 décembre. — La reprise <Jes paiements, cette mesure
si impatiemment attendue, parait enfin devoir se réaliser. L’emprunt
que les Banques de Philadelphie avaient demandé, à cet effet, à leurs
sœurs de Boston et de New-York, a été souscrit tant bien que mal, et
il n’y manque plus que deux ou trois cent mille dollars qui se trouve-
ront. Mais il y a eu dans cette négociation un fait remarquable qui té-
moigne du peu de confiance que tes financiers de New-York ont dans
l’avenir.
Les directeurs des principales banques, dans une entrevue qu’ils ont
eue avec les délégués de Boston et de Philadelphie, ont refusé, si nous
Jojnmes pien informés, de souscrire l’emprunt, à moins qu’ils ne fus-
sent mis sans réserve dans le secret de la position présente et des res-
sources futures des emprunteurs. Ils n’ont pas voulu aventurer leur
argent sans être assurés qu’ils ne seraient pas exposés, à être bientôt
mis, par une rechute des banques, dans l’alternative, soit de perdre
leurs premières avances, soit d’en faire de nouvelles.
Le prêt d’un million qui va être fait aux institutions de Philadelphie
n’a donc plus ce caractère général qui n’aurait pas peu contribué à en
agrandir l’heureux effet. Ce n’est plus guère qu’une affaire de coterie,
qu’un nouveau sacrifice que se sont imposées les nombreuses victimes
des écarts financiers de la banque des Etats-Unis, dans l’espoir qu’ils
donneront à cette instruction au moins une vie galvanique de quelques
jours pendant lesquels ils essaieront de se tirer d’affaire.
Nous ne savons jusqu’à quel point son fondées les craintes que l’on
a sur le non succès de ce nouveau tour de roue que l’on va donner au
char embourbé de la finance. Mais il est certain que ces craintes existent
dans tous les esprits et surtout chez les hommes compétents.
(Courrier des Etats-Unis).
— Nous disions, il y a quelques jours, comment l’avènement des
whigs ne serait pas un bienfait sans mélange pour le commerce euro-
péen, qui pourrait bien avoir à payer une bonne partie des frais de la
victoire; et nous ajoutions aussi que les whigs auraient beaucoup plus de
peine à bien user du pouvoir qu’ils n’en avaient eu à l’obtenir. C’était
surtout dans la question du Tarif que nous signalions ces sacrifices et
ces dangers. Nos prévisions commencent à se réaliser. Partout, en effet,
dans les états du Nord, Daniel Webster trouve des échos à sa voix qui,
la première, a eu la hardiesse de proclamer qu’il fallait prélever sur les
produits étrangers les sommes nécessaires pour combler le vide du
trésor public. Jlais, d’un autre côté, il s’élève contre cette doctrine des
protestations pleines de violence et de menace.
Les états du Sud et de l'Ouest s’opposeront de toute leur puissance
à l’établissement d’un tarif dont leurs intéréts agricoles ne réclament
point la protection, et dont ils supporteraient en grande partie le poids,
par suite de l’augmentation du prix des produits européens qu’ils re-
çoivent par l’intermédiaire du Nord. Les législatures des états ne man-
queront pas de prendre fait et cause pour ou contre le tarif dans la ses-
sion qui commence, et ses partisans les plus ardents pourraient bien
sentir se refroidir leur zèle, si ses adversaires se prononcent tous avec
la même énergie que le gouverneur de la Caroline du Sud, qui vient
d’aborder ainsi la question dans son message :
« U est de mon devoir de vous transmettre copie des motifs et réso-
lutions qui ont été adoptés par l’état du Connecticut, en faveur du sys-
tème de protection, et qui m’ont été communiqués pour vous être sou-
mis. L’acte que l'on nomme compromis expirera en 1842. Dans cet acte,
il est stipulé que les sources du revenu public seront réduites aux limi-
tes d’un budget des dépenses économiques.
h C’est là une promesse solennelle qu’il ne sera pas imposé plus de
charges qu’il n’en faut pour subvenir à nos dépenses, et c’est aussi, se-
lon notre manière d’entendre la chose, l’abandon du principe de pro-
tection, en tant qu’il découlerait de ce principe un pouvoir à part et ab-
solu. Je dois avouer que je ne suis pas moins surpris que peiné de
cette tentative, faits par un des états souverains denolreconlédération,
pour nous asservir encore, s’il est possible, à cet odieux système.
» La Caroline du Sud ne consentira jamais à une telle violation de la
constitution, à un acte aussi monstrueux,àune injustieeaussiflagrante,
qui s’aggravent encore du souvenir récent des luttes péniblesque nous
avons soutenues pour nous en affranchir. Lorsque le jour sera venu, si
jamais il doit venir, j’ai la confiance qu’on nous trouvera tous prêts à
repousser l’ennemi commun par tous les moyens que Dieu et la nature
ont placés dans nos mains! Unisse leciel nous épargner le renouvellement
de ces scènes de tumulte qui naguères ont ébranlé l’Union jusque dans
sa base ! Puisse-t-il détourner la nécessité qui forcerait un état souve-
rain à recourir à la commune justice, et à maintenir ses droits sacrés
par la force de son bras ! » (idem).
NOUVELLE:!!) o okient.
La Gazette d’Augsbourg publie les nouvelles suivantes de Constan-
tinople ; elles concernent l’annullation par la Porte, de la Convention
Napier :
Constantinople, 8 décembre.
Avant-hier on a reçu ici la nouvelle de la convention conclue entre le
commodore Napier etBoghos bey. Napier est un brave marin, mais un
mauvais diplomate. Méconnaissant les instructions qui lui avaient été
données, l’esprit des ordres qu’il avait reçus et la situation des affaires
politiques il a empiété sur les attributions île la Porte et des quatre puis-
sances, ses alliées. Dès que la convention fut connue ici, la Porte con-
voqua le divan en toute hâte et le factum du commodore fut rejeté à
l’unanimité. Une assemblée des ullemahs, tenue dans la demeure du
Scheieh-ul-lslam, l’a également déclaré nul et sans valeur. On remar-
quait le plus grand mouvement parmi le corps diplomatique. Une note
officielle, adressée aux quatre représentants européens, dans laquelle la
Porte déclare ne pas vouloir entendre parler d’une cession héréditaire
de l’Egypte à Méhémet-Ali, et blâme hautement l’indulgence avec la-
quelle on a permis à celui-ci de faire de la restitution de la flotte une
condition de cette investure, provoqua bientôt au département des af-
faires étrangères une conférence à la suite de laquelle des dépêches eu
grand nombre furent expédiées pour 1 Egypte et la Syrie par le Tahiry
Bury.
On assure que ces dépêches renferment une désapprobation de l’in-
terruption des hostilités contre Méhémet-Ali, l’ordre de reprendre les
mesures coercitives contre le pacha rebelle, de même que la somma-
tion adressée à ce dernier de se soumettre sans condition et sans re-
tard à la discrétion du Sultan, s’il ne veut perdre pour toujours les
bonnes grâces de son maître. On assure à l’instant que l’amiral Stop- j
fort et le général Smith ont également rejeté la convention du como- j
dore et ont déclaré toute la conduite du commodore devant Alexandrie, .
digne du blâme le plus sévère et le plus mérité. Le général Smith qui,
à ce qu’il paraît, n’a pas encore renoncé à son commandement, a occu-
pé toute la ligne entre la Méditerranée et la mer Bouge et la retraite
d’ibrahim est désormais impossible. Nous recevrons sans doute très
prochainement la nouvelle de l’entière destruction de l’armée d’Ibra-
him, qui a déjà fait quelques tentatives vaines, par Damas, pour se ti-
rer de sa position fâcheuse. (Gazette d’Augsbourg.)
ANfiLETEHUE.
Londres, 29 décembre. — La reine et le prince Albert se sont rendus
hier en voiture aux eaux de Frogmore où la reineest restée pendant
plus d’une heure à une des fenêtres du château pour voir S. A. B. pati-
ner sur le lac.
— City article du Globe, midi : Nous n’avons aucun nouvel arrivage
ce matin. L’arrangement définitif de la question d’Orient dont la nou-
velle est arrivée à Londres hier matin, a causé un mieux favorabledans
la valeur des fonds publics tant anglais qu’étrangers ; même les fonds
espagnols et portugais se sont rétablis de leur situation fâcheuse ; l’o-
pinion que les différends entre ces deux nations seront arrangés à l’a-
miable par la médiation de notre gouvernement gagne chaque jour
plus de consistance.
EKA.UE.
Paris, 50 décembre. — Les 400 marins de la Belle-Poule et de la Favo-
rite quittent Paris aujourd’hui, mercredi, pour retourner à Cherbourg.
Us font la route à pied, du moins jusqu’à Bouen, l’état de la rivière ne
permettant pas aux bateaux qui les ont amenés de redescendre la Seine
en ce moment.
— M. le ministre des affaires étrangères a reçu aujourd’hui M. Olo-
zaga, ministre de S. M. la Beine d’Espagne.
— Les deux individus qui ont secondé Poncet dans la criminelle sé-
questration de M. Vincent Million (de Lyon), se nomment Gervais et
Collet. Ce dernier est un forçat libéré. Tandis que le batelet descendait
le fleuve, à force de rames, un des ravisseurs tenant M. Million étendu
dans la barque le bâillonnait pour étouffer ses cris. Chose étrange! Au
milieu des tortures que les bourreaux faisaient subir à cet infortuné ,
l’un d’eux se montrait moins cruel que ses infâmes complices, et, mal-
gré la juste horreur que tous inspirent à un égaldegré, M. Million rend
une espèce de témoignage au forçat libéré Collet, le seul qui ait paru
s’émouvoir un peu de f’atfreuse position de la victime, qui l’ait engagé
à prendre quelque nourriture, et quiait soutenu son courage et son es-
pérance au milieu de ses angoisses etde son supplice.
— L’Academie française a tenu une séance publique aujourd’hui,
pour la réception de M. le comte Molé, qui a prononcé le discours d’usa-
ge. M. Dupin lui a répondu. L’assemblée était très nombreuse.
— Le 27 et le 28,un attroupement de jeunes étudiants s’est formé sur
la place de l’école de médecine, d’où il s’est rendu chez M. de Lamen-
nais pour le complimenter au sujet de sa condamnation. De retour au
lieu d’où ils étaient partis, ces jeunes gens se sont séparés en poussant
des cris de désordre. Il est triste de voir cette jeunesse inexpérimentée
trahir ainsi la confiance des parents qui envoient leurs enfants à Paris
poi r se préparer par l’étude et le travail un avenir honorable, et non
pour être des partisans ou plutôt d’aveugles instrumentsde troubles.
(Corresp.)
— Le petit Manteau bleu si connu, si populaire par sa bienfaisance,
continue de distribuer des vêtements et des aliments. De tous les points
de la France on lui adresse des demandes d’argent auxquelles ilnepeut
satisfaire, obligé qu’il est de limiter scs libéralités aux distributions
quotidiennes qu’il fait directement aux pauvres.
4 heures du soir. — Le ministre des finances descend de la tribune
où il vient de faire connaître les besoins du trésor d’après la situation
où le pays se trouve par suite du traité du 15 juillet :
Emprunt de 450 millions, avec publicité et concurrence.
Budget des dépenses pour 1842, la somme de 1516 millions.
De plus annonce de demandes de crédits pour travaux extraordinai-
res, ce qui porte ce budget à 1400 millions.
Entretien d’une armée de 495,000 hommes.
Constructions navales tant pour navigation à la voile que pour navi-
gation à la vapeur, 220.
L’effet de ces mesures sur la bourse a été nul; il y a eu même pour le
5 pour cent une légère hausse de 10 centimes sur le cours d’hier.
bulletin df, la bourse. — On s’occupait beaucoup à la petite bourse
de Tortoni de la nouvelle que le ministre des finances ne demanderait
pas un emprunt spécial, mais seulement l'autorisation de créer des
rentes. On en concluait que le gouvernement n’aurait pas besoin d’ar-
gent avant au moins 5 mois, et que dans tous les cas, on ne négocierait
pas les 500 millions à la fois, mais que l’on opérerait par emprunts par-
tiels au fur et à mesure des besoins.
Cette manière d’expliquer le plan du ministre a donné lieu à des achats
assez considérables avant l’ouverture du parquet. Mais il y a eu peu
d’affaires pendant toute la bourse et la hausse n’a pas fait de nouveaux
progrès.
Le 5 p. c. fermé hier à 76 50 a ouvert à 76 60. On a fait 76 75 et l’on
ferme à 76 60. _
Après la bourse, le5 p. c. français était à 76 55.
Le 5 p. c. fermé hier à 110 50 â ouvert à 110 70, on a monté à 110 85 et
l’on reste à 110 70.
La banque de France était cotée à 5220. La banque de Belgique à 900.
Le 5 p. c. belge à 97 1(2. La rente de Naples à 100 70.
Exécution de Barbier.
Jean-Charles Barbier, condamné à la peine de mort par la cour d’as-
sises de la Seine, pour crime d’assassinat sur la personne de Louise
Guidet sa maîtresse, a subi sa peine aujourd’hui, place de la barrière
Saint-Jacques.
Barbier qui ne s’était pourvu en cassation qu’après de vives instances
de la part de son défenseur, avait obstinément refusé de signer une de-
mande en grâce. 11 y a quelques jours encore, sa sœur et le directeur
de la prison lui faisaient espérer que peut-être la clémence royale pour-
rait s’étendre sur lui. Il a résisté à toutes les instances. « Je ne mérite
pas de grâce, disait-il ; mes antécédents ne sont pas assez bons pour
cela: j’ai mérité la mort; il faut que j’expie mon crime. »
Depuis sa condamnation. Barbier recevait de fréquentes visites de
M. l'aumônier des prisons, et il paraissait épouver un grand soulage-
ment des consolations que lui donnait le vénérable ecclésiastique; il
rappelait souvent les circonstances du crime de l’île Louviers, et il ne
pouvait parler de sa victime sans émotion. « Elle était bien belle, disait-
il, pour mourir si jeune. »
C’est ce matin à six heures que M. Dupressoir, greffier de la prison,
s’est présenté dans le cachot du condamné pour lui annoncer que son
pourvoi en cassation avait été rejeté. « Je sais ce que cela veut dire,
a-t-il répondu... quand on voudra. » Puis il a demandé un verre de vin
qu’il a bu d’un trait.
Après un court entretien avec M.l’abbé Montez, Barbier a été conduit
à la chapelle où il a récité, dans un profond recueillement, la prière des
agonisants.
A sept heures l’exécuteur et ses aides sont arrivés, et le patient leur a
été livré pour les tristes préparatifs du supplice.
Barbier s’est avancé avec calme mais sans forfanterie, et sans dire un
mot il a présenté ses mains aux liens que tenait l’exécuteur. Comme on
voulait lui couvrirles épaules avec sa blouse : « C’est inutile, a-t-il dit,
je n’ai pas froid. ii
En quittant la prison. Barbier a remercié M. le directeur Becquerel
des soins qu’il avait pris de lui, et après avoir embrassé l’aumônier de
la prison, il l’a prié de distribuer à quelques-uns de ses camarades une
petite somme d’argent qu’il avait au greffe.
Durant le trajet, Barbier a religieusement écouté les exhortations de
M. l’abbé Montez. Arrivé près du pont d’Austerlitz, non loin de l’île
Louviers. « C’est là, a-t-il dit avec un soupir, c’est là que je me suis
perdu. » .
Malgré le mauvais état du chemin, le trajet a été fait rapidement, a
huit heures et demie le cortège arrivaitau lieu de supplice.
Barbier s’est agenouillé, a baisé le crucifix. « Embrassez-moi, a-t-il
dit au prêtre ; ce n’est point un baiser de Judas. Je suis content de moi,
Dieu me pardonnera... Puis avant de courber la tète sous la hache, il a
ajouté: « Adieu, mes amis, plaignez-moi ! » Une seconde après U
n’existait plus.
Trois cents personnesau plus étaient réunies autour de l’échafaud.
(Gazettedes Tribunaux).
Hotice historique sur les fortifications de Paris.
Très souvent déjà Paris a été fortifié. Jusqu’à présent, pour tous les
états, les places fortes ont été nécessaires comme les armées. Noussom-
mes encore loin du temps où les peuplesde la terre seront unis au point
de n’avoir jamais à se défendre les uns contre les autres, où tous les in-
térêts identiques et confondus contraindront chacun à faire le bien de
tout le monde, et tout le monde celui de chacun. Alors les mots nation,
nationalité, patrie, patriotisme,ne seront plus que des renseignements
historiques. Il y aura une seule terre habitée par des hommes qui se
traiteront en frères;toutes les contrées s’ouvriront librement et joyeu-
sement au parcours amical detous; les villes n’auront point de portes et
les palais point de gardes : car on ne connaîtra plus l’octroi, ni.... Mais
laissons là ces impossibles chimères :
Dans les Sociétés comme elles sont,continuellement réduites à s’atta-
quer pour la violation de leurs droits territoriaux ou autres, il faut une
défense nationale, composés d’obstacles matériels, les montagnes, les
fleuves ou les forteresses, et de forces animées et mobiles, les armées.
Donc Paris fut d’abord renfermé dans une île que l’on appelle encore
aujourd’hui la Cité : les abords de cette île étaient fortifiés de murs et
de tours ; la rivière gardait le tout comme un énorme fossé toujours
plein. Il n’y avait point alors une France proprement dite ; c’était du
Nord au Sud un partage de petits royaumes en assez mauvaise harmo-
nie. Au neuvième siècle, la cité avait passé l’eau ; elle s’était agrandie,
ainsi que l’état fondé par Clovis, auquel elle servait de capitale ; la fa-
millede Charlemagne avait régné. Les Normands vinrent attaquer Pa-
ris au nombre de quarante mille hommes ; mais le courage de ses habi-
tants les sauva, et l’intrépide chefdes Parisiens. Hugues, reçut, avec la
couronne ôtée par eux à Charles-le-Simple,l’ordre exprès de fortifier
leur ville, ce qu’il fit au moyen d’une seconde enceinte qui allait, d’une
part, du Pont au Change à Saint Gervais, et comprenait Saint-Jacques-
la-Boucherie. Saint-Merry, Saint-Jean-en Grève, et une partie de Saint-
Germain-l’Auxerrois, bourg formé autour d’autant d’abbayes ; tandis
que sur l’autre rive elle enfermait un faubourg dont l’abbaye de Saint-
Benoit composait l’extrémité.
En 1190, Philippe-Auguste donna une charte aux Parisiens, alors con-
stitués en commune puissante et reconnue, et cette charte portait la
condition qu'ils veilleraient eux-mêmes à la défense de leur ville, con-
sidérablement augmentée. De la charte de Philippe-Auguste date la
troisième enceinte, faite de murs ayant huit pieds d’épaisseur, crénélés
et défendus par cinq cents tours, avec vingt-quatre portes. Elle com-
mençait, d’une part, aux fossés du vieux Louvre, et, traçant à peu près
un demi-cercle, allait finir vers le pont Marie ; de l’autre, par un circuit
semblable, elle prenait de la Tournelle au lieu où se trouve maintenant
le pont des Arts. Des tours plus hautes et plus grosses que les autres
défendaient les quatres points exposés au passage de la rivière. La fa-
meuse tour de Nesle en était.
En 1555, après la bataille de Poitiers, une des époques critiques de
notre histoire, où nous eûmes un roi pris qui s’appelait Jean-le-Bon, la
la commune de Paris fit commencer la 4* enceinte. La noblesse voulait
s’y opposer ; mais les bourgeois la chassèrent, et seize d’entre-eux furent
chargés, au nom du peuple, de l’exécution des travaux de défense. Cet-
le quatrième enceinte finit par devenir à peu près triple de la troisiè-
me. Son fossé était profond de trente pieds. Douze ans après qu’on
l’eut commencée, Charles Y fit bâtir la Bastille, une sage prévoyance
de ce monarque justement surnommé.
Sous Charles IX. on entreprit une cinquième clôture, continuée sous
Henri III et qui devait être bastionnée dans toute son étendue. Ce fut
celle que trouva Henri IV quand il vint assiéger Paris, et qu’il détruisit
en grande partie, après que la famine lui eut livré la ville. Ce monument
de la défense populaire déplaisait au roi qui faisait pendre les paysans
pour un lapin tué. — Henri IV ? — Oui, Henri IV. — Allons donc ! Celui
qui voulait que chaque paysan pût avoir la poule dans son pot? — La
poule, oui ! mais pas le lapin, à ce qu’il paraît. La poule au pot, voyez-
vous, est à mettre avec tout ce que les historiens officiels inventent
pour flatter ceux qui les paient.
En 1672 une ordonnance de Louis XIV détermina l’enceinte finale de
Paris. Trente ans plus tard, après le traité de paix de Byswyck, le maré-
chal Vauban soumit àce roi un plan de fortifications à établir autour de
la ville, devenue immense. Enfin, en 1782, la ferme de Paris, d’après le
projet de Lavoisier, fit élever le mur d’octroi que nous avons mainte-
nant. , . .
En 1792, à l’heure du plus grand danger que la France ait jamais cou-
ru, il y eut une tentative de fortification qui se borna à l’établissement |