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1841. — M.° 10.
AXVÆItS, Dimanche 10 Janvier. ëlvlèiue Année.
LE PRÉCURSEUR
On s’abonne : à Anvers au bureau
du PRÉCURSEUR, Bourse Anglaise,
N.* 1040 ; en Belgique et J l’étranger
•bec tous les Directeurs des Postes.
JOURNAL POLITIQUE
COMMERCIAL. MARITIME ET LITTÉRAIRE.
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vince, 18 frs.; pour l’étranger,20 frs*
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1O janvier.
CHARITÉ PUBLIQUE. — SOUSCRIPTIONS EN
FAVEUR RES INDIGENTS.
L’hiver, en ramenant la saison des fêtes, ramène aussi la saison de
l’aumône. La presse fait ce qu’elle peut pour stimuler la chanté; mais
elle ne peut pas tout faire, quoique la crainted’imporluner ses lecteurs
ne doive jamais l'arrêter en pareils cas. Les malheureux sont loin d'être
tous secourus : ou a trop 1 habitude de diriger ses dons du même côté,
du côté où la honte de mendier n’est pas assez forte pour rester qua-
rante-hui t heures renfermé chez soi sans avoir eu le plus petit mor-
ceau de pain noir à manger, comme cela n’arrive que trop souvent ! —
La difficulté est de découvrir ces pauvres honteux réduits au désespoir
et sur le point de se livrer à toutes les suites de cette horrib e position.
Que les hommes charitables redoublent de zèle pour remplir la bulle
mission uu ils ont à remplir dans celle circonstance. Que ceux qui ont
déjà contribué à la leur faciliter, apportent de nouvelles offrandes,
leurs économies faites aux dépens des plaisirs du carnaval qui seront
toujours assez grands.
On nous annonce plusieurs fêtes auxquelles le public Anversois ne
manquera pas de se rendre pour faire une bonne action. — Mais qu’on
se dépêche, el qu’on ne perde pas un temps précieux en projets. — Et
bientôt on aura acquis la conviction que ce n’est jamais à un défaut de
sympathie pour des infortunes quelconques, ou à une mesquinerie qui
n’est pas. Dieu merci ! dans le caractère anversois. qu’il faut attribuer
certaines apparences d indifférence,mais bien au défaut de direction.—
Que les autorités, locales paient de leur personne; qu’elles ne se considè-
rent pas dans celle circonstance comme de simples particuliers devant
suivre l’impulsion au lieu de marcher à sa tête, et les résultats seront
tout autres que ceux qui ont été obtenus jusqu’ici. — Ce n’est pas que
nous ayons des reproches à adresser, loin de là, car toutes ces réflexions
sonl falies sans la plus pelde intention malveillante; mais nous les re-
commandons à tous ceux dont l’influence peut enfanter des prodiges
lorsqu'il s'agit d une si belle cause à défendre, le soulagement de I hu-
manité souffrante. El,comme toujours, notre offrande se trouve prête,
lorsque nous n’avons pas d’arrière-pensée sur le bon emploi qu’on
peut en faire, sur la fausse destination qu'on peut lui donner ; car,
nous le répétons, nous professons la plus haute répugnance pour ces
aumônes arrachées à force d’importunité par ces gens qui font de la
mendicité une profession et qui souvent dans ces moments de calamité
recueillent en un jour ce qui suffirait à la subsistance de toute une fa-
mille pendant des semaines entières.
CONSEIL COM VIU N AL.
Séance du ü janvier.
ORDRE DU JOUR. — publicité obligatoir*.
Crédit de fr. 379,83 pour prime de bâtisse au quai.
PUBLICITÉ FACULTATIVE.
t.» Inscription des noms des rues. — Rapport de la commission.
î.» Location d’une propriété communale.
3. » Cahier de charges du marché au poisson. — Rapport de la com-
mission.
4. » Entretien général. — Cahier de charges. — Rapport de la com-
mission.
5.0 Cahier de charges pour les travaux de la tour. — Rapport de la
commission.
6.» Cahier de charges pour l’entretien des pavements.
7.0 Communication des plans des chemins vicinaux de la 5« section.
Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté.
On accorde sans discussion le crédit de fr. 37y,88 pour prime de
bâtisse d'une propriété au quai.
M. De Vinck donne ensuite lecture du rapport de la commission
sur l’inscription des noms des rues.
Nous avons remarqué avec plaisir parmi les changements des noms
de quelques rues, proposés par la commission, celui de la substitution
de rue de Bonaparte à la dénomination de rue de la Place-Verte
que portait depuis quelques années le marché aux Souliers.
La commission propose de même d’appeler place de Quinten-
Metsys, le Marché aux Gants.
Sur la proposition de M. Hermans, on décide que le rapport de la
commission sera déposé à l’inspection des membres du conseil avant
la discussion.
L’objet suivant, de l’ordre du jour, est renvoyé à une autre séance.
M. Nmels fait le rapport de la commission sur le cahier de charges
du Marché au Poisson. Les conclusions de la commission tendent à
l’adoption du cahier de charges, sauf la construction de personnes dans
le mur du côté sud, qui se trouvent dans leplau et dont quelques mem-
bres de la commission demandent la suppression comme étant jugées
inutiles.
Un fort long débat s’engage sur cette remarque de la commission
donl l’avis est a la fin partagé par une majorité de 13 voix contre 10.
— L'ensemble du cahier de charges ainsi modifié est ensuite adopté
par JO voix contre7.
M. Smets, lit le rapport de la commission sur le cahier de charges
pour l’entretien générale! decelui pour les travaux de laTour.Ces rap-
ports sont adoptés.
L'objet suivant de l’ordre du jour, est renvoyé à la commission des
travaux publics, pour que rapport en soit fait à la prochaine séance.
M. le président propose ensuite de déposer au secrétariat pendant
8 jours les plans des chemins vicinaux, pour que les membres du
conseil puissent inspecter ce travail. Cette proposition est adoptée.
Le conseil continue ensuite sa séance a huis-clos.
RES TRAITÉS DE COMMERCE ET DE NAVI-
GATION.
L’organisation industrielle qui prédomine en Europe depuis la con-
clusion de la paix générale a donné naissance à un assez grand nombre
de traités de commerce et de navigation. Autrefois ceux-ci étaient
subordonnés aux traités purement politiques et ils en étaient générale-
ment la conséquence. De nos jours, ils sont en quelque sorte l’objet
principal des négociations internationales et ils acquièrent une nou-
velle importance.
Ces traités sont loin d'être uniformes, ils se ressentent toujours des
intérêts comp’exes qui les ont dictés. S'ils étaient fondés sur les mêmes
principes leur inutilité deviendrait palpable, car on leur substituerait
alors aisément un droit commercial public qui simplifierait tous les
rapports mercantiles avec les peuples. Cette révolution esl peut-être
réservée à l'avenir; quant a présent on cherche à favoriser le com-
merce extérieur autant que possible par des arrangements préparés
par les agents consulaires, par la diplomatie, et ratifiés par les gou-
vernements respectifs.
Dans cette situation, si l’on examinait l'esprit des principaux traités
de commerce conclus par la Belgique avec les puissances étrangères,
on verrait qu’ils sonl loin d'avoir la précision qu'on pourrait leur dé-
sirer. Ceslrailésse rapportent souvent à des conventions anciennes,
ne règlent quelquefois que des intérêts partiels, ne sont faits que pour
un temps limité et conservent dans certains cas leur force même après
l’expiration des délais fixés. D'autrefois aussi celle expiration ramène
les anciens usages, el après avoir joui pendant quelque temps d’avan-
tages et de libertés déterminés, on rencontre les entraves dont on se
croyait à jamais débarra'Sé.
L’examen de nos rapports avec l'Angleterre nous fait voir que nous
n'avons jamais pu nous créer d’étroites relations avec lui malgré son
voisinage. Sa législation exclusive, donl l'acte de navigation élait le pre-
mier jalon, s’est toujours opposée à des concessions mutuelles. L An-
gleterre ne veut point déroger à un système qui n’est plus de noire
temps, malgré nos concessions si favorables au commerce extérieur,
en général. Cel élat de choses a été plus propre à perpétuer des situa-
tions hostiles el de constantes rivalités qu’à opérer uu rapprochement
commercial.
Nous nous sommes déjà expliqué plusieurs fois sur la valeur des
espérances que nourrissent quelques hommes d Etat, pour opérer un
rapprochemenl commercial eoire la Belgique et l'Angleterre. Ces es-
pérances nous paraissent complètement illusoires à cause de la simili-
tude du résultat que les deux pays poursuivent en même temps, à
cause de la contradiction des systèmes qu’on persiste à garder de part
et d’autre. Le gouvernement belge croit à l'intluence favorable aux
progrès de l’industrie, de la franchise ou des droits modérés; l'Angle-
terre, pour sou compte, croit à la nécessité de protéger son industrie
par des restrictions et des droits élevés. Nous cherchons à développer
noire commerce extérieur et nos efforts tendent à approvisionner une
portion du globe de nos produits manufacturés. La Grande-Bretagne
n'a pas d'autres vues. Elle doit surtout contrarier nos efforts, comme
nous pourrions contrarier les siens. Cette position respective constate
l'impossibilité d un rapprochement. Nous aurions beau conclure avec
l’Angleterre de nouveaux arrangements, nous n'en obliendrions ja-
mais de concession importante, aucune réduction sensible sur leurs
droits élevés.
La Hollande vient de conclure avec l’association allemande un traité
qui a tous les caraclères d’un arrangement commercial sérieux . qui
offre des avantages réels durables aux deux pays el qui pou -rait ser-
vir de modèle aux transactions de même genre. C'e<l sur cette base
que nous aurions besoin de traiter avec la même association. En effet,
il y a eu des concessions réciproques qui assurent des facilités à cha-
cun des contractants. La Hollande reçoit des produits manufacturés
de l’Allemagne à des conditions très favorables. Les tissus de soie
payent 4 fr. 45 c. par kilogramme ; la bonnetterie et les tulles 5 Ojo
de la valeur; la quincaillerie 3 0|q de la valeur. Pour ce dernier arti-
cle, l’Allemagne est le pays le mieux traité par la Hollande. La loi sur
les céréales a été modifiée pour favoriser l'exportation des blés de la
Prusse Orientale. On y a conservé, ils est vrai, des droits gradués ;
mais l’association allemande paie 10 0|o de moins que les autres na-
tions. Les vins du Rhin ;:e paient que 10 cents par hectolitre et 5 fl.
par 100 bouteilles. Les droits sur les bestiaux, les beurres et les fro-
mages. ont été réduits de moitié en faveur des provenances allemandes.
De son côté.l'association consent à recevoir les sucres lumps de la Hol-
lande au droit de fr. 18-73, moitié moins que ceux des autres nations,
c’est-à-dire seulement 10 0|o de plus que pour les sucres bruts. Celte
clause excluera presque entièrement les sucres des colonies anglaises.
Les 50 k. de sucre raffiné de la Hollande ne paieraient que 38 fr. et
la même quantité de riz des colonies anglaises, que7 fr. 42 centimes.
Le traité qu'Hambourg vient de conclure avec l'association est abso-
lument fondé sur les mêmes bases, et il n’est qu'un acheminement
vers l'adjonction définitive des villes anséatiques à l'union allemande.
Voilà certes des mesures efficaces pour faciliter les transactions entre
les deux pays. On ne s’esl pas tenu aux anciennes formules qui éta-
blissent la réciprocité el qui ne sont, en dernière analyse, pas autre
chose que la constatation de l’état de paix. Celle réciprocité laisse tou-
jours subsister les tarifs existants el ne lève aucune entrave. Les traités
de nations européennes, à l'exception de la nôtre, entre elles ont pres-
que tous été rédigés de cette manière. Nous avons bien fait de n'avoir
pas suivi en général la même marche avec les nations étrangères ; ce
procédé ne saurait conduire à aucune réforme sérieuse du régime qui
gouverne les commerces internationaux.
CÉRÉALES.
L'exposé des motifs à l’appui du projet de loi sur les céréales, pré-
senté par M. le ministre de l’intérieur, et que nous avons publié, con-
tient les données statistiques, suivantes :
Non-seulement, la récolte des céréales cpii forment la base de notre
alimentation, n'otl're pas d’excédant à exporter, mais depuis dix àns,
le pays consomme, ou ce qui est la même chose, a besoin de consommer,
année commune, pour 12 à 1,300,000 francs de grains, de froment et de
seigle étrangers Ce chiffre peut même être considéré comme dé beau-
coup au-dessous de la réalité, car il a été obtenu en évaluant (d’après
le taux admis dans les tableaux officiels du commerce belge), le froment
à fr. 16 les 100 kil. et le seigle à fr. 10; ce qui, évidemment, esl inférieur
aux prix réels. En évaluant, et on peut le faire pour plus d’exactitude,
le prix commun du froment à fr. 23 les 100 kil., et celui du seigle à fr.
20 on trouve que, déduction faite de nos exportations en froment et en
seigle, nous avons consommé annuellement pour plus de 2 millions de
francs de ces céréales tirées de l’étranger.
Cette assertion étonnera tous ceux qui se rappellent que vers la fin
du siècle dernier , on croyait encore que les deux Flandres exportaient
à elles seules, année commune. 3 10,000 hectolitres de froment et de sei-
gle, et que le Brabant et le Hainaut se trouvaient probablement dans
des conditions analogues ; on s’en étonnera d'autant plus que. depuis
celte époque, le défrichement des bois et des bruyères. les progrès de
l’industrie agricole dans plusieurs provinces, l’abandon du système su-
rané des jachères, la facilité des communications et plusieurs autres
circonstances ont dû augmenter considérablement et ont augmenté en
réalité les produits de nos riches campagnes.
— Ah ! dit la mère avec véhémence, quel déplorable rôle aurais-je
donc choisi ? Quoi ! vous supposeriez qu’il y ait au monde un autre in-
térêt que celui de la vie de son enfant, pour porter une mère à de telles
démarches ? mais j’aurais préféré mille fois me jeter au feu pour elle !
Sacrifier toute dignité, perdre ma propre estimé ! Ah ! il faut que la vie
de ma fille en soit le prix !
Arthur, muet, immobile, se sentait fasciné par ces deux femmes. La
beauté enchanteressede la jeune folle,les énergiques paroles de l’amô.uf
maternel en délire, lui fesaient éprouver des impressions magnétiques
dont il ne pouvait se rendre compte.
— Ne nous craignez pas, dit la mère, mais aimez-ta, ou du moins
qu’elle le croie ; qu’elle vous voie et vous entende, cela suffira pour lui
rendreun calme que nous mettrons à profit pont la ramener à la raison.
— Madame, dit Arthur ébranlé, et se défiant peut-être plus encore de
lui-mème que d’elle, la demi-heure est écoulée; on m’attend chez mot,
il faut que je parte, et il jeta un regard de douce pitié sur la folle qui
se jeta entre lui et la porte.
— Je reviendrai, je reviendrai bientôt, dit-il en s’esquivant, tandis
que des sons plaintifs remplissaient l’appartement qu’il venait de quitter,
lise promit de ne parler à personne de cette bizarre aventure, déjà même
il l’avait en partie oubliée, lorsqu’à huit jours d’intervalle, il fut encore
abordé par la même femme dont la profonde tristesse le frappa sans te
surprendre.
— Vous ne reviendrez pas, dit-elle, et ma fille mourra ! et je. mourrai
aussi avec elle! Oh ! personne ne survivra pour vous faire des repro-
ches ; votre conscience seule vous demandera compte d'une vie dont
vous étiez l’arbitre.
— Madame. je dois vous avouer t’extrême perplexité où je suis ; J'ai
des sentiments qui ne me permettent ni d’être votre dupe, ni de vous
tromper. Ma probité, mon honneur, m’obligent à vous déclarer que si
j’évite la vue de votre fille, c’est parce qu’elle m’a fait une impression
assez vive pour que j’en redou te les suites ; je pourrais l’aimer, et cette
passion Serait fatale à tous deux ; je tiens à remplir les vues de ma fa-
mille, et je dois faire uri mariage de son choix.
— Ah ! s’écria la mère avec désespoir, ce que je vous demanda pour
elle, si naïve et si pure dans sa funeste exaltation, ce n’est qu’une illu-
sion de cœur, qu’un aliment à son imagination trop ardente. Si voua
l’aviez vue vous regretter, vous attendre- avec calme et confiance peb-
dant quelques heures ! si vous la voyiez à présent dans un désespoir'
morne et déchirant qui mé navre le cœur, vous en auriez pitié 1
— Elie souffre donc réellement ? dit Arthur. Je vous suis alors ; ad*
vienne que pourra, (La mite au prochain numéro.)
FEUILLETON.
LE BOUTON DE ROSE.
Parmi les auditeurs de l’un des concerts où l’on va pour tuer le temps,
sous prétexte d’entendre de la musique qu'on se garderait bien d'écou-
ter, était un jeune officier qui, à la scintillante lumière des lustres, rêvait
soleil el printemps, grâce à un frais bouton de rose tombé d’une blan-
che main dans la sienne.
Etait-ce là tout ce qu’il avait obtenu? l’histoire n’en dit rien. — Etait-
ce le souvenir ou l’espérance qui se mêlait à ce suave parfum pour eni-
vrer notre héros ? N’importe! avant de connaître ses secrets, il faut au
moins savoir son nom. — Or, ce jeune hora était Arthur de Neubourg,
depuis six mois à Paris, où il dépensait librement sa jeunesse et sa for-
tune.
Il fut tiré de sa voluptueuse rêverie par le son d’une voix timide et
suppliante, d’une voix de femme qui disait: — Monsieur, j’ai une grâce
à vous demander. — C’était une femme de ce certain «;/e si peu avoué :
une simplicité extrême était la seule chose remarquable en elle.
— Parlez sans crainte, Madame, que voulez-vous ?
— Me donneriez-vous ce beau bouton de rose !
— C’est un vrai sacrifice que vous demandez là, dit Arthur en souriant
avec un peu de fatuité peut-être; — mais s’il vous fait tant de plaisir...
— Merci ! Vous êtes*bon, cela m’enhardit el m’encourage; oui, j’oserai
vous demander de vouloir bien me recoud uire chez moi. Ah ! dit-elle d’un
ton de dignité offensée, de la pitié, mais pas de mépris! Je suis si mal-
heureuse ! — son émotion lui coupa la parole.
Arthur regarda sa montre; — J’ai une demi-heure à moi, cela vous
suffit-il ?
— Oui ! suivez-moi, je passe la première pour la préparer à vous voir.
Elle l’introduisit peu de moments après dans une assez belle maison.
Arrivés au troisième étage, elle le pria d’attendre dans une antichambre,
et revint un instant après lui ouvrir la porte d’un appartement dont
l’ameublement annonçait une aisance qui ressemblait au luxe. Là, Ar-
thur reconnut son boiiton de rose entre les mains d’une jeune fille aussi
fraîche, aussi belle que la fleur dont elle aspirait avec délices la douce
odeur. Sa beauté avait un éclat saisissant, dont Arthur ressentit toute
t’influence; enfin, rompant ce charme fascinateur, il interrogea ta mère
du regard.
— Voilà, dit-elle, la personne pour laquelle je vous ai améné ici.
— Parlez donc, Mademoiselle, dit Arthur; que puis-je pour votre ser-
vice !
Elle ne répondit pas, et continua à respirer avec une joie naïve la dé-
licieuse odeur de la belle rose.
— Mesdames, dit Arthur stupéfait, je commence à croire que vous
voulez vous amuser âmes dépens, et m’intriguer sans masques;je
trouve que cette plaisanterie s’est assez prolongée... En achevant ces
mots, il voulut se retirer; mais la jeune fille, qui n’avait pas encore par-
lé, fit un mouvement convulsif, et debout, les yeux enflammés, la con-
tenance fière et impérieuse, elle lui fit signe de rester.
La mère se jeta en pleurant aux genoux d’Arthur : — Ce mouvement
vous apprend ce que je n’osais dire, s’écria-t-elle ! le fatal secret vous
est enfin connu ! ma pauvre fille, vous la voyez !... elle est folle !
Arthur frissonna.
La jeune fille, absorbée par la rose et l’aspect d’Arthur, semblait ne
pas comprendre sa mère,
— Oui ! elle est folle ! et c’est vous qui en êtes la cause involontaire.—
Elle vous a vu souvent... vous ne l’avez jamais remarquée, occupé que
vous étiez de la personne chez laquelle ma pauvre fille vous rencontra
tout un hiver. Elle ne vit que vous au milieu de la foule. Vous ne regar-
diez que la femme frivole dont la vanité jouissait de vos hommages, en
proportion de la jalousie qu’ils pouvaient inspirer, et qui prenait plai-
sir à exalter sa froide imagination, en déchirant le cœur de ma fille,
par le récit de vos assiduités et de vos soins. — Trop douloureusement
frappée par ces funestes confidences, sa tète se troubla comme son
cœur. De toutes ses facultés, elle n’a conservé que celle d’aimer. — J’ai
d’abord ignoré son mal, j’aurais voulu pouvoir en douter toujours. —
Monsieur, comprenez-vous ce que c’est que le dévouement d’une mère!
Eh bien1 * 3 4 si vous savez comprendre cel immense, cet égoïste amour,
vous concevrez peut-être que rien ne pùt me paraître impossible pour
sauver ma fille! Après avoir éprouvé l’insuffisance de tous les soins, de
tous les secours, j’immolai toute dignité, tout scrupule, pour recourir
au seul remède efficace ! Votre présence avait fait le mai, c’était votre
présence qui seule pouvait le réparer ! Oh ! combien i! m’en a coûté
pour vaincre mes répugnances, cette réserve, cette délicatesse que
l’instinct naturel et les habitudes de toute une vie m’avaient rendues
inhérentes ! — Je les surmontai par amour maternel, et je me suis vouée
dès lors à la plus étrange mission qu'ait jamais pu remplir une mère !
Je vous ai cherché! je vous ai suivi; je savais bien devoir vous rencon-
trer, et je n’ai osé vous demander d’abord que ce bouton de rose.
— Je ne comprends rien à tout ceci, dit Arthur, et ne puis guère y
voir qu’une mystification ' |