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1875-1876
N° 11.
2e AnNÉE.
ABONNEMENTS
Belgique: fr. 2 5-00.—Etranger: fr. 28-00 (Port en sus.)
L’Année parue:
Belgique: fr. 30-00.—Etranger: fr. 33-00(Port eu sus.)
DIRECTION :
Rue Cans, 22, Ixelles.
L’ÉMULATION
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE
D’ARCHITECTURE
-- DÉPOSÉ —
DE BELGIQUE
— DÉPOSÉ —
ANNONCES A FORFAIT
S’adresser rue des Palais, 193
SCHAERBEEK.
RÉDACTION:
Rue des Quatre-Bras, 5, Bruxelles.
— 91 —
— 92 —
— 93 —
Bruxelles, Juillet 1876.
SOMMAIRE:
L’architecture contemporaine (Suite). — Bibliographie. —
Faits divers. Correspondance. — Bordereau de prix,
(Peinture).
L’Architecture contemporaine.
(Suite.)
Nous nous sommes efforcés, dans notre premier
article, de combattre cette fâcheuse affirmation :
L’architecture n’a pas fait de progrès ; l’honorable
correspondant de la Fédération artistique disait,
dans la première partie' de son intéressante étude sur
l’Architecture en Belgique, que de tous les arts l’ar-
chitecture est celui quia fait le moins de progrès.
Dans toute cette partie de son étude nous avons
vainement cherché un argument ; nous n’y avons
trouvé que cette désolante affirmation : N'est-il pas
bien plus vrai de dire que, malgré les efforts des
artistes qui nous ont précédés, malgré les créations
géniales des Grecs et des Saxons, au lieu de conserver
même les progrès acquis, l’architecture marche vers
une décadence, vers l’anarchie, vers une véritable
cacophonie artistique ?
Nous n’essayerons pas de prouver que l’architec-
ture a fait plus ou moins de progrès que la sculpture,
la peinture, la gravure, etc., etc.; — pour cela il fau-
drait une plume plus autorisée que la nôtre, et un
volume au lieu d’une colonne de journal.
Nous constaterons seulement que, si l’on peut quel-
quefois accuser les architectes de plagiat, nous avons
souvent entendu dire des peintres : M. X... fait des
Diaz ou des Corot, etc. ; comme souvent l’on a dit de-
vant nous, d’œuvres sculpturales : ajoutez à la Venus
de Milo les bras qui lui manquent et vous aurez la
statue du sculpteur Y. etc.
Dans tous les arts il y a donc des plagiaires et des
copistes ; ce n’est donc pas à l’architecture seule que
doit s’adresser cette accusation, et nous affirmons
qu à ce point de vue les architectes sont les moins ré-
préhensibles de tous les artistes; ceci est presque un
axiome.
Cela dit, examinons le second point soulevé par le
correspondant de la Fédération artistique. L’Archi-
tecture EST, DE TOUS LES ARTS, LE MOINS BIEN EN-
SEIGNÉ. Voilà une question soulevée d’une façon
un peu hardie, car elle est des plus difficiles à discuter ;
il faudrait une etude spéciale de cette question émi-
nemment importante, car il ne suffit point de signaler
le mal, il faut indiquer, ou tout au moins chercher le
remède, après avoir déterminé les causes du mal
signalé.
Suivons cependant l’auteur de l’étude que nous
avons entrepris de discuter ; nous constatons avec lui
que l’on apprend à l’élève à copier, non de l’œil, mais
au compas et à l’échelle, les ordres grecs d’après Vi-
truve, c’est-à-dire d’après un traducteur, peut-être
convaincu, mais à coup sûr peu fidèle aux originaux.
Certes, c’est bien là le début des études d’architec-
ture, et nous reconnaissons l’exactitude des faits
signalés; mais nous ne trouvons pas là matière à re-
proche et nous avons la conviction intime que c’est au
compas, et non de l’œil qu’il faut apprendre, aux
commençants, le dessin architectural. En effet, la
base du dessin architectural c’est le dessin linéaire ;
en architecture point de ligne arbitraire, point de
contour fantaisiste ; la ligne droite et la courbe à un
ou plusieurs centres ne sont-ils pas évidemment les
premiers éléments de toute œuvre architectonique?
N’est-ce pas, donc, la marche à suivre pour les
études d’un élève architecte? Il est tout naturel, nous
semble-t-il, de lui enseigner la manière de se servir
de la règle, des équerres et du tire-ligne, comme au
jeune peintre, la façon de composer sa palette. En
employant la méthode reçue, l’élève apprend, outre
la manière de dessiner d’un architecte, à connaître
mathématiquement les proportions employées par les
grands maîtres qui nous ont précédés pour arriver
à créer les œuvres admirables dont l’image est placée
sous les yeux de l’élève qui forme à la fois sa main et
son goût, tout en enrichissant sa mémoire.
Mais où nous ne sommes plus du tout d’accord avec
l’auteur de l’article que nous examinons, c’est quand il
dit que ce n’est qu’au bout de quelques années d’étu-
des que l’élève entre dans la classe de composition, où
on lui apprend, non pas à composer, mais à copier, toujours à l’échelle et au compas, des modèles de com-
positions aussi banales, aussi simples que possible.
Là est l’erreur et l’exagération. Tous ceux qui ont
pu suivre les cours savent que dans la première année
de composition, l’on donne aux élèves des sujets aussi
simples que possible, évidemment, parce qu’il ne peut
venir à l’esprit de personne de demander à des débu-
tants, des projets de palais de justice, de théâtres,
d’hôpitaux, etc., etc., pas plus que vous ne demande-
rez, Monsieur, à un élève qui en est à ses premières
déclinaisons latines, une appréciation raisonnée sur
l’œuvre d’Homère ou de Virgile.
Après cette première année, passée à l’étude de
parties d’édifices ou même de monuments, de palais,
d’hôtels, etc., il est une seconde année de composi-
tion, pendant laquelle les élèves peuvent donner
cours à toute leur imagination dans la conception d’é-
difices importants.
Or, tout le monde sait que ces études comprennent
un premier croquis ou esquisse, qui se fait à main levée,
et du dessin à l’échelle et au compas qui n’est entamé
que lorsque l’esquisse est arrêtée. Voilà, nous sem-
ble-t-il, de quoi contenter l’honorable correspondant
de la Fédération s’il est convaincu du principe : abon-
dance de biens ne nuit pas ; voilà non seulement le
dessin à l’échelle et au compas, si sévèrement jugé,
mais le dessin à main-levée, le dessin de l'œil, comme
il le demande.
En outre, nous trouvons dans l’étude même que
nous analysons un argument en faveur du mode d’ensei-
gnement de l’architecture tel qu’il est professé, tel que
nous l’avons décrit ci-dessus : L’habitude de copier les
anciens est alors (quand ils ont fait leurs cours)
devenue si forte chez eux, que la plupart se mettent
à piller les modernes sans honte et sans vergogne.
Comment donc vouloir attendre de pareils élèves une
création quelconque, s'ils ont du goût, et il faut le
DIRE A la LOUANGE DES PROFESSEURS DE NOTRE ÉPO-
QUE, LA PLUPART DES ÉLÈVES DE NOTRE ACADÉMIE ONT
LE GOUT FORMÉ HEUREUSEMENT PAR LEURS MAITRES,
— et ils pourront arranger proprement quelques dé-
tails, innover quelque peu, mais jamais ils ne seront
de taille à poursuivre ces innovations, à les appliquer
à tout un ordre, de manière à en faire une surcréation
et surtout à en tirer une œuvre qui puisse passer à la
postérité.
Ainsi, cet enseignement de l’architecture, si répré-
hensible parce qu’il ne fait qu’apprendre à copier,
non de l’œil, mais au compas et à l’échelle, les ordres
grecs interprétés par Vitruve, cet enseignement, di-
sons-nous, produit des élèves qui, la plupart, ont le
goût heureusement formé !
Mais n’est-ce pas là tout ce que l’on peut attendre
de l’enseignement? N’est-ce pas tout simplement là le
but à poursuivre par les professeurs : former la main
et le goût des élèves.
Non, ô mon contradicteur, vous ne pouvez exiger
plus, et, quoique vous fassiez, vous ne trouverez per-
sonne qui demande autre chose, et surtout vous ne
trouverez jamais un professeur intelligent à qui vienne
à l’esprit d’inculquer à tous ses élèves, Yimagination,
la conception, l’esprit créateur enfin.
Et, bien qu’il ne soit plus nécessaire d’insister sur
ce point, j’ajouterai cette comparaison : parmi tant
d’élèves qui ont vécu dans l’intimité de Rubens, qui
ont cherché à s’échauffer à la chaleur de son génie,
beaucoup sont devenus de beaux dessinateurs, beau-
coup sont devenus des peintres habiles. Mais, parmi
eux, il ne s’est trouvé qu’un Van Dyck.
Ne cherchons donc pas à discuter ce principe : l’on
naît artiste ; et concluons : l’enseignement artistique
ne doit avoir pour but que de développer le sentiment
du beau et les facultés particulières de l'élève, en don-
nant à son imagination l’appui indispensable des ri-
chesses de la mémoire, de la pensée éclairée par l’ex-
périence, du goût formé par la comparaison.Nous ne
dirons pas, comme le correspondant de la Fédération :
l’Architecture est, de tous les arts, le moins bien ensei-
gné ; mais nous n’hésisterons pas à nous déclarer con-
vaincus que l’enseignement artistique est entièrement
vicieux. Qu’arrive-t-il généralement ? Ayant à peu
près atteint la fin des études qui feraient de lui, tout aussi
bien, un homme de lettres, un mathématicien ou un
commerçant qu’un artiste, l’élève se sent, tout-à-coup,
une certaine inclination pour la peinture, parce qu’il
a visité l’atelier de son oncle, ou de l’un de ses amis
ou parce que, dans son collége, on lui a trouvé quel-
que goût pour le dessin.
Il entre à l’Académie où il dessine pendant un an
des yeux, des nez, etc. ; bientôt il en a par dessus les
oreilles et, à la Suite d’une longue conversation dans
laquelle on lui a dit pis que pendre des artistes en
général, où l’on a déclamé sur le malheur des temps,
la nécessité de gagner de l’argent ; où l’on a raconté
tous les déboires de Monsieur X., qui collectionne,
dans son grenier, ses tableaux ou ses statues (génie |