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la cathédrale (1), c’est sa nef du XIe siècle et'les vitraux
du chœur qui datent du
XIIIe siècle.
Dans la même ville,
l’église de Notre-Dame du
Pré (2), nous a présenté
une nef bien intéressante,
tandis que l’église de la
Couture, malgré ses cu-
rieuses travées, nous a plu-
tôt désillusionné, car nous
nous étions forgé à son
sujet des illusions qui se
sont démenties (3).
La visite des édifices
de la ville du Mans pour-
rait nous entraîner à de
longues considérations :
— à propos des monu-
ments, nous pourrions
parler de ceux qui les ont
faits et de ceux qui les
habitent; nous pourrions
essayer de vous décrire la
Normandie et les Nor-
mands, à l’exemple d’un
éminent professeur d’un grand établissement artistique, qui
voulant caractériser complè-
tement les Belges, chez les-
quels il était resté bien peu de
temps, avait, tout en leur re-
connaissant beaucoup de qua-
lités, fait cette merveilleuse
découverte que nous aimions
trop à caresser la dive bou-
teille. — Il nous représen-
tait titubants! en appuyant
cette académique trouvaille,
de la grave autorité de Ta-
cite et de celle du cavalier
Guicciardini. Il est vrai que
d’un autre côté, il nous avait
trouvé gens roides, figés,
insipides, ternes, sans émo
tions, ni sentiments !
Nous ne voudrions pas
émettre sur ses compatriotes,
un jugement aussi téméraire ;
aussi ne doit-on attendre de
nous, ni appréciations sur les Normands, ni dissertations sur
leurs mœurs.
★
* *
VITRÉ, situé à 20 lieues du Mans, est la plus étrange cité que
l’on puisse rêver (4); resser-
rées entre les murs de son
enceinte encore debout, les
maisons se pressent l’une
contre l’autre en un chaos
bizarre; c’est un fouillis
de pignons de bois à grandes
saillies qui donne la vé-
ritable illusion du passé.
Le tout est dominé par les
tours du château très élé-
gamment restauré parM. Dar-
cy, architecte à Paris (8).
Outre celui-ci, Vitré montre
avec fierté l’église Notre-Dame qui date du XVe siècle
et qui possède un des rares
exemples d’une chaire exté
rieure.
Quelque temps avant no-
tre départ de Bruxelles un
de nos plus aimables con-
frères nous disait avoir tant
lu et relu d’écrits sur cette
ville, qu’il ne tenait guère
à y aller; il aurait désiré seu-
lement voir deux choses: une
cheminée de pierre (6) et un
escalier de chêne (7) qu’elle
possédait et qui valaient le
voyage; nous n’avons vu ni la
cheminée, ni l’escalier ; la pre-
mière était démolie et le se-
cond avail servi à cuire des
(1) D’après Viollet-le-Duc, V, 189, la nef du XIe siècle fut remaniée,
voûtée au XIIe siècle et primitivement couverte en charpente ; le choeur
date du XIIIe siècle; stvle mixte, français normand.
(2) Viollet-le-Duc, Dict. d'archit., V. p. 189. L’église Notre-Dame
du Pré, bâtie au XIe siècle, remaniée au XIIe siècle, fut couverte
primitivement par une charpente apparente.
(3) Viollet-le-Duc, Dict. d’archit., IX, p. 2b5. L église Notre-
Dame de la Couture, bâtie au XIIIe siècle sans bas côtés, subit l'influence
du style occidental ; le chœur date de la fin du XIIe siècle et le porche
du XIIIe siècle.
(4) Sur Vitré, le Maqasin pittoresque, 1875, p. 73; 1879, p. 89;
1869, p. 265.
(5) Encyclopédie d’archit., Paris, 1872, p. 21.
(6) Elle est figurée Mag. pitt., 1869, p. 265.
(7) Voir Mag. pitt., 1875, p. 193.
tripes à la mode de Caen; son possesseur, un charcutier,
en avait fait du bois à brûler. Notre excellent confrère répète
peut être encore à qui veut l’entendre, car nous ne lui avons
pas dit la triste vérité, que Vitré vaut le voyage, car elle pos-
sède une cheminée de pierre et un escalier de chêne!
Malgré ce contretemps, c’est avec regret que nous avons
quitté Vitré pour gagner le MONT SAINT-MICHEL.
* •¥•
Dès notre arrivée nous y avons ressenti les désagréments
du métier de conférencier: dans une causerie que nous avions
eu l’honneur de faire la veille de notre départ, à nos compa-
gnons de voyage, nous avions parlé des marées extraordinaires
dont la haie du Mont Saint-Michel est le théâtre.
Nous avions annoncé des millions de mètres cubes d’eau ! Nous
n’en avons pas vu goutte (1) ! Aussi dès l’arrivée chacun
témoignait-il son étonnement en voyant l’aride Sahara au
milieu duquel s’élevait triomphalement le Mont Saint-Michel.
Que c’était beau ! mais que c’était sec ! Et notre imagination
qui nous avait dépeint le Mont surgissant d’une mer en cour-
roux, comme la statue de l’espérance s’élevant inébranlable du
sein des tourbillons du monde! O désillusion, voilà de tes
coups !
La masse colossale du Mont dessinant une silhouette har-
die et se détachant sur un ciel sombre, a quelques chose de
sévère et de solennel ; à mesure que l’on approche, cette masse
grandit, saisissante; la tache devient maison, le point devient
arbre, le rocher se dresse et, dominant le tout, les bâtiments
de l’abbaye s’élèvent menaçants, témoins déchus de ce qui
fut la sentinelle avancée de la France, de ce qui fut la citadelle
du pouvoir monacal, de ce qui fut la prison d’Etat (2).
Etrange destinée de ces murs qui constituent aussi la mer-
veille de l’art abbatial et militaire français.
Nos voitures, après avoir franchi l’Avancée et la porte du Roi,
nous déposèrent vers 7 heures du soir, devant l’hôtel Saint-
Michel où nous attendait M. Corroyer, architecte du Gouverne-
ment français, spécialement chargé par celui-ci de nous gui-
der. Les présentations faites, M. Corroyer nous proposa une
promenade nocturne sur les remparts, ce qui fut adopté avec
enthousiasme. Chaque excursionniste, une lanterne à la main,
suivit notre aimable guide et ce fut bientôt comme un long
serpent d’étoiles qui émailla de ses replis capricieux, la face
sombre du Mont, faiblement éclairé par une lune pâle.
Nous nous en allions, montant sur la poterne, descendant
sur le chemin de ronde, au milieu d’un spectacle unique;
c’était, d’un côté, la vaste grève avec ses reflets glauques et de
l’autre le village endormi suspendu le long du roc, ses maisons
s’étageant pêle-mêle, ainsi que des frileuses, contre la roche
abrupte comme pour demander à la nature un abri contre les
violences de l’air.
« Tout vous prenait aux yeux à la fois — comme dit Victor
« Hugo : — le pignon taillé, la tourelle suspendue aux angles
« des murs, la pyramide de pierre, la tour ronde, le grand, le
« petit, le massif, l’aérien. Le regard se perdait dans ce laby-
« rinthe où il n’y avait rien qui n’eût son originalité. » C’est
bien la note dominante de l’art ogival que l’originalité, la per-
sonnalité ! Devant la forme toute pétrie de sentiment, on sent que
l’œuvre froide est née dans un cœur ardent; on pense insensi-
blement à cet artisan, à l’humble auteur de ces merveilles, à
l’homme inconnu
qui a doté son pays
de semblables jo-
yaux, à ces hom-
mes de cœur qui
ne connaissaient
pas plus que Vi-
gnole l’art antique
et qui l’ont sur-
passé : ce que Vi-
gnole n’a pas su
faire.
A ce propos, il est amusant de rappeler cette erreur, d un
homme de goût cependant, M. Quatremère de Quincy, tellement
(1) La grève du Mont Saint-Michel mesure 300 kilomètres carrés.
Lors des marées d’équinoxe, le flot exhaussé par les obstacles que lui
opposent les côtes de Bretagne et de Normandie s’élève jusqu à une hau-
teur de 15 mètres au-dessus du sol.
On a calculé que chaque marée amène un volume de 13 cents millions
de mètres cubes d’eau. Si cette masse était mise dans la Seine à Paris
elle serait suffisante pour alimenter le cours du fleuve pendant 60 jours.
Nous avons vu le Mont Saint-Michel pendant une journée de morte-eau,
c’est ce qui explique la sécheresse de la grève. Les jours de morte-eau
correspondent aux premier et dernier quartiers de la lune, comme
chacun sait. (Reclus. Géographie universelle.)
(2) Barbés, Blanqui, Martin-Bernard, Raspail y furent enfermés.
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infatué de l’art antique que par tous les moyens possibles il
tâchait de décrier le grand art du moyen âge. Partant de ce
principe que tout y est barbare, parce que les architectes de
ce temps ignoraient l’emploi des ordres, après avoir montré la
barbarie, dans la forme, dans les proportions, dans la con
struction, dans la décoration des édifices gothiques; ne trouvant
plus rien à dire, il en arrive à prétendre que le tout est produit
par un mécanisme routinier qui en borne l’admiration au
degré de celle que font éprouver les travaux instinctifs des
animaux (1) ?
Nous avons cru utile de signaler ce curieux parallèle entre
l’art de la taupe, du castor, de l’abeille et de l’araignée avec
les splendides productions du génie des Ervvin de Steinbach,
des Pierre de Montereau et des Van Ruysbroeck, pour donner
une idée de ce qui se pensait à l’Académie des Beaux-Arts de
France jusqu’en 1844, alors qu’elle lançait son fameux interdit
sur l’art ogival. N’y pense-t-on plus ainsi (2)?
★
Le Mont Saint-Michel, depuis qu’il a cessé de donner
asile » aux malheureuses
victimes des discordes civiles
de la France, est devenu un
but d’excursion très à la
mode.C’est de lui que « tout
« le monde parle et que per-
ce sonne n’étudie, que tout
« le monde visite et que
« personne ne connaît, qu’on
« voit en passant et qu’on
« oublie en courant, que
« tout regard effleure et
« quaucun esprit n’approfondit ».
Nous pouvons dire l’avoir vu, nous n’oserions dire l’avoir
étudié (le temps nous était compté), mais « puisque tout le
« monde en parle, risquons .quelques mots sur ce que nous
« n’oublierons pas en courant, » car il nous en reste une
impression ineffaçable.
(1) Quatremère de Quincy, Dictionnaire d'architecture, Paris, -1832,
1, p. 678. Rappelons k ce propos cet autre auteur qui; voulant décrire
les splendeurs de l'architecture, commence son livre par ces mots majes-
tueux: « L’architecture n’est pas inconnue des animaux »; ce qui n’em
pêcha pas son livre de passer pour très bien pensé.
(2) Le lire dans la Revue de l'Architecture et des Travaux Publics,
VIe vol., p. 314; c’est des plus édifiants.
LÉGENDE DES PLANS.
A A’ A”. Eglise haute.
B. Travées détruites.
C. Tours.
D. Tombeaux.
E. Parvis.
F. Salle du Chapitre (ruinée).
G G’. Anciens bâtiments de l’ab-
baye (XIe siècle).
H. Plateforme du Saut-Gaultier.
I. Hôtellerie (ruinée)
J. Infirmerie.
K. Dortoir.
L. Cloître.
M. Bibliothèque.
N O. Logis de l’abbé.
P Q R. Cours.
Plan an niveau de l’église liante.
A. Eglise basse.
B B’. Chapelles.
C C’ C” D. Substructions de l’é
glise.
E F G H I. Anciens bâtiments de
l’abbaye et hôtellerie (ruinés).
K. Réfectoire. \
K’. Tour des corbins.
L. Salle des cheva- Merveille.
liers.
M. Cuisine.
N. Salle des officiers.
O. Tour Perrine.
P. Châtelet.
Q R S. Cour de la Merveille.
T. Cour de l’église.
V. Pont fortifié.
V X Y. Logis de l’abbé.
Z. Masse du rocher.
Plan au niveau de l’église basse.
A. Tour Claudine.
B. Barbacane.
C. Châtelet.
D B. Salle des gardes.
G G’. Logis de l'abbé.
H. Cour de l’église.
I. Cour de la Merveille.
J Aumônerie. Merveille
K. Cellier.
L. Cuisine.
M. Crypte de l’Aquilon.
N O P Q R. Substructions.
T U. Murs de soutènements,
jardins.
V. Rocher.
Plan au niveau de la salle des gardes, |