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1882.
8e ANNEE.
L’ÉMULATION
ABONNEMENTS
S’adresser rue de la Pompe, 3
BRUXELLES
ANNONCES A RÉCLAMES
A FORFAIT
S’adresser rue de la Pompe, 5
BRUXELLES
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIETE CENTRALE
ADMINISTRATION
boulevard du Hainaut, 139
Bruxelles
DARCHITECTURE
DIRECTION —RÉDACTION
Rue des Quatre-Bras, 5
Bruxelles
— DEPOSE —
DE BELGiQUE
BUREAUX : RUE DE LA POMPE, 3, BRUXELLES
— DÉPOSÉ —
— 1 —
SOMMAIRE
Nos droits et nos devoirs, Y. D. — Bibliographie.
Nos droits et nos devoirs
Ainsi que nos lecteurs ont pu le voir dans un
précédent article, nous ayons abordé dans nos der-
nières séances l’importante question de la responsa-
bilité et des honoraires de l’architecte, problème
souvent posé, bien rarement résolu. Les diverses
législations étrangères en matière de bâtiment sont
plus ou moins calquées sur le code Napoléon, encore
en vigueur chez nous, quoique le progrès ait marché
depuis l’an VIII et que la position sociale des bâtis-
seurs se soit notablement modifiée.
Nous avons aujourd’hui, outre la profession
d’architecte, celle d’entrepreneur qui n existait pour
ainsi dire pas au commencement de ce siècle, épo-
que à laquelle les deux professions n’en formaient
en quelque sorte qu’une seule.
Le code confond ces deux professions qui sont
cependant distinctes, les rend solidaires lune de
l’autre ; il y a là une source d’abus, de confusions
regrettables qui embarrasse si bien les juges qu on
voit souvent des causes identiques jugées tantôt
dans un sens tantôt dans un autre, par nos divei s
tribunaux. . , , ,
Il y a donc urgence à un remaniement complet clés
articles du code civil qui nous concernent, et ce qui
rend ce travail opportun, c’est la révision prochaine
et totale de ce code civil dont s’occupe en ce moment
M. le professeur Laurent.
En inscrivant cette question à son ordre du jour,
la Société centrale d’architecture a montré une
énergie, une résolution qu’on pourrait peut-être
qualifier de téméraires, car elle est éminemment
difficile. Je crois cependant que si elle peut lui faire
faire un pas, ce dont je ne doute nullement, si
minime que soit ce pas, elle aura bien mérité de
tous nos confrères. _
Au point de vue du droit naturel, il existe un
principe indiscutable que notre code civil actuel
consacre d’ailleurs par son article 1993. — La res-
ponsabilité d’un travail doit être proportionnée au
salaire reçu.
La question des honoraires est donc insepaiable
de celle de responsabilité. Or, voyons s’il volts plaît,
s’il est vrai que nous sommes payés proportionnel-
lement à notre travail, aux charges et responsabi-
lités qui pèsent sur nous. . .
Dans notre pays et chez beaucoup cle nos voisins,
je crois, l’usage'a consacré le taux de 5 p. c. cle la
dépense pour les honoraires de l’architecte. Gela
est déjà bien élastique : que vous constiuisiez en
pierre naturelle ou en briques couvertes d enduit,
en marbre ou en ciment, en acajou ou en bois blanc,
c’est toujours à 5 p. de la dépense que vous avez
droit; que votre client traite avec un entrepre-
neur, lui paie un prix fort, à forfait ou en régie, ou
qu’il prenne à son compte des ouvriers, achète des
vieux matériaux, brocante un peu sur tout, c est
encore au taux de 5 p. c. que se calculent vos hono-
raires. Et dans ce dernier cas, où pour plus de
travail vous recevrez beaucoup moins, on vous chi-
canera le plus souvent et l’on vous dira : Mais, pour
les planchers vous n’avez pas fait de dessin, pour les
glaces non plus ; la tapisserie et la peinture ont ete
exécutées sur vos conseils, c’est vrai, mais cest, moi
le propriétaire qui les ai dirigés, etc., etc.; et vous
serez forcé de transiger, afin d’éviter un procès
onéreux.
Voyez-vous l’équitabilité dune semblable îetn-
bution! ...
Dans le premier cas, l’architecte a eu affaire a
un entrepreneur sérieux, connaissant bien son
métier auquel il a suffi de donner des plans som-
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maires et quelques explications verbales pour que le
travail se soit exécuté sans peine, sous une surveil-
lance restreinte, sans aucun ennui pour lui.
Dans le second cas, l’architecte est devenu le
surveillant journalier des travaux, le chef ouvrier
en quelque sorte, y a été appelé à tout instant,
malgré des plans minutieux qu’on a, quand même,
assez mal exécutés; les nombreux achats et marchés
dans lesquels il devait ses conseils au client incom-
pétent lui ont occasionné des déplacements et pertes
de temps considérables ; en un mot, son travail
est devenu fastidieux; il n’en retire que déceptions,
tracasseries de toutes sortes, et, amère ironie, son
salaire se calcule en raison inverse du travail lait
et des grandes responsabilités qui lui incombent.
Dans un autre ordre d’idées, prenons cet exemple :
Deux propriétaires s’adressent, pour des con-
structions similaires, à deux architectes différant de
tempérament et de talent.
Le premierétudie consciencieusement son édifice,
consacre tout son temps, toute sa science en vue
d’une bonne exécution ; il crée une œuvre ayant
une valeur artistique incontestable dont profite
naturellement son client.
L’autre qui s’intitule architecte mais qui ferait
mieux d’être savetier (vous en connaissez, n’est-ce
pas?) fait faire par un pauvre dessinateur dans la mi-
sère, des plans à la diable, qu’il paie cl’une aumône;
pour l’emploi judicieux des matériaux et leur bonne
qualité, il s’en réfère, et pour cause, aux entrepre-
neui’s, voire même aux ouvriers, s’inquiète peu de
la solidité du bâtiment, et arrive, sans effort, à
produire une croûte horrible dont son client aura
grande peine à se débarrasser avec perte, si, entre-
temps il n’arrive pas d’accident.
Tous deux, l’artiste et... l’autre, ont touché la
même rémunération. — N’est-ce pas profondément
injuste, complètement illogique? Paie-t-on le tableau
d’un Wauters, d’un Stallaert, d’un Portaels, dun
Gallait et d’autres de talent moins brillant, au même
taux qu’une surface égale de toile peinte par un
rapin quelconque?
Notez que ces deux exemples peuvent être com-
binés, l’architecte de talent ayant affaire au client
brocanteur, l’autre, le brasseur d affaires, possédant
toute la confiance du client généreux et honnête
qui ne lui marchande pas ses honoraires.
N’est-ce pas inique, et cela arrive tous les jours.
Contrairement à ce qui existe pour ses soeurs la
peinture et la sculpture, en matière d architectui e
le talent n’est compté pour rien; on paie la main-
d'œuvre avec plus ou moins d’équité, voilà tout.
On m’objectera qu’on a toujours le droit de refu-
ser un travail dans les conditions défavorables
exposées plus haut?
Mais sait-on d’avance qu elles seront si déplora-
bles ?
Peut-on, au début d’une mission qui suppose
une confiance réciproque du client et de 1 archi-
tecte, montrer une défiance toujours quelque peu
injurieuse pour celui qui en est 1 objet? On vous
demande des plans, vous les élaborez, un devis,
un cahier des charges, etc., et ce nest que lors-
que tout votre travail est tait, ou au moins la plus
grande partie, que vous devriez renoncer à remplir
votre mission. .
En définitive, les affaires sont-elles si abon-
dantes que nous puissions nous montrer si difficiles
et refuser un travail parce quil ne se présente pas
dans toutes les conditions désirables? Cela se dit, mais
cela ne se fait guère. Et puis si vous, véritablement
architecte auquel on reconnaît quelque talent, vous
refusez ce travail peu rémunérateur, cent autres
(on ne s’en doute peut-être pas, mais il y a à
Bruxelles cinq ou six cents architectes ou soi-disant
tels), cent autres, dis-je, l’accepteront des deux
mains.
Nous subissons une concurrence enroyable due, a
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notre avis, à la facilité, à la licence avec laquelle
on s’établit aujourd’hui architecte ! Notre profession
décroît de plus en plus dans _ l’estime publique ;
tandis que les autres professions dites libérales
augmentent l’estime et la considération dont elles
se sont vu entourer au fur et à mesure des progrès
de la civilisation, on nous considère comme des
fabricants de dessins, qu’au besoin le premier venu
peut faire aussi bien que nous, voilà la situation !
Voulons-nous y remédier? Si tel est notre désir
il faut se décider à sortir du sommeil léthargique
dans lequel nous, et surtout nos aînés, sommes
plongés depuis longtemps ; il faut lu concours de
tous notamment des quelques-uns d entre nous qui
occupent le haut de l’échelle sociale. Il faut reven-
diquer hautement nos droits, rechercher les moyens
de remédier à un état de choses qui ne tend à
rien moins qu’à anéantir la profession d architecte !
Il faut demander à la législature des lois qui
nous protègent à l’égal des professions parallèles à
la nôtre, établissant bien nettement cette distinc-
tion équitable entre l’artiste, celui qui dirige, et le
commercant, l’entrepreneur qui exécute, indiquant
quels sont leurs droits et leurs devoirs respectifs
vis-à-vis de leurs mandants ou clients et spécifiant
avec soin les différences de responsabilité nécessaires
pour l’architecte et l’entrepreneur.
Nous ne sommes pas les premiers qui se soient
émus de la situation qui nous est faite dans la
société moderne et qu’il semble que nous acceptions
tous avec indifférence et résignation; en France,
en Allemagne, en Angleterre, ces questions con-
nexes de responsabilité et d’honoraires ont été vive-
ment discutées; en Belgique même (où, n’en déplaise
à quelques chauvins, on s’occupe d’une chose alors
quelle est résolue en Chine), en Belgique, disons-
nous, on s’en est quelquefois occupé ; à Liège, si
nous ne nous trompons, on a rédigé un tarif d’ho-
noraires !
Et après? A quoi sert un tarif, fut-il l’idéal cher-
ché, s’il n’est pas respecté, s’il est violé par ceux-là
mêmes qui l’ont rédigé? Si nous voulons le faire
accepter comme un règlement sérieux par le public,
commençons, s’il vous plaît, par le prendre nous-
mêmes en considération. C’est, à notre avis, le seul
moyen de le faire consacrer par la législation.
Mais voilà bien toute une affaire ! Quand on a
rédigé un tarif on croit avoir édifié les colonnes
d’Hercule !
Cette question d’honoraires nous paraît d’ailleurs,
devoir de beaucoup [céder le pas à celle de respon-
sabilité bien plus importante.
Examinons, si vousle voulez bien, comment s’éta-
blit la responsabilité de l’architecte.
Le code civil, article 1792, dit :
« Si l’édifice construit à prix fait périt en tout ou
en partie par le vice de la construction, même par
le vice du sol, les architectes et entrepreneurs en
sont responsables pendant dix ans. »
Cela est peu ou trop concluant, ce qui fait que
cette loi est souvent mal appliquée et neuf fois sur
dix interprétée défavorablement pour nous. La so-
lidarité donne lieu à nombre d’erreurs et d’abus.
Quelle part incombe à l’entrepreneur? quelle
part à l’architecte ?
Questions bien embarrassantes que les juges sont
la plupart du temps incompétents à résoudre et dont
le code n’a guère facilité la tâche en s’occupant
spécialement de nous, alors qu’il gardait le silence
sur d’autres professions dans lesquelles on est bien
moins responsables légalement.
Par négligence ou incapacité un avocat vous fait
perdre un procès qui entraîne parfois votre ruine,
vous conduit à la misère, peut vous mener au
déshonneur !
Quel recours la loi vous donne-t-elle contre lui?
Après avoir reçu provision, précaution que lui
permet cette circonstance qu’il ne peut réclamer j udi- |