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(M. $4<S,)
Vendredi fl® IMECEMIBIUE £8«9.
(Quatrième Ajm&fc*“).
ON E'ABOIÎUS
A Anvers, nu Bureau da
Précurseur, Bourse An*
glaiseN°1040,oùse trouve
une boîte aux lettres et où
doivent s'adresser tous les
avis.
En Belgique et à Vétran-
qet, chez tous les direc-
teurs des postes.
A Paris, à l’Office-Cor-
rcspondance de Lepelle-
tier-Bourgoin et corap.v,
rue Notre-Dame-des-Vic-
toires N» is.
LE PRECURSEU
JOURNAL POLITIQUE, COMMERCIAL, MARITIME ET LITTÉRAIRE.
PAIX.
s.njE3&Tè.
pboobSb.
ABOUMEMEKT
Pat An.........CO fr
» 6 mois...... 30
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POUR LA BELGIQUE.
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POUR L’ÉTUANGER.
Par 3 nn>is... 20 fr
AW3Î02SCSS.
25 centimes la ligne.
Laquatrième page, con
■acrée aux annonces est
affichée à la bourse d’An-
vers et à la bourse des
principales villes de com-
merce.
naapamBuaczffc naaDJuen*
£3 Décembre.
STATISTIQUE COMMERCIALE.
Nous avons annoncé, dans un des derniers numé-
ros du Précurseur, la publication du tableau général
du commerce de la Belgique pendant l’année 1837,
en nous réservant d'examiner ce document: nous ve-
nons aujourd’hui présenter quelques résultats de cet
•examen,, qui nous paraissent dignes d’attention. Di-
sons d’abord ce que renferme le volume : l’introduc-
tion résume les dispositions légales concernant le
mouvement du commerce et l adminislraliou des doua-
nes et accises. Après cela viennent les états de déve-
loppement, suivant l’ordre du tarif des douanes, de
tous les articles d'échange qui ont fait l’objet de quel-
que opération: les tableaux d importation comprennent
103 pages qui indiquent les existences en entrepôt au
31 décembre 1836, les entrées par terre, rivières ou
canaux, les entrées par mer, les mises en consomma-
tion, les sorties en transit et les existences en entrepôts
au 31 décembre 1837 : les totaux sont indiqués dans
line colonne particulière; et les pays de provenance
sont indiqués avec la valeur des articles qu ils ont ex-
pédiés vers la Belgique. Les exportations qui remplis-
sent les tableaux jusqu’à la page 205, indiquent d’a-
bord le chiffre des marchandises belges, puis celui
des marchandises étrangères,enfin le total de ces deux
chiffres, en distinguant la sortie par terre et par mer;
les résultats sont indiqués par pays de destination et
par espèce de marchandise.
Le mouvement des entrepôts, indiqué aussi par
chaque article du tarif, remplit soixante tableaux dont
les subdivisions méritent d’être mentionnées : on y
voit détaillés les existences en entrepôt au 31 décem-
bre 1836, les entiées par importations directes , les
entrées par mutation d’entrepôt, le total des entrées et
le total général; d’une autre part, on trouve les sorties
pour la consommation, les sorties pour le transit, les
sorties par mutation d’entrepôt, le total des sorties ,
les existences en entrepôts, au 31 décembre 1837 et le
total général de ces diverses colonnes. On voit par là
tout le mouvement intérieur des entrepôts du pays et
l'indication précise de !a quantité d'objets mis eu con-
sommation dans le pays : ce dernier point est fort
important à bien préciser.
Le commerce de transit donne lieu à un travail
analogue : on y indique, article par article et par pays
de provenance et de destination,les sorties par mer et
les sorties par terre, rivières ou canaux; les sorties
directes et sans emprunt d'entrepôt, et les sorties après
emprunt d’entrepôt: le total général présente lechiffre
par espèce de marchandise. Ces tableaux du transit
nous mènent à la page 324, où nous voyons le mou-
vement du port de la Belgique;cette parlie importante
de la statistique donne lieu à diverses combinaisons
de chiffres que nous allons brièvement indiquer :
Le premier tableau indique le pays de provenance
des navires, le pavillon de chacun d'eux, l'entrée et la
sortie par port (Anvers, Ostende et Nieuport) des
bâtiments chargés et des bâtiments sur lest, avec dé-
signation du pays de destination et du pavillon des
vaisseaux sortants. Le total général est présenté, pour
la sortie comme pour l’entrée, d’abord par port et
ensuite globalement.
D’autres tableaux, conservant la division par port
et par navires chargés ou sur lest,soit à l’entrée soit à
la sortie, avec indication des pays de provenance et de
destination, désignent ie mouvement des bâtiments par
pavillon, offrant ainsi le moyen faciiede vérifier quels
sont les pavillons qui fréquentent le plus assiduenient
nos villes commerçantes.
Ensuite se présente le mouvement de la navigation
par port et par trimestre; puis ce mouvement par
pays de provenance et de destination ; les subdivi-
sions de ces tableaux sont importantes en ce quelles
indiquent l’influence des saisons sur le mouvement
du commerce : on y constate aussi les préférences
de chaque pays pour tel port de la Belgique, sui-
vant la saison.
Une portion,importante de la statistique dont nous
nous occupons, est celle qui offre les résultats du
commerce de la Belgique avec les pays étrangers par
classe et par nature de denrées et de marchandises.
Tous les articles du tarif sont ici fondés d’après une
classification rationnelle, et chaque catégorie d’objets
commerçabies donne lieu à des calculs et à des résul-
tats présentés d’après la division suivante. A l’impor-
tation, on indique les pays de provenance, et à cha-
que pays de provenance les existences en entrepôts au
31 décembre 1830 , les entrées par terre et par mer,
le total des entrées et le total général; puis les mises en
consommation, les sorties en transit et les existences
en entrepôts au31 décembre 1837. A l’exportation,
sous chaque pays de destination, on distingue les den-
rées et marchandises belges des denrées el marchan-
dises étrangères, et pour les premières on indique les
exportations par mer et le total de ces deux chiffres;
pour les secondes, on indique les sorties en transit
par terre, celles par mer el ie total ; enfin on confond
les deux catégories, et on présente le total général des
exportations. Le mouvement des entrepôts et le tran-
sit font successivement l’objet de tableaux dressés
d’après la même classification des denrées el marchan-
dises.
Les tableaux récapitulatifs commencent à la page
431, et remplissent ie reste du volume jusqu'à la page
474. On y trouve le résumé de tout le travail de dé-
tail dont nous avons essayé de faire comprendre l'ex-
cellente division. Pour ceux qui ne veulent pas s’atta-
cher à tel ou tel article d'échange , ou lelie catégorie
de marchandises, l'examen des tableaux récapitulatifs
esl d’un grand intérêt, puisqu’ils y trouvent les résul-
tats et les calculs présentés in-globo. Ces (derniers
tableaux sont, si on peut dire, la morale de l'histoire ;
ils sont d’un hautjintérêl, et si c'est par eux que le
rédacteur doit finir,c’est par eux, pensons-nous, que
le lecteur doit commencer. Aussi terminerons-nous ce
premier article, en donnant ie résultat du dernier ta-
bleau du volume, avant tout autre chiffre, nous pro-
menant d'en tirer nos conclusions très prochainement :
nous voulons p.rler du lableau qui offre le résultat
comparé des importations, des exportations, du tran-
sit et de la navigation, de 1831 à 1837 :
Valeur des importations :
(Nous indiquons par nombres ronds, en négligeant
les centimes.)
1851 fr. 98.015,000miscsenconsomm. 89.988,000
1852 215,868,000 200,042,000
1855
1854
1855
1856
1857
206.305.000
192.909.000
198.909.000
208.997.000
225.079.000
192.706.000
182.037.000
172.687.000
187.216.000
200.537.000
Valeur des exportations :
1831 fr. 104.579.000donteninarcb.belges 96.353,000
1852 124,763,000 — 111,189,000
1833 122,610,000 — 108,815,000
1834 133.790,000 — 118,540,000
1835 160,705,000 — 158,057,000
1836 165,842,000 — 144,812,000
1837 183,274,000 - 129,869,000
Valeur du transit,
1831.. .. fr. 8,024,000 1835.... fr. 22,667,000
1832.. .. 15,576,000 1836.... 20,750,000
1853.. .. 15,797,000 1837.... 25,703,143
1834.. .. 17.249,000
Mouvement du port.
1831
1852
1833
1854
1853
1836
1837
Tonnage des
navires entrés.
126,000
242.000
213.000
195.000
212.000
232.000
288.000
dont sur
lest.
5760
1339
3412
8514
8285
4567
2930
Tonnages des
navires sortis.
117.000
244.000
220.000
197.000
213.000
238.000
289.000
dont sur
lest.
43,103
144,410
97,438
58,797
68,240
73.299
100,000
NOUVELLES JOE ST.-MOMINGUE.
On lit dans le Journal du Havre :
Le bruit qui s’était répandu de la miseen état de
siège de Port-au-Prince et d’un mouvement qui avait
eu lieu dans cette ville, n'était pas toul-à-fait sans fon-
dement ; seulement au lieu d’une insurrection révolu-
tionnaire, il s’agit simplement d’un nouveau coup
d’Etat du président Iioyer. Voici ce que lions trouvons,
à ce sujet, dans les journaux américains.
« Le Télégraphe, journal officiel de Port-au-Prince,
contenait dans son numéro du 29 septembre deux
messages qui ont produit sur les esprits une impres-
sion profonde. L’un de la Chambre des Députés, infor-
mait le président Boyer, qu’il se tramait en son nom,
des complots menaçants pour la constitution du pays;
que la rumeur publique lui attribuait, à iui-même, les
projets de violence el de mort contre ceux des représen-
tants de la nation qui, fidèles à leur mandat et à leur
conscience, avaient refusé de s’associer aux actes, de se
prêter aux volontés du pouvoir.
Ce manifeste, rédigé avec une froide énergie, fut peu
goûté du président ; et il se borna à répondre qu’il était
péniblement surpris de recevoir des députés un témoi-
gnage aussi gratuit de leur mauvais vouloir et de leur
défiance; qu’il avait espéré que son caractère et son pa-
triotisme était assez connus de tous les esprits jusqu’à
la moindre supposition des combinaisons atroces que
l’on osait lui imputer.
Force fut aux députés d’être satisfaits deces protesta-
tions oude le paraître; mais Boyer avait été trop vive-
ment blessé pour ne pas saisir la première occasion de
prendre une revanche éclatanle. Le dimanche 9 octo-
bre une revue avait eu lieu sur le Champ-de-Mars, Boyer
et ses fidèles s’étaient distribues les rôles du drame
qui allait se jouer. A son arrivée dans les rangs, il fut
accueilli par des hourras d’une masse de gardes natio-
naux. Des injures et des menaces furent proférées con-
tre les députés auteurs du fameux message, el bientôt
Boyer lui-même s’avança vers la place qui avait été ré-
servée aux membres de la Chambre, et leur reprocha
d’avoir voulu, par la calomnie, attirer sur lui la haine
et la vengeance du peuple. Puis découvrant sa poitrine :
« Frappezde vos poignards, s’écria-t-il, pour que je
ne sois plus un obstacle aux traîtres qui veulent vendre
la patrie à l’étranger. »
La revue fut brusquement interrompue: Boyer ren-
tra au palais el déclara la ville en état de siège. Le jour-
nal l’Vnion reçut l’ordre (L’interrompre sa publication;
une destitution en masse atteignit tous les fonctionnai-
res grands el petits dont le dévouement devait être sus-
pect. D’un autre côté, des émissaires du président s’en
allaient par la ville, semant l’insulte et la terreur parmi
ies citoyens paisibles, arrêtant les membres épars de
la Chambre pour leur faire signer de gré ou de force
une rétractation du message, une promesse de prêter
leur appui et leur sanction aux mesures que l’exécutif
jugerait nécessaires dans les circonstances présentes.
Les signataires furent bientôt assez nombreux pour se
réunir et délibérer légalement.
Un président et des secrétaires furent improvisés, et
il fut rendu immédiatement un décret ordonnant que
ies députés qui ne seraient pas revenus à leur poste le
lendemain séraient traduits devant des commissions
militaires. Le plus grand nombre obéit à celte somma-
tion, qui n’était qu’un prétexte pour expulser de la
Chambre cinq ou six chefs de l’oppositiou.
BASÎEMARl'H,
Les journaux de Hambourg que nous avons reçus ce
malin, publient de nouveaux détails sur la mort de
S. M. le roi Frédéric VI. Voici ce que nous lisons dans
ces feuilles, en date de Copenhague, ie 3 décembre :
« C'est ce matin à huit heures cl demie , que S. M.
s’est paisiblement endormie du sommeil de la mort. A
midi, S. A. II. le prince Chrétien-Frédéric a été pro-
clamé roi ; à cet effet, S. Exe. le ministre d’Etat privé,
comte Olhon de Moitke, s’est présenté avec le prince,les
autres ministres d’Etat privés, les chefs des collèges et
plusieurs autres hauts fonctionnaires, sur le balcon du
palais de S. A. R., à Amalienbourg , et y a crié trois
fois d’une voix forte et sonore : Ce roi Frédéric FI est
mort ! Vive le roi Chrétien Flll ! Ce cri a été répété
sur la place par le héraull royal, au bruit des fanfares.
» S. M. le roi Chrétien VIII a daigné ensuite se pré-
senter sur le devant du balcon et saluer la foule.
» Le hérault royal, accompagné d’un piquet de gar-
des du corps à cheval, a répété le cri, selon l’usage,
sur toutes tes places publiques. Le même jour la cour
a pris le deuil.
» A 11 heures, ies troupes de la garnison elles corps
de la garde civique se sont rendus aux lieux ordinaires
de leur réunion et y ont prêté serment de fidélité au roi
actuel, en présence du gouverneur de la ville. Les por-
tes de la ville ont été fermées depuis 11 heures du ma-
tinjusqu’à 5 heures de l’après-midi, à 4 heures, toutes
les cloches des églises ont été mises en branle; cette son-
nerie aura lieu journellement, jusqu'à nouvel ordre, le
matin depuis 10 heures jusqu’à midi, et l’après-midi
depuis 4 jusqu’à 6 heures.
» Dans la matinée se sont réunis au palais les minis-
tres et les premiers dignitaires de l’état, qui ont été con-
firmés par S. M. dans leurs fonctions. On assure que
S. M. leur a adressé un discours dans lequel le roi a dé-
claré vouloir gouverner avec une sollicitude paternelle,
en ajoutant que tout changement dans les institutions
existantes demande la plus grande prudence et le plus
mûr examen. On attend ce soir ou demain une procla-
mation de la part du roi Chrétien VIII.
» Déjà depuis plusieurs semaines, on avait appris
FEUILLETON.
TOM-TRICZ.
I. — LE PÈRE ET LE FILS.
En l’année 1660 et par un beau soir de printemps, un vieil-
lard, dont le costume plus que modeste était loin de trahir la
noble origine, et une jeune filled’une exquise beauté,suivaient
silencieusement l’étroit chemin creusé à mi-côte sur le flanc
droit de la Clyde et qui mène de Lanark à Stone-Byres. Une
singulière délicatesse de formes, apanage ordinaire de l’aris-
tocratie de naissance, annonçait chez lord Graham el sa tille
l'habitude de cette vie nonchalante des cours, qui sc nourrit
d'ennui et d'oisiveté. Aussi le vieillard paraissait-il aspirer
ardemment au terme de son voyage. Quant à Lucy, ses mem-
bres frêles commençaient bien à demander grâce; mais à
vingt ans, on a l’amour-propre du courage, et l'on ne se plaint
qu'à toute extrémité. Elle ne voulait point s'avouer vaioeue,
et usant de mille stratagèmes pour abréger la route, tantôt
elle cherchait à se rappeler les refrains populaires qu'elle
avait entendus en posant le pied sur la terre d'Ecosse, tantôt
elle riait de sa propre fatigue ou s'efforçait de communiquer
à son père quelques-unes des émotions que soulevaient dans
son âme tous ces étranges spectacles d'une nature sauvage et
inconnue, espèce de monde magique dont l'aspect la faisait
alternativement passer de la surprise à l'effroi et de l’effroi
à l'admiration.
— Quel magnifique tableau disait Lucy, et que toutes les
merveilles étincelantes de nos cités seraient pauvres et mes-
quines auprès des sombres beautés de ce désert ! Comme ces
sapins s'élancent fièrement au-dessus de nos têtes, et que leur
dentelure noire se découpe bien sur l'horizon ! Et ces rochers
énormes qui se peoebent comme pour nous regarder ne dirait-
on pas des géants immobiles, étendant les bras sur le torrent
qui gronde, et prêts à descendre dans l’abitne ? Ne trouvez-
vous pas, mon père, que l’ombre fraîche de ce sentier, d’où
nous apercevons l'écume blanche de la Clyde à travers la
fumée transparente de ses eaux, a quelque chose qui pénètre
l’ame et transporte l’imagination ?
— Je n’ai plus votre enthousiasme, Lucy, répondit le
comte avec un morne sourire, — et la vieillesse, en refroi-
dissant l'esprit, transforme les aspects qu'embrasse l'œil fati-
gué. Bien avant que le sang se fige dans les veines, la poésie
s'éteint dans le cœur. Cette belle nature, quo vous admirez,
parle un langage queje ne comprends plus; et pourrait-il en
être autrement, Lucy? nous saluons tous deux la vie. vous
d’un cri d’espérance, moi d’un regard découragé. Vous arri-
vez, moi je pars. Et je n'en ai point de regret, car la tombe
me donnera ce que la vie m’a si long-temps refusé : le repos.
— Mon père, éloignez ces tristes pressentiments. Notre
sort ne va-t-il pas changer? notre exil n'est-il pas fini? ne sa-
vons-nous pas. de source certaine, que l'influence du long par-
lement diminue de jour en jour et que l’Angleterre, affaiblie
par tant de blessures, tourne ses mains suppliantes vers l’é-
toile brillante de la royauté qui remonte à l'horizon? Vienne
le triomphe de Charles II, et le calme ne sera-t-il pas assuré
à vos \ieuxjours?
— Oui. le rétablissement de Charles est prochain. Mais
sachez-le bien, Lucy, ie soleil le pluspur traîne après lui des
vapeurs ardentes, et ces vapeurs finissent par former les tem-
pêtes Charles sera roi; mais, comme un vent d’orage, le sou-
venir de la république agitera, long-temps encore, le flot po-
pulaire. Là encore, il y aura lutte, il y aura combat. Alors,
malheur au pilote vieilli dont le coup-d'œil sera coupable
d'incertitude ou de paresse! c'est lui que le flot engloutira.
— Ce que vous dites là, mon père, pourrait arriver, si
vous n'aviez résolu de vous tenir à l'écart des tourmentes
politiques que l’avenir réserve à l’Angleterre. Nous ne re-
tournerons a Edimbourg qu’après l'entier rétablissement de
l'autorité légitime. Jusque-là, qu’avons-nous à redouter?
Nous vivrons dans une retraite profonde, et je ne crois pas
que le bruit des guerres civiles vienne jamais tirer de leur
sommeil les échos du vieux château de Loch-Tall.
— Hélas! ma pauvre enfant, reprit lord Graham d’une
voix sombre, — vous oubliez que lorsque le présent nous fait
grâce, le passé nous poursuit de ses souvenirs... En fran-
chissant le seuil du château de Loch-Tall. je ne pourrai m'em-
pêcher de songer à mon frère, — à votre oncle. — dont tant
de fois on vous a raconté l'histoire. Quand nous verrons ces
cours abandonnées, ces grandes salles froides et vides, dont
les portes n'ont pas été ouvertes depuis sa mort, nos yeux se
rempliront de larmes, car nous nous rappellerons que la hache
a coupé la plus noble branche do notre race, et que nous de-
vons cet héritage au bourreau.
Ces paroles pénétrèrent Lucy d'une triste émotion. Elle
continua à marcher en silence ; mais bientôt elle s'arrêta et
fit signe à son père de prêter l'oreille à un bruit qui grossis-
sait a chaque pas.
— Ou je me trompe fort, dit la jeune fille, ou ce que nous
entendons n'est autre chose que ie bruit de la cataracte de
Stone-Byres.
— Nous nous arrêterons au village, dit le comte en dou-
blant le pas.
En moins d'un quart d'heure, ils parvinrent à la cataracte
dont les mugissements furieux se mêlaient aux premiers sif-
flements de la bise du soir, et découvrirent, au fond de la
vallée, quelques feux épars çè et là dans l’ombre ; lord Gra-
ham respira.
C'était fête à Stone-Byres, fête modeste et simple comme
celles de tous les pauvres bourgs d'Ecosse. Le malin, une
prière en commun au patron du lieu, le soir quelques danses
sous les grands chênes à la lueur des étoiles. L’arrivée de
deux étrangers, à pareille heure, était presque un événe-
ment; il en résulta une légère interruption dans les jeux des
villageois. Mais Lucy ne leur laissa pas le temps de satisfaire
leur curiosité, car ayant avisé une auberge d’apparence con-
venable, elle aborda un vieillard assis sur la porte, et s'in-
forma si son père et elle pourraient se reposer dans sa mai-
son.
— Il faudrait .dit le montagnard en souriant, que le vieux
Burk-Staane fût aveugle et sourd pour ne passe laisser pren-
dre à ces yeux charmants et à cette voix de sirène. Entrez,
ma belle enfant, entrez ; vous avez l'air fatigué. JusiemeQt le
souper est tout prêt : faut-il vous le servir ?
— Mon père et moi, nous avons bien besoin de repos, dit
Lney.
i — Bah ! reprit Burk, ce serai'affaire d un instant; soupons
d’abord et nous verrons ensuite. Je reviens dans la minute.
Burk sortit. En même temps un jeune hemmede vingt-huit
ans environ parut à l'outre extrémité de la salle. Bien qu'on
reconnût sur le visage du nouveau venu le type de rudesse
particulier aux enfants des montagnes, il portait dans toute sa
personne un air de distinction qui n’échappa point à la clair-
voyance de Lucy. 1! s’assura que Burk-Staane ne pouvait plus
l'entendre, el s'approchant avec mystère du noble voyageur :
, — Vous êtes lord Brougham, lui dit-il.
— C'est vrai, balbutia le comte interdit.
— Vous venez prendre possession du château de Loch-
Tall ?
— C’est encore vrai.
— L’homme à qui vous avez parlé ici sait-il qui vous êtes?
— Non.
— Tant mieux. Je me charge de le lui apprendre.
— Mais, monsieur, dit lord Graham en le mesurant de la
tête aux pieds, que devons-nous penser d'uue semblable iu-
quisitioo ? Avez-vous reçu du ciel le don de pénétrer les se-
crets des hommes, — ou plutôt ta police de celte pauvre répu-
blique aux.abois vous a-t-elle chargé de nous surveiller et de
nous suivre ?
— Je ne suis ni devin ni espion, et la mission dont je m’ac-
quitte est une mission de paix et de salut. Je vais bien vous
surprendre, car riea de ce qui vous touche à l’heure présente
ne in'est étranger. — Vous étiez à Dcrnstall, sur ta terre
d'exil, lorsqu’un avis du général Monk vous a rappelé à Lon-
dres. Là on vous a annoncé le prochain rétablissement da
Charles 11, votre roi et le mien . et votre premier souhait a
été de revoir celte Ecosse chérie où vous aviez laissé tant do
souvenirs. On vous a restitué vos droits sur le fief de Loch-
Tall, et c'est, appuyé sur ces droits sacrés, que vous venez
ouvrir cette porte si long-temps verrouillée et reudre sou
mai Ire au vieux manoir...
— Tout cela est vrai, dit lord Graham , — et demain j'es-
père. ..
— Non pas demain, — interrompit le jeune montagnard ,
— et voici pourquoi. Pendant que vous voyagiez à petites
journées, côtoyant nos torrents rapides et l'œU borné par
l’horizon de nos rocs sauvages, vous ignoriez ce qui se passait
à Londres, — vous ne saviez pas qu'une nouvelle éruplion
avait ouvert les flancs du volcan mal éteint Oui. milord . la
république a ramassé suu épée, et notre cause, — la cause dt
Charles il, — a reçu un violent échec. Le général Lamber-
s’est évadé do la tour de Londres et rallie s.-> trou; es dupe»
sécs; sans doute ce n’est là qu'un revers passager, et la just'ct
de Dieu triomphera... En attendant, i! faut courber la tête,
et demander a la prudence la victoire qu'un courage aveuglé
ne ferait que compromettre. Et maintenant, il me rcsie à
vous dire, pour vous prouver que ma science n'a rien que de
naturel et d’humain, que je tiens ces renseignements de vutre
ami sir Horace Asliley, capitaine de l’armée royaliste, qui me |