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L’ART MONUMENTAL
au Grand Concours international de Bruxelles, 1888
(Suite, voir col. 161.)
II
LA PEINTURE
our employer un cliché antique et
solennel, disons en commençant cette
rapide revue des œuvres exposées : A
tout seigneur, tout honneur et dési-
gnons tout de suite ce grand personnage “ ès arts
décoratifs ” :
la France.
Car, elle est toujours au premier rang cette
grande et noble nation conservant glorieusement
les principes de bon goût qui sont le palladium de
l’art, et d’exposition, en exposition, nous la retrou-
vons, nous montrant avec fierté que si chez elle, on
cultive les arts de la guerre, ils ont grande place au
budget et à la publique estime, les arts de la paix.
N’ont-ils pas leur valeur eux aussi auprès des
fumées de la gloire militaire?
* *
Bien qu’elle ne fut pas complète, l’exposition
française n’en était pas moins très intéressante.
Bien des lacunes s’y faisaient jour, mais des maî-
tres : Pierre Puvis de Chavannes, Carolus Duran,
jean-Paul Laurens, François Flameng, Charles
Lameire, Olivier Merson et d’autres, y étaient lar-
gement représentés.
Puvis de Chavannes, au milieu d’eux, reste le
maître contemporain le plus accompli que nous
ayons en ce genre.
Son Ludus pro patria (jeunes Picards s'exerçant à la
lance) que nous avions vu au salon de Paris, 1884,
et à l’Exposition universelle d’Anvers, 1885, et
qui nous cause toujours le même sentiment admi-
ratif, son grand carton pour l'Histoire de sainte
Geneviève, exécuté pour le Panthéon (église Sainte-
Geneviève), à Paris, et qui est certes la meilleure
des fresques qui y furent peintes, puis ensuite sa
Radegonde au couvent de Sainte-Croix (2), son Charles
Martel, vainqueur des Sarrasins (3) d’un grand et
puissant sentiment, prouvent le souci d’art vrai
que possède ce remarquable peintre.
Voilà vraiment du moderne dépouillé du fatras
mythologique et symbolique sans pourtant les
exclure.
Employés à petite dose, ces éléments d’expres-
sion servent simplement au peintre à rendre sa
pensée plus vivement et ajoutent au piquant de
l’idée exprimée.
Comme facture, “ cela tient bien au mur ”,
(1) Carton d’une peinture pour l'escalier du Musée d’Amiens.
(2) Peinture de l’hôtel de ville de Poitiers.
(3) Ibid.
1888
comme dirait, en son parler pittoresque, un dis-
ciple d’Uranie, — oh, le cliché! —c’est bien une
peinture murale.
L’art de M. Puvis s’acharne à produire une
peinture s’incrustant dans l’architecture, ne faisant
qu’un tout avec celle-ci, concourant à l’expression
générale de l’édifice sans jamais—ce qui nous
offusque — arriver à des effets de « plein air »
peints sur des murs, où de larges trouées per-
spectivées nous donnent l’impression du vide sur
lequel les saillies de l’architecture viennent proje-
ter leurs ombres!
Cet écueil que beaucoup d’artistes de notre
temps ne savent pas éviter, M. Puvis de Chavannes
le connaît et, avec raison, s’en défie.
On a pu lui reprocher des fautes de son dessin,
-—avouons qu’il n’est pas toujours d’une correction
absolue, — c’est à juste titre qu’on fait remarquer
ses raccourcis heurtés, les poses déhanchées de
certains de ses personnages, mais il n’en est pas
moins un maître prestigieux par sa couleur douce
et calme et le toujours saisissant style noble de ses
compositions.
Nous aimons moins pourtant son panneau du
Sommeil, appartenant au Musée de Lille. On
y sent des tâtonnements qui prouvent les lon-
gues recherches qu’a dû faire le peintre avant
d’arriver à sa maîtrise actuelle qui s’épanouit
entière dans ses peintures du Palais de Long-
champs, à Marseille.
Les panneaux Marseille, colonie grecque, et l’autre
Marseille, porte d'Orient sont admirables de vie et
de puissance.
M. François Flameng suit la même voie, — il
n’y a qu’à l’en féliciter.
Abélard et son école sur la montagne sainte Gene-
viève lui fournit occasion de faire pour l’escalier de
la Sorbonne, à Paris, un panneau de vastes propor-
tion d’un excellent style, mais où nous trouvons
pourtant des parties moins heureuses.
La robe rouge de son Abélard gagnerait à être
moins éclatante et plus étudiée.
Cette figure est un peu raide de formes, mais l’en-
semble est là pour racheter ces minimes défauts que
M. Luc-Olivier Merson ne nous montre pas dans
ses belles peintures murales de la Galerie Saint-
Louis (Palais de Justice), à Paris. Son Saint Louis
condamnant Euguerrand de Coucy (1259) et son Saint
Louis faisant ouvrir les geôles du royaume (1226) sont
adorables d’étude et de correction.
C’est d’un artiste savant et ne dédaignant pas —
soit dit à sa louange — l’exactitude archéologique
des costumes et des accessoires.
Franchement, pourtant nous l’aimons moins
dans sa Marie Alacoque, vitrail d’un sentiment bien
peu religieux, mais heureusement nous le retrou-
vons dans sa Céramique japonaise (4) d’un dessin
délicieux.
Pour les amateurs de large peinture, les études
de M. Jean-Paul Laurens pour sa Mort de sainte
Geneviève (Panthéon de Paris), présentent un sujet
digne d’admiration. Certes, il y a là des études
enlevées avec un brio étonnant et dignes de cet
artiste de grand talent, mais M. Jean-Paul Lau-
rens n’a pas été heureusement inspiré, lorsqu’il les
a transportées sur sa fresque du Panthéon.
Celle-ci s’en ressent; elle rappelle trop le tableau
et ne fait pas corps avec l’architecture.
Malgré ses mérites elle produit meilleur effet
(4) Carton pour une faïence exécutée par MM. Farque et Hardelay.
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L’ÉMULATION.
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