Full text |
Mais revenons au coton. L’extension prise par cette branche
de commerce depuis’moins d’un demi siècle est quelque chose
de fabuleux. En 1823, les Etats-Unis d’Amérique produisaient
en tout 809,000 balles; en 1825, la production entière ne mon-
tait encore qu’à 720,000 balles. Mais à dater de cette époque,
l’accroissement dans la culture de ce produit et dans la con-
sommation, par l’Angleterre et les autres contrées européennes,
est sans exemple dans l’histoire du commerce. Dans les dix
années qui s’écoulent de 1825 à 1838, la production des Etats-
Unis monte de 720,000 à 1,360,000 balles, de 1835 à 1845 à
2.100.000 balles et de 1845 à 1856, elle atteint le chiffre de
3.527.000 balles. Donc, dans l’espace de temps comparative-
ment assez court de trente-deux ans, la production des Etats-
Unis seule a septuplé.
De cette production énorme, les Etats-Unis ne retiennent
pour eux que 770,239 balles; le reste, 2,954,606 balles, est ex-
porté, voici dans quelles proportions :
Pour la Grande-Bretagne . . . 1,921,386 balles.
» la France.................... 480,637 »
» le Nord de l’Europe . . . 304,005 »
» les autres contrées. . . . 248,578 »
Total. . . 2,954,606 balles.
De manière que plus des deux tiers de toute la production
cotonnière des Etats-Unis s’exporte vers l’Angleterre. Mais les
Etats-Unis ne sont pas seuls à cultiver et à exporter du coton;
nous avons encore l’Inde Anglaise, le Brésil, l’Egypte, les Indes
Occidentales, qui fournissent également de fortes quantités et
où la production, si nous en exceptons les dernières, s’accroît
aussi considérablement. La statistique officielle (1) suivante
montre les importations de qoton en Angleterre des divers pays
de production durant les seize dernières années :
(1) Pour le mois de décembre 1856, on n a pu faire encore qu’une estima-
tion approximative.
1841
1812
1843
1844
1845
1846
1847
1848
1849
1850
1831
1832
1855
1854
1855
1856
liv.
487992353
551750O86
673193116
646111504
721979953
467856274
474X07615
715020231
755469012
665376861
757379749
929782448
895278749
887333189
89175230?
1014493622
Ce tableau prouve que la production de l’Inde anglaise, du
Brésil et de l’Egypte s’est accrue c onsidérablement, quoique
les Etats-Unis fournissent les quatre cinquièmes de l’importation
delà Grande-Bretagne, importation qui a plus que doublé pen-
dant l’espace de seize ans que le tableau embrasse, puisque de
487,992,355 liv. qu’elle était en 1841, elle est montée en 1856 à
1,014,495,622 liv. Nous croyons tout à fait inutile, d’appeler
l'attention sur le redoublement d’activité que cet accroissement
a rlù imprimer an rommerc? du uutoii, ei a quel point il doit fa-
voriser la navigation, le travail des fabriques, l’industrie des
machines, les manipulations chimiques, la construction de
bâtiments, la confection de l’outillage, le commerce en général,
et cette foule de gens qui trouvent leur existence dans cette
branche de négoce.
Et cet énorme accroissement de l’industrie cotonnière de la
Grande-Bretagne n’a pas empêché cette industrie de faire ail-
leurs aussi de très;grands progrès. Il y a trente ans la consom-,
mation entière des Etats-Unis d’Amérique n’allait pas au-delà
de 100,000 balles ; l’année dernière elle était de 770,239 balles,
dont 652,739 balles pour les Etats du Nord, et 117,500 balles
pour les Etats du Sud de l’Union, c’est à dire plus que leur
production entière à la première époque. Il y a vingt ans, l’Eu-
rope continentale consommait à peine 200,000 balles, et enl856.
notre continent a consommé à lui seul 1,364,000 balles. Voici-
comment se répartit la consommation générale pendant pelle!
année *
Grande-Bretagne . . . 2,257,845 balles.
Europe continentale . . 1,364,000 »
Etats-Unis................. 770,239 »
Total. . . 4,392,084 balles.
Faisons observer que la consommation de l’Inde anglaise pas
plus que celle de la Chine n’est comprise dans ce chiffre. Cette
dernière doit être très considérable, puisque des 650,500 balles
coton brut qu’exporte l’Inde, 200,000 balles vont en Chine.
« L’extension de l’industrie cotonnière dans la plupart des,
autres pays, dit YEconomist anglais , auquel nous emprun-
tons les chiffres qui précèdent, n’empêche pas que nos fai»
peine faire tourner son argument contre lui. Il est protectioniste
et il prétend que , si on diminue les droits de douane, c’en est
fait de l’industrie cotonnière qui ne fleurit,selon lui, à Gand, que
parce qu’elle est mise à l’abri de la concurrence étrangère. Si
c’était la cause réelle de sa prospérité ; si, la protection doua-
nière venant à lui manquer, elle consommait moins de balles de
coton, tandis qu’elle en emploierait beaucoup plus, dans le cas
où la protection s’accroîtrait ; si pour prendre un chiffre de
comparaison, elle utilisait 150,000 balles de coton , au lieu de
100.000, ne serions-nous pas en droit de dire au Bien Public ce
qu’il dit à M. Joffroy— « puis après? qu’est-ce que cela prouve?
qu’il y a eu plus de coton importé, plus de coton filé, tissé, teint,
imprimé. Mais, de tous, ces faits, est-il résulté un avantage sen-
sible pour la Belgique et même pour la ville de Gand ? Le peuple
belge, le peuple gantois est-il plus moral , mieux portant, plus
dans l’aisance qu’auparavant ? »
Ce simple rapprochement doit faire comprendre au Bien Pu-
blic combien son raisonnement est absurde et nous le défions
de l’appliquer à Gand comme il l’applique à Anvers, à Bruxelles,
à Charleroi, à Liège, à Verviers , à Huy , en un mot à tous les
grands centres de travail qui réclament la réforme douanière.
Il prétend qu’il n’y a qu’une seule économie politique utile et
saine : celle qui est fondée sur la charité chrétienne.
Eh bien ! l’égoïsme n’est-il pas anti-charitable, anti-chrétien,
de sa nature? et cependant sur quel principe le protectionnisme
repose-t-il ? — Sur celui de l’égoïsme incarné.
----------n i ii --------------
La discorde est plus que jamais, au camp d’Agramant, et
certaines feuilles ont beau faire, elles ne parviendront pas à
nous convaincre du contraire. Et comment y parviendraient-
elles ? Après les discours de M. le ministre de l’intérieur à la
Chambre et au Sénat, après les violences de langage de la Patrie
et autres à son adresse, qui en furent la suite, voici que les
journaux réactionnaires eux-mêmes se déclarent une guerre à
outrance. Aujourd’hui même nous lisons dans le Journal de
Bruxelles un long article récriminatoire contre M. Coomans, qui
s’était permis comprimer dans Y Emancipation les aménités sui-
vantes :
« Les nouveaux propriétaires du Journal de Bruxelles, en quête d’abon-
nés, ne se contentent plus de nuire 5 notre publication par toutes sortes
de manœuvres mystérieuses ; ils impriment de temps 3 autre contre nous
des insinuations malveillantes, qu’ils n’ont pas le courage de signer ni de
préciser. Leur feuilleton d’hier est une œuvre méprisable, qui ne peut être
inspirée que par une basse envie, et qui vaudra à M. Coomans des témoi-
gnages nouveaux de la sympathie de l’opinion conservatrice tout entière.
Le blâme dont les membres les plus éminents de cette opinion ont frappé
le Journal de Bruxelles, aurait dû le ramener dans la voie d’où il a eu tort
de sortir, depuis le départ de l’honorable M. Stas.
» Pour s’expliquer les attaques du Journal de Bruxelles contre M. Coo-
mans et ses journaux, il faut remarquer que cette feuille, cherchant des
lecteurs à tous prix, croit, avec raison, avoir plus de chances d’en trouver
parmi notre clientèle que sur le terrain de ses adversaires naturels. Nous
rougissons, pour la jiresse conservatrice, d’avoir à faire au Journal de
Bruxelles cette réponse pénibie mais péremptoire.
«Provoqués dix fois, nous avons toujours gardé le silence. Désormais
nous riposterons, n’étant pas obligés d’avoir plus de générosité que cer-
taines gens ne montrent de dignité. »
Question de boutique, dira-t-on.Eh ! mon Dieu,oui; mais est-
ce que cela en prouve moins la scission profonde qui s’est pro-
duite depuis quelque temps dans le camp de nos adversaires?
Evidemment non. Et puis nous savons tous que les questions
de boutique sont précisément celles qu’affectionne certain parti,
celles dont la solution favorable lui tient le plus à cœur et
pour lesquelles il combat avec le plus d’acharnement.
N’oublionr pas de rappeler ce fait, que le Spectateur Belge,
fondé il y a peu de jours nar M. l’abbé de Ilaerne, semble sur-
tout avoir pour mission de faire pièce à une autre revue catho-
lique, la Belgique,dont l’honorable représentant de_Courtrai fut
directeur, et d’où on vient pour ainsi dii’e de l’expulser vio-
lemment.
m ■!! rw!flSffll|7n||lnl I1 III—1 1
Le Colon,
De toutes les branches de commerce, le coton est peut-être
celle qui a pris la plus grande extension dansles derniers temps.
Les exportations de l’Angleterre, qui se sont accrues en 1856
dej20,000,000 £ et atteignent aujourd’hui le chiffre colossal de
115.000. 000 £, doivent une grande parcie de leur accroisse-
ment à cette branche importante du commerce du monde.
Il en est de même dans les autres contrées, du moins dans
celles dont les habitants se distinguent par leur esprit d’entre-
prise, leur industrie et leur intelligence commerciale. Les ta-
bleaux du commerce belge en 1856 accusent un accrois-
sement important dans le chiffre des exportations des fabri-
qués de coton, et la Suisse, la France et l’Allemagne se trou-
vent absolument dans le même cas. Il va sans dire que ces
pays seront encore longtemps à pouvoir atteindre les
35.000. 000 £ d’exportations en fabricals de coton, que l’Angle-
terre a eu à enregistrer en 1856, et peut-être que tous ensem-
ble ils ^atteindront jamais ce résultat; mais à qui la faute ? A
eux-mêmes en grandepartie, nous n’hésitons pas à le dire, puis-
qu’au lieu de suivre l’exemple de la Grande-Bretagne, qui doit
avant tout au système de liberté commerciale, les progrès im-
menses de son trade, ils semblent ne pouvoir démolir qu’a-
vec la plus grande peine l’édifice vermoulu de la protection, qui
étreint de toutes parts leur commerce et leur industrie, et seul
lesnmpêche de progresser aussi rapidement et d’une manière
aussi étonnante que la Vieille-Albion.
est d’ouvrir le champ à leur originalité et de ne pas rétrécir leur horizon,
M. Van Bemmel, dis-je, a ouvert sa Revue h toutes les opinions, à toutes fék
doctrines. C’est une libre arène ou se rencontrent les lutteurs les plus
opposés d’humeur, de goûts et de tendances. C’est ainsi qu’à côté d’ua tra-
vail de M. de Potter sur la religion naturelle, nous y voyons quelques pages
éloquentes de M. Charles Lehardy de Beaulieu, sur la démocratie, le droit
de propriété et le libre échange; or M. de Beaulieu est peut-être l’homme
du monde qui sympathise le moins avec les principes de M. de Potter. Nous
trouvons aussi dans ce volume un chapitre de M. Altmeyer sur la première
invasion de la Belgique par Louis XIV; puis des ve’rs charmants de M.
Emile Deschanel; une étude de M. Albert Lacroix sur Shakspeare et M.'
Ponsard, élude dans laquelle les classiques sont fort maltraités, et des,
alexandrins plus sonores qu’exacts de M. Adolphe Mathieu, le classique
par excellence. M. Mathieu a entrepris depuis quelque temps une traduc-
tion d’Horace sur laquelle il y aurait bien des choses à dire ; mais le temps
me manque et je craindrais que l’on ne m’accusât de ne pas respecter
suflisammenl les palmes vertes de cet académicien.Je préfère recommander
ii mes lecteurs la Revue de M. Van Bemmel; ils y trouveront plus d’une
nouveauté et plus d’un genre d’intérêts.
Mais, puisque je m’occupe de bibliographie, permettez-moi de vous si-
gnaler la publication très-prochaine des Légendes brabançonnes, de M. De-
coster. Ce livre, écrit dans une manière tout à fait neuve, révèle en »'
auteur une étude sérieuse et profonde de la vieille littérature franc’’
voit que M. Decoster a véeu longtemps dans la familiarité fl’Arrivât ri
Montaigne et surtout de Rabelais. Bien venues soient don" ses’ U
pour ceux qui en médisent soient-ils occis du feu St-A~'t0jge ® ,yes -
Je vous ai parlé dans ma dernière lettre desenryùis dont ri C0Tïlm
martyrs est assailli aux premières heures de l’armée,je voua ai fait le tablpan
le plus lamentable des persécutions dont votre serviteur a été victime en cps
jours d’étrennes, de cadeaux et de gratifierons; je suis certain aue bon
nombre de vos lecteurs auront pensé comme iui et auront voué à l’exécra
tionidu monde l’an neuf et ses largesses, et pourtant :
... Quand le vieux Janvier, les épaules drapées d’un long manteau de
neige et suivi de poupées, de magots, de pantins, minuit sonnant accourt
combien de petites mains applaudissent à l’arrivée du bonhomme ’ Com’
bien! de cris de joie, d’admiration ou de terreur, éclatent à la vue des mer-
veilles que le vieux magicien tire de son sac inépuisable ! O les beaux hus-
sards, les belles clames en grandes toilettes, les vilains monstres qui tirent
la langue et roulent des yeux terribles ! ô les charmants joujoux et les
dragées. Il ny a guères que les enfants qui prennent part à la
maifl flllSCM S Pn Hnnnant.ilo N i _ _ \ nr -, .
fines
fête, mais aussi s’en donnent-ils à cœur joie, les affreux drôles* et
mcnent-ils assez grand tapage. L’antre jour cependant un charmant bam-
bin blond et rose dont j ai l’honneur d’étre l’ami, me fit part d’un grand
projet qu’il roulait dans sa petite tôte depuis toute une semaine — C’est
toujours papa qui me donne des étrermes, me dit-il; (ce papa est un de nos
écrivains les plus distingués) — je veux à mon tour lui donner quelque
chose. Et quoi donc ? — lui dis*je. — Je ne sais pas , mais je vais sortir
avec ma bonneet je choisirais. Aussitôt dit que fait; la bonne emmena
1 emant et tous deux se rendirent dans un magasin de la rue de la Made-
laine. Une heure après le baby revenait, portant triomphalement dans ses
petits bras un objet soigneusement enveloppé. —Qu’est-ce quetulienslà
Eugène?— lui dit son père.— Ce sont tes étrennes mon cher papa.—
Mes étrennes ! voyons donc. — Le père déroula l’enveloppe et se trouva
devant un magnifique cheval dît carton, hommage de son héritier pré-
somptif. ® »,
dans la séance d’hier et tendant à prolonger la prohibition jus-
qu’au 31 décembre.
Septs orateurs ont été entendus ; trois se sont prononcés en
faveur de la liberté commerciale, les autres se sont rangés de
l’avis de la commission. MM. Cogels et Michiels-Loos ont rap-
pelé que le système prohibitif a été repoussé par les commis-
sions d’agriculture, par la majorité des Chambres de Commerce
et par les députations permanentes. Ils ont démontré que le
régime de la liberté commerciale, établi d’une manière stable,
peut seul faire obtenir au pays les céréales qui lui manquent.
Les adversaires du système défendu par les honorables séna-
teurs d’Anvers se sont bornés à prétendre que la question n’é-
tait pas assez mûre — après les longs débats parlementaires
dont elle a été l’objet — pour recevoir une solution définitive.
Nous sommes convaincus que telle ne sera pas l’opinion de la
majorité du Sénat, qui émettra son vote dans la séance de ce
jour.
Nous ne nous occuperions nullement des élucubrations éco-
nomiques du Bien public, si nous ne tenions à montrer combien
le parti extrême,dont ce journal est un des principaux organes,
est peu porté à favoriser le développement de la richesse géné-
rale par les facilités et les ressources offertes, tant à l’industrie
qu’au commerce.
Ge journal publie un nouvel article contre le meeting réfor-
miste qui a eu lieu à Anvers. Cette fois-ci, c’est à M. Joffroy
qu’il s’en prend.
Notre honorable conciloyen a dit dans la séance du 30 dé-
cembre :
« Notis avons à Anvers deux grandes industries, celle des sucres, la raffi-
nerie, et celle des armements maritimes.— Avant 1845, la première tra-
vaillait sou3 un rendement de 57 1/2 à 60 p c.; ses affaires allaient en
diminuant d’une manière effrayante, et bientôt sa ruine aurait été con-
sommée, malgré cette grande protection qui iui permettait de livrer à la
consommation, indemne de tous droits, une quantité considérable de su-
cre. Le trésor sacrifiait ainsi inutilement les 9/16® de son revenu. Le gou-
vernement, libre-échangiste en cette circonstance, je ne sais s’il le fut
malgré lui ou par principe, diminua graduellement la prime protection-
niste et, chose étonnante pour les Amis du travail national, mais non pas
pour nous, Messieurs, l’industrie opprimée se releva graduellement de sa
décadence ; la prospérité lui revint, les importations de sucre brut augmen-
tèrent dans des proportions extraordinaires.
« Quant aux armements, on a longtemps prétendu que la Belgique ne
pouvait se créer une marine qu’à l’aide d’une forte protection,et l’on a attri-
bué à la faiblesse des droits protecteurs le peu de succès des armements.
» Mais plus tard on a mieux fait, on a laissé à l’initiative des exigences
du commerce le soin de se créer sa propre prospérité et, depuis l’abolition
des droits différentiels, les constructions maritimes se produisent de tous
côtés, les navires sont plus grands, mieux construits ; en un mot, ne jouis-
sant pas de prime à la paresse, les armateurs ont compris qu’ils devaient
travailler et se mettre à la hauteur des circonstances, et ils ont réussi ! »
Voilà des faits certes très-concluanis. Vous pensez peut-être
qu’ils ont une signification en faveur des doctrines libérales. —
Nullement. « Puis après, dit le Bien Public, qu’est- ce que cela
prouve? qu’il y a eu plus de sucre importé, plus de sucre raffiné;
qu’il y a des navires plus grands et mieux construits, comme il
y a eu plus de sucre importé dans leurs flancs élargis, Mais, en
admettant qu’on en doive attribuer le bienfait à l’abolition du
système des primes ou des droits différentiels, a-t-il résulté de
ces deux faits un avantage sensible pour la Belgique et même
pour la ville d’Anvers? Depuis 1854, le peuple belge, le peuple
anversois est-il plus moral, mieux portant, plus dans l’aisance
qu’auparavant?» — Il est inutile d’ajouter que le Bien Public
se prononce pour la négative.
Ainsi, d’après lui, voilà un bienfait qui ne procure aucun
avantage réel à personne; voilà un bienfait immoral, malsain,
appauvrissant le peuple ! Pourquoi? il va vous l'apprendre : —
« Les appâts, dit-il, se multiplient sous toutes les formes, pour
affriander les goûts, allécher les caprices, séduire les fantaisies,
en même temps que les moyens diminuent pour se procurer le
nécessaire. Quel pays raffine plus de sucre, quel pays construit
de plus beaux navires que l’Angleterre? Dans quel pays du
monde la misère est-elle rendue plus douloureuse par les tenta-
tions mômes des jouissances qui lui sont refusées? Où y a-t-il
plus d’abondance à gaspiller en excès par ceux qui possèdent,
ou plus de privations à subir avec rage par ceux qui n’ont rien ?»
Tartuffe exprimait absolument la même pensée, lorsqu’il
disait :
« .... Cachez, cachez ce sein que je ne saurais voir.
» Par de pareils objets les âmes sont blessées.
» Kt cela fait venir de coupables pensées. » .
On dirait à entendre,... nous allions dire Tartuffe... à enten-
dre le Bien Public , que , si l’ouvrier trouve dans l’activité du
travail le moyen de gagner plus d’argent et que, s’il en gagne,
en effet, davantage, son premier soin est de consacrer son
salaire à la perdition de son âme et de son corps. C’est indigne-
ment calomnier l’ouvrier laborieux ; il n’y a que l’ouvrier pa-
resseux qui s’abandonne brutalement aux excès dont parle
cette feuille confite en orthodoxie. Cependant, grâce à Dieu , il
y a en Belgique un très grand nombre d’ouvriers qui font un
excellent emploi de ce qu’ils gagnent, au delà de ce qu’exigent
les besoins delà famille, qui économisent et font fructifier leurs
économies, qui, enfin, parviennent à se procurer une aisance
d’autant plus honorable qu’ils ne la doivent qu’à eux-mêmes.
Nous en connaissons bon nombre à Anvers, et le Bien
Public, s’il s’en donnait la peine, en trouverait aussi dans les
Flandres.
Ce qu’il ne remarque pas peut-être , c’est que l’on peut sans
* •
13 Janvier.
BULLETIN POLITIQUE.
L’affaire de Neufchâtel marche décidément vers une conclusion pacifique.
Le langagedësjournauxofficiels delaSuissene laisse ancùndoute à cet égard
D’après notre correspondance particulière de Paris les prisonniers^ seraient
conduits sur le territoire français, cù ils demeureraient jusqu à 1 arrange-
ment complet de la question de l’abandon des droits de la Prusse sur la
principauté. , .
Le conseil fédéral a été unanime pour trouver acceptables les proposi-
tions transmises de Paris parla légation suisse. On ne met pas en doute,
la sanction de l’assemblée fédérale, convoquée, on le sait, pour demain 14.
Aussitôt après,les propositions seront transmises à Berlin par les puissances
médiatrices et quoique les journaux allemands continuent à nier qu il y ait
eu entente préalable entre les cabinets de Berlin et de Paris, nous ne pen-
sons pas que de ce côté survienne un obstacle à la prompte conclusion
pacifique du différend. La presse allemande joue quelque peu sur les mots;
s’il est vrai qu’il n’y a pas eu entente of/icielte, il rien est pas moins certain
que l’entente officieuse a eu lieu et l’on va même jusqu’à prétendre que
l’empereur Napoléon aurait reçu du roi de Prusse une sorte de blanc-seing
pour renoncer, en son nom, à la souveraineté de Neuchâtel,aux conditions
stipulées dans la note médiatrice.
La conférence des puissances signataires du protocole de Londres, aura
heu, assure-t-on, à bref délai.Elle se réunirait à Londres, du consentement
de la Prusse, pour régulariser une dérogation aux actes du congrès de
Vienne. La Suisse y serait représentée.
La Russie se montre très empressée de se conformer aux décisions prises
dans les dernières conférences de Paris. Une dépêche de Berlin nous an-
nonce, en effet, que le gouvernement russe a déjà ordonné le rappel, de
file des Serpents, du lieutenant et des sept matelots dont le séjour sur cette
île a menacé un instant de troubler la bonne harmonie, à peine rétablie
entre les grandes puissances.
Les nouvelles d’Italie nous apprennent que l’empereur d’Autriche et son
épouse ont quitté Venise pour se rendre à Milan, où leur entrée solennelle
aura lieu le 15 Janvier. Le programme des fôtes officielles qui doivent avoir
lieu à cette occasion a été affiché le 8 au matin dans la capitale de la Lom-
bardie. Les lettres particulières signalent des mesures arbitraires prises par
les autorités de cette ville, pour forcer l’enthousiasme de la population; on
redoute à Milan une réception non moins glaciale qu’à Venise, où cepen-
dant l’accueil a été tel, que l’empereur s’en est plaint aux magistrats au
moment de son départ.
La situation de l’Italie Va donner lieu à des interpellations dans la Cham-
bre des députés de Sardaigne. Ces interpellations ont été annoncées par
M. Broffeno, et M. Cavour, président du conseil, a seulement demandé
qu’elles rieussent lieu qu’après la présentation du budget. Le budget a dû
être présenté hier. M. Palavicim a annoncé qu’il prendrait part au débat.
De Naples, on écrit que sept des insurgés de la Sicile ont été fusillés en
même temps que le baron de Bentivegna.Nous publions une lettre fort cu-
rieuse de Naples adressée à la Presse de Paris.— Le clergé semble en butte
aux défiances du gouvernement et des arrestations assez nombreuses au-
raient eu lieu parmi ses membres les plus influents.
Les nouvelles d’Espagne Sont nulles. Les troubles de Valenceà l’occasion
du rétablissement du droit des Consumos sont complètement apaisés.—
Le maréchal de camp, Diego de Ios Rios, capitaine général par intérim du
district de Valence, a été nommé titulaire des dites fonctions en considéra-
tion des services rendus par lui dans l’agitation de ces jours derniers.
L’empereur de Russie vient d’approuver un plan complet de fortifications
pour St-Pélersbourg. Les travaux commenceront au printemps. Des travaux
de fortifications pour le golfe de Bothnie et les embouchures du Bug et du
Dnieper sont à l’étude. On dit de nouveau que l’empereur doit faire au prin-
temps un voyage à l’étranger, ét on nous écrit qu’il rencontrera peut-être
à Berlin plusieurs souverains, et qu’il s’agit « de lier plus étroitement les
» relations d’amitié qui ont pu se former, malgré l’hostilité récente du con-
» tinent contre la Russie. »
S. A. I- le grand-duc Constantin, retenu pendant 30 heures à Kovno par
les glaces de la rivière, qui ne permettent pas le passage, n’était attendu
que dimanche ou lundi à Berlin.
Une correspondance de Hambourg mande, d’après les dernières nouvel-
les reçues de Copenhague, que le gouvernement danois vient d’adresser à
tous les Etats maritimes intéressés dans la question du Sund, l’invitation
de renvoyer leurs plénipotentiaires à Copenhague le 15 février prochain,
pour y signer le protocole de clôture des négociations.Cette correspondance
fait aussi connaître les chiffres auxquels a été fixée la quote-part des diver-
ses puissances dans la capitalisation. Nos lecteurs trouveront plus loin Ces
renseignements.
Une dépêche de Trieste en date du 11, annonce l’arrivée de la malle inter-
médiaire des Indes avec dés dates de Calcutta du 8 décembre et de Bombay
du 17. Ou était sans nouvelles de l’expédition du golfe Persique.
Dépêche télégraphique.
Londres, 13 janvier.
Consolidés 93 3/4 7/8. — Esp. piastres 23 3/4 7/8. — Russes , 5 0/0 107. —
Stieglitz, 96. — La bourse est très tranquille.
Paris, A3 janvier, 1 1/2 heures.
Ouverture de la Bourse :
Rente 3 0/0 68 30. — E3p. intér. 37 3/8. — Esp. piastres, 23 5/8.
Sénat.
Le Sénat a abordé hier la discussion des articles du projet
de loi sur les denrées alimentaires. Ce n’a été, à proprement
parier, que la continuation de la discussion générale dans la-
quelle les orateurs se sont partagés entre le projet adopté par
la Chambre des Représentants et les propositions de la commis-
sion.
M. le ministre de l’intérieur a déclaré, naturellement, ne pas
se rallier à l’amendement de M. Savart, qui tendait à laisser au
gouvernement la faculté de lever la prohibition au '1er juillet,
sans rendre obligatoire l’exercice de cette faculté. M. le minis-
tre a repoussé également un amendement nouveau introduit
FEUILLETON DU PRÉCURSEUR. *
COURE1ER BE BRUXEIXES.
Monsieur,
Je vous ai parlé, dans ma dernière lettre, de la grande fête que la rédac-
tion du journal \'Vylenspiegel devait donner cetto semaine aux artistes et
aux gens de lettres Druxellois; jeudi soir, à onze heures sonnant, les bu-
reaux du journal, transformés pour la circonstance et décorés avec une
charmante coquetterie, ont été envahis par une foule d’habits noirs eide
cravattes blanches, auxquels Vylenspiegel a fait les honneurs de chez lui,
de la meilleure giûce du inonde. Il y avait aussi des dames, en assez petit
nombre toutefois, mais charmantes de la tête aux pieds. Je ne vous dirai
pas leurs toilettes, ni la couleur de leur robe, ni la longueur de leur iraine,
je^suis inhabile à ce genre de descriptions; tout ce que je sais, c’est
qu’elles avaient de fort beaux yeux et qu’elles dansaient à ravir. Je dois
ajouter aussi, et c’est une remarque bonne à faire, que les coiffures de ces
dames étaient d'une sobriété d’ornementation devenue beaucoup trop rare.
— Quand on n’a plus de cheveux, me disait un jour une dame, on met des
fleurs.— Ce qui fait que la rose m’est devenue suspecte, que le camélias me
semble plein d’artifices et ie jasmin plein d’hypocrisie. J'aime mieux les
cheveux et cependant combien les cheveux ne sont-ils pas sujets à caution?
Je ne viens pas vous rappeler à ce sujet les vieilles épigrammes de Martial,
permeltez-moi seulement de vous citer un mot cruel adressé par une jeune
modiste à une de ses clientes, donl t’abondante chevelure était bien à elle,
puisqu’elle l’avait payée. — Mon Dieu, disait la dame, que ces petits cha-
peaux sont ridicules ; on pe sait vraiment plus où mettre ses cheveux,
quand on sort!— « On les laisse dans la boite, madame, répond la modiste
?vec un grand sang-froid.» Le mot était joli, mais imprudent car,la dame fil
*nre ses chapeaux ailleurs. .
Cette disgression m’a éloigné d'Vylenspiegel,.mais j’y reviens bien vite.
La soirée a commencé avec uae certaine gravité sévère. Cornelissen, le
charmant chanteur, a dit d’abord une romance que Lassen accompagnait
au piano. Lassen, par parenthèse, est un compositeur d’un rare mérite et
qui arrivera comme Gevaert, quand il aura eu le bon esprit de s’expatrier.
Depuis deux ans à peine qu’il est revenu d’italie, Lassen a composé avec la
collaboration de Jules Guillaume; un opéra très remarquable que le
*an Hêdrin du théâtre de la Monnaie a refusé d’emblée,sous prétexte qu’il ne
convenait pasà un débutantdecommencer par un grand opéra. Faites des ro-
mance?, a-t-ou dit à Lassen, risquez-même l’opérette en un acte, une chose
legére,de peu d’importance et qui ne&ortepasdenos habitudes. Ne faites pas
autrement que tout le monde,imprudent jeune homme,et vous serez le bien
venu parmi nous. Lassen ne s’est pas laissé séduire par ces propos flatteurs
.•h rePr‘f son opéra et l’a, ma foi, été porter à Listz, le célèbre maître de
cnapelledu duc de, Saxe-Weimar, el Listz a été moins difficile que Monsieur
iëo7. — IV 15-
AlWERS, Mardi 15 «Janvier.
Vingt-deuxième année.
Tout ce qui concerne la
Rédaction ou l'Adminis-
tration s'adresse aux pro-
priétaires du Précurseur,
MM. DEWEVER FRÎSRE9,
rue de l'Amman, 1.
E PRECLRS
A
ABONNEMENTS-
(Au bureau du Précurseur et
chez tous les directeurs des
Postes.) Pour Anvers frs. 12.50
par trimestre. Pour tout le reste
de la Belgique, franc de port,
fr. 15. Pour la Hollande fr. 17;
l’Angleterre frs. 15; la France
fr. 22 ; l’Allemagne fr. 18; lea
Etats-Unis, le BrésU, les Indes,
ete. fr. 27.50.
INSERTIONS.- 25 cent la ligne
RÉCLAMES. — 50 centimes.
CHEMIN B£ FER. - DÉPARTS D’ANVERS; Pour Malin, et Bruxelles, à 6-30, 8-4’, 3.10, S. 50 S., 4-30,
n Matines) S-15.-Term. et Gand, 6-30, 10, 2-50 E., 4.30. — Àlost (par TennondeJ 6-30, 10 2.50 3., 4.S0.
Idem par Brux. 10,4.30_Lokeren par Mal. 6.30,10,2.50 B., 4.30. — Ninove, Gramm., Dessines, Atli, par
Mal. 10, 2.50 E., 4.30. Id. par Brux. 10,4.30.- Brug. et Ost. 6.30, 10, 2.50 E., 4.30 - Court.,Mouse., Lille,
6.30,10, 4.30.-Tournai 6.30,10 par Gand, 2.50 E., par Ath, 4.30 par Gand.-Calais 6.30, 10, 4-30.-Louy.,
Tirl., 6.30, 8.45 E., 10, 4.30, 7, 8.15 E.—Liège,Verv., 6."O, 8.45 B.,10, 4.30, 8.15 3.-Landen,6.30, 10, 4-30.
- Aix-la-Chap., Colog., 8.45 E-, 10, 8.15. E., — Gladb., Duss., Cref., Ruhr., 8.45 3., 10, 8.15.
Journal Politique Commercial Maritime et Littéraire.
PAIX.- LIBERTÉ. — PROGRÈS,
KOLLANOO-ËÎLGE. — D'Anvers pour Dordrecht, Rotterdam, 7 30, 12-15,5-30. — ld. Roosendaal, Moerdyck
7-50, 12-15, î 30. — ld. Etten, Breda, 7-50,12-15, 5-30. — Rotterdam, Moerdyk, Anvers, S, 10-20, 3 20. —
Brada, Roc mdaal, Anvers, 7,12-30, 6.
PATS BE W! '• - D’Anvers par Beveren, St-Nicolas,Lokeren et Gand, 6-S0, 8-50 10.30,2.50.6.—De Gand
Lokeren, S; Nicolas, Beveren, Anvers 6.20, 9, 11,2-10 5.50.
Etats-Uni8
Brésil.
Egypte.
Iudes-
orientales
anglaises.
Indes-occ.
anglaises
et Guyane
anglaise.
Autres
con-
trées.
liv.
368240960
414030779
374738600
317218622
626660412
401949393
464699290
600147188
634604060
495163112
696638902
66630644
668431796
722151346
681629424
803663430
liv.
16671318
15222828
18675123
1084744
20157633
14746321
18966922
19977378
30738133
30148980
19339104
26506141
26190628
19701600
24577252
20903232
liv.
9097180
4489017
9674076
12406327
14014699
14278447
14814268
7231861
17369843
18931414
16930525
48058640
28353573
23503003
52904153
31092148
liv.
97688135
92972609
65709729
88639776
58437426
34540143
83934014
84101961
70838315
118872742
122626976
84922432
181848160
119856009
145179216
147438266
liv.
liv.
1553197:5061513
593603 4441230
1260444 3135224
1707194 5054641
13941471 725336
1201857
793933
640436
944307
1140113
598587
827036
1074164
228713 2090698
446529 1577653
703496 3960992
350428 2084102
409110 1730081
468452 6992805
"6207536“
Trois-Etoiles, il a embrassé le jeune compositeur sur les deux joues et s’est
chargé de faire exécuter son œuvre à Weimar, devant une des cours les
plus artistiques de l’Allemagne.
Lassen accompagnait dune son ami Cornelisseu ; après celui-ci Dupont
s’est fait entendre dans une fantaisie sur des motifs de Robert. Dupont a
'été applaudi à triple salves ; puis Bovie, le spirituel chansounier, a dit
quelques-unes de ses chansons badines, dont un couplet, mais uu seul,
assez court vêtu, a produit un remue-ménage d’éventails. Enfin l’orchestre
de Sacré a donné le signal delà danse et l’on a valsé jusqu’à l’aurore,
comme il convient à des gens vertueux. Les dames se sont retirées à trois
heures, mais la fête n’y a rien perdu de son animation, si elle y a perdu de
sescharmes.Vers le matin la plus douce familiarité régnait dans l’assemblée;
on dansait encore au son du piano tenu par Jour et Junior; un peintre anver-
sois exécutait des solos de basson et Karski demandait dans les termes les
plus éloquents la tête de ce musicien forcéné. — Il jouerait du basson sur
la tombe de son père, — disait le poète slave, — c’est un être dangereux
et dont il faudrait purger la société. J’ai vu monter sur l’échafaud des gens
qui s’étaient contentés d’assassiner un homme; celui-ci joue du basson et
la justice humaine ne pourrait rien contre lui ?
J’ajculerai, pour terminer ce compte-rendu, que’te buffet était splendide
et que maître Jean,le. porteur de l'Vylenspiegel, distribuait les rafraîchisse-
ments avec une profusion princière. Vers le matin je t’aperçus s’offrant
du punch à lui-même. Il lil bien quelques façons, mais il y mit tant d’in-
sistance que force lui fut bien d’accepter; ce qui était une marque de poli-
tesse et de savoii-vivre.
Somme toutejeelte petite fête,pleine do sans façon et de franche gaité,est
un heureux essai de rapprochement entre nos diverses catégories d’artistes.:
Il ne peut en résulter qu’une union plus grande el dont tous profiteront,
car il y a dans les arts une solidarité et une communauté d’intérêts qui
leur rendent les divisions fatales. Je ne puis donc qu’applaudir à l’initiative
prise par '.'Vylenspiegel, en souhaitant que ses soirées de famille soient
toujours aussi animées et aient autant d’abandon que celle dé jeudi dernier.
Je vous ai parlé, monsieur, de la déconvenue arrivée à Lassen, à propos
de l’opéra qu’il avait soumis à l’approbation du comité de lecture du
théâtre de la Monnaie ; M. Lebeau fils, auteur do la Esmeraida, vient de
subir une mésaventure à peu près semblable. Son opéra avait été accepté
par M. Letellier, directeur du théâtre de ta Monnaie, et mis à l’élude. M.
Lebeau devait, iria-l-on dit. payer les frais de mise en scène qui ne mon-
taient pasà moins de dix mille francs. La pièce était annoncée depuis un
mois ; on disait que la famille royale devait assister à la première repré-
sentation ; enfin les rôles étaient distribués et M. Lebeau avait été compli-
menté môme par quelques-uns des artistes chargés d’interpréter son œuvre,
quand il apprit un jour que son opéra allait être retiré, parce que MM.
Wicart, Depoitier, Aujac et MR* Vandenhaute, se refusaient à chanter leurs
rôles, qu’ils déclaraient impossibles. Je ne connais pas le mérite de l’œuvre
de M. Lebeau, mais le procédé dont on use envers lui me semble assez
incompréhensible. Et d’abord comment se fait-il que le comité riait pas été
appelé à se prononcer sur la valeur de sa musique ? Rappelons-nous la
rigueur avec laquelle le jury musical a-revendiqué ses droits et en a usé
quand il s’est agi dé l’opéra de Lassen. Pourquoi donc ces juges sin-
cères se sont-ils abstenus en cette circonstance ? Pourquoi n’ont-ils
pas jugé? Pourquoi le directeur du théâtre, qui ne devrait pas avoir
voix prépondérante au chapitre en semblable matière, s’est-il pro-
noncé seulet a-t-il déclaré,de son autorité privée, que l’opéra de M. Lebeau
pouvait être joué, quand ses artistes viennent aujourd’hui affirmer le con-
traire. Enfin, depuis quand des chanteurs ont-ils le droit de refuser des
rôles de leur emploi? Depuis quand, surtout,les directeurs de théâtre ae-
quiéscent-ils avec tant de facilité aux fantaisies de leurs artistes? Il y a
dans tout cela quelque chose qui ne se comprend pas bien et qui exigera
des explications. Quant à M. Lebeau, il peut tout au moins se plaindre du
manquo d’égards avec lequel ou l’a traité, aussi comprend-on la vivacité
avec laquelle il a relevé dans les journaux, la conduite des artistes et dn
directeur de la Monnaie; mais je crains fort qu’il rien soit guère plus
avancé et que sa Esmeraida ne lui reste pour compte. Nous verrous bien.
Un de nos architectes les plus distingués, M. Louis Decurte, auteur du
monument de la Reine, élevé sur la place Royale, lors des fôtes anniver-
saires, expose en ce moment dans les salons de notre Cercle astistique, un
plan d’église cathédrale, qui a produit une vive sensation. Le monument,
d’un aspect tout à fait grandiose, est comparable aux plus grandes cathé-
drales des beaux âges de l’architecture gothique. Toutefois, tenant compte
des besoins nouveaux, M.Decurte s’est ell'orcé d’y approprier lesexempleset
les ressources de la tradition, c’est à dire qu’il est parvenu à innover saus
faire perdre au monument l’aspect sévère et majestueux de nos vieilles
basiliques. C’est ainsi qu’il a surmonté son édifice d’une vaste coupole octo-
gone, telle qu’èn offrent les églises St-Pierre de Rome et St-Paul de Londres.
La Cathédrale d’Anvers nous montre aussi uu essai en ce genre ; mais les
architectes semblent avoir manqué de hardiesse et s’étre arrêtés à un
moyen terme que les proportions de l’édifice motivaient peut-être ; M. de
Curie, lui, a poursuivi son idée jusqu’au bout et l’a réalisée avec une am-
pleur véritablement magistrale. Ces innovations que les archéologues blâ-
meront peut-être, me semblent à moi très méritoires. Il est malheureuse-
ment trol) vrai que le dix neuvième siècle n’a pas d’architecture qui lui
soit propre. Il ne fait qu’imiter servilement selon le goût du jour, encom-
brant nos cités tantôt de ces faux temples antiques, donl notre Théâtre
Royal nous offre un si détestable échantillon, tantôt de joujoux gothiques
qui semblent sortis des boites de Nuremberg ; sans parler des bonbonnières
renaissance qui s’étalent dans nos rues : mais ne lui demandez rien d’ori-
ginal, rien qui porte son cachet; notre époque ria pas de style, elle n’a pas
le génie créateur, du moins en architecture; elle copie péniblement el
sans les 'comprendre, les œuvres des maîtres maçons du moyen-âge
et croit avoir atteint aux dernières limites de l’art quand elle a tracé au
compas quelque ogive flamboyante, sur un mur d’une brique el demie
d’éjiaisseur. D'où provient cette impuissance et à qui en est la faute ? C’est
ce dont je ne déciderai pas, je me borne à constater un fait ; c’est que
l’originalité nous manque et que l’on doit savoir gré aux artistes qui ten-
tent des roules nouvelles. Je ne puis doue que féliciter M. De Curie de la
hardiesse avec laquelle il sort des données ordinaires et de ses louables
efforts pour concilier tes ressources de l’art gothique avec les besoins
de ta civilisation moderne. M. De Curie a obtenu l’année dernière, au grand
concours de Lille, la seconde médaille d’or; cette fois, du moins, le jury a
été juste et son jugement sera ratifié par tous les hommes de goût.
J’ai reçu avaut-hier le dernier volume de la Revue trimestrielle et n’y ai
jeté encore qu’un regaid rapide ; mai? ce coup-d’œil m’a suffi pour consta-
ter que la Revue est plus vivace que jamais et quelle a pris bien franche-
ment la première place parmi nos publications périodijues. La Revue hi-
mestrielle, dirigée par un homme de beaucoup d’esprit et de savoir, M.
Eugène Van Bemmel, est un recueil d’un grand prix pour notre jeu-
nesse littéraire, qui y trouve toutes garanties de liberté et d’iudépendauce.
M. Eugène Van Bemmel, comprenant que le meilleur moyen d’encou-
rager les jeunes talent? et de leur faire produire tout ce qu’ils peuvent,
H
o
Années. |