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L’ÉMULATION.
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tain (i). A part cela, tous les autres ornements disparus seront
refaits, les écussons de la gilde, les emblèmes allégoriques, les
médaillons romains, le bas-relief du fronton, les cornes
d’abondance du sommet, et la belle façade de la Louve sera
reconstituée telle qu’elle s’éleva, il y a deux siècles, sous la
direction de son créateur, l’architecte Herbosch.
(L'Etoile belge.)
FRANCE
L’enseignement de l’architecture
est aujourd’hui qu’a lieu la
rentrée des élèves de l’Ecole des
Beaux-Arts. Les cours d’archi-
tecture sont les plus suivis,
puisqu’ils comptent plus de
5oo élèves ; aussi l’importance
de cet enseignement appelle-t-il
quelques observations.
Il y a longtemps qu’on a
signalé les vices de l’enseigne-
ment de l’architecture à l’Ecole
des Beaux-Arts.
Viollet-Le-Duc a été un des
plus ardents adversaires de cette fausse éducation. Certes,
depuis quarante ans, il est sorti des architectes de l’Ecole.
Mais s’ils ont réussi à dégager leur personnalité de la masse
de leurs confrères, c’est qu’ils avaient en eux la foi, la flamme,
la vocation, qui vivifient.
La plupart du temps, les élèves sont lancés dans la vie avec
une instruction factice et incomplète. Ils savent tenir un com-
pas et manier un pinceau. Ils feront une aquarelle charmante
pour figurer la façade d’un édifice, parce que la bonne exécu-
tion de leurs dessins, le rendu, est une des obligations qui leur
sont imposées. Mais ils ne connaissent pas les matériaux qu’ils
emploient, ignorent leur résistance et sont incapables de cal-
culer autrement que par des formules toutes faites, les dimen-
sions des planchers, des piliers ou des voûtes qu’ils projettent.
Au point de vue de l’art même, cette façade si coquettement
présentée, n’est le plus souvent qu’une réunion de détails pris
un peu de tous les côtés, sans grand souci de la façon dont ils
se raccordent entre eux. S’il s’agit du projet d’un grand bâti-
ment officiel, on y voit inévitablement apparaître ces réminis-
cences des architectures grecque et romaine qui nous pour-
suivent depuis si longtemps.
Il y a pourtant autre chose que le temple de Pæstum ou la
basilique de Saint-Pierre. Sous notre climat surtout, sans la
lumière aveuglante des ciels du Midi, ces modèles du beau
perdent de leur éclat. Il y a, d’ailleurs, à mettre en parallèle
des bâtiments qui ne manquent pas d’une certaine grandeur.
La Madeleine, qui représente avec assez d’exactitude ce que
l’art grec peut inspirer à nos architectes, fait une bien triste
figure à côté de Notre-Dame de Paris.
La cathédrale de Paris n’est d’ailleurs pas unique en France.
Ils sont légion, les édifices que nous a légués cette admirable
architecture française qui date de l’invasion de Barbares. A
cette époque lointaine, on ne faisait plus de temples, on ne
bâtissait pas encore d’églises. Mais, à partir du xie siècle, c’est
au contraire dans les cloîtres et dans les églises que l’architec-
ture trouve les éléments nécessaires à son développement. La
foi l’inspire, ses ressources sont grandes, et de tous côtés s’élè-
vent ces monuments si beaux qui, jusqu’à la Renaissance,
décrivent splendidement sur leurs pierres l’histoire nationale
et sa philosophie.
Eh bien ! cet art français était autrefois lettre morte à l’Ecole
française des Beaux-Arts. On y vantait les grâces des Grecs et
des Romains, artistes éminents certainement, mais on y pas-
sait sous silence tous ces chefs-d’œuvre anonymes, qu’ont
laissés les artistes français du moyen-âge, depuis les Thermes
de Jullien, qui datent de la décadence romaine, jusqu’aux
bijoux de la Renaissance. On repoussait leur influence et si
on ne pouvait nier la splendeur de ces œuvres à l’édification
desquelles plusieurs siècles avaient quelques fois contribué,
on trouvait inutile de les étudier. Un cours existait en dehors
de l’Ecole, au Trocadéro ; cela suffisait pour tirer de cet art
gothique toutes les admirables leçons qu’il renferme.
Cette regrettable opposition est aujourd’hui officiellement
levée. Une chaire d’histoire générale de l’architecture a été
créée, et l’art français trouvera naturellement dans son pro-
gramme la part importante qui lui revient.
Ce n’est pas tout encore. Lors du vote du dernier budget
des Beaux-Arts, le Parlement a voté les fonds nécessaires à la
création d’une chaire de l’architecture française.
Quelle objection pourrait-on faire à cette création? Aucune.
L’art du moyen-âge fut surtout religieux, c’est vrai. Mais les
modèles grecs et romains si souvent copiés étaient, eux aussi,
des temples.
D’ailleurs les laïques savaient bien s’inspirer des productions
des architectes religieux pour les palais ou les autres édifices
qu’ils construisaient. Le caractère religieux de l’art gothique
est un des gages de sa sincérité. La société, alors, était reli-
gieuse. L’architecture devait l’être aussi, car le style architec-
(i) Ces grillages sont aujourd'hui rétablis. (N. D. L. R.)
tural d’un pays dépend étroitement de sa civilisation et de son
état politique.
Les Français pur-sang se féliciteront si les jeunes architectes
futurs connaissent l’art français aussi bien que les arts grec et
romain. Il est temps vraiment de renouveler les modèles des
édifices publics. Certainement des précautions sont à prendre,
mais si l’étude de l’art français, approprié aux besoins moder-
nes, pouvait nous amener une deuxième Renaissance, il y
aurait vraiment profit pour tout le monde.
(La Justice.)
BELGIQUE
L’architecture des époques romane et gothique
e travail que nous vous présentons aujour-
d’hui, existait dans notre esprit, au moins
dans ses grandes lignes, depuis bien long-
temps déjà. Nous nous disposions à lui faire
voir le jour, lorsque fut annoncée l’étude de
Alph. Wauters, notre éminent membre
d’honneur, sur le développement de l’archi-
tecture romane en Belgique.
Nous attendîmes alors l’apparition du travail annoncé,
afin de voir si le savant archiviste n’aborderait pas quelques-
uns des points que nous avions l’intention de traiter. Bien
nous en a pris, car nous avons trouvé dans la notice en ques-
tion des choses qui corroborent absolument notre thèse.
Depuis, diverses circonstances nous ont empêchés de mettre
la main à l’œuvre jusque dans ces derniers jours.
Pendant notre siècle, et particulièrement depuis le mouve-
ment romantique de 1830, une puissante réaction s’est pro-
duite en faveur de l’architecture gothique et des arts du
moyen âge en général. Après les tentatives timides et souvent
maladroites du style troubadour, produit bizarre d’un amour
mal raisonné pour l’art de cette époque si peu connue, on a
vu, à la suite des travaux d’une pléiade d’artistes de premier
ordre, l’architecture gothique et les arts qui s’y rattachent,
refleurir en quelque sorte sous nos yeux. En France, les tra-
vaux de Caumont, Quicherat, Viollet-le-Duc; en Angle-
terre, le gotic revival; en Allemagne, une renaissance analogue
ont amené une foule d’artistes à adopter ce style, dans lequel
ont été conçus des édifices d’une importance des plus consi-
dérables, comme le Parlement de Berlin (i), celui de Londres
et le Palais de justice de cette dernière ville. Dans notre pays,
cette renaissance s’est manifestée surtout par la création et
les travaux de l’école de Saint-Luc de Gand, qui a peu à peu
rayonné dans tout le pays, et dont il serait puéril de con-
tester les services rendus, non seulement à l’art gothique,
mais à l’art de bâtir en général.
En présence d’un mouvement comme celui-là, on peut se
poser la fameuse question sur laquelle des flots d’encre ont
déjà coulé depuis un demi-siècle : Faut-il adopter l’art
gothique pour en faire le point de départ de l’art du siècle
prochain? ou, pour parler d’une façon plus précise, faut-il
chercher dans cet art les éléments nécessaires pour créer un
art nouveau, avec les moyens que les découvertes modernes
mettent à notre disposition ? Malgré les polémiques aussi pro-
lixes que passionnées, auxquelles cette question a donné lieu,
elle n’est pas encore résolue.
Le dédain qui couvrait pendant les trois derniers siècles
les arts du moyen âge, était si grand, on les avait si peu étu-
diés, qu’on avait à peine remarqué que la différence profonde
existant entre le style de la première et celui de la dernière
partie de cette longue période. Quelques savants et quelques
rares antiquaires, tout au plus, savaient que les bâtiments
dont les ouvertures sont voûtées à plein cintre, sont plus
anciens que ceux où domine l’arc aigu. Quant au vulgaire, et
en cette matière nous entendons par là l’immense majorité
des esprits de toutes les classes, il ne faisait aucune distinc-
tion entre ces monuments, les considérant tous comme les
produits de bâtisseurs ignorants, livrés aux caprices d’une
imagination sans frein et égarés par des rêves mystiques.
Pour avoir par ci par là, dans un bas-relief un personnage
ayant une jambe trop courte ou un bras trop long, on en con-
cluait, sans autre examen, que tout, depuis le plan jusqu’au
dernier fleuron, était fait sans règle ni mesure, et l’on se con-
tentait de hausser les épaules.
Lorsque l’art néo-classique fut arrivé, au commencement
de notre siècle, au dernier degré de la platitude, les esprits
vraiment artistes en furent dégoûtés et se tournèrent vers les
productions du moyen âge, dont les riches trésors sont encore
si abondants, malgré les nombreux actes de vandalisme dont
ils avaient été l’objet pendant trois cents ans. Ce fut une véri-
table révolution ; mais il arriva ce qui devait arriver. C’est-à-
dire que l’on s’éprit tout de suite des chefs-d’œuvre de l’art
gothique, de l’admirable harmonie, de la construction savante,
et surtout de l’incomparable légèreté des monuments con-
struits en ce style. L’architecture romane, possédant des qua-
lités moins éclatantes, étant d’ailleurs le produit d’une civili-
sation moins avancée, hérita seule du dédain qui avait d’abord
été le partage de l’architecture du moyen âge en général. A
l’heure actuelle, malgré les nombreux travaux dont elle a été
l’objet, la généralité des gens la considèrent encore comme
un art barbare et incohérent, et rares sont les esprits qui lui
rendent justice.
(1) Le Parlement de Berlin, le nouveau s'entend, n’est pas traité en
gothique. (N. D. L. R.) |