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coupes et d’aiguières. Oudry trace des motifs de chasse pour
en orner des crosses de fusils. Delafosse se torture l’esprit
pour donner même aux poêles des formes artistiques, et ce
xviii® siècle, où l’art dépérit, dépense encore des trésors
d’imagination dans la décoration d’une chaise à porteurs, d'un
clavecin, d’une table-console, etc. Mais voilà assez d’exemples,
et les noms que je viens de citer expliquent assez les qualités
de goût et d’élégance qui font tant rechercher aujourd’hui les
moindres produits de l'industrie d’autrefois. Ils expliquent
aussi l’immense développement de l’art, alors mêlé à tout et
compréhensible pour tous. Or, c’est, je le répète, le but
capital à atteindre. Si l’art n’est que le luxe et le privilège de
quelques-uns, s'il reste étranger aux masses, il n’a pas d’uti-
lité sociale, pas de raison d'être, pas d’avenir possible. Il est
d’avance condamné à mort.
Je partage également l’avis des orateurs qui m’ont précédé,
que le peintre devrait avoir des notions assez étendues d’ar-
chitecture. On en avait plus que des notions dans les siècles
dont je viens de parler. Beaucoup d’artistes, comme vous
savez, étaient architectes de profession en même temps que
peintres ou sculpteurs. L’art s’est-il mal trouvé de ce cumul ?
Il ne parait pas, et ici encore l’histoire appuie mes conclu-
sions.
C’est ainsi qu’on doit l’élégant château d’Ecouen, en France,
à Jean Bullant, sculpteur ;
L’admirable campanile de Florence, à Giotto, peintre ;
Le Campo santo de Pise, à Jean de Pise, sculpteur ;
Les belles arcades de la Loggia de Lanzi, à Florence, à
Orcagna, peintre;
La Lïbreria Vecchia de Venise, à Sansovino, sculpteur;
L’église de Saint-Sulpice, à Paris, à Servandoni, peintre et
sculpteur ;
La superbe colonnade de Saint-Pierre, à R< me, au Bernin,
sculpteur, etc.
Je vous fais grâce de Michel-Ange et de Rubens, qui ne
passent pourtant pas, ni l’un et l’autre, pour être restés étran-
gers aux progrès de l’architeclure de leur temps.
Qui sait? l’architecture serait peut-être la première à béné-
ficier du concours des sculpteurs et des peintres? Car, si
j’examine les monuments que je viens de vous citer, je vois
que l’architecture de ces artistes se distingue par certaines
qualités très-particulières.
Dans ses bâtisses comme dans ses statues, le sculpteur
cherchait la richesse des profils, l’élégance et la variété des
silhouettes. Dans ses façades comme dans ses toiles, le peintre
se préoccupait de la couleur, de l’effet, des jeux de l’ombre et
de la lumière. Autant de recherches auxquelles les architectes
ne songent pas toujours et qui produisaient des architectures
riches, étoffées, pleines de contrastes, de fantaisie, d’imprévu,
qui comptent encore parmi les chefs-d’œuvre du genre. De
nos jours, on s’est limité, on s’est parqué dans d’étroites spé-
cialités; l’artiste a cru concentrer ses forces : il n’est arrivé
souvent qu’à rétrécir son horizon.
Je ne demande pas pour cela aux peintres contemporains
de nous refaire ces monuments dont je viens de parler, pas
plus que je ne leur demande d’être ingénieurs comme Léonard
de Vinci, ou artilleurs et habiles à soutenir un siège comme
Michel-Ange et Benvenuto; mais encore leur faut-il des
notions d’architecture, ne fût-ce que pour faire des fonds à
leurs tableaux, ne fût-ce que pour comprendre les règles de
cette décoration monumentale, où l’invention du peintre est
si essentiellement subordonnée aux lignes, aux cadres et au
caractère de l’architecture.
Ceci m’amène à la dernière proposition que je désire vous
soumettre. Je suis d’avis, comme M. De Taeye, qu’il faut un
enseignement artistique supérieur. On n’apprend que la gram-
maire et l’orthographe dans un collège, disait hier quelqu’un.
Cet orateur oubliait qu’à côté des collèges où l’on élève les
enfants, il y a les universités où l’on fait les hommes.
Nous voudrions donc voir dans l’art, quelque chose comme
des cours universitaires. Et l’un de ceux qu’il serait utile de
former sans délai, selon moi, ce serait un cours de décoration
monumentale pour les sculpteurs comme pour les peintres.
On a fait en Belgique, dans ces derniers temps, d’immenses
efforts pour réveiller ce grand art décoratif, qui est l’art
suprême, puisqu’il consiste dans l’alliance et l’harmonie de
tous les arts, peinture, sculpture, architecture. La peinture
murale notamment a reçu de nombreux encouragements. Les
résultats n'ont pas toujours répondu à notre attente. Pourquoi?
Rien de plus simple. C’est qu’aucun enseignement préalable
n’avait préparé la plupart de nos artistes à ce genre de tra-
vaux.
Ils réclament pourtant, comme vous savez, des études de
plus d’une sorte, et singulièrement propres à fortifier l’artiste
à tous les points de vue.
Il y aurait d’abord, pour la peinture murale, l’étude des
procédés si differents qu’elle comporte, peinture à fresque
proprement dite, peinture au wasser-glass, peinture à la
gutta-percha, peinture à l’encaustique, etc.
Il y aurait l’étude des combinaisons de formes très-parti-
culières que réclament les cadres très-variés que l’architec-
ture donne à remplir ; ce médaillon circulaire, ce cartouche
carré, ce pendentif triangulaire, demandent des compositions
ordonnancées tout autrement que celles des tableaux ordi-
naires : voici une voûte à couvrir ; point d’illusion, si l’artiste
n’est rompu à l’exécution de tous les raccourcis, des drape-
ries volantes, des figures plafonnantes, etc. Enfin telle statue,
selon quelle devra être placée à telle hauteur, devra se pro-
portionner et s’accentuer très-différemment de la statue
exposée au niveau de l’œil.
Il y aura encore un style particulier à adopter, une fac-
ture à part. Vos ouvrages s’étalent dans de vastes monuments;
ils seront vus de loin. Il ne s’agit plus de songer aux coquet-
teries de la forme et aux petits effets du ton, tout cela
disparaît à distance. L’exécution doit prendre de grands
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partis, s’écrire en traits hardis, découper ses silhouettes,
établir largement et nettement ses plans et ses masses. S’il
m’est permis de me répéter, les procédés de la peinture
murale doivent nous rappeler ceux de Facteur antique. Pour
s’adresser au peuple et lancer sa large mélopée aux derniers
rangs de l’immense amphithéâtre, il chaussait les hauts bro-
dequins et se couvrait la face de ce grand masque d’airain
qui était comme son porte-voix.
Enfin, voici une dernière étude bien plus importante, bien
plus capitale encore que celle des procédés, des combinaisons
de formes, des compositions, des styles, des effets particuliers;
c’est celle des sujets qu’est appelé à traiter Fart monumental.
Les édifices publics qu’on vous donne à décorer ont tous leur
histoire ou leur signification. Sera-t-il encore permis ici
d’aborder des thèmes quelconques? Je n’ai qu’à regarder
autour de moi pour voir des maîtres qui me diront les devoirs
nouveaux qui s’imposent à l’artiste et les lois nouvelles qu’ils
s’honorent d’avoir subies. Il faut que les murs de l’école
racontent à l’enfant l’histoire du pays. 11 faut que l’église
parle aux fidèles de leurs croyances. Il faut que l’hôtel de
ville rappelle au peuple ses droits et ses vieilles libertés. Il
faut que l’université présente aux esprits le tableau des
grandes manifestations de la pensée humaine. On a parlé de
1 importance qu’il y avait à exercer, non pas seulement la
main, mais l’imagination des artistes. Pensez-vous que des
méditations de cette nature et de cette portée seraient inu-
tiles pour élever leurs intelligences, et tremper leurs âmes?
Pensez-vous qu’elles ne sont pas nécessaires pour leur faire
comprendre le rôle immense attribué à l’art, et sa fonction
sociale et populaire? Il serait bien malheureux vraiment que
cette langue merveilleuse ne fût employée qu’à ne rien dire,
ou à-dire les riens qui servent de sujet à tant de toiles de nos
jours. La décoration monumentale est comme Fart industriel :
elle est faite pour tous; elle s’adresse à la foule. Songez à ce
que vous allez lui dire dans ces monuments solennels dont les
murs nus et dépouillés parlent d’eux-mèmes si éloquemment;
songez que vous ne travaillez pas seulement pour l’heure
présente, pour le public du jour, mais que votre peinture
traversera les siècles comme les monuments mêmes auxquels
elle s’attache, que le troupeau des générations défilera devant
elle, que l’avenir vous attend, et vous jugera.
Je me résume, et je demande si ces études si complexes, si
élevées, qui doivent nous aider à former non-seulement des
artistes, mais des penseurs et des citoyens, je demande si ces
études ne méritent pas bien de faire l’objet d’un cours supé-
rieur dans l’enseignement académique et si elles seront du
temps perdu pour Fart et, on peut le dire, pour le progrès
moral et social de tous.
On a pu lire il y a quelque temps dans un journal
bruxellois le prétendu programme élaboré par la
commission chargée par le gouvernement d’étudier
et de préparer l’organisation de l'Ecole d’art indus-
triel.
Aujourd’hui, M. l’échevin Buis, président de
ladite commission, écrit :
L’avant-projet du programme dont vous parlez est unique-
ment l’œuvre personnelle de M. De Taeye ; la commission ne
s’était pas réunie avant que ce programme lui eût été soumis ;
elle n’a donc pu intervenir en rien dans sa rédaction et n’en
peut encore accepter la responsabilité. Le gouvernement a
remis à la commission ce programme comme point de départ
de son travail.
Exposition nationale de 1880
EXPOSITION HISTORIQUE DE L’ART BELGE.
Voici comment est composée la commission
chargée d’organiser et de diriger cette exposition
qui promet d’être très-intéressante :
MM. Ch. Balat, architecte; Bellefroid, secrétaire général
du ministère de l’intérieur ; Buis, échevin de la ville de
Bruxelles; Canneel, artiste peintre; Alfred Cluysenaer, id. ;
De Winne, id.; Drion, statuaire; Fraikin, id.; Gallait, artiste
peintre; Louis Hymans, homme de lettres; Th. Juste, con-
servateur du Musée royal d’armures et d’antiquités ; Victor
Lagye, artiste peintre ; Lavallée, directeur général au minis-
tère des travaux publics; Lefebvre, membre de la Chambre
des représentants; Pauli, architecte; Portaels, artiste peintre;
Robie, id.; Roelofs, id.; Rousseau, directeur des beaux-arts;
Simonis, statuaire; Thonissen, membre de la Chambre des
représentants; baron T’Kint de Roodenbeke, membre du
Sénat; Vanderstraeten, bourgmestre de Bruxelles; Van
Schoor, sénateur; Verlat, artiste peintre; Vervoort, ancien
président de la Chambre des représentants ; Vinçotte, sta-
tuaire.
M. le baron T’Kint de Roodenbeke est nommé président.
La commission désignera ses vice-présidents et son secré-
taire.
M. Rousseau est nommé commissaire du gouvernement à
l’exposition historique de Fart belge.
Le comité de patronage se compose de : MM. le prince
Charles d’Arenberg ; comte Léopold de Beauffort; E. Brug-
mann; G. Brugmann; Bauer, consul d’Autriche; L. Bau-
gnée; Cardon; Champion de Villeneuve; Mme P. Collard;
P. Crabbe; docteur Charbonnier; comte Duval de Beaulieu;
docteur Desmedt ; Dekens, banquier ; Dansaert, agent de
change; Evrard, marchand de tableaux; Ed. Fétis, membre
de l’Académie royale de Belgique ; Gambart ; général Goe-
thals; Hanssens, avocat; Florent Joostens; Kums; Kep-
penne, notaire; docteur Lequime; V. Lynen; Lœwenstein,
banquier; comte de Liedekerke-Beauffort; comte Ferdinand
de Meeus ; comte Werner de Mérode, Aug. Michiels ; baron
de Pret-Roose de Calesberg; Picard-Olin; Rau; Arthur
Stevens; J. Tasson; Verbessem; notaire Vermeulen; Van
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Praet, ministre de la maison du Roi ; Vander Donckt frères ;
Isidore Vanden Eynde; Van Hal; Van Overloop, banquier;
Van Becelaere ; général Viette ; baron Al. De Vrients ;
Wagener; Arth. Warocqué; Willems, sénateur; baron Gus-
tave de Woelmont; Adolphe Neyt; baron Nottebohm ; Th.
Melot; Wilhelm Leroy; Vander Haert; Frans Schollaert,
avocat ; comte Louis de Robiano ; Frésart ; baron Henri
Van Havre.
NÉCROLOGIE
L’art architectural en France vient de faire une perte
considérable : le savant architecte, M. Viollet le Duc est
mort.
Né à Paris en 1814 (27 janvier), il commença l’étude de
l’architecture sous la direction d’Achille Leclère et s’occupa
spécialement de l’art ogival, remis en honneur par les écrits
de savants écrivains, parmi lesquels Merhnée, De Cou-
mont, etc.
Viollet le Duc parcourut ITtalie en 1836 et 1837 et, peu
après (1840), il fut nommé inspecteur des travaux de la
’ Sainte Chapelle. Dans la suite, il fut chargé de la restaura-
tion d'un grand nombre d’églises.
On sait quelle renommée il s’est acquis dans l’accomplis-
sement de cette tâche, et avec quelle ardeur intelligente il
ne cessa d’étudier Fart du moyen âge, sous son triple aspect
civil, religieux et militaire. C est à lui que l’on doit la resti-
tution ou 1 habile restauration d’une foule de monuments de
cette époque, entre autres Notre-Dame de Paris, les églises
de Vezelay, de Saint-Père, de Montrèale, de Poissy, de
Semur, les hôtels de ville de Narbonne et de Saint-Antonin,
l’abbaye de Saint-Denis, la cathédrale d’Amiens; la salle
synodale de Sens, la cathédrale de Laon, les fortifications de
Carcassonne, le château de Pierrefonds, et bien d'autres
encore.
Dans le cours de ces nombreux travaux, Viollet le Duc a
recueilli d’immenses matériaux qu’il a classés et dont il a
formé divers ouvrages devenus classiques : le Dictionnaire
raisonné de l'architecture française du xie au xvi® siecle,
le Dictionnaire du mobilier français de l’époque carto-
vingienne à la Renaissance.
Nous citerons encore l’intéressant ouvrage qu’il a intitulé :
Entretiens sur C architecture et ses travaux de vulgarisa-
tion de 1 art architectural qui comprennent : Y Histoire de
V habitation humaine, Y Histoire d'une forteresse, Y His-
toire d'une maison et enfin Y Histoire d'un hôtel de ville
et d'une cathédrale.
Au conseil municipal de Paris, M. Viollet le Duc, dont la
compétence eiait vivement appréciée, s’occupait surtout des
questions artistiques.
FAITS DIVERS
BRUXELLES. — Construction d'un Panthéon
national. — Le projet de construction d un Panthéon
national sur les hauteurs de Koekelberg n’est pas absolument
abandonné, comme on pourrait le supposer. Sans lien pré-
juger quant à la réalisation de ce projet, le gouvernement a
chargé une commission d’architectes de lui présenter un rap-
port sur la question et notamment de déterminer les condi-
tions du concours à ouvrir éventuellement pour le plan de ce
monument national.
Ce rapport est-il déposé? Il paraît que non. Il serait grand
temps pourtant qu’il le lût. Car, si un concours doit être
ouvert, et si l’on veut se trouver prêt pour poser la première
pierre du Panthéon lors des fêtes de 1880, il n’y a plus un
moment à perdre.
Surtout si, cette fois, l’on veut accorder aux concurrents
le temps moral nécessaire à l’étude d’un tel projet.
NEUILLY (France). — On termine en ce moment la
nouvelle église catholique. Elle est conçue dans le style
gothique tertiaire (flamboyant) et son mérite architectural
est incontestable.
MUNICH. — Exposition internationale des Beaux-
Arts. ■— La Gazette dit qu’il règne en ce moment, parmi les
artistes de Bruxelles, une émotion assez vive :
L’Exposition des Beaux-Arts de Munich, qui a lieu tous
les dix ans et qui, par ce fait, est très-importante, vient, on
le sait, de s’ouvrir. Nos artistes comptaient y briller en
grand nombre et soutenir dignement 1'honneur de la Bel-
gique.
Les invitations ont été faites, comme cela se pratique en
pareil cas, sur les indications d un artiste de Bruxelles,
chargé par le gouvernement bavarois de cette mission
délicate.
Or, il parait que toute une catégorie d’artistes ont été
oubliés. Cette catégorie de rèpiouvés se compose de l’élite
de l’école : Bouvier, Artan, Alfred Verwée, Stroobant, Lou.s
Dubois, Baron.
Les artistes lésés protestent énergiquement et il nous
semble qu’ils ont raison.
D’un autre côté, nous lisons dans une correspondance
adressée à un journal devienne, que les œuvres exposées
par l’école belge et l’ecole française forment les deux parties
les plus remarquables de l’exposition, tant au point de vue
du placement des œuvres qu’à celui du choix qui en a été fait
par les commissions respectives.
ARTS INDUSTRIELS. — Le Conseil provincial du
Brabant, adoptant les conclusions du rapport présenté par
M. Van Schoor, a ratifie la décision que la députation per-
manente a prise de proposer au budget une augmentation de
crédit alloué en faveur des écoles industrielles et de- porter
de 2,500 francs à 7,500 le chiffre de ce crédit, ce qui per-
mettra d’accorder un subside à 1 école industrielle de
Bruxelles.
M. Charbonnier a développé la proposition tendante à
émettre le vœu de voir s’établir dans le Brabant, et de préfé-
rence dans l’agglomération bruxelloise, une école indus-
trielle professionnelle, capable de fournir des ouvriers
d’élite. La proposition a été renvoyée à la 3e section pour
rapport.
La séance s’est terminée par la prise en considération
d’une proposition formulée à propos des crédits que le gou-
vernement vient de solliciter de la Législature pour exécu-
tion de grands travaux publics.
ARCHÉOLOGIE. — Une importante découverte archéo-
logique a été faite à Vienne (Isère). En creusant un égout, on
a trouvé, à trois mètres de profondeur, les restes très-bien
conservés d’un superbe monument romain. |