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lorsque la république s’occupa de ces lois, réunies
depuis en ce Code auquel Napoléon a donné son
nom, eut-on soin d’établir le principe de la respon-
sabilité de l’architecte.
QUESTION DE DROIT
Nous voici arrivés, à la partie ardue de ce tra-
vail, à l’objet même de la discussion, c’est-à-dire :
la responsabilité de l’architecte.
C’est l’an VIII de la République française que
les lois qui vous concernent ont été établies.
Voyons ce que nous dit le Code civil : Art. 1792.
Si l'édifice construit à prix fait, périt en tout ou
en partie, par le vice de la construction, même par
le vice du sol, l'architecte et les entrepreneurs en
sont responsables pendant dix ans. — Art. 2270.
Après dix ans, l'architecte et les entrepreneurs sont
déchargés de la garantie des gros ouvrages qu'ils ont
faits ou dirigés. — Il résulte de ces deux articles
que l’architecte et l’entrepreneur sont non seule-
ment responsables des ouvrages de construction
d’un édifice, mais encore de tous autres travaux qui
pourraient leur être confiés, tels que prises d’eau,
canaux, digues, soutènements, et aussi de tous ceux
qui peuvent être considérés comme grosses répara-
tions ou gros ouvrages.
Cela résulte de l’argument de l’article 2270 du
Code civil; c’est l’avis de Troplong et de Laurent,
et cela a été admis par le tribunal civil de Dijon
(13 mai 1862) et la cour de cassation de France
(19 mai 1851). Cette responsabilité, selon certains
auteurs, parmi lesquels Micha et Rémont, existe
non seulement quand il y aura prix fait, mais encore
lorsqu’il n’y aura été stipulé qu’un prix propor-
tionné à l’importance des travaux.
Cependant il convient de remarquer ici le texte
de l’article 1792 qui contient les mots à prix fait
et d’y comparer les arrêts rendus par la cour de
cassation de France, le 15 juin 1863, le 20 novem-
bre et le 1er décembre 1868 et par la cour d’appel
de Liége, le 1er mars 1876. Ces arrêts établissent
que la responsabilité n’est plus la même, quand il
n'y a pas eu marché à prix fait, c’est-à-dire lorsqu’il
s’agit de travaux exécutés en régie, ou, selon l’ex-
pression consacrée à la régie.
Il existe trois cas de responsabilité bien distincts
pour l’architecte :
1° Lorsqu’il n’a donné que les plans et devis.
2° Lorsqu’il dirige en outre les travaux dont
l'exécution est confiée à un entrepreneur.
3° Lorsqu’il dirige les travaux avec des ouvriers
directement salariés par le propriétaire, celui-ci
fournissant les matériaux selon le choix de l’archi-
tecte.
Le seul bon sens indique : a) que dans le premier
cas, la responsabilité est moindre que pour les deux
autres; b) que dans le troisième cas, la responsa-
bilité est entière, absolue.
Le second cas est évidemment celui prévu, visé
par les articles 1792 et 2270 du code civil.
Dans le premier cas, l’architecte ne peut-être
responsable que si, le propriétaire ou, en son lieu
et place, l’entrepreneur ayant exécuté exactement
les plans, cahier des charges et devis, observé exac-
tement la nature des matériaux, la mise en oeuvre,
les épaisseurs des murs, les précautions prescrites
par l’architecte, un accident se produit dans la
construction pendant le terme de dix années, à
partir de l’achèvement complet du bâtiment. C’est,
dans ce cas, au propriétaire et à l’entrepreneur à
fournir la preuve que la faute en est à l’architecte;
la responsabilité de celui-ci est évidemment égale à
celle de l’entrepreneur qui, comme homme de l’art
lui-même, doit corriger les erreurs qui auraient été
commises par l’architecte.
Le second cas est mieux établi encore; il va de
soi que l’architecte ne peut être rendu responsable
que pour le dommage causé par sa faute, sa négli-
gence ou son imprudence ; ainsi, lorsque après
avoir imposé l’emploi de matériaux de premier choix,
il a négligé de ne pas vérifier par lui-même ou, au
besoin, par des hommes de l’art, les fournitures
dont l’insuffisance ou la mauvaise qualité a causé
l’accident.
Dans ces circonstances, le propriétaire ou l’admi-
nistration poursuit l’entrepreneur qui appelle l’ar-
chitecte en responsabilité, comme dans le premier
cas.
Dans le troisième cas, l’architecte assume la res-
ponsabilité absolue, entière, il n’a recours ni contre
le propriétaire, ni même contre les fournisseurs
dont il a choisi et accepté les matériaux en les
mettant en œuvre, à moins qu’il ne prouve qu’il y
a eu fraude.
Dans les trois cas, il est établi que la responsa-
bilité de l’architecte est diminuée lorsque le pro-
priétaire a exigé que la construction fut faite dans
des conditions exceptionnelles de précipitation.
(Cour d’appel de Paris, 3me chambre, 18 déc. 1871.)
Disons immédiatement que si l’architecte, auteur
des plans, cahier des charges et devis, n’est pas
chargé de la direction des travaux, il ne saurait
être rendu responsable de tous accidents provenant
de la nature du sol, pas plus que de l’inobservation
des lois de voisinage et de police.
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On peut résumer la responsabilité de l’architecte
et celle de l’entrepreneur en disant que « la respon-
sabilité pèse sur chacun d’eux, chacun en ce qui le
concerne; quele premierrépond des plans, cahier des
charges et devis qu’il a faits; que le second est tenu
de les exécuter ou de les suivre conformément aux
règles de l’art ; que l’architecte dirigeant les travaux
est responsable des ordres qu’il donne et l’entrepre-
neur doit les exécuter scrupuleusement.
Toute cette argumentation porte d’ailleurs sur
les conséquences de la nature de l’engagement qui
lie l’architecte et l’entrepreneur vis-à-vis du pro-
priétaire. C’est le contrat de louage. L’article 1787
du code civil dit : « Lorsqu’on charge quelqu’un de
faire un ouvrage, on peut convenir qu’il fournira
seulement son travail et son industrie ou bien qu’il
fournira aussi la matière. «
L’article 1789 dit que « lorsque l’ouvrier fournit
seulement son travail et son industrie, si la chose
vient à périr, l’ouvrier n’est tenu que de sa faute.
Or, l’architecte ne fournit que son travail et son
industrie, représentés par ses plans, devis et cahier
des charges, instructions et ordres donnés pendant
le cours des travaux. Et cependant, il est rendu res-
ponsable, même d’accident provenant de la nature
des matériaux ; il doit recevoir ceux-ci et l’emploi
de matériaux médiocres constitue un vice de con-
struction. Il y a là une question à examiner et je
crois quelle appartient à la discussion
Vous savez que de nos jours, l’entrepreneur n’est
parfois rien moins qu'un constructeur-, je pourrais
vous citer tel travail important que les hasards des
adjudications ont fait confier à un homme qui la
veille encore vendait des parapluies ! C’est si
commode, si facile, construire. Bien plus, si l’on
voit des commerçànts devenir entrepreneurs, l’on
voit aussi des entrepreneurs se faire architectes.
E. Allard.
ŒUVRES PUBLIÉES
Palais des Arts industriels. — Exposition nationale
de 1880. — Architecte G. Bordiaux. Planches 1 à 12.—Tous
ceux qui ont visité la splendide Exposition nationale de 1880,
c’est-à-dire le pays entier, ont vu l’œuvre considérable de
M. l’architecte Bordiaux.
Elle se compose de deux pavillons d’environ 50 mètres de
large sur 85 de profondeur, distants l’un de l’autre de près de
130 mètres, et d’un arc de triomphe, de dimensions colossales,
placé dans l’axe, en arrière de ceux-ci, et qui se trouve rat-
taché à chacun d’eux par une colonnade en arc de cercle for-
mant galerie.
Chacun de ces pavillons offre une vaste salle d’exposition,
accostée aux angles de quatre escaliers conduisant à une gale-
rie d’étage.
Cette vaste salle est couverte d’une légère charpente en fer,
plein-cintre, dont les retombées viennent dessiner les travées
des murs latéraux. Cette ossature est franchement indiquée
en façade par une verrière ornée d’ajours en fer portant les
écussons des neuf provinces beiges. Elle est soutenue par les
deux pavillons d’angle et porte sur une galerie à rez-de-
chaussée que précédera un large escalier rachetant la diffé-
rence de niveau du sol du parc au pavement de la salle.
Chacune des grandes fermes s’appuie extérieurement à de
vigoureux pilastres dont le couronnement domine les façades
latérales moins élevées que les pavillons d’extrémité.
L’œuvre tout entière est conçue en un style classique très-
sobre, donnant beaucoup d’ampleur aux lignes et un caractère
de grandeur incontestable à l’ensemble.
La partie métallique met, dans cet ensemble, une note légère
et gracieuse, sorte de dentelle enchâssée dans les masses
vigoureuses des pavillons.
Nous émettons le vœu de voir bientôt terminer l’arc de
triomphe et les galeries latérales, nous réservant d’étudier
alors plus complètement cette œuvre importante.
Écuries a Rhisnes. —Architecte J. Baes. Planches 13 et
14. Cette construction présente deux bâtiments soudés à angle
droit; l’espace compris entre les deux alignements forme une
sorte de vaste marquise ; à l’angle se trouverait un puits.
Composition d’un style fantaisiste qui convient à la déstina-
tion.
Tombeaux. — PI. 15 et 16. — Par ces deux planches nous
faisons connaître trois tombes d’un beau style, dues à
MM. Blomme frères, d’Anvers, artistes déjà connus de nos
lecteurs par les œuvres que nous avons publiées. MM. Blomme
ont bien voulu, avec un empressement que nous serions heu-
reux de rencontrer chez tous nos confrères, les dessins de
ces belles œuvres.
Villa a Boitsfort. — PI. 17, 18 et 19. — Architecte,
M. J. Bordiaux. — Bien qu’elle ne soit pas très-importante,
il nous a paru utile de placer sous les yeux de nos lecteurs
les dessins de cette habitation de campagne.
Dans les constructions de ce genre, on n’a que trop la
tendance, à notre époque, de donner aux plus modestes mai-
sons de campagne, des allures de château, ce qui donne aux
conceptions quelque chose de prétentieux et de guindé, sou-
verainement désagréable.
La construction dont il s’agit, élevée en matériaux appa-
rents et appareillés, a fort bon aspect.
Monument funéraire. — PL 20. — Architectes,
MM. Blomme, frères. — Nous n’avons plus à apprécier le
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beau talent de ces artistes anversois; cependant, à propos
de ce monument, nous nous permettrons de dire qu’à notre
avis, il offre, dans la donnée générale, beaucoup de l’en-
semble d’un autel. — Quoi qu’il en soit, c’est une œuvre d’un
fort beau style.
Halles d’Ixelles. — PI. 21 à 28. — Architecte, M. Ed.
Legraive. —L’œuvre dont nous présentons les dessins à nos
lecteurs est intéressante et remarquable non seulement au
point de vue de l’application pratique de la construction,
mais au point de vue artistique.
Il était difficile, semblait-il, après les belles halles de
Paris et de Bruxelles, de créer, sans tomber dans des redites,
semblable édifice. Nous disons édifice, et ce mot n’a rien
d’excessif.
L’artiste a su, par des dispositions nouvelles et en s’af-
franchissant du tracé, un peu sec, des plans connus.
Les Halles d’Ixelles forment une vaste nef avec travées en
transepts. L’intersection est couverte en coupole. Au-dessous
se trouvent de vastes souterrains très-habilement distribués
pour la facilité des services.
Dans toute leur étendue, les halles sont entourées de cours
extrêmement utiles, tant au point de vue des services que de
l’hygiène. A part le style qui ne nous paraît pas assez pur,
l’entrée principale forme un beau portique d’allure monu-
mentale; cette partie de l’édifice comprend, en outre, le
logement du concierge. Elle est construite en matériaux
durs, pierre bleue et pierre blanche.
La Halle entière forme une immense cage dont l’ossature
métallique, élégante et gracieuse, offre des dispositions ori-
ginales, à la fois, et vraiment belles.
L’air et la lumière y circulent avec abondance.
Après avoir félicité l’architecte de cette œuvre élégante,
hardie et parfaitement comprise, nous dirons que la partie
métallique a été exécutée par MM. Bellefroid et Levêque,
d’Herstal (Liége), et la sculpture des modèles par MM. Colleye,
frères, d’Ixelles.
L'entrepreneur général fut M. Camille Eggermont de Gand,
lequel sut en l’espace relativement court de dix-neuf mois,
et sans aucun accident, mener à bonne fin son entreprise.
Le chiffre d’adjudication, 635,600 fr., n’a pas été dépassé,
ceci à l’honneur de l’architecte.
Église de Burdinne (Liége). — PI. 29, 30 et 31. — Archi-
tecte, H. Maquet. — L’œuvre que nous publions présente
des qualités incontestables; elle sort des.données suivies et
en quelque sorte adpotées pour les églises de campagne. Elle
est à la fois pittoresque et d’un beau caratère, bien qu’il n’y
soit fait emploi que de matériaux fort ordinaires. La sil-
houette générale rappelle un peu celle de la collégiale de
Nivelles, sauf que, dans celle-ci, les tourelles d’angle sont
rondes.
DIVERS
Le cinquième fascicule du tome XXXVIIe du Recueil Con-
sulaire contient, sous la signature de M. Scribe, consul
belge à Yokohama, bon nombre de renseignements très-inté-
ressants sur l’empire Japonais.
Nous en extrayons ce qui suit :
Le Japon commence à se bâtir des habitations en briques.
Dans le principe, il y a eu quelques cheminées d’usine qui ont
été culbutées par des tremblements de terre; mais depuis ce
temps-là en prend ses précautions, et pourvu qu’on ne dépasse
pas 12 ou 15 mètres de hauteur, tout va bien.
La brique a un grand avantage pour les Japonais : c’est
d’offrir moins de chance d’incendie que le bois et le carton
des anciennes demeures. Les incendies jouent là-bas un très-
grand rôle dans la durée dos immeubles : on y estime qu’en
moyenne une maison en bois va 7 ans. Avant l’hiver dernier,
on comptait sur 10 ans. Mais les récents grands incendies de
Yokohama ont complètement bouleversé les statistiques et
restreint la longévité des maisons de bois. On emploie aussi
la brique à la construction des godown. Ces machines-là? ce
sont des magasins à l’épreuve du feu, ou les naturels enferment
leurs marchandises, leurs valeurs et leurs récoltes. Pour pré-
parer un godown, vous élevez une charpente très-solide sur
laquelle vous clouez des claies de bambou, à l’intérieur et à
l’extérieur. Vous étendez sur les claies des couches succes-
sives d’argile, au dehors et au dedans, en laissant sécher pro-
fondément chaque couche, jusqu’à ce que vous ayez accumulé
un demi-mètre d’argile sur chaque face. Puis vous recouvrez
d’un vernis noir t,ès-luisant et épais. C’est la fabrication de
la laque, en grand. On entretient toujours aux environs une
provision d’argile liquide, qui a pour objet de remplacer les
pompiers dans le pays. A la moindre apparence de feu, on
bouche avec cette argile, toutes les fentes, ouvertures et
lucarnes de l’établissement. C’est le système d’extinction
usité.
L’emploi de la brique par les Japonais est très-important
pour nous autres Belges. Ne cherchez pas à deviner pourquoi.
Je vais vous le dire. Les constructions à la moderne, en bri-
ques, sont garnies de châssis de fenêtres comme en Europe.
Ces châssis encadrent des vitres ou des glaces. Et c’est nous
qui avons le monopole de la fourniture des verres à vitres au
Japon. Nous en avons envoyé 32,333 caisses l’année dernière,
tandis que l’Angleterre, l’Allemagne et la France ensemble
n’en envoyaient guère que la moitié. Nos importations, du
reste, augmentenl tous les jours. Pendant le second semestre
de 1879, elles étaient de 88,000 dollars. Pendant les deux
semestres de 1880, elles ont atteint successivement 100,300 dol-
lars et 263,000 dollars. Les principales fournitures que nous
faisons au Japon, en dehors des verres à vitres, sont le ciment,
les fers, dont une certaine quantité amenée par les Anglais
comme fers britanniques, etc. |