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1881.
7e ANNEE.
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L’ÉMULATION
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE
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D'ARCHITECTURE
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-déposé- BUREAUX : RUE DE LA POMPE, 3, BRUXELLES -déposé-
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SOMMAIRE
De la responsabilité de l'architecte. E. A. — Œuvres
publiées. — Divers.
De la responsabilité de l'architecte.
Dans l’une de ses dernières séances de 1881,1a
Société centrale d’architecture a décidé de consa-
crer la moitié de ses réunions mensuelles à la dis-
cussion de questions techniques.
La première question portée à l’ordre du jour est :
la responsabilité et les honoraires de l’architecte.
Chargé par l'assemblée de préparer la discussion
par un travail sur ces deux questions si impor-
tantes, j'ai présenté l’étude que nous plaçons sous
les yeux de nos lecteurs, comptant bien que ceux
d entre eux qui pourront nous fournir quelques
renseignements, voudront bien, dans l’intérêt de
l'art et de la corporation, nous les communiquer.
Séance du 6 janvier 1882.
La profession d’architecte est, dans la considéra-
tion publique, considérablement amoindrie de nos
jours; fait bizare, elle était déjà décriée, et pour les
mêmes motifs, dans l’antiquité.
Il y a bien peu à changer à ce qu’écrivaient sur
ce sujet les auteurs romains pour appliquer à notre
époque leurs opinions vingt fois séculaires.
Selon la plupart des auteurs, l'architecte est
chargé de concevoir, d’établir les plans et de diriger
la construction des édifices.
Vitruve Pollion, dans son traité, dit quelles sont
les sciences qu’il doit connaître; il y comprend la
philosophie et insiste sur le caractère qu’il doit
avoir, disant que l’architecte doit avoirl’âme grande,
hardie sans arrogance, équitable, fidèle et exempte
d’avarice; il doit moins, dit-il, songer à s’enrichir
qu’à acquérir de l’honneur et de la réputation et ne
doit rien taire qui soit indigne d’une profession
aussi honorable.
Dans son introduction au Xe livre, il rappelle
qu'à Ephèse, cette ville jadis si importante de
l’Ionie et célèbre par son temple à Diane, il existait
une loi par laquelle les architectes qui entrepre-
naient un ouvrage public, étaient tenus de déclarer
ce qu il devait coûter, de le faire pour le prix qu’il
en avait demandé, leurs biens servant de garantie.
L’ouvrage étant terminé, si la dépense était égale à
la somme dépensée, on récompensait l’architecte
par un décret honorable ; si elle n’excédait que d’un
quart, il n'encourait aucune peine; mais si elle dé-
passait le quart en plus de la dépense prévue,
c’était lui qui devait fournir l’excédent.
A l’époque où vivait Vitruve (vers 50 ans avant
Jésus-Christ), la position d’architecte n’était cepen-
dant rien moins qu’honorée ; en effet, notre auteur
dit lui-même (Introd. au VIe livre) que, générale-
ment, les architectes du siècle d’Auguste sollici-
taient et se donnaient beaucoup de mal pour être
employés.
“ Les artistes anciens, ajoute-t-il, s’appliquaient
” faire de ceux à qui ils enseignaient leur art,
” d’honnêtes gens auxquels on pouvait confier
” sans crainte ses richesses; aujourd’hui, je vois
” qu’une science aussi noble, aussi importante, est
” traitée par des gens peu entendus, qui ignorent
” non seulement les règles de l’architecture, mais
” celles de la construction, et je ne puis assez louer
” le père de famille qui se fie à ses propres con-
” naissances et dirige lui-même les constructions
” qu’il lait bâtir, plutôt que d’en remettre le soin à
” des ignorants. ”
Peu après, le satyrique Martial écrivait : “ L’in-
vasion de tant d’ignorants a jeté cette noble pro-
” fession (d’architecte) dans le plus profond discré-
” dit; le vulgaire, incapable de juger, confond les
” architectes et les bâtisseurs, et l’on dit vulgaire-
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” ment, en parlant d’un enfant inepte, auquel on
” ne saurait découvrir de vocation : faites-en un
” crieur public ou un architecte. ”
La situation était telle, d’ailleurs, vers cette
époque, que l’empereur Auguste lui-même lut, au
Sénat romain, un discours sur l’ordonnance des
édifices, dans le but évident de relever un art
tombé dans une décadence déplorable, après avoir
produit tant d’admirables chefs-d’œuvre.
Et cependant, on construisait, alors des habi-
tations d’une splendeur inouïe, dont les bains
seuls, c’est Juvénal qui nous l’apprend, coûtaient
jusque 600,000 sesterces (environ 120 mille francs
de notre monnaie), et les galeries plus encore.
A cette époque, lorsqu’il s’agissait d’édifices pu-
blics, les travaux étaient mis aux enchères (Cicéron,
Verr. 1, 54) et au rabais. Un édit confirmait l’ad-
judication et relatait que l’entrepreneur fournirait
de bons matériaux. Les magistrats choisissaient
néanmoins l’adjudicataire, écartant ceux qui n’of-
fraient pas des garanties suffisantes au point de
vue de la bonne exécution des travaux. L’entrepre-
neur désigné fournissait caution en immeubles, et
celle-ci était retenue si, à l’achèvement, les travaux
n’étaient pas reconnus parfaits.
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Par ce qui précède, on voit que, déjà sous les
Romains, la responsabilité de l’entrepreneur était
bien définie, et il est à remarquer que les formalités,
en ce qui concerne l’entrepreneur, étaient assez
semblables à celles en vigueur de nos jours.
Mais on constate aussi qu’il n’est, dans ces me-
sures administratives, nullement question de l’ar-
chitecte. A cette époque, Rome, maîtresse du
monde connu, comptait la Grèce parmi ses pro-
vinces. C’est de là quelle faisait venir ces artistes
éminents qui la dotèrent de ses temples admirables;
ils n’étaient que ses esclaves, et c'est ainsi que,
presque pour chaque monument, le nom de l’archi-
tecte est resté inconnu.
Ce n’est guère que par les lettres do Cicéron que
nous connaissons les noms de quatre architectes de
son temps et par un subterfuge original ceux des
artistes (Saura et Batrachus) à qui l’art romain a
dû les temples de Jupiter et de Junon, dans le por-
tique d’Octavie. Cette époque est dans l’histoire de
l’art, pendant l’ère chrétienne, une sorte de point
de départ pour votre discussion.
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Pendant les siècles qui suivirent et jusqu’à Char-
lemagne, il n’est guère de fait qui puisse entrer dans
cette étude.
On sait que le christianisme occupa d’abord, lors-
qu’il sortit des catacombes, les temples dont les dieux
étaient abandonnés : Jupiter céda le pas à Dieu le
Père, et les temples de Vénus et de Junon virent,
presque sur les mêmes autels, célébrer le culte de
la Vierge.
A partir de Charlemagne, ce protecteur du chris-
tianisme, apparaît l’art roman dans la construction
d’églises splendides, de monastères immenses.
A ce moment aussi, nous voyons apparaître le
maître de l’œuvre qui, jusqu’au xive siècle, fut tou-
jours un moine. Placé sous la discipline monacale
qui lui défendait toute ostentation, tout orgueil, le
maître de l’œuvre devait rester inconnu. C’était un
instrument, esclave du monastère et de son abbé,
comme l’artiste grec l’était sous les Césars. Il n’y
avait donc pas lieu de déterminer d’une façon exacte,
ni ses attributions, ni ses droits, ni sa responsabi-
lité.
Mais au xiiie siècle commence le mouvement
populaire qui amena d’abord la conjuration des
communes, puis, plus tard, les conjurations de
citoyens par corps de métiers que, plus tard, on ap-
pela corporations.
C’est à ce moment que nous voyons paraître l’ar-
chitecte laïc, le maître de l’œuvre, et, peu après, la
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corporation des maîtres tailleurs de pierres, laquelle,
comme toutes les autres, s’efforça d’acquérir des
privilèges, s’organisa en établissant sa juridiction,
ses finances, ses tarifs, et jusqu’à son mode d’ensei-
gnement par l’apprentissage.
Aussi, dès le commencement du xive siècle, con-
naît-on le maître de l’œuvre ayant des attributions
déterminées, des droits, et, inscrit avec eux dans
les registres capitulaires, un salaire bien déterminé,
ainsi que, d’ailleurs, les obligations qu’il accepte ou
assume.
Les registres capitulaires de la cathédrale de Gé-
rone citent, en 1316, le maître de l’œuvre Henri de
Narbonne ; puis Jacques de Tavariis qui s’engage à
venir de Narbonne six fois l’an pour surveiller et
diriger les travaux; il accepte un salaire de250 sous
par trimestre, soit environ 1,500 francs pour notre
époque.
Vers 1842, on découvrit dans les registres de la
cathédrale de Cologne un acte de la fin du xiiie siècle,
par lequel il était fait don au maître de l’œuvre du
terrain nécessaire à la construction d’une maison en
récompense du zèle apporté par lui dans l’exécution
du plan de la superbe cathédrale.
Pendant le xve siècle, sauf de rares exceptions, la
profession d’architecte perd de son importance; ce
n’est que sous Charles-Quint, et dès 1515, que nous
voyons le maître de l’œuvre reprendre quelque peu
le rang qu’il avait perdu. Il y eut alors le maître
maçon ou maître général des œuvres de Charles-
Quint.
A cette époque, l’architecte a des honoraires
assez irrégulièrement établis ; ainsi que cela se fit
entre autres pour le palais de Malines, on lui payait
d’abord les plans, puis on lui servait un traitement
annuel pour la direction des travaux.
Une certaine responsabilité dont je n’ai jusqu’ici
pu retrouver ni le principe ni les bases, devait lui
incomber, car nous voyons, en 1526, désigner Guil-
laume Valcke et Henri Van Hoelaert comme experts
pour examiner les travaux de construction de la
partie supérieure de la tour d’Anderlecht que diri-
geaient Mathieu Kelderman, architecte de la ville
de Louvain, Jean Looman et Jean Ooge, ensuite
d’une convention du 28 avril 1517.
Cette situation ne dura guère plus d’un siècle et
demi ; vers le milieu du xviie siècle et pendant tout
le xviiie, c’est à de rares exceptions que nous voyons
une œuvre architecturale confiée à un artiste, à un
architecte, et, dans le Dictionnaire d'architecture,
par Roland le Virleys, en 1780, nous voyons le
résumé d’une situation qui ne fait guère honneur
aux architectes et aux administrations de cette
époque. La voici textuellement : « Les architectes
de ce siècle sont bien différents ; loin d’avoir tous
les talents nécessaires pour l’exercice de leur art,
dès qu’un homme aujourd’hui sait un peu dessiner,
il se donne pour architecte; il n’est pas jusqu’aux
appareilleurs, menuisiers et autres ouvriers de cette
espèce qui ont cette témérité.
« Un maçon a-t-il bâti deux ou trois maisons de
particuliers, il se décore du nom d’architecte et
ensuite donne des plans et des projets de maisons à
ceux qui ont la bonté de l’écouter, en leur insi-
nuant qu’ils épargnent la dépense, médiocre mais
utile, des honoraires dus à un architecte, tandis
que leur but n’est que de se soustraire à la subordi-
nation et, par ce moyen, d’exercer toutes les fraudes
auxquelles les ouvriers du bâtiment ne sont que
trop adonnés. «
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On comprendra que dans une telle situation, la
profession d’architecte devait perdre le peu de pres-
tige qui lui restait; aussi n’y eut-il plus que les
architectes, membres de l’Académie royale fondée
en 1671 par Colbert, qui eussent quelque réputa-
tion.
On comprend à quels déboires cela devait con-
duire les administrations et les particuliers ; aussi |