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1877
Nº 4.
3e ANNÈE.
ABONNEMENTS
Belgique: fr. 25-00.—Etranger: fr. 28-00 (Port eu sus.)
L’Année parue:
Belgique: fr. 30-00.—Etranger: fr. S3-00(Port en sus.)
L’ÉMULATION
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE
ANNONCES & RÉCLAMES
A FORFAIT.
S’adresser rue Cans, 22,
IXELLES.
D’ARCHITECTURE
DIRECTION-ADMINISTRATION :
Rue Cans, 22, Ixelles.
— déposé —
DE BELGIQUE
— DÉPOSÉ —
DIRECTION - RÉDACTION :
Rue des Quatre-Bras, 5, Bruxelles.
— 25 —
Bruxelles, Avril 1877.
SOMMAIRE:
L’Académie des Beaux-Arts, par G. Lagye. — La maison
des Chats, par H. Beyaert, architecte ; réponse à la « Revue
Nouvelle de l’Industrie et des Travaux publics. Concours
ouvert par la Société centrale d’Architecture. — Nos excur-
sions.
L'Académie des Beaux-Arts.
Le professorat en matière d’art doit être une fonc-
tion stable, une carrière.
Jusqu’ici nommés par arrêté royal, les professeurs
d’académies n’étaient révocables que pour cas de force
majeure, abus de pouvoir, immoralité ou altération
des facultés mentales, auquel dernier cas, une re-
traite suffisante venait les récompenser des services
rendus antérieurement par eux.
Une proposition formulée dans le courant du mois
de mars dernier, au Conseil communal de Bruxelles,
par la section de l’instruction publique, remet radica-
lement en question la juste sécurité offerte dans l'é-
tat actuel à ceux qui se dévouent à l’enseignement
artistique.
Cette proposition ne tend à rien moins qu’à sou-
mettre triennalement les professeurs de l’Académie
des Beaux-Arts à réélection, en leur accordant, le
cas échéant, au bout de dix années de service, une
pension dérisoire.
*
* *
Feu l’échevin Funck, dont le bons sens et surtout
l’expérience en fait d’instruction publique étaient si
rarement pris en défaut, n’a pas laissé que de pro-
tester contre une pareille modification du règlement
organique,modification dont les promoteurs n’avaient
point certainement prévu les graves conséquences.
« Si les instituteurs, les professeurs d’athénée,etc.,
a-t-il dit, se trouvaient soumis à réélection tous les
trois ans, cela changerait d’une façon très-désavanta-
geuse leur position. »
Et il a ajouté qu’avant de voter la mesure proposée
au pied levé, il fallait consulter tout au moins le con-
seil académique.
Un membre ayant fait remarquer que déjà le direc-
teur de l’Académie est rééligible triennalement, en
vertu du règlement déjà ancien, M. Funck a répondu
que ce directeur étant en même temps professeur,
conserverait dans tous les cas ses fonctions primi-
tives.
*
* *
Et, en effet, il n’y a point de graves inconvénients
résultant du remplacement d’un artiste par un autre,
dans un emploi revêtant, pour ainsi dire, un carac-
tère honorifique, similaire, par exemple, à celui de
directeur de l’Académie de Belgique elle-même ou de
bâtonnier de l’ordre des avocats.
Tandis que renvoyer un professeur de sa classe,
même pour le remplacer par un plus digne, c’est lui
décerner publiquement un brevet d’incapacité, c’est
lui fermer à tout jamais la carrière de l’enseignement
en le privant des bénéfices d’un long stage et des tra-
vaux absorbants auxquels il a dû nécessairement se
livrer pour se mettre à la hauteur de sa mission.
*
* *
On ne naît jamais professeur, on le devient.
Quelles que soient les facultés d’un artiste, du
moment qu’il est investi d’un cours quelconque, il est
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évident qu’il ne pourra plus consacrer à l’exercice
individuel de sa profession le temps qu’il y mettait
auparavant.
Je dirai plus : ordinairement le producteur finit
par s’effacer devant le pédagogue. Inculquant à
d’autres les leçons du passé et celles de sa propre
expérience, le peintre chargé d’âmes, c’est-à-dire
d’élèves, n’apporte plus dans la lutte la même activité,
la même passion. Assuré de jouir d’une existence
honorable, il abandonne peu à peu le terrain de la
vente proprement dite, il n’a plus à poursuivre la
commande bourgeoise et le succès d’exposition.
Certes, il travaille encore à sa gloire et cherche à
se maintenir au rang distingué qui lui a valu ses
nouvelles fonctions ; mais, enfin, produisant moins,
il fait au bout du compte œuvre d’abnégation en
s’attachant à se créer lui-même de jeunes et redouta-
bles concurrents.
*
* *
Et c est lorsque, au courant de ce que j’appellerai
volontiers la philosophie de l’enseignement, il va
atteindre enfin à un résultat pratique, que ses élèves
vont pouvoir attester de la vitalité de ses efforts et
de ses conseils, qu’on pourrait brusquement le casser
aux gages comme un vieux cheval de courses mis au
rancart !
Appliquez cette mesure non-seulement aux pro-
fesseurs d’académies de peinture, mais aux profes-
seurs d’universités, d’athénées, de conservatoires, etc.
Car un principe est un principe, et je vous défie
bien, après avoir établi celui-ci, de ne pas le pousser
jusqu’à ses conséquences logiques.
Quelle école de dessin, quel établissement d’ins-
truction publique ou privée, quel lutrin ou quelle
famille même accueilleront le professeur déchu de ses
fonctions et officiellement taxé d'insuffisance ?
Il ne s’agit pas seulement de réputations détruites,
mais de carrières bel et bien perdues.
*
* *
Plus j’y songe et moins je vois la raison d’une
mesure dont les dangers ont été si bien prévus par
M. Funck.
Au point de vue de l’enseignement même, elle serait
désastreuse en substituant le système empirique
d’essais sans cesse renouvelés aux bienfaits d’une
longue pratique, basée sur l'expérimentation.
De plus, elle découragerait à coup sûr les vérita-
bles capacités, et laisserait à l’intrigue un champ
indéterm iné.
Il est évident que pas un artiste qui se respecte ne
voudrait s’exposer à l’humiliation d’une destitution
éventuelle et surtout à perdre son temps et son talent
pour se voir remplacer par le premier venu.
Et il arriverait inévitablement ceci, que tout ce qui
a véritablement la vocation de l’enseignement émigre-
rait en masse de Bruxelles pour demander des posi-
tions stables à des villes plus soucieuses de leurs
propres intérêts.
De sorte qu’il ne se présenterait plus guères à l’ob-
tention des cours disponibles que des jeunes gens sans
consistance, ne demandant au professorat que les
moyens d’attendre, pendant quelques années, que la
vogue leur vienne avec d’autres moyens d’existence.
Quant aux autres, la crainte d’être déchus de leurs
fonctions, leur ferait transformer leurs cours en serres
chaudes, à l’usage des talents factices et des lauréats
de contrebande.
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**
Et qu’on ne me dise pas : « On ne procédera aux
nominations nouvelles qu’avec une extrême circons-
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pection. Les bons professeurs seront conservés. Seules
les médiocrités et les routiniers seront remplacés par
des tempéraments plus en harmonie avec les exigen-
ces de l’époque. »
Les académies, pas plus que les conservatoires,
n’ont la prétention de couler des talents dans un cer-
tain moule. Elles ont pour unique mission d’initier la
jeunesse à l’histoire de l’art et à ses procédés régu-
liers. Leur enseignement est et doit rester essentiel-
lement rudimentaire. Prétendre qu’elles exercent une
pression dogmatique durable sur ceux qui préludent
par ses leçons, serait aussi absurde que d'affirmer
qu’Otto Vœnius a influé sur la manière de Rubens et
Navez sur celle de Charles Degroux. Pure question
d’éducation première. Nous avons tous fait nos huma-
nités, et nous ne parlons pas cependant que le grec
et le latin.
Tout, au contraire. Mais, enfin, le peu que nous en
sachions encore nous sert tous les jours. De même,
peintres et musiciens doivent passer par un enseigne-
ment complet, sous peine d’ignorance et de manque de
préparation. Van Brée, peintre médiocre et intolérant,
a formé d’excellents élèves tandis que Leys ou Cour-
bet auraient été d’exécrables professeurs d'académie.
Une vérité qui me paraît incontestable, c’est
qu’avant de vouloir révolutionner un art ou une école,
il faut commencer par les connaître et les pratiquer.
*
* *
Que d’objections encore à la mesure proposée par
la section de l’instruction publique du Conseil com-
munal bruxellois !
Supposez que la majorité change ou se déplace,
voilà la position des professeurs subordonnée à des
conditions de politique ou de sympathie.
Que dis-je ?
Il suffirait de la présence, dans son sein, d'un
artiste éloquent pour entraîner les votes de ses col-
lègues, ralliés à sa soi-disant compétence. Et voilà
bouleversé à la légère tout un système d enseigne-
ment, selon que l’artiste consulté appartient à telle
ou à telle autre école.
N’y a-t-il pas aussi les influences d’entourage, les
préférences de collectionneurs, avec lesquelles on au-
rait à compter, car tout le monde s’occupe d’art, au-
jourd’hui tout le monde juge, condamne ou porte aux
nues, achète des tableaux ou s’engoue pour le héros
du moment.
*
* *
J’en ai dit assez, je crois, pour éclairer les membres
du Conseil qui auraient pu être séduits, à première
vue, par la mesure présentée au nom de la justice et
du progrès, mesure qui ne pourrait avoir pour résultat
logique que l’arbitraire et la confusion.
Gustave Lagye.
La maison des Chats, Boulevard du
Nord, à Bruxelles.
Architecte M. Henri Beyaert.
Nos lecteurs se souviennent, sans doute, de la
notice que nous avons publiée, à propos de l'œuvre
nouvelle et si intéressante de M. l'architecte Beyaert,
dans le N° 12 de la 2e année de notre publication
(colne 104). Nous terminions cet article dans lequel
nous avions répondu aux absurdités que nous avions
lues dans certain journal de province, en disant :
Ce qui est incontestable pour tous ceux que leur savoir et leur
amour sincère du beau seul inspirent, c’est que l’ensemble de
cette composition est l’œuvre d’une imagination riche éclairée par
un goût pur ; c’est que, pour ceux qui l’étudient consciencieusement, |