Full text |
1846. m. 365.
ANVERS, Jeedi SI Béccasslire.
(Ponzlèsiie Année.)
ON S'ABONNE
A Anvers au bureau du Précur-
seur , Bourse Anglaise , N° 1040 ,
en Belgique et à l’étranger chez
tous les Directeurs des Postes.
Journal Politique, Commercial, Maritime et Littéraire
1*AIX. — LIBERTÉ. — PROGRÈS.
ABONNEMENT PAR TRIMESTRE
Pour Anvers,\15 fr.; polir la pro-
vince 18 fr.; pour Bellanger '20 fr.
Insertions 25 centimes la ligiÿ/
Réclames 50 »■ ... »
$1 Décembre.
Le Libéral Liégeois, qui nous arrive à l’instant même, con-
tient un article intitulé': tout pour l'Escaut, rien pour la Meuse.
D'après ce titre, nous nous attendions à trouver quelque té-
moignage ignoré, imprévu de la bienveillance du ministère
pour Anvers. Sans doute, disions-nous, MM. Malou et De-
champs, mieux inspirés, auront fait droit aux justes réclama-
tions du commerce, et, comme, de sa nature, le Libéral Lié-
geois a la jeune monomanie de croire qu'Anvers est une ville
étrangère, il se sera fougueusement écrié : tout pour l’Escaut,
rien pour la Meuse. IDh bien, non ! MM. Malou et Deehamps
n’ont pas reculé, suivant l’heureuse expression du journal des
RR. PP.; ils sont demeurés fermes dans leurs errements.
Ce titre emphatique : tout pour l’Escaut, rien pour la Meuse,
est simplement l’étiquette d’une vieille bouteille vide, et si l’on
y trouve quelque chose, c’est uniquement une preuve nouvelle
de l’aveugle mauvais vouloir dont le Libéral Liégeois est animé
envers la métropole du commerce belge.
Nous allons réduire son article à sa plus simple expression,
et l’onjugera s’il en est bien ainsi.
Les travaux nécessaires pour la dérivation de la Meuse n’ont
pas été entrepris : tout pour l’Escaut, rien pour la Meuse : telle
est la conséquence que lire de ce fait le Libéral Liégeois Le
ministère a-t-il donc sacrifié la Meuse à l’Escaut? a-t-il fait
exécuter, eu faveur du fleuve des travaux qui auraient empêchés
d’améliorer la situation de la rivière? nullement. Pour le fleuve,
la nature a tout fait généreusement ; elle a donné à la Relgique
une des plus belles voies navigables qui soient au monde, une
voie que tous les peuples lui envient et qu'ils achèteraient à un
prix énorme, si elle était aliénable, si elle pouvait être trans-
férée dans un autre pays. Ce n’est donc pas cela, mais, dit
le Libéral Liégeois, les Flandres crient la faim ; vite quelques
millions pour les faire taire, et on néglige la dérivation de la
i
MEUSE ;
Qu'a cela, je vous prie.de commun avec l’Escaut ? quels
rapports le paupérisme et la faim qui dévorent si malheureu-
sement les Flandres ont-ils avec notre fleuve, pour que ce
champion de la Meuse essaye de le rendre responsable de ce
qu’on n'a pas fait en faveur de celle-ci ? u’est-ce pas là, comme
nous le disions tout à l’heure, de la monomanie et même quel-
que chose de plus ? Le Libéral Liégeois, il est vrai, accuse éga-
lement le ministère, les chambres, tous les députés en général,
et ceux de sa province en particulier : il en veut à ses propres
amis, à sa propre ville, à lui-même, oui, à lui-même. Nous tous,
s’écrie-t-il, nous avons des reproches à nous faire. Fort bien,
faites-vous des reproches tant que vous voudrez, nous ne vous
en empêcherons pas, mais, de grâce, dites-nous, pour quoi
l’Escaut est coupable de ce que le gouvernement a négligé la
dérivation de la Meuse
Nous donnerons, nous, au Libéral Liégeois un nouveau té-
moignage des bons sentiments qui nous inspirent, et la preuve
3ue nous savons faire la part de tous les intérêts. Nous join-
rons notre voix à celle de tous les journaux et de tous les
hommes qui s’efforceront de stimuler le gouvernement en fa-
veur de la Meuse. Nous demanderons que les travaux de dé-
rivation soient effectués le plus tôt possible, et nous ne vien-
drons pas , poussés par un égoïsme mesquin, prétendre que
l’argent qu’on y consacrera, non plus que celui que l’on con-
sacre à soulager la misère des Flandres, est un argent mal
employé , pour ainsi dire dérobé à d’autres intérêts qui nous
touchent de plus près. Nous ne nous écrierons pas : tout pour
la Meuse, rien pour l’Escaut. Nous nous réjouirons, au con-
traire, du bien qu’en éprouvera la province de Liège ; mais
aussi notre façon de voir n’est pas celle du Libéral Liégeois.
Emigrants, allemands.
Nous avons publié hier le tableau des 89 navires qui sont
partis du port d'Anvers, en 1846, avec 13,178 émigrants.
Ce chiffre total présente une augmentation très sensible sur
celui des années précédentes. En 1843, le nombre des émi-
grants transportés était d’environ 5000. En 1844, il n'atteignait
pas 4000, en 1845 il était de près de 6000.
Il a donc plus que doublé, relativement à l’année dernière et a
été trois fois plus grand que dans les années précédentes.
Cet accroissement peut, en partie, être attribué à la multi-
plicité des navires qui ont apporté des denrées de toute espèce,
et à l’augmentation si considérable des transports qui se sont
effectués par notre ville.
La création d’une société spéciale, destinée à faciliter les
voies et à protéger les émigrants, sous tous les rapports, avec
le concours de l’autorité gouvernementale, et l’institution d’un
commissariat particulier n’ont également pas peu concouru à
produire le brillant résultat que nous avons fait connaître.
11 est hors de doute que les émigrants ont aujourd’hui à An-
vers des garanties telles, qu’ils n en rencontrent de sembla-
bles dans aucun autre port.
Aujourd’hui une société existe, qui est créée dans le but d’as-
surer aux émigrants un traitement convenable ; aussi a-t-elle
pris dès sa création, et malgré les difficultés de toute espècequi
sont inhérentes à un nouvel établissement de ce genre, une po-
sition excellente.
Depuis le 24 juillet, jour où cette société a expédié son pre-
mier navire, on a transportée!! tout par Anvers 7,390 émigrants;
eh bien, la société F. Outendirck et O,avec un des membres de
cette société qui a provisoirement continué l’exploitation d’une
ligne particulière, a transporté pour sa part au-delà de 3,000
émigrants.
Ce résultat est important et garantit le succès del’entreprise.
Les avantages qui en résultent, et pour le commerce et pour
toute la ville,soutlrop considérables,pour qu’on ne l’encourage
pas.
Election tic Tournai.
Il est difficile de se figurer l’agitation qui régnait avant-hier à Tour,
nay ; jamais élection n’avait à ce point remué la population. Le parti
libéral tout entier, dans toutes ses Tractions, agissait avec une unité
remarquable ; on était parvenu à réunir ta presque totalité des élec-
teurs.
Les Etrcnnes.
II existe à Anvers, comme dans beaucoup d’autres localités,
un usage ou, pour mieux dire, un abus, parsuite duquel les
fournisseurs, tels que bouchers , boulangers et en général les
détaillants et boutiquiers sont soumis à un impôt annuel,
déguisé sons le titre d'Etrenn.es , au profit des domestiques de
leurs pratiques et parfois au profit des pratiques elles-mêmes.
Il est, en effet, des maîtres qui ue croient pas déroger à leur
dignité en exigeant, de leur boucher ou boulanger, des provi-
sions gratuitement pour toute une semaine; d’autres en récla-
mant une somme équivalante pour eux ou pour des domestiques
qu’ils n’ont pas.
Cet abus léze principalement la classe bourgeoise, celle des
détaillants, le petit commerce, dont le sort n’est déjà que trop
déplorable; la propriété et le haut commerce n’eu ressentent
par les atteintes tyranniques; cet abus est en effet une oppres-
sion dans ce sens que le détaillant qui seul aurait le courage de
s’y sousli'aire, s’exposerait à voir une partie de ses pratiques
déserter son comptoir et s’adresser à son voisin moins indé-
pendant de l’usage que lui. C’est par ce motif sans doute que
dans plusieurs localités et villes de France, on a vu ces modestes
industriels se donner la main pour extirper, en y résistant tous
ensemble, un usage qui donne parfois naissance à des traités
secrets entre certains fournisseurs et les domestiques et,
parsuite, à des tromperies aux dépens des maîtres.
Nous apprenons que les boulangers de notre ville ont pris une
résolution semblable; forcés par les circonstances, qui pèsent
le plus directement sur eux, en raison de la cherté des céréales,
de la rigueur de la mercuriale et de l’inflexibilité de la police,
ils ont décidé unanimement de se soustraire à cet abus et de le
remplacer par un acte de bienfaisance au profit de la véritable
indigence.Au lieu de donner des étreintes à certains valets.àdes
soubrettes et cuisinières de bonne maison, qui sont bien logés,
nourriset salariés par leurs maîtres, et ne savent pas ce que
c’est que souffrir de faim et de froid, ils ont ouvert entre eux
une souscription pour fournir plusieurs milliers de pains aux
véritables nécessiteux, que la rigueur de la saison et l’excessive
cherté des vivres commandent de secourir.
Nous ue pouvons qu’applaudir à cette décision que la ri-
gueur des témps a fait prendre ; elle a pour effet de substituer
à un abus uneœuvre de charité qui honore ceux qui la font, en
adoucissant les souffrances de ceux en faveur de qui elle est
faite.
On a vu M. Savart, fils, fidèle aux opinions politiques de son père,
voter pour M. Lehon, contre son beau-frère M. Hughebaert
A midi, l’élection de M. Lehon a été connue. M. Dubus afné présidait
le bureau principal, placé dans le grand salon de l’Hôtel de Ville, et a
proclamé le résultat des opérations électorales.
M. Lehon, qui était présent, a demandé la parole, pour remercier les
électeurs présents des suffrages qu’ils venaient de lui accorder.
M. Dubus a fait remarquer que les opérations électorales devaient
être terminées sans désemparer, et que le procès-verbal de l’élection
n’étant pas rédigé , il ne pouvait pas interrompre le travail du bureau
pour accorder la parole à un membre de l’assemblée.
A l’instant même. les électeurs qui se trouvaient dans la salle sont
descendus, et M. Lehon leur a adressé l’allocution suivante :
Messieurs, .
« Ce n’est pas sans vive émotion que j’essaye de vous remercier des
o nombreux suffrages que vous venez de m’accorder. Vous compre-
» nez combien ce témoignage de votre estime m’est précieux, après
» les outrages que n’a cessé de déverser depuis quinze jours la presse
» stipendiée, sur ma vie publique et sur mon caractère privé.
• Je suis bien vengé par cette journée.
» Vous venez de poser un grand acte. Encouragé par un succès sur-
» pris à votre religion, en 1845, des hommes imprudents ont cru qu’on
» pouvait disposer arbitrairement de vos consciences ; ils ont voulu
» ériger un système nouveau en syslème électoral On se disait qu’a-
» vec un journal qui se vend sans pudeur, avec un écrivain capable
» de toutes les infamies, on pouvait se rendre maître des élections de
» de l’arrondissement de Tournay ; on espérait aussi faire, par l’inti-
» midaliun, un bourg pourri de cet arrondissement, qui, toujours,
» s’était distingué par son indépendance et sa modération. Le scrutin
» de ce jour est une protestation énergique contre cet essai de tyran-
» nie électorale. Puisse la leçon profiler à ceux qui l’ont provoquée.
» Peut-être le bienveillant souvenir de travaux utiles, d’honorables
» services rendus à mon pays, pendant vingt-cinq ans. a-t-il eu quel-
» que part dans la grande majorité que je viens d’obtenir. Mais mon
» amour-propre ne se fait pas illusion : l’homme est effacé dans la lutte
» par le grand principe que vous venez de sanctionner, principe qui
» est le nœud de la politique intérieure du pays, principe décrété par
» la constitution : la liberté générale, sous l’empire des lois, et non la
» domination exclusive de quelques-uns.
» Lorsque j’ai défendu ce principe, à l’occasion de la convention épis-
» copale, j'étais fidèle à mes antécédents.
» Dans les mémorables sessions de 1828 et 1829, j’étais au nombre des
» défenseurs des libertés et des franchises du clergé, contre les attein-
» tes de la puissance publique. Aujourd’hui que le pouvoir spirituel,
» dont l’indépendance est protégée par les garanties inviolables, me-
» nace l'indépendance du pouvoir civil, je viens, fidèles à mes princi-
» pes, combattre cet esprit d’envahissement du domaine de la puis-
• sance publique
» Voilà la grande question du jour ; mais je comprends que la mis-
« sion du député embrasse d’autres devoirs. La réduction des dépen-
» ses. l’emploi plus rigide des deniers publics, une meilleure assiette
» de l’impôt, un contrôle plus sévère des travaux publics, les grandes
» questions économiques en rapport avec l’agriculture, l’industrie et
» le commerce, la moralité du gouvernement, la vérité dans les élec-
» tions, en un mot l’établissement du gouvernement de l’Etal sur ses
» bases naturelles; tels seront les principaux objets de mes études.
» Voilà ce que je puis vous promettre. Vous le savez, je n’avais rien
» promis avant l’élection. »
M. Lehon a terminé en déclarant qu’il faisait, en faveur des pauvres
de Tournay, abandon de l’indemnité qui lui est attribuée, comme re-
présentant, pendant la durée de son mandat.
Voici comment la commère l’Emancipation se console de
l’échec essuyé par ses patrons à Tournai :
Treize cents électeurs seulement viennent de prendre part aux opé-
rations électorales de l’arrondissement de Tournay. Cet arrondisse-
ment compie 1750 électeurs. Ainsi 450 électeurs, un peu plus du quart,
se sont abstenus de faire usage de leurs droits politiques. Il y a là plus
qu’il ne faut pour rétablir, en faveur du parti conservateur libéral, l’a-
vantage que beaucoup de circonstances ont concouru à lui ravir mo-
mentanément.
N’oublions pas. d’ailleurs, que M. Lehon remplace M. Savart-Martel,
qui votait avec l’opposition. Nous ne préjugeons pas la position que
M. Lehon va prendre dans la chambre ; mais évidemment, il ne chan-
gera rien aux forces actuelles comparées à celles de la droite.
La bonne feuille s’imagine que les 450 électeurs qui se sont
abstenus de prendre part au vote appartiennent tous à son
parti. Nous recommandons cette idée au journal des Jésuites
d’Anvers. 11 pourra, en la travaillant convenablement, en faire
sortir une majorité imposante dévouéeaux idées théoeratiques.
On lit dans l’Observateur :
Le triomphe de M. le comte Lehon est plus qu’une défaite pour le
ministère, c’est une défaite pour l’épiscopat. C’cstplus que le j;rLunphe
d’un homme, c’est le triomphe d’un principe.
M. Lehon représente le principe de la liberté d’enseignement et il
n’est pas de question politique supérieure à celle-là, caria contre ré-
volution dans les esprits et dans l’ordre moral nous paraît bien autre-
ment grave quela contre-révolution dans l’ordre matériel et dans les
faits ; cette dernière n’est qu’une oppression de la force ; l’autre est
une corruption de l’intelligence elle-même; orquandlafoi publique
FEUILLETON
AGÜlCS UE IHÉKAXIE.
(Vutte et fin.)
D’autres reproches se peuvent faire à cette composition, défectueuse
sous tant de rapports importants. Agnès l’héroine du drame, n’est pas
touchante comme elle devrait l'êlre. justement parce qu’elle est pres-
que toujours séparée de son mari. Dans tout le cours du second acte,
Agnès et Philippe ne se rencontrent pas une seule fois. Au troisième
acte enfin, ces deux infortunés, seuls dans ce palais où chacun se
cache de son côté, se peuvent dire quelques paroles, et en ce moment
nous avons espéré une scène touchante. Ah ! si j'avais l’honneur d’étre
un poète, j’aurais voulu que cet homme et cette femme, frappés de
cette malédiction, éperdus de douleur, la tète courbé sous ce joug de
fer, le cœur plein de larmes, les yeux humides, se fussent demandés
l’un à l’autre si en effet cen’étaitpas là un arrêt du ciel ! J’aurais voulu
voir le doute chrétien pénétrer dans ces âmes attendries; je les aurais
faites si malheureuses,si tremblantes.si brisées,ces deux âmes a néan-
ties, que la foule eut été tenté de leur dire : « Prenez courage! Dieu
n’est pas si méchant qu’on vous le fait ! • Cette scène-là, Schiller ne
l’eût pas manquée, M. Hugo ne la manquerait pas ! M. Ponsard a char-
gée cette scène importante d’une vague ironie ! En ce moment Phi-
lippe-Auguste est au comble de l’avilissementjil avoue à sa femme qu’il
a demandé grâce au pontife :
...............Oui, je me suis soumis.
J’ai demandé pardon, moi, le Roi, j’ai promis !
Il me semble que cet aveu termine tout. Après cette dernière honte,
Agnès ne doit pius rien attendre de son mari vaincu : elle est perdue,
et lui il est tout simplement déshonoré. Je ne saurais vous rendre l’im-
■pression pénible produite par cet abaissement inutile de Philippe-
Auguste!
Il me semble aussi qu’Agnès eut été pius touchante abdiquant la
couronne aux mains de Philippe, qui la lui a donnée, que celle Agnès
qui s’humilie sous la main du moine et qui promet de partir. Ici le
poète a fait de grands efforts pour être touchant, il a écrit avec un
soin excellent toute cette partie du rôle d’Agnès. Mais ! juste Ciel ! à ce
moment nous nous sommes rappelé ce chef d’œuvre merveilleux, in-
croyable, la Bérénice de Racine. Bérénice, voilà de l’amour dans la plus
pure ivresse ! Titus, voilà un héros qui ne relève que de lui seul ! Celte
élégie esL le miracle de la poésie dramatique ! Comparez Bérénice à la
pauvre Agnès! Comparez Titus à ce Philippe-Augusteet vous compren-
drez dans quel abîme lamentable l’auteur de l.ucrèce vient de tomber.
Avez-vous lu une tragédie de la même famille (de la famille d'Agnès
de Méranie), le Mahomet II du comédien Lauoue ? Ces janissaires qui
ont proscrit Irène, la belle Grecque, et ce sultan qui fait tomber la tête
i de sa maîtresse, pour sauver sa couronne, j’aime mieux cela ; cela est
grand, cela est terrible, cela est un vrai drame ; mais aussi c’est une
belle chose, ce Mahomet II !
On comptait beaucoup sur le quatrième acte d'Agnès de Méranie ; on
avouait que le troisième acte manquait de mouvement, de variété, de
force.. Plus encore que le troisième acte, l’acte suivant manque de vie !
i Rien n’est changé, rien ne change, dans cette péripétie lamentable ;
j nous avons beau implorer le vent qui doit nous conduire au rivage
; espéré, notre rame lassée fatigue vainement une mer inutile. Tou-
! jours le légat, tou jours Agnès, toujours la question ; Il faut partir! Tou-
1 jours ce légal qui se promène victorieux dans ce palais, ouvert à tou-
tes les malédictions de la terre et du ciel. Vous le dirai-je ? A force de
Se montrer sans obstacles, à force de parler sans contrôle, ce prélat
nous fatigue et nous blesse ; cet homme est trop sûr de son fait, rien
ne lui résiste ; il est le maître absolu des âmes, des consciences, des vo-
lontés.
En même temps, et quand nous espérons enfin quelque relâche à
l’obstination de cet affreux moine, le seul homme resté fidèle à la for-
tune de Philippe-Auguste,le comte Guillaume, quand il est seul avec la
reiiie ou avec le roi, n’est occupé qu’à parler, lui caché, comme parle-
rait Innocent III lui-même. Des les premières scènes,il est vrai, nous
avons vu accourir un gentilhomme anglo-normand, pour offrir son
bras au roi de France, et nous espérions quelque utile diversion de
cet anglo-normand ; mais non ! après quelques belles paroles, on ne
revoit pas ceL élégant seigneur) qui pouvait prêter un appui à la triste
Agnès et faire une grande division dans cette tragédie. Allons ! il faut
céder au moine, pauvre Agnès ; le moitié est plus fort que le roi: allons
il faut partir, il faut le chasser toi-même du rang des reines et du nom-
bre des mères; le légat est impitoyable, il te parle d’une voix surhu-
i ntaiiie. et comme un homme ne parle pas à des hommes ! En ce mo-
| ment Agnès se révolte, elle maudit à son tour celui qui l’a maudite;
j mais à quoi bon ? Nous sommes fatigués depuis les premiers vers des
malédictions impuissantes, et ce n’était pas la peine de refaire avec
tant d’efforts l’imprécation de Camillej:
Rome, l’unique objet de mon ressentiment !
Il n’est plus temps de faire crier l'agneau quand il est sous le cou-
teau du boucher ! Racine fait pleurer Iphigénie sous la main de Cal-
chas ; il se garde bien de mettre des paroles de haine sur ieslèvres de
cette enfant qui va mourir. Disons donc que ces malédictions son! in-
tempestives dans la bouche de cette excommuniée, qui se traîne aux
pieds de ce prêtre sans remords et sans pitié. Mais quoi ! le poète n'a-
vait pas à choisir ; tout son drame se compose uniquement de larmes
et de malédictions, de malédiction et de larmes; Agnès pleure quand
Philippe s’emporle, U est juste eu revanche qti’Agnès s’emporte quand
pleure le roi. — Et de cette reine répudiée, îngelberge . de celle fille
du Nord, qui tout à l’heure va remonter sur fe trône de France, pas un
mot. rien ! — Il me semble pourtant que dans cette action vide, où les
personnages manquent aussi bien que les idées, ce rôle d’ingelberge
eût produit quelque effet.
Le cinquième acte se ressent, plus encore que les trois aqlpi s, du
trouble et du malaise de l’auteur ; placez ce dénouement! manqué deux
actes plus haut, il eût produit beaucoup d’effet. En çe moment, Phi-
lippe-Auguste convoque les fondateurs de sa couronne il vent savoir
où en est l’obéissance, et s’il peut compter Sur' leur fidélité: Le dis-
cours est très beau et très digne dp l'homme ingénieux qui a éent les
beaux passages de Lucrèce :
Barons et chevaliers, vous savez qui nous surfîmes !
Je suis votre seigneur, et vous êtes mes hommes'!
Je vous ai tous aimés, et je vous l’ai fait voir.
Je n’ai rien demandé, hors de votre devoir.
J’ai rendu la justice ; en un mot. je puis dire
Que je me suis conduit en bon H loyal sire.
Et qu’à nul d’entre vous, en aucune façon.
Je n’ai fait sciemment ni tort ni déraison
Si j’ai nui par mégardc à quelqu’un, qu’il se lève !
Ainsi j’ai commencé, seigneurs, ainsi j’achèv e...
Bref, tout ce discours est beau ; mais encore une fois, ce discours vient
trop tard. Encore si, en ce moment suprême, dans ce moment de
révolte, ce roi de France, entouré de ses pairs et Ta main sur l’épée,
finissait par être vraiment le maître chez lui. ne fù' ce nue pour un
-our ; s’il pouvait lie plus ressembler à l'homme qui se met a l'abri du |