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(N° 10.)
ANVERS, MARDI 10 JANVIER 1837.
(2®* ANNEE.)
ON S'ABONNE
A Anvers y au bureau du
Précurseur y rue des Fagots,
h. *093, où se trouvé une
boite au* lettres et où doi-
vent s’adresser tous les avis.
Eu Belgique et d Vétran-
ger % chez tous les directeurs
des postes.
Pour toute la Hollande
cher Th. Lejeune Libraire
Editeur k la Haye.
a Paris , A l’Office-Cor-
rcspondance de Lepelletier-
Bourgoin et compag» , rue
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LE PRECURS
JOURNAL POLITIQUE, COMMERCIAL, MARITIME ET LITTÉRAIRE.
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25 centimes la ligne.
La quatrième page c<m~
sacrée aux annonces , c*
affichée & la bourse d’An-ver—
et h la bourse des princi-
pales villes de commerce
PHOQBES.
10 Janvier 1837.
BULLETIN.
II y a déjà quelque temps qu’on n’a point de nouvelles de la Tur-
quie. Les journaux français nous donnent aujourd'hui des nouvelles
de la Perse. Ce pays est dans un état à peu près complet d’agitation.
Le roi à la tête de’son armée vient de soumettre le prince de Hérat
qui s’était révolté contre lui.
On aura pri remarquer dans le message du président Jakson la
manière dont il envisageait la question du Texas; nous reproduisons
aujourd'hui une proposition faite par les représentants Texiens et
tendant à être admis dans la confédération des Etats-Unis.
On n’a plus de nouvelles de Saint-Pétersbourg, mais il parait,
que le gouvernement Russe s’entoure de précautions contre les ten-
tatives d’insurrection de la Pologne. Outre les quatre places fortes
qui l’entourent aujourd’hui, on parle de cinq autres qui doivent
recevoir de grandes fortifications et de l’érection d’une nouvelle au
confluent de la Bsura dans la Vistule.
Les nouvelles de l’Allemagne sont peu intéressantes ; à Leipsig
les libraires de la ville réclament vivement contre la nouvelle loi de
censure et menacent de quitter le pays s’il n’est pas fait droit à
leur réclamation. A Vienne, on est tout occupé du départ de la
fiancée du roi de Naples ; ce départ a eu lieu le 28 décembre et le
mariage a dû être célébré le 7 janvier à Trente.
Le choléra perd chaque jour à Naples de son intensité. On parle
toujours de quelques arrestations dans la partie du Piémont.
Les journaux anglais donnent le tableau des recettes de la douane
pendant le dernier trimestre. Le tableau général présente une aug-
mentation de 16,000 livres st., malgré une diminution de 450,000
liv. si. dans le produit des douanes ; cette diminution porte princi-
palement sur les thés et les sucres. Nous reproduisons sous la ru-
brique Angleterre, une lettre en forme de profession de foi d'O’Con-
nell adressée à M. Wenteworth Beaumont.
Les nouvelles du Portugal nous apportent aujourd’hui le décrél
relatif à l’abolition de la traite des Nègres. Nousavions déjà annon-
cé l'adoption de cette mesure ; nous donnons aujourd’hui le texte
même du décrét. La tranquillité règne toujours du reste à Lisbonne
et dans tout le royaume, on s’occupe presqu’exclusivement des élec-
tions et de la vente des biens nationaux. L’escadre française n’a pas
quitté Lisbonne et l’escadre anglaise parait se renforcer.
Les cortès espagnoles ont adopté l’élection directe comme base de
leur constitution. Le gouvernement qui compte maintenant sur l’ap-
puide ia chambre, met tout en œuvre pour en finir avec les carlistes.
U parait que tous les fonds disponibles dans les caisses publiques
sont au fur et mesure de leur rentrée envoyés à l’armée du Nord.
M. Mendizabal est toujours malade, et tout le poids des affaires pu-
bliques retombe surM. deCalatrava. Nous croyons ce ministre beau-
coup plus affairé qne le ministre universel de don Carlos. M. Erro.
Nous disions dans notre numéro d’hier, que l’envoyé du Mexique
avait annoncé officiellement que les ports de cette république étaient
ouverts au pavillon espagnol; nous donnons aujourd’hui le décrét de
la reine, annonçant une heureuse réciprocité; nous reproduisons
également une représentation énergique que le jeune général Narvaez
vient d'adressei^à la reine. Nos lecteurs n'ont pas oublié que ce brave
général, après avoir battu Gomez, r.e put profiter des avantages
de la victoire par le refus d'Alaix de le reconnaître comme chef de
la 3mo division , et de se placer sous ses ordres; c'est contre la re-
F EU IL LE T ON.
MODES.
Ensemble de toilette. — Négligé. — Peignoir en cachemire anglais, fond
Hoir à palmes. Collerette plissée à deux rangs bordés de jours et de Valencien-
nes. Crovatte en cachemire uni, jaune turc. Tablier en taffetas noir garni de
ruches découpées. Souliers douillettes en marceline puce garnis de peluche pa-
reille. Mitaines de taffetas cousues en soie amaranthe. Bonnet de mousseline
garni de valencieimes.
Demi toilettede ville. — Redingote bleue et noire; pélerine àla paysanne ,
en taffetas noir garni de dentelle. Fichu d’organdi garni de point. Capote en
velours épinglé blanc à rubans pareils. Manchon de martre. Souliers-guêtres
en peau vernie et gros de Naples marron.
Demi toilette du soir. — Robe en mousseline blanche , garnie par devant
en tablier d’un double bouillon et d’une ruche de tulle à pois ; dans le bouillon
fiasse un ruban de taffetas paille. Ceinture et bracelets de ruban paille. Sou-
iers de salin noir. Bonnet de tulle garni de coques en tulle et de ne-m’oubliez
pas.
Toilette du soir. — Robe en velours vert émir, bordée d’un ourlet fendu en
«atin blanc. Manches à cinq bouillons alternés de velours et satin ; corsage plat à
draperie de satin blanc bordée d’une dentelle de soie tombant sur le velours.
Coiffure de fleurs en pierreries et touffes de cheveux. Bouquet ou évantail.
Mouchoir brodé garni d’une très haute Valenciennes. Souliers de satin blanc.
MODES. —- Il n’y a plus trop à attendre de variété que dans les modes du
soir. Le caprice les crée et les change : aujourd’hui le petit chapeau castillan ,
demain le turban odalisque ; pour cette toilette le bonnet sans rubans , pour
celle-ci le bonnet à plumes. Les modes de ville ont une certaine uniformité qui
sauve du changement. Une femme , fût-elle la plus élégante , peut avoir et
renouveler constamment le même chapeau sans qu’on en fasse l’observation
eu du moins la critique. Le soir , celle qui n’est pas coiffée simplement en che-
veux, doit faire un travail extraordinaire pour trouver quelques variétés de bon
goût , quelques fantaisies sans exagération et sans bizarrerie. Une nouveauté
des plus saillantes est celle que l’on a remarquée à la princesse de N.; les den-
telles de son bonnet avaient tout autour des fleurs en bordures, une ligne d’or
Fin tracée légèrement. Nous n’osons appuyer cettte innovation; il y a fort peu
de femmes à qui elle puisse convenir.
Cette mode très luxureusc, exige beaucoup de richesse dans toute la toilette
et beaucoup de dignité dans la tenue: si la personne qui se coiffe ainsi en né-
gligé n’est pas grande et brune, si elle n'a pas une certaine dignité dans le main-
Len, cette recherche devient une parure étrange et seid mal. Les cheveux
hlonds de la princesse de N. ne viennent pas à l’appui de notre remarque :
cependant il est nécessaire de la faire pour faire juger de ce nouveau genre de
Bonnets destiné probablement à rester en exceptions. Quelque chose de joli
qui doit aller à la plupart des visages qui l’accueilleront, est le mélange des
marabouts avec le tulle, posés tout autour du bonnet, par devant. Cette gar-
niture toute légère, encadre la figure d’un nuage vaporeux qui remplace les
papillottes.
Fantaisies. —Nous parlerons seulement aujourd’hui des châles de velours
garnis de franges de peluche; des conforts en velours et en cachemire uni,
gros bleu ou orange, et des petites pèlerines ouatées en satin blanc bordé de
Clgnc oud’berminu que l’on porte le soir en toilette de spectacle.
bellion d’Alaix que reclame maintenant legénéral Narvaez*Par cette
représentation , le gouvernement de la reine est obligé de choisir
entre Narvaez et Alaix; il est à désirer dans l’intérêt de l’armée et du
gouvernement, que justice soit rendue à Narvaez; les services rendus
par ce jeune général, contrastent singulièrement avec l’incapacité
d’Alaix qui n’a jamais su atteindre Gomez.
Il n’y a point de nouvelles de Bilbao depuis le déblocus de cette
place. Espartero compte 15 à 18,000 hommes sous ses ordres; la
légion portugaise, les divisions de Saarsfield, d’Alaix, de Narvaez
et de Ribero, peuvent présenter, réunies, un effectif de 22 à 25,000
soldats; toutes sont en marche vers le centre des cantons insurgés.
Les généraux de don Carlos ne peuvent guère opposer à ces 40,000
combattans, plus de 16 à 17,000 hommes, désunis et découragés. U
dépend donc d’Espartero de mettre fin, par un coup de vigueur, à
cette interminable guerre. Jamais l’occasion ne fut aussi favorable.
Ce qui occupe aujourd’hui la presse française, c’est l’acquitte-
ment par le jury du Courrier français ; on sait que le Courrier, le
Siècle et le Temps avaient été saisis, il y a quelques jours ; par suite
de cette saisie le Courrier et le Siècle avaient été assignés devant la
cour d’assises; quant au 'Temps, le parquet l’avait réservé pour le
cas où, l’article du Courrier, ayant été condamné, le journal qui l’a
reproduit, aurait pu être à son tour également incriminé. Cette ma-
nière d’agir est tout à fait contraire aux précédents de la jurispru-
dence comme l’a fort bien fait remarquer Me Philippe Dupin, l’avo-
cat du Courrier; mais M. l’avocat du roi Flougoulm n’a tenu aucun
compte de ces observations. Le fait est qu’on avait craint que le jury
ne se montrât plus bienveillant à l’égard du Temps, journal dont la
tendance dynastique est bien connue, qu’envers son co-accusé et que,
par suite de celte prédisposition favorable, l’un et l’autre ne fassent
plus facilement acquittés. D’un autre coté, après avoir commis la
faute de saisir le Temps, on en a éprouvé quelque regret et, pour
échapper autant que possible aux conséquences de celte première
faute, on a voulu éviter de le mettre en jugement avant que son dé-
lit eut été bien dûment constaté par le verdict d’un jury; quoiqu’il
en soit, le gérant du Temps n’a point comparu parce qu’il n’avait
point été assigné et maintenant il ne le sera probablement plus, puis-
que te Courrier, dont il n’avait fait que copier les paroles, a été ren-
voyé absous de la plainte. Ce procès est un curieux début à la ses-
sion. Le ministère, en effet, qui se flotte d’avoir gagué sa cause de-
vant la chambre, ne l’a point gagnée devant le jury. Voici briève-
ment comment les choses se sont passées
Un nombreux auditoire avait été attiré par l’intérêt tout politique
qu’offrait cette affaire. Avant d’y arriver, la cour s’est occupé du
jugement de M. le comte de Brulard, condamné dans l’affaire des
prouvâmes , lequel s’était constitué pour purger sa contumace. Il a
été acquitté. On a appelé ensuite les gérans du Siècle et du Cour-
rier français, Le premier avait fait annoncer qu’il fesait défaut
pour cause de maladie , mais un médecin , envoyé chez lui pour
constater le fait est venu annoncer que M. Du tacq, gérant du Siècle,
était sorti dès le matin pour vaquer à ses affaires. M. Plougoulm,
l’avocat-général, demandait en conséquence qu’on remit l’affaire à
une autre session , prétendant qu’il était impossible de disjoindre
les deux causes, mais la cour en ayant jugé autrement, acommen-
cé par condamner M. Du tacq , par défaut à 2 mois de prison et
2000 fr, d’amende. Puis on a procédé à l’interrogatoire de M. Va-
lentin de Lapelouze, gérant du Courrier pRAXçais. M. Plougoulm
I
a pris ensuite la parole pour soutenir l’accusation, il a paru em-
barrassé , mais n’en a pas moins conclu contre l’article incriminé.
Le rôle de MJ Philippe Dupin a été plus beau. U a été chaleu-
reux , éloquent et, lorsque le jury est entré dans la Salle des délibé-
rations , on n’avait plus de doute sur l’issue de l’affaire. Au bout de
20 minutes en effet, il en est sorti pour rendre un verdict de non cul-
pobilité.
MOUVEMENT COMMERCIAL DU SUCRE EXOTIQUE
A DIFFÉRENTES ÉPOQUES.
1er ARTICLE.
La question du sucre s’agite maintenant dans un grand nombre
de pays. On s’en occupe en Russie, en Autriche, en Prusse, en Al-
lemagne, en Hollande, en France , eu Belgique. Dans de pareilles
circonstances, il non* a semblé opportun de rechercher quel mou-
vement commercial celte denrée avait entraîné, à différentes époques,
et entraînait encore aujourd’hui. Nous avons pensé que ces docu-
ments ne seraient pas lus sans intérêt, et qu’ils pourraient même
porter quelques fruits, en montrant combien est à ménager une ma-
tière à la quelle se rattache un commerce d’une si haute importance.
Si nous remontons ci deux siècles, nous trouvons que le Brésil
était le pays où la culture de la canue à sucre était le plus dévelop-
pée. C’était à ce centre de production que l’on allait chercher l’ap-
provisionnement de presque tous les marchés de l’Europe,et, comme
le Brésil était une colonie portugaise, ce commerce se fesait par la
voie de Lisbonne. La quantité du sucre exporté s’élevait annuelle-
ment de 60 à 80,000,000 kil. ; le prix en était très grand, car il était
de 3 fr. à 3-50 le kilogramme. Aussi la consommation n'était-elle
pas considérable.
Cependant les Antilles entrent en concurrence avec le Brésil. La
culture se développe,sous l’influence anglaise, à la Barbade d’abord,
puis à la Jamaïque, et dans d’autres contrées. Au commencement du
dix-huitième siècle, on ne payait plus en Angleterre que 82 centimes,
le kilogramme de sucre, que l’on payait, quelques trente années au-
paravant, de 2 francs à 2 francs cinquante centimes. A mesure que
le prix diminuait, la consommation allait croissant.
La lutte entre le monopole et les industries rivales dura soixante-
dix années, depuis 1660, jusqu’en 1730 : le monopole devait suc-
comber ; il succomba. Lisbonne vit disparaître une partie lle sa
prospérité. En 1736, les exportalions du Brésil ne s’élèvaient plus
qu’à environ 40,000,000 kil.t; réduction énorme, si l’on considère
l’accroissement de ia consommation. Par contre le commerce dit
sucre prenait de l’extension dans plusieurs autres contrées. Les co-
lonies anglaises versaient en Europe 40,000,000 kil. de sucre; les co-
lonies hollandaises. 25,000,000; les colonies françaises, 20,000,000:
en tout, 125,000,000 kil. de sucre.
Ceci se passait vers 1730. Quarante années plus tard, de 1770 à
1775, il y avait eu un très grand accroissement dans la production et
dans la consommation. Les colonies de Cuba et de Porto-Rico
avaient donné de l’extension à la culture de la canne à sucre. Il en
avait été de même dans les colonies françaises. L’ile de St.-Domin-
gue seule fournissait 75,000,000 kil. de sucre. La Martinique, la
Guadeloupe et Cayenne en exportaient environ 22,000,000 kilos,
les possessions delà Grande-Bretagne en livraient une fois plus au
ÊTRE AMOUREUX.
A 25 an9 , Charles de Mircour avait déjà usé et abusé de toutes les joies de
la vie. Maître de bonne heure d’une fortune considérable , il en avait, dans
quelques années dissipé une grande partieen folles dépenses.Le jeu, la tableet les
excès de tout genre s’étaient partagé ses loisirs. Tous ses sens avaient été sa-
tisfaits , mais son cœur ne s’était jamais ouvert à une impression de bonheur.
Déjà son corps s’affaissait sous le poids des plaisirs , et son âme se desséchait;
il comprit la nécessité de se faire une autre existence, de se créer des sensations
nouvelles. Une passion vive et profonde , un amour vrai pouvaient ranimer
son énergie éteinte ; il n’eut plus qu’une pensée , qu’un désir , qu’un but :
être amoureux.... et il fit tous ses efforts pour le devenir. Ne l’est pas qui
veut. Ou pourrait dire du véritable amour ce que La Fontaine disait de l'amitié;
Rien n’est plus commun que le mot.
Rien n’est plus rare que la chose.
r Charles se mit à courir de plus belle les salon9 , les théâtres et les promena-
des , cherchant partout la femme qui devait enflammer son cœur. Dans les
salons , au théâtre, à la promenade , il rencontrait chaque jour des femmes
pleines de grâce et de beauté , mais elles ne produisaient sur lui qu’une im-
pression passagère.
Il commençait à désespérer de son galvanisme, lorsqu’un soir, à l’Opéra, son
regard s’arrêta sur une délicieuse jeune fille assise à l’avaiit-scène. Sa blanche
et pâle figure était encadrée par de longs cheveux noirs : de longs cils noirs
comme ses cheveux, ombrugeaient(de grands yeux bleus tout à la fois vifs et
languissans ; mi sourire enchanteur criait sur ses lèvres. Charles fut en extase
devant elle jusqu’à la fin du spectacle. L’émotion qu’il éprouvait ne ressem-
blait en rien à ses émotions passées ; c’était un amour mêlé de respect , une
espèce de culte. — Il était amoureux.
Aussitôt la chute du rideau , il se dirige vers la loge d’avant-scène , poussé
par un instinct vague et irréfléchi. Pour y arriver, il lui fallut fendre les flots
de la foule , qui déjà obstruait les couloirs et les escaliers ; mais , lorsqu’il y
fut parvenu , après avoir heurté ou renversé tous ceux qui 9e trouvaient sur
son passage , elle en était déjà sortie. Hors de lui, il se précipite de nouveau ,
promenant ça et là des regards inquiets. Il approchait déjà du péristyle, et
•entait sa dernière espérance s’évanouir, lorsque tout-à-coup il aperçut sur le
seuil la jeune fille au bras d’un vieillard, son cavalier. Une voiture s’ouvrit
devant eux , ils y montèrent, et elle les emporta rapidement.
Charles eût voulu franchir d’un bond la distance qui l’en séparait ; mais
bien qu’il eût à peine quelques pas à faire, il ne put avancer que lentement, et
arrivé enfin dans la rue, il lui fut bien difficile de distinguer , parmi les équi-
pages qui se croisaient et la silonnaient dans tous les sens, celui qu’il venait
seulement d’entrevoir. Cependant un élégant coupé qui remontait la me Le
pelletier attira plus particulièrement son attention. Prompt comme l’éclair,
il s’élance au risque de se briser sur le pavé, et en peu d’instans il a rejoint la
voiture. Son œil y plonge rapidement et découvre, à travers les glaces, une
tête d’homme et une tête de femme qui s’y dessinent vaguement dans l’obscu-
rité. A cette vue il tressaille et renait à l’espérance , car cette femme objet
d’une passion qui ne date que de deux heures, mais qui doit être éternelle,
cette déesse de son cœur qu’il croyait avoir perdue à jamais, la voilà retrouvée.
Mais il va la perdre denouveau, et cette fois sans retour, car il ne connaît ni
son nom ni le lieu qu'elle habite. La voiture fuit toujours... Que faire ?
La suivre !... son tilbury est resté à la file des voitures, et s’il retourne sur
ses pas pour le rejoindre, il court le risque de perdre les traces de la belle in-
connue. Il monte dans un fiacre qui stationnait au coin du boulevard , jette
francs au cocher en Lui criant de mettre ses ehevaux au galop, et de suivre à
légère distance la voiture qu’il lui désigne. Chevaux et cocher s’épuisent en
vains efforts. En peu d’instans un long intervalle les sépare de la voiture. Char-
les, éperdu, fait arrêter le fiacre, en descend, et prend bravement sa course.
C’était par une chaude nuit d'été. La lune était voilée par les nuages qui
•'amoncelaient et des éclairs fréquens semblaient préludera un violent orage-
La voiture traversa la rue Royale et la place Louis XV, et entra dans l’ave-
nue des Champs-Elysées. Charles haletant, couvert de sueur, la suivait toujours.
Tout à coup les nuages s’entrouvent pour donner passage à une pluie abon-
dante. Charles en est inondé, mais il n’a pas été si loin pour reculer, et sa cons-
tance est à peine ébranlée de ce nouvel échec. Les chevaux redoublent de vi-
tesse pour ne s’arrêter qu’à cent pas de la barrière de l’Etoile devant un hôtel
magnifique. A la voix du cocher une vaste porte ouvre ses deux buttans ; la voi-
ture disparaît, et Charles la saluant de loin d’un dernier regard s’assied ou plu-
tôt tombe affaissé sur un banc de pierre adossé au mur d’une maison voisine.
Mille idées confuses tourbillonnent dans sa tête. En vain il veut résister à U*,
fatigue qui, malgré lui, courbe son front et ferme ses yeux. Il s’endort.
Après quelques heures d’un sommeil tour à tour lourd et agité , il se relève* 1
chancelant, incertain , recueillant avec peine quelques souvenirs incohérent
et cherchant à s’assurer s’il est réellement éveillé ou s’il n’est pas le jouet d’un<
rêve. Enfin, il parvient à se rappeler un à un les évènemens do cette soirée
son esprit les analyse rapidement, il va jusqu’à la porte devant laquelle s’esfc
arrêtée la voiture. Là, comme aux alentours , règne un profond silence , mais-
déjà le jour commence à poindre, et bientôt saii9 doute, les gens de l’hôtel se-
ront débout. Son plan est tout tracé. Il se promène en attendant leur réveil-
pour les interroger. Le vieillard est sans doute le père ou le tuteur de la jeune
fille ? Des qu’il saura son nom, il se fera présenter chez lui, mettra tout en œuvre
pour plaire. Il est jeune et beau , riche et noble : il obtiendre la main de cello
qu’il aime; à moins pourtant qne son cœur n’ait déjà parlé. Mais non, c’est im-
possible; elle est si jeune! Et d’ailleurs, s’il a un rival, il l’éclipsera, ou s’il no
parvient pas à l’éclipser, il le tuera.
Enfin la porte s’ouvre: il entre chez le concierge encore à moitié endormi,
mais qui se réveille entièrement et ouvre de grands yeux en sentant une bourso
tomber dans sa main. « Quel est, lui dit-il, le maître de eet hôtel ? — C’est
M. le comte de W..., pair de France, lui répond le discret concierge.— Et
la jeune fille qui était avec lui hier soir à l’Opéra ?... — La jeune fille 1... c’est
sa femme. — Sa femme!... Mais elle a 18 ans au plus, et lui... — Elle a 60 an»
passés, et lui 70. —Mais sa fille? balbutia Charles tout déconcertée — Sa
fille ? Il n’en a jamais eu. »
Après quelques autres questions , dont le résultat ne fut pas plus satisfesanfc
pour Charles, il comprit qu’il s’était trompé de voiture. En proie a un violent
désespoir, il regagna péniblement sa demeure et se mit au lit , ou une fièvro
célébraie le retint pendant six semaines. Il a fait prendre des informations au
bureau de location des loges, mais elles ont été vaines ; il a assisté depuis 6a
guérison à toutes le9 représentations de l’Opéra, mais san9 plus de succès.
Je crois savoir que la jeune fille est partie pour l’Italie le lendemain du jour
où il la vit pour la première et la dernière fois; mais je lui tairai son nom .
car elle a dû épouser le mois dernier, un jeune séignenr toscan,^suspecté d’élr%
l’un des chefs de la Jeune-Italie.
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