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De Thuin, père. Cette opinion remonte à l’époque où l’on re-
commençait à comprendre et admirer les œuvres du moyen
âge ; elle s’appuie sur l’inscription suivante qu’on peut lire
sur une pierre tombale de la nef (1) :
« Chi Gisent Jean De Thvin officier tailler d’image con-
« dvictevr de l’ouwraige d’architrec de ceste église. Qvi tré-
« passa l’an 1556 le 26e Avost.
« Et aupres de lvy gist Jean De Thvin son filz ayanT
« exerce le mesm esta est decede le XIJ octobre l’an 1596.
« Pryes Diev povr leurs ames. »
L’opinion favorable à Jean De Thuin était encore fort en
vogue en 1840, alors que Schayes écrivait son mémoire sur
l’architecture ogivale en Belgique (2) ; mais ce savant archéo-
logue ne la partageait plus. Elle fut entièrement abandonnée
lorsque l’on découvrit que l'édifice avait été commencé
107 ans avant le décès de De Thuin père.
Après De Thuin, de Layens fut à son tour considéré
comme l’auteur du projet. Voici notamment ce que nous
lisons dans les additions et rectifications ajoutées à son his-
toire de l’architecture en Belgique, publiée en 185o, par le
même Schayes : « une découverte d’un haut intérêt que notre
« ami M. Lacroix, archiviste de Mons et du Hainaut, vient
de faire dans les archives de l’église de Sainte-Waudru,
« apprend que Mathieu De Layens, l’architecte de l’hôtel de
« ville de Louvain, fut appelé à Mons pour dresser, de con-
« cert avec un architecte de Valenciennes, le plan de l’église
« de Sainte-Waudru. »
Sept ans après, en 1857, un autre savant mit au jour de
précieux documents et des plans d’après l’examen desquels il
conclut que De Rains, architecte de Valenciennes, est l’au-
teur du tracé (3). Ces plans ont figuré à l’exposition d’archi-
tecture de 1883, ils y étaient ainsi catalogués :
« Ville de Mons.
« De Rains (Michel), maître maçon de la ville de Valenciennes.
« 193 et 194. Deux plans ou patrons pour servir pour la recon-
« struction de l'église de Sainte-Waudru à Mons, et dont l'un porte
« dans un cartouche le millésime 1448. »
« Appartenant aux archives de l'Etat à Mons. »
« Ces plans ont été dessinés par Michel de Rains, maître maçon
« de la ville de Valenciennes, ainsi qu’on le voit par le passage sui-
h vaut du compte du chapitre de février 1448 (v. s.) à la Saint-
« Remi, 1449 :
« A maistre Michel de Rains pour avoir mis et compasset en par-
« chemin ij patrons de la manière del ouvrage qu’il appartenra à
« faire, seloncq son advis, sour le plache de la trésorie et cœr, a esté
« payet ij guillasmus de iiij livres tournois. »
« (Note de M. Devillers à Mons.) »
Ces plans, avec d’autres pièces appartenant à l’État, me
furent communiqués pour la restauration de l’édifice, dont je
suis chargé depuis 23 ans. Durant ce quart de siècle, j’ai
étudié le monument ainsi que tout ce qui s’y rapporte, et,
dans l’intérêt de l’histoire de notre art, je viens vous demander
de vérifier avec moi :
Si c’est pour dresser le plan de l’église de Sainte-Waudru
que Mathieu de Layens fut appelé à Mons.
En second lieu :
1° Si le plan original de l’église de Sainte-Waudru existe
réellement aux archives de l’Etat ;
20 Si Michel De Rains est l’architecte de l’édifice.
Dans la négative, il ne serait pas juste d’attribuer plus long-
temps à ces hommes une gloire qui reviendrait à un autre ; et
il faudrait signaler aux amis des arts et de l’archéologie, l’uti-
lité de nouvelles recherches.
Nous allons d’abord examiner des extraits de comptes, do-
cuments forcément décousus et dont le sens est souvent peu
précis. Pour remédier à ces inconvénients, nous avons réuni,
sous forme de tableaux (4), les noms et les qualités des maî-
tres, ce qu’ils ont fait et les dates des journées qui leur ont été
payées. Cet aide-mémoire a été continué jusqu’en 1485, c’est-
à-dire durant les 36 premières années de la construction de
l’édifice. Nous engageons le lecteur, pour l’intelligence de ce
qui va suivre, à ne pas perdre de vue cette pièce importante.
Afin de ne pas interrompre cet examen, nous donnerons
dès maintenant les renseignements utiles sur les tracés de la
planche 37. Les plans qui sont attribués à De Rains y
sont repris sous les nos 408 et 409 qu’ils portent aux archives.
A côté est le plan de l’église même ; nous l’avons levé et rap-
porté à l’échelle de 1 1/2 millimètre pour un mètre, c’est,
nonobstant les cinq siècles d’âge de l’édifice et son importance
considérable, le premier plan qui en est publié. Les deux
dessins des archives n’indiquent pas d’échelle ; nous avons
donné à la réduction du n° 409 autant de largeur qu’au plan
de Sainte-Waudru ; elle est ainsi à peu près au douzième.
Celle du n° 408 est au dixième.
Cela dit, nous revenons au sujet.
Vers le milieu du xve siècle, les chanoinesses de l’illustre
(1) Cette pierre est située près du pilier nord-ouest de la travée atte-
nante au transept.
(2) Mémoire couronné par l’Académie royale des sciences et des lettres
de Bruxelles, tome XIV, deuxième partie. 1839-1840, publiée en 1840.
(3) Mémoire historique et descriptif sur l’église de Sainte-Waudru, à Mons,
par M. Léopold Devillers, Mons, 1857.
(4) Ce tableau figurera dans le numéro suivant de l’Emulation. L'abon-
dance des matières nous oblige à en retarder l'exécution. (N. de la R.)
chapitre noble de Sainte-Waudru décidèrent de remplacer
leur église, qui était en style roman, dédaigné depuis trois
siècles, par un édifice dans le style ogival, lequel, au con-
traire, était à l’apogée de sa vogue et, comme cela se faisait
ordinairement, de commencer par le chœur. A cet effet, elles
envoyèrent des messagers à Bruxelles pour y convoquer un
grand nombre de chanoines forains y résidant, et les réunir à
Mons en même temps que des maîtres ouvriers renommés.
Les comptes, si heureusement mis au jour par M. Devil-
lers, portent que les chanoines étaient appelés « pour visiter
la place du chœur et avoir advis de la manière de réédifi-
cation ».
Pour ce qui est relatif aux maîtres ouvriers, voici les ex-
traits textuels, p. 14 :
« A Jehan Huwellin, maistre machon de Haynnau, pour
« avoir estet oudit lieu de Mons, avœcq aultres appellés, le
« samedj, dimence, lundj, mardj et merquedj , premier,
« ij, iij, iiij et ve jour de march l’an xlviij (1449), pour prendre
« advis de commenchier à ordonner et mettre en fourme l'ouvraige
« dessus dit : ouquel terme de v jours, il a eubt pour chacun
« jour au-deseure de ses dépens et ossi de son cheval : xxs,
« sont...................................................Cs.
« A Michiel De Rains, maistre machon de Valenchienes,
« pour avoir estet évictés avœcq le dit maistre Jehan, au
« comand. de mesdites demoiselles (du chapitre) audit lieu
« de Mons, pour avoir son advis pour le termes des dis v jours
« audi pris ; monte, parmy xxvs qu’il eult pour payer le leu-
« wage de son cheval au-deseure desd. despens et frais. vjl.vs.
« A Jehan Le Fèvre, maistre machon de la dicte ville de
« Mons, pour avoir estet avœcq le dit maistre par l’espasse des dis
« v jours, a esté délivret............................xls.t.
Un autre article est ainsi conçu :
« Au dit maistre Michel De Rains, pour avoir mis et com-
« passet en parchemin. Ij, patrons de la manière del ouvrage qu’il
« appertenra à faire, seloncq son advis, sour le plache de le dite tré-
« zorie et coer; a estet payet ij guillarmus de. . . . iiij1.*.
Onze mois plus tard, le 31 janvier 1450 (n. st), les chanoi-
nesses prirent, en assemblée capitulaire, une résolution qui
est rapportée comme suit :
« Che jour, fist serment en cappitle en le main de Jehan
« Leleu, comme baillieu de cappittre, maistre Jehan Spichin,
« pour y estre maistre ouvrier ayant la charge des ouvrages
« qui se feront en la dite église, à gages de xl11 par an,
« avœcqz les draps de le grande livrée (1) au cas que cappitre
« en feroit, en ossi sa demeure en l’une des maisons ma-
« nable (2) de l’église alans à leuwer (3), la plus nécessaire
« pour le dit maistre Jehan et pour le bien des dis ouvrages
« qui y seront à faire. »
Voilà donc Jean Spisckin, architecte de l’église, aux gages
de 40 livres tournois par an, ayant en plus les draps de la
grande livrée et sa demeure dans une maison habitable ap-
partenant au chapitre.
Le jeudi 5 février suivant, le même Spickin et le charpen-
tier Hulin de Sars accompagnèrent des dames chanoinesses
à Bonne-Espérance « pour là-endroit aviser le grandeur du
cuer d’icelle église et le fachon » (pour y voir la grandeur et
la forme du chœur de l’église).
On trouve aussi dans un autre compte commencé en février
1450 qu’il fut, en compagnie de Helin De Sars, chargé de
visiter les églises de différentes villes pour voir comment elles
étaient construites et pour en faire rapport par écrit. L’article
est ainsi libellé :
« Pour les dépens fais par mess. Henry De Jauche, de-
« vant dit maistre Jehan Spiskin et Hellin De Sars, carpen-
« tier, en allant au commandement de chappitre ès villes de
« Tournay, de Lille, de Grammont, de Louvaing et de
« Malines, pour là endroit aviser les fâchons des églizes de cha-
« cune. d’icelles villes, et leur advis mettre par escript, comme ils
« firent; ès quels lieux les dessus dis séjournèrent allant, be-
« songnant et retournant, IX jours : montèrent leurs despens,
« parmy le leuwier (4) de leurs trois chevaulx. . xxxjlbz.xs.
Le dimanche 15 du même mois de février, les maîtres
dont les noms suivent furent demandés à Mons pour émettre
leur avis sur le devis de l’œuvre :
« A maistre Gille Pole, maistre machon de Brabant, man-
« det à Mons le dimence xve jour dudit mois, pour avoir son
« advis, avec aultres, sur le conclusion de le devise del œuvre : où il
« mist iiij jours, alant, besongnant et retournant . vijl, iiijs.
« A maistre Mahieu De Leens, machon de Louvain, pour
« v journées avec le dit maistre Gille et aultrez . . . ix1.
« A PiertPol,fil dudit maistre Gille, fu donnet . xxxvis.
« A Pierre Des Moulins, pour avoir estet avec les dessusdis
« pendant iij jours..................................xxiiijs.
« A maistre Jehan Le Febvre, machon de la ville de Mons,
« pour otel..........................................xxiiijs.
« Pour les despens des chevaux desdis maistre Gille Pole,
(1) Livrée : Dons d’habits que les rois, princes ou grands seigneurs,
faisaient aux grandes fêtes comme aux assises, aux cours plénières ou en
certains temps de l'année, à leurs enfants, amis, inférieurs, domestiques
ou autres qui leur étaient attachés. — Glossaire de la langue romane, par
Roquefort.
(2) Habitable.
(3) Étant à louer.
(4) Parmi le leuwier : y compris le loyer.
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L’ÉMULATION.
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