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1845.
AT^VESïS, ^aifiiecIS 4 JanYfci*.
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On ê’abonne r
A Anvers au bureau du Précur-
seur, Bourse Anglaise, N» 10-40;
eu Belgique et à l’étranger chez
tous les Directeurs des Postes.
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4
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JOURNAL P0LITI0UE, COMMERCIAL, MARITIME ET LITTERAIRE
paix. — mbkrtté. — pbogbès.
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Pour Anvers, 15!
rince 18 t'r ; pour 1
Insertions 25 centimes!
Réclames 50
4 janvier.
UES QUESTIONS fflATËBIGLKKS.
C’est ua des grands appuis de la presse ministérielle que ces
mots-là.
Quand on lui démontre que le pays, pour rester à la hauteur
où son courage moral l’a placé, a besoin d’hommes qui com-
prennent ses instincts immatériels, c’est un hourrah de décla-
mations....contre les déclamations.
« Vous ne vivez que d’idées creuses, répond-on, vous ne
i songez pas que la première chose qu'il faille au peuple, c’est
» d’avoir du pain quand il a faim, de la houille quand il a
» froid. »
Ce n’est pas nous, à coup sûr, qui repoussons ces vérités et
qui nous nourrissons de préférence de ce que les scribes min is-
tériels appellent des nuages. Nous défendons avec l’énergie que
nous pouvons les intérêts moraux du pays, car nous les consi-
dérons comme une grande force, comme la matière vitale de
son existence ; mais nous ne nous occupons pas moins des in-
térêts matériels, car c’est sur ceux-là principalement que s’ap-
puient les transactions commerciales que nous avons la préten-
tion de prendre au moins autant à cœur que messieurs les
mandataires de notre cabinet’dans la presse de Bruxelles et
des provinces.
Les intérêts matériels que le ministère actuel devait tant
protéger, ces intérêts ne sont pas moins en souffrance que les
autres. C’est ce que nous avons dit constamment et c’est ce que
nous ne cesserons de répéter.
II a gâté la loi sur les droits différentiels en la démolissant
à l’instant même par une exception en faveur de la Meuse.
Il a voulu détruire l’industrie des tabacs par une loi que
l’animadversion universelle a fait tomber devant la Chambre.
On sait le succès qu’a eu la loi récente sur les céréales du
Limbourg.
La seule chose qu’il ait produite, de compte et demi avec
le hasard, c’est le traité du dr septembre, et qui deviendra
chimérique si les villes anséatiques entrent dans l’union doua-
nière allemande.
Ainsi, ce ne sont pas là des phrases creuses, comme on les
appelle, sur des questions morales. Ce sont des faits que nous
enregistrons et qui sont prouvés, et que tout le pays connaît.
Nous n’avons pas parlé de la loi sur les sucres, car nous ré-
servions pour elle quelques réflexions à part.
Il nous parait impossible, en effet, de montrer un plus inso-
lent mépris que ne l’a fait le ministère et surtout M. Mercier
pour celte question importante.
Nous dirons d’abord que M. Mercier est incapable de résou-
dre cette question. ■—Non point parce que c’est lui qui est à
peu près l’auteur de la mauvaise loi actuelle. Hé! mon Dieu !
non. AL Mercier est parfaitement capable de soutenir aujour-
d’hui tout le contraire de ce qu’il a soutenu il y a deux ans ;
mais c’est parce que M. Mercier a l’esprit trop fiscal pour ap-
percevoir le grand côté d’une question alors même que ce
point de vue serait de fait plus favorable à l’Etat.
M. Mercier emploie donc des moyens dilatoires et disons le
mot, de misérables défaites pour que la question ne soit pas
vidée cette année.
Cette loi sur les sucres est une des plus déplorables qui soit
sortie d’une assemblée législative; ne faisant point pour le tré-
sor ce qu’elle devrait faire , elle ruine à la fois les deux indus-
tries et affaiblit les transactions commerciales. Voilà bien un
assemblage de mauvais résultats qui dépasse toutes les espé-
rances. Eh bien! M. Mercier ne s’impatiente pas de cela ; au
contraire, après avoir formellement promis à la Chambre de
ne point laisser passer la session sans songer à améliorer l’état
actuel des choses , il commence seulement à poser des ques-
tions et envoyer des circulaires aux Chambres de commerce
et aux intéressés.
Mais la conduite du gouvernement ne nous étonne pas plus
dans cette grave conjoncture que dans les autres. Vivant au jour
le jour, sans souci de l’honneur de ses membres et de leur di-
gnité, sans souci des intérêts quels qu’ils soient, moraux ouma-
tériels, qui fout la force et les besoins du pays, on dirait vrai-
ment que le bruit populaire qui court et que nous prenions
pour une calomnie, est devenue une vérité. On disait que les
ministres ne veillent pas quitter le pouvoir avant d’avoir atteint
à tout prix les deux aimées que demande la foi sur les pensions
pour être compris dans la catégorie des prenants part aux
budgets de l’avenir. Encore une fois, nous ne pouvons croire à
une absence aussi complète du sentiment de dignité person-
nelle; mais en vérité, nos ministres, qui peuvent tomber dans
cette classe d’aspirants quand même à la pension,ne font-ils pas
tout ce qu’il faut pour qu’on les soupçonne avec beaucoup
d’apparence de justice?
Aïk’eUE'ffEBKE.
Loxdres, i'janvier. — M. Everett, ministre des Etats-Unis à Londres,
retournera eu Amérique au commencement du printemps prochain.
— La Bourse a été tenue aujourd'hui pour la première fois dans son
nouvel hôtel, inauguré récemment. Les bureaux du Lloyd y avaient
été transportés depuis plusieurs jours.
— i lij-ai-iicie, quatre heure». — Les fonds anglais n'ont presque
pas varié depuis hier ; 5 p. c. réduit 100 5,8 ; 5 14 p. c. nouv. 103 3/4 ;
consul, en liquidation prochaine 103 3/8,1/4 ex-div. ; act. de la Banque
210 1/2 ; bons de l’Echiquier 02, 04 de prime. Les transactions ont été
insignifiantes. — Esp. en baisse, 5 p. c. à 27 1/2 ; 5 p. c. 30 1/2 ex-div. —
Il ne s’est pas traité d'affaires sur le fonds portugais. — Cert. franc. 1
7/8 prime. — Holl. 2 1/2 p. c. 03 5 8 ex-div.
es pagine.
Madrid , 27 décembre. — On croit généralement que demain la séan-
ce de la chambre des députés offrira beaucoup dintérêt. Dans cette
séance, il sera donné lecture des démissions données par les députés
amis politiques de M. de Viluma.On croit que tous les démissionnaires
persisteront dans leur résolution de se retirer.
On dit que le général Narvaez, entièrement rétabli de son indisposi-
tion, ne laisse pas échapper l’occasion de prononcer une mercuriale de
la nature la plus énergique contre les carlistes.
— Beurse de itlaarid du *3. 3 p. c. 32 au comptant 32 5 8 à60
j. — 5 p. c. 23 au compt, 23 12 à 00 jours. — 4 p. c. 22 7/10 à 00 jours.—
Coupons 26 1/2 à 00 jours. — Dette sans intérêt 7 à üü j.
Ï’KASCE.
Paris, Z janvier. — Le 1«» janvier, à l’occasion du nouvel an , le Roi,
la Reine, entourés des princes et princesses de la famille royale , ont
reçu successivement dans la salle du trône les grandes députations de
la Chambre des Pairs et de la Chambre des Députés, tous les corps
administratifs, judiciaires, militaires, etc., etc., etc. A quatre heures ,
LL. Mal. ont reçu le corps diplomatique. Nous reproduisons quelques-
uns des discours adressés au Roi et les réponses de S. M.
Discours de S. Eæc. le nonce apostolique , au nom du corps diplomatique.
» Sire,
• Aux vœux les plus sincères qu’à l’occasion de l’année nouvelle le
corps diplomatique, interprête fidèle des sentiments des souverains
qu’il a l’honneur de représenter, s’empresse de vous offrir pour le bon-
heur complet de Votre MajesLe, de votre auguste famille et de la France,
il joint encore avec la plus vive satisfaction les félicitations les plus cor-
diales pour le succès glorieux de vos armées et sur terre et sur mer.
» Leur victoire, couronnée par la paix, a été remportée en mer, sous
le commandement suprême d’un de vos enfants, qui, jeune encore, au
milieu des dificultés et des périls les plus grands, a fait preuve d’une
grande valeur et d’un savoir qui honoreraient les plus anciens et illus-
tres amiraux. Jouissez, Sire, de cette marque nouvelle de la faveur du
Ciel. ’
» La paix générale, source de bienfaits immenses, admirablement
soutenue par la haute sagesse de V. M. et les autres souverains, par
l’accord unanime de leurs cabinets, se raffermit toujours de plus en
plus. Les mariages de vos enfants ont déjà donné des fruits chers à
votre cœur paternel; celui qui vient d’étre contracté sous des auspices
si tellement favorables en fait espérer de nouveaux. Que la main du
Tout-Puissant, Sire, repose sur votre tête auguste, et vous serez heu-
reux pendant bien longtemps encore, et comme roi et comme père.
Ce sont les vœux que le corps diplomatique prie V.M. de vouloir agréer
avec l’hommage de son profond respect. •
Le Roi a répondu :
« Je suis profondément touché des vœux que vous faites pour la
France, pour ma famille et pour moi, au nom du corps diplomatique
et des souverains que vous représentez; je' le suis également de vos
félicitations sur les succès qu’ont obtenus nos armées' de terre et de
mer et de la pari que vous prenez à la satisfaction paternelle que j’ai
ressentie en voyant un de mes fils soutenir aussi dignement l’honnfeur
de notre pavillon. Je m’unis à vous bien cordialement pour remercier
Dieu d’avoir permis que dans cette circonstance, comme dans celles
qui l’out précédée, où d’impérieuses nécessités nous ont forcés dé re-
courir à la voie des armes, nous avons pu rétablir aussi promptement
les relations pacifiques que je m’efforce toujours de conserver et d’en-
tretenir avec tous nos voisins. Tout nous présage aujourd’hui que la
bonne intelligence qui est si heureusement établie entre tous les cabi-
nets sera de longue durée, et que le Ciel continuera de bénir nos efforts
pour consolider chaque jour davantage cette paix générale qui est la
vraie source de la prospérité de tous les Etats et du bonheur du monde.
» Je suis bien sensible à la part que vous prenez à l’accroissement
de ma famille et au mariage de mon fils le duc d’Aumale avec une prin-
cesse aussi digne de notre affection, et qui nous est chère à tant de ti-
tres.
» Il m’est toujours très agréable de recevoir, par votre organe, l’ex-
pression des sentiments que vous venez de me témoigner et dont je
remercie le corps dipomatique, moi et tous les miens. »
Que devrait-on penser du ministère s’il devenait évident que M. Du-
petit-Thouars, en prenant possession de Taïti, n’a fait que se confor-
mer aux instructions verbales, sinon écrites, qui lui avaient été don-
nées avant son départ ? En le désavouant en présence des menaces de
l’Angleterre, il paraît que notre gouvernement se serait désavoué lui-
même. Ce bruit s’était répandu dès l’origine de cette déplorable affaire,
et l’on se souvient que M. Billault y avait fait allusion à la tribune sans
trouver de contradicteurs.
Depuis que l’amiral est arrivé en France, la vérité transpire autour
de lui malgré le soin que le ministère a pris de le tenir en charte pri-
vée comme il avait fait pour M. Reine ; et l’on commence à être obligé
d’admettre que M. Dupetit-Thouars n’a eu d’autre tort, même aux
yeux deM. Guizot, que celui d’avoir fidèlement exécuté les ordres qu’il
avait reçus.
Voici ce qu’on rapporte à ce sujet :
Dans la division navale de la mer du Sud quelques officiers blâmaient
la prise de possession de Taïti. Notre amiral était entouré d’un état-
major dont plusieurs membres faisaient de l’opposition, ainsi qu’il ar-
rive assez souvent à bord de nos bâtiments de guerre. On a comparé,
avec quelque raison, le commandement qui s'exerce sur les vaisseaux
de la marine royale à une espèce de royauté absolue, à un pouvoir qui
n’a d’autre contrôle que la critiques des subordonnés. Cette critique,
ordinairement muette par respect pour l’autorité, se manifeste, volon-
tiers lorsque ce chef est disposé à l’entendre, et telle était la latitude
que M. Dupetit-Thouars laissait à certains officiers rangés sous ses
ordres qu’ils pouvaient dire, ne fût-ce que sous forme de causerie, ce
qu’ils pensaient de sa conduite politique. Or. que répondait l’amiral à
ceux qui condamnaient la marche qu’il avait suivie ? Il leur disait :
« J’ai mes instructions.»
De quelle nature étaient ces instructions ? Etaient-elles écrites ? Cela
n’est pas probable, car l’amiral s’en serait servi pour sa justification.
C’étaient donc des instructions verbales, telles qu’on les donne aux
agents diplomatiques comme complément de leurs notes écrites; et ce
qui est dit verbalement, à l’oreille est toujours le plus délicat comme le
plus important de la mission : c’est le Post Scriptam des ordres du mi-
nistre.
On tient pour certain, d’après les paroles qui ont été recueillies de la
bouche même de l’amiral dans la mer du Sud. que M. Guizot lui avait
dit en partant : Faites en sorte de remplacer à Taïti le protectorat par le
gouvernement direct de la France. L’amiral a agi en conséquence ; les
bonnes raisons, comme on sait, ne lui ont pas manqué.
M. Guizot a fait plus. On assure qu'il aurait ajouté : Tâcha aussi de
planter le pavillon français sur quelque antre lie de l’Océanie. Car, si nous
sommes bien informés, M. Dupetit-Thouars aurait jeté ses vues ulté-
rieures sur la nouvelle-Calédonie. C’était du moins la croyance de
plusieurs personnes qui se trouvaient près de l’amiral lorsqu’il expédia
un brick sur cette île.On pensait que M Dupetit-Thouars s’y rendait lui-
même, et que l’envoi d’un premier bâtiment était l’avant-coureur d’une
expédition plus sérieuse. Si cette entreprise avait été poussée plus loin,
le gouvernement n’eût pas manqué sans doute de protester et de désa-
vouer de nouveau.
En présence de pareils faits, nous ne voulons point de meilleur juge
de la conduite du ministre que la conscience du ministre même. Au
reste, voici le propos qui a été. dit-on, tenu par M. Dupetit-Thouars à
la première nouvelle du désaveu dont il a été frappé : •
« J’ai cru agir dans l'intérêt et pour l’honneur de mon pays. Faire
autrement que je n’ai fait, c’eût été reculer devant l’Angleterre. »
(iConstitutionnel.)
FEUILLETON.
UE PEU UE DHAP, COURTE CAPE.
II faut être un fort grand seigneur, ou tout à fait un manant, pour
n’avoir pas appris quelque matin, par la voie des journaux, qu’un de
vos amis, député plus ou moins éloquent, vient de gagner, au jeu de
la politique, un portefeuille quelconque.
Pour ma part, j’y suis fait, et je ne m’émues guère plus d’une pareille
nouvelle que de ces lettres banales par lesquelles une simple connais-
sance vous fait part de son mariage, part de l’accouchement de sa fem-
me, ou part du baptême de son enfant ; toutes choses, soit dit en pas-
sant, assez difficiles à partager.
Mais la première fois que je vis un camarade de collége promu aux
fonctions de secrétaire d’Etat, je tressaillis comme le coursier de Job
aux accens du clairon. L’honneur fait à mon ami, à ce brave Charles
que je tutoyais depuis trente ans, me grandissait à mes propres yeux
de quelques coudées ; et dès que je le jugeai installé, j’allai adorer à son
zénith le soleil que j’avais vu se lever dans les humbles régions où je
suis resté.
J’aime à croire que je ne dus pas à mon indépendance bien connue
l’accueil obligeant que m'accorda le nouveau Colbert ; mais je dois
dire qu’il me serra la main d’une façon beaucoup plus franche, lorsque
après l’avoir félicité je lui déclarai hautement mon intention
de ne le solliciter jamais, sous aucun prétexte, ni pour moi, ni pour les
miens. Dès qu’il ne craignit pas d’avoir à m’être utile, je lui fus tout à
fait agréable. Et je ne m’en étonnai point, car je connais les hommes.
Le ministre daigna m’initier à tous les petits arrangements de sa
position nouvelle ; il m’expliqua le mécanisme de la maison qu’il allait
tenir, et toutes les combinaisons de cette épargne fastueuse qu’il faut
aux grands officiers du gouvernement à bon marché, pour soutenir,
avec la moitié d’un traitement déjà mesquin, le train honorable qui leur
est imposé par l’opinion l’inconstance des temps et des portefeuilles
oblige tout homme prudent à conomiser l'autre moitié.
Si ingénieuses qu’elles fussent au premier coup d’œil, je n’approu-
vai pas, il s’en faut, toutes les inventions de mon ami; j’entrevoyais
très bien les tristes lacunes du luxe menteur qu’il allait afficher, et je
les lui signalais avec une impitoyable franchise. A la longue, ceci le mit
de mauvaise humeur, et pour changer de conversation :
— J’ai renvoyé, —me dit-il, — mon valet de chambre, mon brave
Joseph. Ce pauvre garçon est sans place ; tu devrais t’en accommoder.
_ — Merci, Excellence, — répondis-je en m’inclinant ; mais, avant tout,
je voudrais savoir pour quel motif tu t’es séparé de ce fidèle serviteur?
— Je te le dirai très volontiers, car cela ne peut lui faire aucun tort.
II avait tort d’esprit pour moi.
— Trop d’esprit !... m’écriai-je, —
— Ou, situ le veux, trop de perspicacité. En ma qualité d’homme
politique, je n’agis presque jamais qu’en vertu d’un système; et l’une
de mes théories les plus arrêtées, c’est que pour avoir des instruments
commodes et dociles, il ne faut jamais s’entourer que de gens au moins
médiocres. Ceux-là seuls pratiquent l’obéissance passive, et ne mêlent
pas indiscrètement leurs inspirations aux vôtres; ils sont souples, dé-
pendants, facilement effrayés.... Bref, pour qui le connaît, c’est un vé-
ritable trésor qu’un imbécile. Je ne veux m’entourer que de cela.
—Tu me permettras alors,—interrompis-je,—de ne pas venir voir trop
souvent ton Excellence : je craindrais de passer pour un de ses favoris.
Nous bavardions encore sur ce texte plaisant, lorsque la porte du ca-
binet s’ouvrit. Un jeune homme entra, dont le front élevé, les yeux
perçants, la bouche intelligente, m’inspirèrent une sorte d’attrait sym-
pathique. C’était le secrétaire de l’homme d’Etat que mon ami rempla-
çait ; il venait proposer à la signature un travail pressé dont il avait été
chargé, peu de jours auparavant, par son ancien palron. Charles yjeta
un coup d’œil distrait, improvisa d’un ton péremptoire quelques objec-
tions superficielles, et annonça son intention de faire recommencer cet
exposé de motifs sur un plan tout différent et d’après d’autres idées.
Lejeune secrétaire rougit légèrement, — on n’est jamais disgracié
sans quelque dépit ; mais le sourire sardonique dont il accompagna
l’offre de sa démission, m’apprit qu’il savait à quoi s’en tenir sur les dis-
positions méfiantes du nouveau ministre.
Cette démission fut acceptée immédiatement, et lorsque, après le dé-
part du jeune homme, j’en témoignai ma surprise à Charles.
— As tu donc oublié, — me dit-il, — les principes dont je t’ai fait
part ! Le travail de ce jeune cadet révélait autant cle talent que sa phy-
sionomie en promet ; c’est pour cela que je l’ai refusé sans hésiter. Avec
un pareil acolyte, je perdrais bientôt la responsabilité de mes idées ;
on dirait que j’ai un faiseur, et véritablement j’en aurais un, car sur
bien des points je ne pourrais faire adopter mes opinions à un petit
entêté si sûr des siennes.
J’avais cru jusque-là que l’apologie des sots , dans la bouche de mon
ami, n’était qu’un ingénieux paradoxe. Dès que je le lui vis prendre
au sérieux, je m’en alarmai tout de bon, et ne négligeai rien pour lui
ôter une idée aussi contraire au bon sens qu’à ses véritables intérêts.
Mais j’avais affaire à trop forte partie, ou du moins à un homme trop
convaincu de son infaillibilité , pour que mes paroles portassent coup.
— Ce que je te disais en riant, à propros de mon valet de chambre,
— reprit Charles, — est une théorie tres démontrée pour moi, et à
laquelle j’ai subordonné les principaux actes de ma vie politique. Der-
nièrement encore, appelé à donner mon avis sur la composition du
ministère dont je fais partie, j’ai mis en pratique l’idée qui te semble
si paradoxale. Au lieu de choisir mes collègues parmi les hommes les
plus éminens de l’opinion parlementaire qui me portait au pouvoir, je
n’ai appelé dans le cabinet que les notabilités secondaires, les talents
d’un ordre inférieur. C’était le seul moyen de donner de l’unité à notre
administration, de concentrer sa force et de___
— Et de t’assurer la prééminence, — ajoutai-je en souriant. — Tu es
comme beaucoup d’honnétes gens, qui ne voient d’autorité homogène
que là où ils dominent sans contestation.
Celte remarque effaroucha mon ami, qui, d’un air très imposant,
plaça son pouce dans l’entournure de son gilet. Après quoi il me dé-
clara, dans les termes les plus polis du monde, que mon intelligence
n’allait point jusqu’à saisir la portée de certaines vues,le méritedecer-
taines tactiques. Je le trouvai quelque peu impertinent, et, prenant
tout aussitôt congé de lui :
— Au revoir, (lans un an ! — lui dis-je. — Nous reprendrons notre
discussion, le jour où les affaires publiques t’en laisseront le loisir.
Malheureusement c’était à coup sûr que me donnais les gants d’une
prophétie politique ; sept à huit mois après la conversation que j’ai ra-
contée,les mêmes journaux qui m’avaient appris la nomination de Char
les, m’apportèrent l’ordonnance royale qui le rendait aux douceurs de
la vie privée. Ce Jour-là même, j’allai le chercher dans la retraite où il
fuyait les regards des hommes, Il me fallut assez de peine pour péné-
trer jusqu’à lui ; son grand butor de valet de chambre ne voulait jamais
comprendre que certaines consignes absolues ne concernent jamais la
véritable amitié. ,
Je trouvai Charles, comme je m'y attendais, dans un accès de misan-
thropie fiévreuse. II voulait affecter une parfaite résignation ; mais sou
désappointement éclatait malgré lui en traits amers lancés contre ses
antagonistes et contre ses adhérents politiques.
— Tu as sans doute lu, — me dit-il, — le beau discours auquel je dois
ma chute; le grand homme d’Etat qui l’a prononcé n’en est pas même
l’auteur ; il l’avait commandé un mois d’avance à un journaliste de
l’opposition, .
— Vraiment ! m’ériai-je, — et le nom de cet habile écrivain ?
Charles salisfit à l'instant mômé ma curiosité.—Or. je reconnus, mais
sans oser en faire semblant, le petit secrétaire si dédaigneusement
congédié dans le journaliste puissant et redoutable.
— Il faut avouer, — repris-je, — que si ce discours a du mérite, il
était cependant bien facile à rétorquer.
— Certainement, — s’écria Charles ; — mais que veux-tu ! j’étais ce
jour-là même retenu à la chambre des pairs, et le ministère n’avait
i pour représentants, devant nos quatre cent cinquante-neuf souverains
! électifs, que cet ignorant de B.... ce Bavard de C.. :, cette poule mouil-
lée de D... Comment voulais-tu qu’ils prévalussent contre une argu-
mentation si captieuse et si serrée !
J’aurais pu rappeler à Charles que M. B...,M. C....M. D...,ne
, devaient pas à d’autre qu’à lui leur élévation au ministère, et que pu?
conséquent il élail responsable de leur incapacité ; mais ceci n’eut fait
| qu’ajouter à son désespoir, et je gardai lin respectueux silence. Lui,
; tout au contraire, revenait avec une espèce d'acharnement sur tous les
incidents de sa défaiie.
| — Figures-loi, me dit-il, — qu’après cet infernal discours, rien n’é-
; lait encore compris. Du Luxembourg où j’étais, et où l’on m’avait ap-
porté la nouvelle de ce qui se passait à l’autre chambre, j’avais écrit au
| président de celle-ci pour qu’il réservât jusqu’au lendemain le droit de
i répondre qui nous appartient toujours, comme tu le sais. Par malheur,
' j — et tu concevras cette distraction dans l’état de trouble ou j’étais, —
je n’avais mis sur mon billet que le nom de M. S. - Or, mon imbécile
de valet de chambre a perdu deux heurès à courir d’hôtel en hôtel apres
ce grave et bénévole personnage qui. durant ces deux heures, laissait
; se consommer le vote imprévu auquel nous devons noire ruine.
Hélas ! pensais-je, ceci ne serait point arrivé si l'adroit Joseph eut été
chargé de la missive.
Mais je gardai encore cette réflexion à part moi, me réservant d'ap-
prendre plus tard au ministre déchu combien les imbéciles sont de
dangereux serviteurs, de mauvais amis, d insuffisants et fragiles étais.
Dans les orages de la vie. on a souvent besoin d’un manteau ample et
solide ; or, quelque soit l'habileté du tailleur, jamais il ne pourra faire
aulre ehose que : De peu de drap, courte cape. |