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L’ÉMULATION.
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de Castille, soutenue par deux lions et entourée d’anges,
occupe le centre de ce travail en fer forgé.
MOTIF CENTRAL DU TRASCORO DANS LA CATHÉDRALE DE GRENADE
Style Churrigueresco
On ne saurait quitter Grenade sans visiter le vieux quartier
arabe de l’Albaycin, où les habitations mauresques se rencon-
trent encore si fréquemment ; il faut pénétrer dans les cours
des maisons particulières pour retrouver une foule de détails
intéressants ; chapiteaux, galeries en bois, clôtures, portes, etc.
Un peu plus loin, en se dirigeant vers le couvent du Sacro-
Monte, on trouve un autre genre d’habitations ; ce sont les
véritables tanières creusées 'par les Gitanos dans le flanc de
la colline au milieu des cactus géants, des aloès et des agaves.
Singulière coïncidence de trouver réunis, en un même lieu et
face à face, ces deux extrêmes : l’Alhambra d’un côté, la
demeure des Gitanos de l’autre.
Séville et Malaga furent nos deux dernières étapes. En
dehors de sa cathédrale, Malaga ne renferme rien de bien
extraordinaire ; nous faisons exception cependant pour la
charmante fontaine de la Alameda.
Par contre, Séville est riche en monuments ; citons d’abord
la cathédrale. Le chroniqueur Zunniga rapporte qu’en 1401,
quand la construction fut décidée par le chapitre, on arrêta
que la nouvelle cathédrale dépasserait toutes les autres en
beauté. Un des chanoines s’écria :
Fagamos una Iglesia tan grande, que los que la vieren acabada, nos
tengan por locos !
« Construisons une église si grande, que ceux qui la ver-
ront achevée, nous tiendront pour fous ! »
En effet, on donna d’abord des dimensions extraordinaires
au plan qui mesure 198 mètres de longueur sur79de largeur;
l’élévation correspond comme hauteur aux deux autres dimen-
sions, de même que tous les accessoires ; le chandelier pascal
est énorme, le cierge lui-même pèse 2,o5o livres; le retable
fort beau de la Capilla May or est le plus grand d’Espagne ; il
est du xve siècle et d’une finesse de travail incroyable. Les
pièces les plus remarquables parmi les nombreuses œuvres de
joaillerie de la cathédrale sont la custodia d’argent, œuvre de
Juan de Arte qui l’exécuta en 1587, et le chandelier nommé le
Tenebrario, magnifique travail en bronze de forme triangulaire,
couronné par quinze statuettes représentant le Sauveur et ses
disciples. Il serait trop long de mentionner toutes les richesses
renfermées dans les 37 chapelles, dans le Sagrario, la cha-
pelle du chapitre et la Sacristia Mayor. Bornons-nous à citer
encore les stalles et le clocher de la cathédrale, la Giralda
dont la partie inférieure est de style mauresque ; la partie
supérieure qui date de 1568 est l’œuvre de Hernan Ruiz de
Burgos ; la flèche est surmontée d’une statue de la Foi, nom-
mée aussi Giraldillo, qui remplit l’office de girouette.
L’hôtel de ville ou l’Ayuntamiento de Séville est une con-
struction de la Renaissance présentant, à côté de détails admi-
rables, des surcharges de mauvais goût, telles que les colon-
nes composites de fantaisie du premier étage et les frises par
trop tourmentées. Par contre les pilastres, les sculptures des
panneaux des piédestaux, la belle porte en bois du rez-de-
chaussée et quelques fenêtres à l’étage sont bien traitées.
FENÊTRE AU PREMIER ÉTAGE DE L’AYUNTAMIENTO A SÉVILLE
Qui a vu l’Alhambra avant l’Alcazar peut se rendre compte
des défauts de ce dernier monument. Ainsi, au lieu de con-
server au-dessus des colonnes dans la cour des Doncellas, les
parties pleines que demande l’aspect de solidité, on a conti-
nué les découpures à jour beaucoup trop grandes d’échelle
d’un bout à l’autre de la cour ; les colonnes sont de la Renais-
sance, ajoutées plus tard sans doute; on retrouve en d’autres
places, des restes romains, avec des chapiteaux trop étroits ;
des armoiries avec des aigles et des lions font tache dans les
azulejos et les frises; enfin, la forme des arcades est disgra-
cieuse.
Le patio de las Munecas, récemment restauré, rappelle le
beau style de l’Alhambra. La façade de l’Alcazar présente une
magnifique corniche d’un fort bel effet ; dans plusieurs salles
à l’intérieur du palais la décoration peinte, couverte de badi-
geon une première fois, a été refaite par un nouveau badigeon-
neur.
Citons pour terminer la maison de Pilate, ainsi appelée parce
qu’elle reproduit, dit-on, la disposition de l’habitation de
Pilate à Jérusalem. C’est une belle construction de style mau-
resque qui renferme une magnifique cage d’escalier et diffé-
rentes salles intéressantes.
Nous avons exprimé dans ces notes de voyage nos impres-
sions devant les monuments les plus connus de l’Espagne ;
mais on se ferait une fausse idée des richesses artistiques de
ce pays en croyant qu’elles se bornent aux œuvres que nous
avons citées ; celles que nous n’avons point mentionnées sont
certes les plus nombreuses.
D’un autre côté, nous avons souvent entendu exprimer des
opinions assez aventurées sur le mérite artistique des monu-
ments de la Renaissance en Espagne ; nous pensons que ces
opinions ne sont basées que sur une connaissance imparfaite
des œuvres architecturales du XVIe siècle. Si l’on devait, par
exemple, juger les tombeaux de l’église de Santa Maria Glo-
riosa dei Frari à Venise, d’après les photographies des tom-
beaux de cette église que l’on trouve un peu partout, on se
ferait grande illusion ; les reproductions des plus beaux sont
introuvables ; il en est de même pour bien des monuments
espagnols : retables, autels, tombeaux, chapelles, cloîtres,
stalles, jubés, grilles, tabernacles, etc.
Aussi, si un de nos lecteurs hésitait à entreprendre un
voyage d’étude en Espagne, l’engagerions nous fortement à
visiter ce pays trop peu connu des architectes.
Qu’il en parcoure les principales villes et qu’il s’y entende
longtemps répéter le salut bienveillant :
Vayase Usted con Dios, Sencr.
Il ne s’en repentira point.
Eug. Geefs. |