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1882.
8e ANNEE.
L’ÉMULATION
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE
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— DÉPOSÉ —
SOMMAIRE
L'architecture. D. — L'art officiel et les finances. Ernal.
Le nouvel llôlel-de-Vüle de Paris. — Incendies des
théâtres.
L'ARCHITECTURE(4)
L’architecture, l’art décomposer, de régler et de décorer les
édifices d’après les principes du beau, est le plus ancien des
arts plastiques. Enfant de la nécessité, elle était simple à sa
naissance, elle s’épanouit insensiblement, au fur et à mesure
du développement d’une civilisation naissante pour atteindre
cet art qui a pour but la représentation ideale de la nature
inorganique.
Les monuments répandus sur la surface du globe ont con-
tribué certainement pour une large parta faire connaître 1 his-
toire des différents peuples; ils sont même la seule et unique
source pour reconstituer celle de certains peuples de I antiquité.
Moins périssables que la plupart des productions des autres
arts, ils sont, pour ainsi dire, les seuls documents restants des
sociétés éteintes dont ils nous font voir la vie intime et nous
montrent les différents degrés de développement et de civilisa-
tion.
La plupart des conceptions que l’architecture interprète ne
sont pas purement esthétiques, mais doivent souvent leur ori-
gine à un but pratique. La religion, la bienfaisance, la poli-
tique, le commerce et l’industrie, la guerre, etc., etc exigent
nombre de constructions où la destination et la solidité occu-
pent le premier rang, tandis que l’esthétique y occupe une
piace moins importante.
Que l’on ne s’imagine pas que les parties purement aitis-
tinues de ces monuments soient un luxe superflu; nullement,
il faut qu’elles ne soient pas en opposition avec le caractère de
la destination, car la beauté obtenue aux dépens du vrai ces-
serait d’être belle.
Quelquefois la destination pratique d'un monument en peut
favoriser le caractère artistique, parce que cette destination peut
être pour l’architecte une riche source d’idées qui l’aideront à
donner le caractère voulu.
Pour la plupart des sentiments, des sensations, des impres-
sions que l’architecte doit éveiller dans sa création, lu nature
lui donne, sans conteste, le plus beau modèle. Les différents
tableaux de la nature lui ont fait comprendre que la grandeur
suprême unie à la simplicité de surface, au sérieux, al élevé,
produisent sur le spectateur des impressions puissantes L'es-
pace infini de la mer, l’interminable étendu du desert, la pro-
digieuse hauteur des montagnes en sont la preuve.
'partant de cette contemplation (?), l'architecte qui auia a
faire exécuter une grande et sérieuse conception n atteindra
point le but en employant des petites dimensions, des surlaces
chargées et quantité de lignes brisées. Les pyramides, la face
unie'dcs murs de granit des temples égyptiens eleves, sans
aucune interruption, jusqu’à une hauteur de 23 a 30 me res
éveillent chez chaque visiteur des idees d admiration. D aboid
par leurs étonnantes dimensions, ensuite par leur extreme sim-
plicité de lignes. Si les faces des pyramides étaient decorees
par de riches motifs d’architecture, ou si ces murs nus des
temples étaient divisés ou interceptés par des pilastres, des
arcs, des ouvertures, afin d’y introduire de la lumière, la
beauté en serait certes plus grande, mais la sensation qu ils
produisent aujourd’hui serait amoindrie.
Les différentes créations de la nature apprennent egalement
à l’architecte qu’en général les lignes droites et es aretes
vives expriment l’idée de force et d’énergie, tandis que la
courbe, la ligne brisée et la décoration expriment plutôt l'idée
de douceur, de faiblesse, de tendresse. L’enfance, la jeunesse
des animaux et des plantes nous montrent des contours ai-
rondis et onduleux; les mêmes animaux, les mêmes plantes,
arrivés au degré de perfection, nous donnent des formes droites
et vives (2).
L’arbre fort et droit qui, frappé par l’ouragan, se brise et
ne plie point, nous produit bien l’idée de force et denprgie,
tandis que le petit roseau légèrement courbé, pliant a tout
zéphir, provoque un sentiment de tendresse et de douceur. Les
rudes métaux, les rochers fièrement escarpés et, en general,
toutes les matières minérales et durables sont terminées par
des arêtes vives. Dès lors, si l’architecte veut exprimer la force
et l’énergie, il devra employer la ligne droite, les sur,aces
nues et les angles vifs.
Ni la coupole de Saint-Pierre à Rome, ni Sainte-Sophie à
Constantinople, ni le Panthéon à Paris, ni Saint-Paul a
(1) Extrait et traduit du journal hollandais De Opmerher.
(2) ?.. Eh ! eh 1 Pas chez la femme, n’est-ce pas? (Note de la rèdac.)
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Londres, avec leurs contours arrondis et brisés, ne sauraient
produire chez nous cette impression de force, d’élévation que
nous donnent les formes droites et raides des temples deThèbes
et de Pæstum, ni même celle que peuvent faire naître ces
vaisseaux gothiques avec leurs rangées de piliers qui semblent
s’élever droit vers le ciel. Aussi, jamais 1 artiste ne cherchera
à interpréter l’image de la fierté par une conception à formes
rondes; plutôt que de nous toucher le cœur, elle s’écrasera
sous le poids des sombres et lourdes masses nécessaires pour
arriver à la grandeur. Le Panthéon d’Agrippa à Rome, le plus
grand travail de l’architecture romaine, en est un exemple.Cet
édifice avec ses immenses murs cylindriques, simple d ordon-
nance, possède incontestablement un caractère grand et majes-
tueux; il est loin de nous impressionner autant que cette Gère,
cette énergique cathédrale gothique qui nous frappe d admira-
tion ; non, il manque d’élégance, de vivacité.
L’impression produite chez le spectateur, par un ouvrage
d’architecture, dépend beaucoup des rapports des trois princi-
pales dimensions : la hauteur, la largeur et la profondeur.
Quand nous entrons dans la basilique de Saint-Pierre à Rome,
ce vrai temple gigantesque des temps modernes, nous sommes
moins frappés'd’étonnement par ces grandes dimensions que
lorsque nous pénétrons dans une église gothique. Doù vient
cette différence?Cette cathédrale ogivale n’est cependant qu’une
chapelle comparativement à Saint-Pierre et elle nous touche
pourtant plus. Ce sont les rapports des grandes masses. Saint-
Pierre éveille l'idée du gigantesque, parce que les trois grandes
dimensions sont quasi les mêmes et se neutralisent pour ainsi
dire. La hauteur est énorme, ainsi que la largeur et la pio-
fondeur. Quand nous comparons à l’échelle humaine ces
anges, en apparence mignons, qui portent le bénitier, nous
nous apercevons que ce sont des géants; après avoir parcouru
le monument, un commencement de fatigue vous fait constater
qu’il couvre une superficie réellement immense; lorsqu on com-
pare le prêtre à l’autel sur lequel il officie, on est convaincu de
l’énorme élévation des colonnes et des piliers et l’on voit que
la coupole est un travail de géant. Cependant il a fallu d’abord
une comparaison, un calcul, pour arriver à se faire une idée
exacte de ces dimensions. Si le vaisseau avait un quart en moins
en largeur, immédiatement la hauteur et la profondeur gagne-
raient de valeur, et l’ensemble produirait l’impression de gran-
deur à première vue.
Les églises du moyen âge de l’époque ogivale sont la preuve
vivante que si l’une des principales dimensions est relativement
petite (ici c’est la largeur), de suite les autres gagnent de
grandeur et paraissent jilus importantes qu’elles ne le sont en
réalité. Les monuments des anciens peuples de l’Orient nous
donnent aussi plus ou moins une prédilection pour un des
trois grands rapports. Chez eux cette prédilection naquit de
leur sentiment religieux et de leur caractère intime. Chez es
Indiens, la grande profondeur de la plupart de leurs temples
creusés dans le roc est indubitablement l’émanation de leur
caractère profond, sombre et entreprenant.
La largeur dominante dans l’architecture égyptienne était
une conséquence de leur goût de sévérité et de durée. L Egyp-
tien désirait avant tout l’impérissable : de là ces masses et
cette stupéfiante largeur. La grande pyramide de Cheops, par
exemple a une largeur de 233 mètres sur une hauteur de 146.
C’est dans les monuments religieux de l’époque ogivale que la
hauteur a trouvé son grand triomphe; dans ees hautes tours
qui s’élèvent vers le ciel, ainsi que dans la plupart des auties
détails où la hauteur domine; dans ces vaisseaux très-
étroits comparativement à la hauteur, ce qui rend celle-ci
encore plus apparente. Dans tout cela l’inspiration de la vie
n’est pas à méconnaître; le sentiment qui animait les archi-
tectes et les prêtres est sans aucun doute le reflet de l’esprit
religieux de la chrétienté d’alors qui reportait tout au ciel.
Dans l’art grec aucune dimension domine, les rapports sont
l’émanation de l’esprit du beau et non celle d’un symbole reli-
gieux. Aussi, chez aucun peuple, l’architecture (jugée au point
de vue purement eslhétique) n’a réalisé ses idées plus paifade-
ment. De quelle gaie simplicité, de quelle sage et noble beaute
sont revêtues ces créations helléniques; c’est, pour ainsi dire,
une musique de lignes, dont l’étude nous adoucit, nous enno-
blit nous civilise et nous développe les sentiments du beau.
Le caractère d’une construction dépend aussi de la présence
du plus ou moins d’ouvertures; cest pour 1 architecte un fac-
teur principal. Beaucoup de portes, de fenêtres,d’arcades, etc.,
convient involontairement le spectateur à y porter ses regards ;
le bâtiment lui semble accessible et hospitalier; il se présente
à ses yeux comme un séjour agrémenté par l’abondance de lu-
mière, dont les habitants aiment la lumière et la société. Si,
au contraire, les portes et les fenêtres y sont réduites au strict
nécessaire et que la surface des murs y prenne le rôle prepon-
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dérant, une sensation de crainte, de tristesse s’emparera de
lui; il sera saisi par cette sévérité qu’il identifiera au person-
nage si bien enfermé qui cherche si peu à voir ou à être vu.
Cette sensation de sévérité s’accroît en raison de la diminu-
tion des ouvertures et s’adoucit en rapport de 1 augmentation,
de telle sorte que l’on peut conclure que le plus ou moins de
fenêtres donne la gaieté et la sévérité au caractère de 1 édifice.
Dans les bâtiments destinés à servir de réunion d agrément,
l’architecte laissera le grand rôle aux ouvertures, pour autant
toutefois qu’elles ne nuisent ni à la solidité ni à la beauté de la
bâtisse. Les théâtres, les salles de concert, les musées et les locaux
de sociétés devront être dans les mêmes conditions pour gagner
le caractère gai et souriant. Les couvents, les corps de garde,
les prisons, les forts auront de grandes surfaces unies, car ils
devront produire sur nous l’idée d isolement, de justice séuie
et de crainte.
En diminuant les ouvertures, le kiosque deviendra maison ;
la maison, couvent; le couvent, fort; le fort, prison , la piison
deviendra mausolée; là tout est surface, cest là le maximum,
c’est la mort
S’il faut pour chaque art plastique un certain esprit d’ordre
et de régularité, dans l’architecture surtout il est indispen-
sable pour produire du beau; l’architecte sans esprit d ordre
et de régularité ne parviendra jamais à donner à ses concep-
tions l’expression du repos, de la clarté; il sera toujours enclin
à introduire dans son travail le désordre et la suicharge, les
deux grands ennemis du beau.
Au point de vue pratique, l’architecture exige aussi ces qua-
lités, elles facilitent le travail et procurent des avantages éco-
nomiques.
Plusieurs autres lois d’esthétique régissent les ouvrages de
notre art : l’harmonie, la symétrie, les proportions. L’harmonie
des formes est pour l’architecture ce que l’harmonie des tons
est pour la musique. Si dans un édifice ou une construction
quelconque les proportions et l’accord entre les différentes
formes existent, alors cette architecture est, pour ainsi dire, une
musique pétrifiée et devient pour nous une symphonie. [Sic.)
Les détails architectoniques empruntés aux différents styles
et appliqués à un meme monument produisent souvent un en-
semble sans harmonie.
Si l’on combine une façade de manière qu’un trumeau en
occupe le milieu, notre sentiment du beau sera blessé, parce
que par instinct nous voulons que l’axe d’un des motifs archi-
tectoniques corresponde avec l’axe de l’ensemble.
La même remarque est applicable pour un pont; une arche
occupera l’axe de la rivière, car la pile au milieu produirait
encore un aspect désagréable.
Les lois de la symétrie et des proportions sont de très
grande importance. Sans une sévère symétrie, on parviendra
difficilement à donner un aspect monumental à un ensemble.
L’art classique l’observe scrupuleusement. La plupart des créa-
tions de la nature, et l’homme surtout, ont servi de modèle ou
ont conduit les idées de l’artiste. Tous les détails de l'ordon-
nance : colonne, pilastre, porte ou fenêtre, nous donnent aussi
bien que l’homme môme la symétrie par rapport à l’axe verti-
cal, tandis que les parties inférieures et supérieures diffèrent
entre elles. La scrupuleuse symétrie exigée pour toute con-
struction devant avoir un caractère monumental, devient nui-
sible pour certains autres projets et jure avec la destination et
l’entourage. Dans des villas ou autres bâtiments, complètement
entourés d’une nature poétique et pleine de contraste, cette
symétrie serait un non-sens.
Parmi les choses d’une nature pratique qui, depuis les
temps les plus reculés, ont eu une influence sur le développe-
ment et le caractère de l’architecture chez les différents peu-
ples, il faut surtout considérer le climat, la nature du sol et
les matériaux.
Cet esprit de longue durée, cette monotonie qui caractérise
l’art égyptien et qui (comme nous lavons déjà dit) est une
émanation de la vie intime, était évidemment rehaussé par la
situation et le climat du pays. L’immobile ciel d’azur, le Nil,
si intéressant avec ses inondations régulières et périodiques,
l’air d’un calme constant, ce soleil éternel et le voisinage du
désert infini, devaient bien certainement faire un peuple
calme et sérieux chez lequel se développerait un art aussi
invariable, aussi monotone que le pays lui-même. La nature
du sol égyptien, notamment l’absence de la roche (3), était aussi
d’une grande influence sur le développement de l’architecture.
Nous pourrions citer également bon nombre d’exemples de
l’art oriental où le climat, le sol et les matériaux régissent l’ar-
chitecture. C’est ainsi que l’absence de la roche, mais la pré-
(3) ?. Erreur! tous les monuments égyptiens sont en granit ou en cal-
caire, ceux de la Nubie là où il y a de la roche, sont en briques cuites au
soleil. (Note de la rèdac.) |