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était consacrée à la visite de I’église Saint-Hilaire récemment
bâtie sous la direction de M. Sauvageot, un des meilleurs
élèves de Viollet-le-Duc (1). D’une conception originale,
l’édifice a bon aspect quoique on eût peut-être voulu lui voir
un caractère plus normand.
De là, nous nous sommes rendus à I’église de Boscher-
VILLE (2).
Nous avions à gravir les collines de la vallée de la Seine,
laissant celle-ci à gauche et nous avançant dans la forêt de
Roumare jusque Boscherville. Nous nous rappelons avec plai-
sir l’admirable panorama que l’on a des hauteurs de Canteleu
et le splendide pays que l’on traverse. L’abbaye Saint-Georges
de Boscherville ne présente plus que son église et sa salle
capitulaire d’intactes. L’église datant du XIIe siècle est très
belle de lignes et d’un caractère franchement abbatial.
Moins austère, moins sévère que Saint-Etienne à Caen, elle
plaît par ses proportions colossales, sa grâce naïve et ses
détails sculpturaux qui présentent toute une série de documents
précieux pour l’archéographie du moyen âge.
La salle capitulaire de cette belle abbaye est tout ce qui
reste des anciens bâtiments claustraux, mais c’est un superbe
morceau d’architecture qui présente encore trois remarquables
arcades donnant vers le cloître.
Bref, à défaut d’une visite à la célèbre abbaye deJumièges trop
éloignée des voies ferrées, nous recommandons aux architectes
visitant Rouen de ne pas manquer d’aller étudier l’église
Saint-Georges de Boscherville, car elle présente un magnifique
exemple de cet art robuste et sain du XIIe siècle, initiateur
du grand art laïque du XIIIe siècle.
Notre retour vers Rouen s’effectua d’une façon fort gaie ;
nous croyons devoir rappeler certain bandit pour rire qui
effraya fort les « rusés Normands » de la route de Caudebec et
dont on parlera peut-être à la veillée en le représentant comme
le dernier des « chauffeurs », la terreur de la forêt de Roumare
au XVIIIe siècle.
Notre excursion était terminée.
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Regrettant un peu de n’avoir pu étudier les ruines du
fameux château d’Arques, de Falaise, ou surtout du château
Gaillard, pour nous rendre compte de l’architecture militaire
de la Normandie au moyen âge (le temps et l’éloignement de
ces monuments en ayant empêché la visite), nous avons pris le
chemin de Paris où nous devions visiter l’hôtel de ville et le
Comptoir d’escompte.
On sait que l’ancien Hôteldeville, commencéen 1533, par
Dominique de Cortone, dit le Boccador, complété par Martin
de la Vallée, de 160a à 1608 et fini par Godde et Lesueur
de 1836 à 1842, fut détruit pendant les néfastes jours de la
Commune. L’édifice actuel qui le remplace est un produit du
programme du concours ouvert en 1872 pour son érection,
qui loin de laisser la liberté aux concurrents, les tenait les
mains bridées en leur recommandant d’« utiliser dans la
« plus large mesure possible, les constructions existantes ».
C’est un exemple frappant des conséquences déplorables que
peut avoir, sur le résultat d’un concours, un programme mal
compris ou rédigé par des hommes étrangers aux choses de l’art.
Aussi dans l’exécution voit-on à chaque pas MM. Ballu et
Deperthes, architectes d’un talent très réel étayant prouvé par
d’autres œuvres un savoir incontestable, lutter pour raccorder les
fragments d’époques différentes qui formaient l’ancien édifice,
avec leurs plans d’ailleurs très bien étudiés.
On comprendra que nous ne puissions pas entrer dans les
détails d’une description de l’édifice; aussi nous bornons-
nous, en dehors de la restriction que nous venons d’émettre
et qui n’est pas du fait des architectes, à constater avec quel
respect et louable exactitude, ils ont réédifié la façade de Domi-
nique de Cortone.
Le Comptoir d’escompte de paris, œuvre de M. Corroyer qui
nous avait invitéàle visiter, nous a fait un sensible plaisir. Nous
y avons trouvé un emploi rationnel des éléments classiques, alliés
une recherche des moyens constructifs nouveaux qui fait le
plus grand honneur à son auteur; — preuve que l’on peut
admirer Jacques Barrozio, tout en restaurant l’abbaye du Mont
Saint-Michel en véritable arrière-neveu des Robert de Luzar-
ches et des Pierre de Montereau.
En dehors de son mérite artistique, nous avons admiré dans'
le Comptoir d’escompte scs judicieuses dispositions de servi-
ces, et les mesures prises pour le chauffage, la ventilation ainsi
que pour éviter la condensation de l’humidité sur les vitraux du
hall qui sont des plus ingénieuses.
Signalons encore, avant de terminer, l’escalier principal avec
ses beaux panneaux de mosaïque et ses lanterneaux à cristaux
prismatiques, et le grand hall central qui est véritablement une
salie et non pas une cour couverte comme cela se fait trop
souvent dans des cas semblables.
Somme toute, c’est une œuvre qui fait honneur à l’art fran-
çais contemporain.
Après la visite de cet édifice, nous avons regagné Bruxelles,
tout fier d’avoir vu la Normandie, en nous rappelant que des
architectes normands nous avaient avoué ne jamais avoir vu
le Mont Saint-Michel, que pourtant:
Le Couësnon par sa folie
Mit un jour, en Normandie.
(1) Voyez Encyclopédie d’architecture, Paris, Morel, pour la mono-
graphie de cet édifice. Année 1878.
(2) Voyez Essai historique sur l’abbaye de Boscherville, par J.-A. De-
ville.
Cotman, Arch. anliquities of Normandy, pl. 5-10.
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En revanche, ils connaissaient parfaitement la Belgique et
l’Italie.
Devons-nous en conclure qu’en France, il en est un peu
comme chez nous et qu’on y interprète le « connais-toi toi-
même » en étudiant l’art de l’étranger et en ignorant qu’il y a
une « merveille » et des merveilles sur le sol de sa patrie?
Paul SAINTENOY.
BIBLIOGRAPHIE
L'art de bâtir chez les Byzantins, par Auguste Choisy, ingé-
nieur. — Un volume in-folio, Paris, 1882.
Au siècle passé, parlant d’un monument du moyen âge, on
disait, c’est gothique en sous-entendant, c’est barbare. Mettez
byzantin au lieu de gothique et sous-entendez de même, vous
aurez ce qui se dit couramment de nos jours sur l’art
de l’empire d’Orient.
Un ingénieur français, M. Choisy, vient de publier une étude
sur l’Art de bâtir chez les Byzantins, qui entreprend de réagir
contre ces préventions injustifiables.
Pour lui les architectes du siècle de Justinien étaient des
constructeurs qui ne cèdent le pas qu’à ceux qui ont élevé nos
cathédrales du XIIIe siècle. Viollet-le-Duc avait montré ceux-ci
recherchant un système constructif qui leur permît de voûter
dévastés édifices avec le moins grand nombre de points d’appui
possible ; M. Choisy nous montre les Byzantins poursuivant le
même problème et y trouvant une solution parfaitement origi-
nale, produit d’un art qui n’a plus rien de commun avec l’art
initial de Rome et qui est comme un réveil de l’esprit orien-
tal, de l’esprit grec trop longtemps écrasé par la tyrannie des
Césars. La voûte est l’élément constitutif de l’architecture
byzantine; en l’étudiant dans ses divers systèmes, l’auteur
arrive à démontrer — chose assez étonnante au premier
abord — que les Byzantins construisaient leurs voûtes sans
l’aide de cintres en charpente.
Ce principe admis, il nous en montre les conséquences logi-
ques: la voûte par assises droites juxtaposées, par assises
inclinées, puis la coupole, et enfin la voûte sur pendentifs, solu-
tion définitive des Anthémius de Traies et des Isidore de Milet
qui l’ont élevée triomphante sur les murs de Sainte-Sophie.
Le livre de M. Choisy est venu à son heure. La Théodora
de M. Surdon a mis l’art de Byzance au rang des actualités; il
est vrai que de nos jours ça passe vite, les actualités! Quand
paraîtront ces lignes, qui sait si Théodora et Justinien ne seront
pas rentrés dans leur nimbe historique, tyrans d’un siècle
passé, détrônés par le tyran de tous les siècles : la mode !
De Bouwmeester : ontwerpen, schetsen, enz., bijeengebracht
door het genootschap « Arcliitectura et Amicitia, » en J. W.
Van Gendt, architect te Arnhem.
La Société « Architectura et Amicitia, » d’Amsterdam, fon-
déeen 1855, qui publiait déjà le journal de Opmerker, vient de
fonder en collaboration avec M. Van Gendt, architecte à Arnhem,
une revue bimensuelle « de Bouwmeester. »
Notre nouveau confrère se propose dé reproduire par la
photolithographie, des projets, croquis et détails de construc-
tions récentes, dés relevés d’édifices anciens et des dessins
d’art décoratif.
Nous souhaitons longue vie et grand succès à notre jeune
confrère. Macte animo.
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Le Meuble I, par A. de Champeaux. Paris, Quantin, 1885,
in-8°, 320 p., avec 75 fig.
La lecture de cet ouvrage nous a fait plaisir.
Il remplit une lacune !
Nous avions bien Jacquemart, Burty, Labarte, Viollet-le-
Duc, mais tous ces auteurs ne parlent pas uniquement du
« meuble ».
Il y avait un livre à faire sur celui-ci : il est fait !
Passant d’abord en revue le meuble dans l’antiquité — chez
les Egyptiens, Assyriens, Grecs, Romains et Byzantins — d’après
les rares vestiges parvenus jusqu’à nous: traditions, écrits ou
objets, M. Champeaux étudie ensuite le meuble français pen-
dant le moyen âge et dans ses différentes écoles — normande,
île de France, picarde, champenoise, tourangelle, bourgui-
gnonne, auvergnate, provençale et lyonnaise.
Abordant l’étude des écoles étrangères, M. de Champeaux
passe savamment en revue les écoles italienne, espagnole,
allemande et flamande. A propos de celle-ci, il rend hommage
au génie flamand et, chose rare chez les auteurs d’outre-Quié-
vrain, reconnaît la notable influence qu’il eut sur certaines
écoles françaises: picarde, lorraine, bourguignonne, par
exemple.
A l’appui de ses dires, l’auteur cite quelques noms d’artistes
flamands ayant travaillé en France, que nous relevons dans
Tordre où nous les avons notés pendant la lecture de son inté-
ressant travail.
C’est d’abord le huchier Jehan de Liège, l’auteur du portail
de l’église de Dijon ; Jacques de Baerze (de Termonde) et Mel-
chior Broederlain, les auteurs des rétables du Musée de la
même ville; le célèbre Clacs Sluter, le maître et l’inspirateur
de Michel Colomb, dont le talent, dit-il, prépara celte renais-
sance française à laquelle nous devons tant de chefs-d’œuvre ;
(1) Il sera rendu compte de tout ouvrage dont un exemplaire sera
envoyé à l’Administration du Journal, boulevard du Hainaut, 139, à
Bruxelles.
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Jehan de Westerhem, Jehan Guiselin et Antoine Gossin, tous
trois huchiers ou escriniers au service de Philippe-le-Bon ;
Laurent d’Ypres et Pierre Mosselman qui firent, avec le huchier
Philipot Yiart, les stalles de la cathédrale de Rouen, achevées
ensuite par Chastel, dit Flamine et Hennequin d'Anvers.
Il cite comme œuvres flamandes, le lit de Jeanne d’Albret
et bon nombre de meubles au château de Pau ; il relève en Alle-
magne le nom de Jean Florein, qui lit les stalles de l’église
Sainte-Marie de Schaurgasse à Cologne (il eût pu citer Jean, le
Brabançon, auteur du tombeau de Wenceslas I, roi de Bohême,
à Prague, et surtout Alexandre Collins, le célèbre auteur du
tombeau de Maximilien d’Autriche à Inspruck); puis il rappelle
les nombreux Flamands qui travaillèrent en Italie comme
« intagliatori » ou marqueteurs, entre autres Van der Brühl
d’Anvers, qui fit en 1599 les bas-reliefs des stalles de Saint-
Georges-Majeur à Venise, Henri et Guillaume, Flamands, qui
firent en 1443, les armoires de la sacristie de Ferrare, etc.
Que ne cite-t-il (il est vrai que cela sort un peu de son pro-
gramme) notre grand « Fiatnmingo » : Jean Boullongne,
l’élève de Jean Dubroeucq, — Jacopo Bruca, comme dit
Vasari —et l’ami des deux Floris d’Anvers!
Mais ce n’est pas tout : non loin du tombeau d’Edouard IV
d’Angleterre, exécuté, dit-on, par Quentin Metsys au château de
Windsor, on trouve à l’abbaye de Westminster les traces d’une
main flamande dans les sculptures des stalles de la chapelle
des Tudor, et M. de Champeaux constate que « l’architecture
« anglaise, dont le développement suivit la fin de la guerre des
« deux roses et l’avènement de Henri VII, était vraisemblable-
« ment d’origine flamande, mais qu’elle fut rapidement trans-
« formée par le génie anglo-saxon ».
Nous savons bien que ces remarques avaient été faites par
nos auteurs nationaux, mais il est intéressant de retrouver nos
modestes huchiers flamands allant porter dans tous les pays
européens le fruit de leurs labeurs et de voir constater
ce fait par un auteur étranger. Cela prouve la largeur d’idée
qui a présidé à l’élaboration de l’ouvrage, et le plaisir qu’il nous
a valu doit servir d’excuse à la longue citation que nous
venons de faire.
Placé entre l’opinion de ceux qui voient partout travail
ou influence flamande et qui ne trouvent en tous lieux que
« joyaux » à rattacher au diadème de l’art des Flandres et
des autres — les plus nombreux ! — qui ne parlent que
d’art italien, d’art français, qui voient partout l’influence du
Midi et qui dénient à nos contrées, art, goût et traditions,
il nous plaît de voir un auteur étranger rendre à César ce qui
est à César et à la Flandre ce qui est bien à elle : son indé-
niable grandeur artistique des XVe et XVIe siècles.
Terminons en constatant avec notre auteur que « notre art
« national semble avoir décru, lorsque le style italien, étran-
« ger au tempérament septentrional, eut été introduit par les
« artistes qui étaient allés étudier dans les ateliers de Rome
« et de Florence ».
Cette constatation a été faite souvent. A quoi bon!
Ils ne manquent pas, les gens qui répondront que cette pré-
tendue décadence n’existe pas, que notre art s’est épuré aux
grandes sources de l’antiquité et que si notre époque n’a plus
l’art souple et élégant des huchiers de la Renaissance, elle pos-
sède des artistes qui maintiennent les traditions « du grand
art ».
Le grand art !
Beau mot qui fait que ces « artistes » croient déchoir en
dessinant un meuble alors que Rubens et Durer traçaient des
frontispices de livres ! P. S.
FAITS DIVERS
Angleterre. — L’exposition d’œuvres d’art qui vient de
se fermer à Londres, dans Burlington-house à la « Royal Aca-
demy », comportait une section d’architecture qui comprenait
cette fois 220 dessins.
Parmi les œuvres les plus « selected » on remarquait les
envois de M. Alfred Waterhouse, le célèbre auteur de l’hôtel de
ville de Manchester, qui exposait le club libéral de White Hall
place; de M. Pearson : une flèche pour la cathédrale de Peter-
borough; de MM. Brooks, Scotts, Seddings : des études d’art
ecclésiastique, etc., etc. L’Exposition d’architecture ne s’est
plus faite cette année dans la même salle qu’auparavant.
Grâce à M. l’architecte Norman Shaw, notre art possède
maintenant une salle à elle, faite pour elle, et tout à fait con-
forme à... l’usage.
Qu’on en juge : précédemment le public devait forcément y
passer; maintenant, placée dans une espèce de « cul de sac »
l’architecture restera parfaitement ignorée des visiteurs.
La salle d’architecture du palais des Beaux-Arts de Bruxelles
était un spécimen unique en son genre : le genre cave ! Voici
une rivale! c’est une curiosité en moins à exhiber aux
étrangers !...
France. —- Aux termes d’un arrêté rendu par le ministre de
l’instruction pubique, des cultes et des beaux-arts, M. Edouard
Corroyer, architecte du Mont Saint-Michel, vient d'étre nommé
inspecteur général des édifices diocésains, en remplacement de
M. Ballu, décédé.
La circonscription de M. Corroyer comprend toute la partie
de la France comprise entre Sens et Nantes au nord, les Pyré-
nées et la Méditerranée, au sud. |