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I,e Précurseur
NOUVELLES D IRLANOE.
On lit dans le Freemann, journal de Dublin : Quiconque parcourt les
rues de notre ville ne peut s’empêcher d’être frappé de la misère qui
y règne. De tout côté on vous demande l’aumône et l’air pâle et défait
des malheureux qui implorent la charité publique n’atteste que trop
leur affreux dénuement. Si la capitale souffre, les autres parties du
pays et surtout l’Ouest et le Sud ressentent les effets de la famine dans
toute son horreur. Ce n’est pas seulement la faim qui abat l’homme,
naguère plein de force et de vie, mais les compagnes et les sœurs de la
faim, la fièvre et l’épidémie. La mort ne compte plus ses viclimes par
unités dans la chaumière du pauvre. Toute la famille est couchée sur
son lit de-misère. Voyez à Casteltownroche où dans une seule maison
on a trouvé sept cadavres en putréfaction. Dans un meeting de la par-
tie Occidentale du comté de Cork, un ecclésiastique disait qu'il fallait
faire annoncer qu’il n’y avait pas assez d’un coroner pour faire consta-
ter les décès. La moisson était trop abondante pour les fonctionnaires
ordinaires...
Le Sud n’offre pas seul ces terribles exemples.L’Epidémie mine aussi
l’Ouest, et nous ne sommes surpris qued’une chose, c’est que ses pro-
grès ne soient pas plus rapides dans ce malheureux pays. La Constitu-
tion de Mayo reçu ce matin, annonce neuf morts produites par ia faim.
Là aussi il faudra encore un coroner Jusqu’ici cependant la mortalité
a été comparativement assez lente, mais la misérable nourriture que
prennent les malheureux réduits au plus affreux dénûment affaiblit et
roDge l’estomac. Aussi la marche de la mort ne lardera pas à devenir
plus rapide, et la famine à compter ses victimes par centaines.
Les émeutes désignées sous le nom de food riotz (émeutes à l’occa-
sion des subsistances, se multiplient en Irlande. On écrit de Belfast,
le 18 décembre :
« Ce matin, à neuf heures, un rassemblement d’environ 200 per-
sonnes s’est porté devant la boulangerie de M. Bernard Hughes,
Donegal-Street. en proférant d'affreuses menaces. Quatre ou cinq des
meneurs entrèrent dans la boutique rn criant : « Donnez-nous du
pain, ou nous le prendrons de force ! » M. Hughes refusa ; alors la foule
s’exaspéra, et des scènes de violence allaient avoir lieu, lorsque deux
gentlemen du voisinage donnèrent l’un cinq et l’autre deux shillings
pour payer du pain, qui fut, sur-le-champ, distribué au rassemblement
et réussirent à le calmer ; la foule se rendit, néanmoins, chez un autre
boulanger, dans Church-Street, où les mômes scènes se renouvelèrent.
Une distribution de vingt shillings détourna encore l’orage, et bien-
tôt arriva la police, qui dispersa les mutins et s’empara des chefs. Trois
d’entre eux furent traduits devant les magistrats, qui en condamnè-
rent un à 40 shillings d’amende et aux dépens ou à un mois d'empri-
sonnement, et les deux autres à vingt shillings d’amende et aux dé-
pens ou quinze jours de prison. Un de ces derniers, qui était celui qui
criait le plus haut pour avoir du pain, a payé une demi-heure après sa
condamnation, pour être mis en liberté, H livres 2 shillings 8 pence
(près de 300 fr ), montant de son amende et de ses frais. A Kilkennyet
à Cloumel, des voitures de farine ou de pain ont été arrêtées et pillées
par le peuple : on ne peut plus mettre en mouvement le moindre con-
voi de subsistances sans une très forte escorte. »
— Voici quelques scènes d’intérieur, prises au hasard dans les in-
nombrables détails que publient les journaux d’Irlande.Si nous n’aver-
tissions pas le lecteur que nous nous bornons à reproduire ce qui nous
tombe aujourd’hui sons la main, il nous taxerait d'exagération. Prou-
vons qu’en fait de misère et de détresse, on ne peut rien inventer de
plus incroyableque la réalité, quand il s’agit de l’Irlande, et, pour cela,
bornons-nous au rôle de narrateur.
Le Cork examiner résume en ces termes les détails qui lui sont trans-
mis de S’Kibberen par son reporter :
» Du commencement à la fin, ce n’est qu’un funèbre catalogue de
Jaraine et de mort. Notre correspondant définit la condition de celle
malheureuse cité en disant que les pauvres y meurent comme des bes-
tiaux empoisonnés. Une apathie effrayante, comme celle qui caracté-
rise les gens frappés de la pesté, engourdit celte population infortu-
née. La faim a détruit en elle tout germe de sympathie généreuse ; le
désespoir l’a rendue insensible et en quelque sorte pétrifiée. Elle at-
tend son dernier moment d’un œil morne, avec indifférence et sans
crainte. Il n’y a pas une seule cabane où la mort ne soit déjà. On voit
des familles entières couchées sur des restes de paille pourrie qui jon-
chent çà et là le sol humide, dévorées par la fièvre, et personne n’est
là pour humecter les lèvres des malades ou pour soulever leur tète.
Le mari meurt à côté de sa femme laquelle ne semble pas même se
douter qu’il est désormais affranchi des souffrances terrestres C’est le
même lambeau de toile qui recouvre les cadavres et les èlres encore
vivants, et ceux-ci ne paraissant pas avoir le sentiment de cet horrible
voisinage. Les rats viennent chercher leur proie au millieu de cet
affreux pêlemêle, et nul n’a assez d’énergie pour troubler leur festin.
Les pères enterrent leurs enfants, sans pousser un soupir, dans quel-
que coin isolé : tombe abandonnée sur laquelle aucune mère aucun
ami ne viendra pleurer ! »
Plus loin le correspondant raconte un des nombreux faits dont il a
été témoin dans les environs de Bridgetown :
» Un malheureux était allé la veille à la ville pour vendre des souliers,
cette vente lui produisit 1-shelling 10 deniers (2 fr 20 c.) Etant retour-
né chez lui dans la même journée. il tomba mort d épuisement et de
fatigue. Pendant six jours et six nuits, le corps resta dans le réduit, où
cet homme avait vécu; pendant six jours et six nuits un pauvre enfant,
mourant lui-même de faim, resta exposé aux exhalaisons délétères de
ce cadavre, sans qu’on eût les moyens de le faire enlever. Le peu d’ar-
gent que le défunt avait rapporté avait été absorbé par d’autres frais,
et quand le dernier fart hing eût été employé à acheter une chandelle,
quand la lueur blafarde de cette chandelle eut cessé d’éclairer la ma-
sure infecte, tes rats accoururent et se mirent à manger le corps déjà
en décomposition.
» De tels faits n’excitent ici poursuit le correspondant, aucune sur-
prise. Le peuple est habitué à en voir chaque jour de pareils. »
Ces lamentables tableaux peuvent donner une idée de l’état de l’Ir-
lande Nous en remplirions nos colonnes si nous voulions rapporter ce
que publient chaque jour à ce sujet h s journaux anglais.
FRANCE.
Paris, 26 décembre. — Les envoyés d’Abd-el-Kader, que M le maré-
chal a fait retenir à Oran, vont, après un court séjour dans cette ville,
être reconduits à Tlemcen, aussitôt que le retour du beau temps ren-
dra les communications possibles. De là. ils regagneront la deïra On
assure qu’ils n’ont pas vu, sans une pénible surprise, l’état actuel de
nos Arabes et les avantages qu’ils trouvent à nos relations. Celte visite
qu’ils ont faile parmi nous contribuera sans doute à décourager les
derniers débris qui entourent l’émir et dont nos prisonniers nous ont
peint la détresse.
— La duchesse de Montpensier continue d’avoir le plus grand suc-
cès à la cour,et dans les réunions publiquesjelle est,dans les salons des
Tuileries, l’objet des hommages les plus empressés, qui s’adressent à
sa figure très agréable et à ses manières enfantines et enjouées.
— Le barreau de Paris a aujourd’hui pour doyen le plus vieil avo-
1 cat, peut-être, de tous les barreaux de France, M. Girard de Bury, qui
vient d’accomplir sa centième année.
« Le 22 décembre, jour où M. Girard de Bury accomplissait sa cen-
tième année, une fête de famille avait réuni tous les amis du doyen du
barreau, dans sa demeure, avenue de la Santé. 31. au Petit-Montrouge.
On remarquait à cette fête le plus éloquent de nos orateurs.M« Berryer,
que M Girard de Bury a entouré dans son enfance des soins les plus
affectueux.
Après le repas, c’est M. Girard de Bury qui a ouvert le bal avec une
de ses jeunes et gracieuses parentes, et chacun admirait la santé vi-
vace et la galté charmante du doyen centenaire, qui promet d’être
longtemps encore à la têle du barreau de Paris. »
Il résulte du relevé fait au bureau du port de Marseille, que le
nombre des navires entrés pendant l’année 1846 jusqu’à ce jour, est
supérieur de 2,020 à celui des navires entrés pendant I année 1843.
— Les droits perçus par la douane en France pendant novembre
dernier s’élèvent à 13,192,924 fr. Ils avaient produit 11,748,679 en 1843,
et 12,770.435 en 1844.
L’augmentation sur les caféf, les sucres étrangers et les huiles
d’olive, a été assez remarquable; mais il y a eu diminution sensible sur
les sucres des colonies, les laines et les cotons .
Les recettes pour les dix premiers mois de 1846 s’élèvent ainsi à
141,643 385 fr.; elles avaient été de 139,311,736 en 1845, et de 138,717,910
fr. en 1844.
— Bulletin de I» Bourse du ««. — La bonne tenue dns fonds
anglais est venue donner un peu d’élan aux nôtres: Le 3 et le 5 p. c.
ainsi que la plupart des chemins de fer présentent sur avant-hier une
amélioration sensible t.es dispositions paraissent être pour la hausse.
Le 5 p c. ouvert à 80-75 fin du mois est monté à 80-95 pour fermer à
80-85, en hausse de20 c. Le 5 p. c. resie à 118-70. en hausse de 10 c.
Au coinpt le 3 p c. est monté de 15 c. et le 5 p. c de 10 c. Les ac-
tions de la banque de France ont baissé de 10 c.; celles des caisses
Gouin à 1240 et Ganneron à 1190 n’ont pas varié. Il ne s’est rien fait en
valeurs industrielles.
Fonds étrangers. — Le 5 p. c. belge (1840) et le 4 1/2 p. c. ont baissé
de 1/8, et le 2 12 p. c est monté de 1/4 ; les autres fonds belges ne sont
pas cotés La rente de Naples est en hausse de 2 fr. et les emprunts
romains et du Piémont n’ont pas varié. 11 ne s’est rien en fonds d’Es-
pagne.
IlOlali AIE O B.
Amsterdam, 27 décembre. - Société des effet» public».— Les affaires
ont été peu animées aujourd’hui et les prix restent à peu près comme
hier.
Intégrales 59 3/4. 11/16 ; Ardoins de 255 .£ 20 9/16 ; 3 0/0 de l’extérieur
37 3/4, dito de l’intérieur 32 1/16 ; Portugais 4 0/0 38 1(8, 58.
BELGIQUE
ANVERS , *8 UKCEMSKE.
Il y a eu avant-hier deux victimes sur la glace des fossés de la ville.
L’individu dont nous avons annoncé hier la mort a été reconnu pour
M Stanislas B..... âgé de 25ans. né et demeurant à Anvers.Un pompier
a également trouvé la mort sous la glace qui s’était rompue sous ses
pieds
— Le bateau à vapeur belge Princess-Victoria est arrivé, ce malin,
de Londres avec un plein chargement et 7 passagers.
— La société de chant d’ensemble » tes Jeunes bardes d'Anvers « an-
nonce pour samedi 2 janvier 1847, à 7 1/2 heures du soir, un grand
concert vocal et instrumental, dans la salle de concert du Cercle de
l'Union, à la Place-Verte. Celte fête musicale se donne au profit de
quelques ménages nécessiteux, il sera fait à cet effet une quête pen-
dant la pause. Il suffit de faire connaître le but que se propose cette
société, pour attirer à ce concert beaucoup de monde II y aura là
un double plaisir, d’abord d’entendre une excellente musique ensuite
de faire une bonne action.
— Demain mardi, il doit y avoir à Dordrecht une quadruple exécu-
tion capitale. Le procureur général auprès de la cour provinciale de la
Hollande méridionale, a ordonné des prières publiques, dans toutes
les églises de la Haye, pour implorer Dieu, de recevoir miséricordieu-
sement les quatre malfaiteurs, qui ne peuvent trouver giàce devant
la justice humaine. Les condamnés n’ont point voulu signer un se-
cours en grâce auprès du roi.
— M. le ministre de la justice vient d’engager les membres du par-
quet et les juges d'instruction à lui faire chaque année, au mois d’août,
un rapport sur les lacunes qu’ils auraient rencontrées existantes dans
la législation à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, et de donner,
par avis, les moyens qui leur paraîtraient devoir être employés pour
les combler
— Mercredi, 6 janvier prochain, aura lieu à Bruxelles, à l’hôtel du
gouvernement provincial, l’adjudication publique de l’entreprise des
buffets-restaurants des stations de Malines, Gand, Courtrai, Mouscron,
Tirlemont, Liège, Pepinsler, Verviers, Braine-le-Comte et Quiévrain.
— Le ministre des travaux publics fait connaître qu’à partir du lr
janvier 1847, le coke expédié de Belgique en Prusse, par le chemin de
fer, sera admis à la deuxième classe du tarif international.
— On sait que M. Gachard. archiviste du royaume , a fait plusieurs
voyages en Espagne, dans ces dernières années. Nous sommes, impa-
tients de connaître ce qu’auront produit le temps et l’argent employés
à ces excursions.
En attendant, elles démontrent l’inutilité des fonctions d’archiviste
général du royaume, puisque l’administration des archives ne souffre
pas. nous devons le croire, des longues absences de leur chef.
Du reste, les voyages que nous signalons ont eu deux résultats, dont
le Moniteur s’applaudit beaucoup ; elles ont procuré à M. Gachard, notre
savant archiviste (style du Moniteur), la décoration de l’ordre de Charles
lit, et elles ont fourni à la reine Isabelle une occasion de témoigner
par cel te décoration des progrès que fait l’Espagne dans la voie du libéra-
lisme modéré. Nous ne nous attendions pas à voir le libéralisme dans
cette affaire. (Politique.)
— On écrit de Gand :
Nous apprenons que M Rooman. receveur de l’enregistrement en
celte ville, vient d’êire décoré de la Légion-d’Honneur, en récompense
des services militaires qu’il a rendus sous l’empire.
— On lit dans le Journal de Charleroi :
Avant-hier, deux individus de Monligny-sur-Sambre, parents delà
veuve Catherine Lurent, née Brasseur, ont été appelés par-devant
M. le juge d’instruction à Charleroi, pour être interrogés, relativement
à l’assassinat commis sur celte infortunée et sur sa pelile nièce. A la ,
suite de l'interrogatoire, qui a été de longue duree, tous deux ont été 1
mis en état d’arrrestation et envoyés au secret, puis la justice s’est d
nouveau transportée sur le théâtre du crime, pour y faire de nouvelle*
perquisitions.
— L'Echo de Sambre-et-Meuse annonce la mise en vente prochaine,
par la Banque commerciale d’Anvers, de 300 actions du charbonnage
de Sacé- tiadame. près Charleroi. La vente aurait lieu par 20 actions à
la fois, de quinze en quinze jours ; la première est indiquée pour le 2
janvier prochain.
— La Gazelle de Cologne annonce qu’une immense foule de curieux
vont visiter la montagne de basalte qui s’est affaisée. prés d’Obserwei-
ler ; il s’est même établi, à Bonn, tin service d’omnibus spécial pour
cet endroit. Il paraît que le terrain qui environne la montagne de ba-
salte est. peu consistant, car la masse, en s’affaisaot. a fait soulever la
route qui passe en cet endroit à une assez grande hauteur et sur une
assez longue étendue. C’est un phénomène des plus extraordinaires et
des plus curieux.
— Tous les journaux de Londres, sans exception, font la description
suivante d’une énorme pièce de bœuf qui a figuré vendredi sur la ta-
ble royale à Windsor : Le mets principal du banquet royal consistait
en un noble baron de bœuf, provenant du bœuf de race des highlands
d’Ecosse, engraissé à la ferme flamande par le prince Albert, et qui a
gagné la médaille d’argent à l’exposition du club de Smithfield. Cette
pièce, qui pesait près de deux cent soixante livres, a rôti pendant
douze heures.
— On écrit de Londres. 26 décembre :
Dans ces quatre derniers jours il est arrivé à Londres de Rotterdam
de Harlingen, Hambourg, Anvers, Nieuport.Ostende.Gravelines, Dun-
kerque, Calais, Boulogne, et le Havre 31 navires dont les cargaisons
étaient exclusivement destinées à approvisionner les divers marchés de
Londres en bétail gibier, volaille, œufs, viande salée, fromage etc. Les
navires venus de Roi terdam et de Hambourg ont amené plus de 500
bœufs et près de 5000 bêtes à laine, Anvers et Osténdé ont fourni pour
leur contingent à cet énorme approvisionnemenl des fêtes de Noël une
quantité considérable de beurre, d’œufs et de volaille.
— Au milieu des plus grandes folies on rencontre quelquefois de très
sages pensées, de très bons conseils, d’utiles réflexions Dans une des
revues qui se publient actuellement à Paris . le passage suivant nous a
frappé II signale en effet un abus que l’on a souvent à déplorer et par-
ticulièrement, dans notre pays. La singularité, la bizarrerie, la laideur
même, ont souvent plus de chances pour faire fortune que le mérite.
Cette affligeante vérité se trouve développée dans le dialogue suivant
que termine un couplet assez franchement tourné :
« Savez vous que c’est abominable qu’un homme invente une chose
utile pour nourrir plus sainement on pour vêtir à moins de frais le
pauvre peuple, on n’en parle guère, s’il ne paye pas les réclames et il
a toutes les chances du monde pour mourir ignoré » C’est comme
cela » tandis que celui qui invente un nouveau pas . une polka incon-
nue, ou un cigarejquelconque. la publicité s’empare de lui.elle le porte
elle ie pousse à la fortune et voilà un homme posé Le premier géant,
le premier bossu venu, ail ire la foule tandis, que « C’est comme ça ! »
— « Mais c’est, ma chère, une sottise énorme ;
Comment, chez vous, il arrive souvent
Qu’un être abject, un avorton difforme,
Est plus choyé qu’un modeste savant.
Va ! ne dis plus que la gloire t’est chère,
Quand sur ton sol. ô peuple intelligent.
L’affreux Tom-Pouce devient millionnaire
Et que Jacquart y meurt presque indigent.
— Voici comment on traite les juifs dans le royaume de Hanovre,
en Tanné 1846: » Schuim Moses. israélite, âgé de 50 ans, était né en
Allemagne, mais son pèreétant mort alors qu’il était encore en bas âge
et ayant mené une vie errante avec sa mère qui s’était remariée, il ne
put jamais savoir précisément dans quel lieu il était né. Il finit par s’é-
tablir dans le royaume de Hanovre, se maria et eut trois enfans. Au
printemps dernier, il fut l’objet d’une instruction judiciaire,et n’ayant
pu prouver son origine ni de quel pays il était, il fut mis en prison.
Au bout de quinze jours, on le fit sortir en lui intimant Tordre de
quitter le royaume et de ne plus y pénétrer, sous peine de subir un
châtiment corporel II représenta eu vaiu qu’ayant résidé 50 ans clans
le Hanovre, et ne sachaut dans quel pays il était né, les gouvernemens
voisins ne le recevraient pas. Ou l’envoya d’abord dans le duché d’Ol-
denbourg, mais les autorités le renvoyèrent en Hanovre. Alors, bien
qu’il fût revenu malgré lui, la peine corporelle lui fut infligée, puis
ou l’envoya dans le duché de Brunswick Les autorités le renvoyèrent
en Hanovre, où il reçut une seconde fois un châtiment iumérité. Ou
l'envoya en Prusse, mais il fut renvoyé et puni une troisième fois. C’é-
tait une scène vraiment déchirante de voir le pauvre Schuim au milieu
de l’hiver, voyageant pieds nus, emportant le peu d’objets qui compo-
saient sa fortune, chassé de place en place par les autorités, et accom-
pagné desa femme tenant un enfant à la mamelle et deux autres éga-
lement en bas âge à la main.
Enfin, comme aucun état ne voulait le recevoir, il fut mis en prison
à Hoga, dans le royaume de Hanovre. M Oppermann, un jurisconsulte,
s’intéressa vainement pour lui auprès de la Diète germanique, et il ne
put obtenir du gouvernement hanovrien les moyens d’émigrer en
Amérique On ouvrit alors en sa faveur une souscription particulière :
le peuple se montra plus humain que le gouvernement. Enfin, le gou-
vernement fournit à ce malheureux les moyens de s’embarquer à Brê-
me pour l’Amérique.
— tin nouvel Icare. — On lit dans le Mémorial d’Aix ■
Un jeune homme de la commune de Roussillon, près d’Apt, s’était
imaginé, il y a quelque temps, avoir trouvé le moyen de se soutenir eu
l’air comme les oiseaux. Il a voulu en faire l’expérience. Accompagné
de son père, il s’est rendu dans un champ, heureusement argileux, et
grimpant sur un rocher de quinze à vingt mètres, il s’est armé de ses
ailes, s’est élancé, et du premier coup est allés’enfoncer dans l’argile
humide, tandis qu’une de ses ailes frappait le chapeau de son père, et
le renversait presque étourdi! Tous deux se débattaient sur le sol,
quand un gendarme, qui chassait aux chasseurs, est venu fort à pro-
pus les mettre en état de regagner leur domicile.
— Nécrologie. — Le corps diplomatique étranger vient de faire une
perle sensible Lecomte Pollon, ministre plénipotentiaire, et envoyé
extraordinaire du gouvernement sarde prés du gouvernement britan-
nique, est mort mardi à Londres à l’âge de 49 ans, à la suite d’une lon-
gue maladie. Le comte Pollon représentait la Sardaigne en Angleterre
depuis neuf ans Précédemment d avait rempli les mêmes fonctions
diplomatiques à la Haye Le marquis de Pallavicino , secrétaire delà
légation, remplira provisoirement les fondions de chargé d’affaires,
en attendant que le successeur du comte Pollon soit nommé.
Lettres, seiences et arts.
M. Vcvswyvel — M. Vuleiiu».
Depuis trois jours que l’admirable gravure due au burin de M. Ver-
swyvel est exposée au Musée, il n’a cessé d’y avoir une nombreuse af-
fluence de personnes désireuses de voir et de revoir ce véritable chef-
ne peut pas laisser croire que les ordres du souverain pontife sont;hu-
mainement injustifiables , et qu’ils n’ont d’autre base qu’une volonté
tyrannique et irresponsable ; ensuite, les raisons même d’Agnès suffi-
saient pour lui fermer la bouche. En effet, si Agnès alléguait avec rai-
son sa bonne foi pour se justifier dans le passé . elle se trouvait d’au-
tant plus hors d’état de se justifier dans le présent et dans l’avenir,
puisqu’elle était formellement avertie par le pape de l’irrégularité de
sa situation. Et quant à ses raisons tirées de son affection pour le roi,
et de ce qu’avait de louchant la situation d’une femme violemment sé-
parée de son mari, le légat n’avait qu’à lui opposer lugelberge, femme
comme elle . épouse mieux qu’elle encore , violemment chassée de son
lit et de sa maison , et captive dans une abbaye , pendant le triomphe
criminel de sa rivale.
Le légat avait donc trois raisons sans répliqué à opposer à Agnès : le
poète ne lui en a fourni aucune; ce qui laisse au représentant du pape
un caractère de sévérité unitile, de cruauté implacable, de tyrannie
odieuse complètement faux, et en opposition manifeste avec la mission
essentiellement ferme, mais toujours douce et indulgente de l’Eglise.
Venons maintenant àuit questions débattues entre le légat et Thi-
lippe-Auguste.
Philippe allègue quatre raisons, pour se défendre de renvoyer
Agnès ; il est d’ailleurs bien entendu que nous ne parlons pas de celle
qu’il tire de son affection, dont le pape n’avait pas à s’occuper :
1° Le roi trouve que le pape n’a pas le droit de se montrer aussi ri-
goureux à l’égard d’un souverain qui a rendu des services immenses à
l’Eglise, en faisant en personne la troisième croisade.
2» Philippe trouve injuste que le pape mette en interdit le royaume
entier, pour punir le souverain, et qu’il châtie des milliers d’innocents
pour le crime d’un coupable.
5° Comme homme libre et intelligent, Philippe-Auguste, proteste
contre l’orgueil d’un pontife qui prétend lui imposer ses caprices.
4» Enfin, Philippe-Auguste, croit de son devoir de roi de résister à
un souveraiu étranger, qui viole l’indépendance nationale et prétend
s’ingérer dans le gouvernement de la France.
Qu’est-ce que le légat répond à ces objections? — Absolument rien
de péremptoire : ce qui permet.il est vrai, à la pièce de continuer,
mais ee qui fausse la situation réelle des papes et des souverains au
treizième siècle, ce qui donne des idées erronnées sur les rapports
I généraux de la puissance religieuse et de la puissance politique et
1 civile.
Premièrement, quels que fussent les services rendus à l’Eglise par
Philippe-Auguste, il y avait à le faire rougir d’en avoir parlé, en lui
rappelant les services que le christianisme avait rendus au monde. A
qui donc Philippe-Auguste, Richard Cœur-de-Lion et Frédéric Barbe-
rousse, ces trois grands souverains du treizième siècle, devaient-ils
cet empire qu’ils exerçaient sur des hommes religieux, braves et sou-
mis, qui donnaient leur patrimoine aux pauvres, qui laissaient, selon
la parole de l’Evangile,leurs femmes, leurs enfants et leurs familles, et
qui s’en allaient au bout du monde d’alors combattre et mourirpour
le tombeau de THomme-Dieu ? Est-ce avec les Gaulois, est-ce avec les
Golhs. est-ce avec les Francs, est-ce avec l'immigration sauvage du
pays des Cimmériens que Philippe-Auguste aurait fondé l’Université,
agrandi les arts, embelli sa capitale et entrevu l’avenir glorieux de la
j France ? N’esl-ce pas le christianisme, n’est ce pas l’Eglise qui avaient
1 ramolli l’àme des Barbares, illuminé leur esprit, adouci leurs mœurs,
ébauché et poursuivi cette œuvre de civilisation, qui se formula en
empires et en monarchies ? C’est donc rabaisser Philippe-Auguste que
de le représenter se vantant d’avoir, comme roi, rendu des services à
Dieu, en voulant s’en prévaloir pour excuser ses désordres comme
homme.
Deuxièmement, il est historiquement inadmissible que Philippe-Au-
guste ait refusé d’admettre le droit que s’arrogeait le pape de mettre
le royaume en interdit, pour la faute du souverain ; ce droit n’était
pas sérieusement contesté au treizième siècle; et Philippe-Auguste
l’admettait d’ailleurs si bien, que, treize ans après l'interdit lancé sur
la France, le même pape Innocent III ayant mis l’interdit sur le royau-
me d’Angleterre, après une querelle avec le roi Jean, ce fut Philippe-
i Auguste lui-mêtne qui offrit d’exécuter la bulle, qui arma une flotte, et
leva une armée pour cet objet.
Troisièmement, le roi fait trop beau jeu au légat, en lui disant qu’il
résiste à l’orgueilleuse tyrannie du pape. Comment, le pape rappelle j
Philippe aux préceptes (le la religion et de la morale, et ce serait là de
l’orgueil ? Comment, le pape somme le roi d’obéir, ainsi que tout le
monde, aux lois fondamentales du christianisme, et ce serait là de la
tyrannie ? Comment,le pape se porte le défenseur d’une pauvre femme
opprimée, emprisonnée, insultée, et ce serait là de la lâcheté ? Com-
ment. le pape parle au nom de la loyauté, de la foi jurée, de l’honneur
humain, du devoir divin, et ce serait là de la félonie? Comment.le pape
représente les bonnes mœurs, la sainteté de la famille, l’inviolabilité
du mariage, et Philippe-Auguste répond par son devoir de chevalier
courtois, qui lui ordonne de défendre sa mie ! Allons donc ! c’est outra-
ger l’intelligence d’un grand prince; que de lui supposer des idées
aussi frivoles.en face d’aussi grandes questions. Ce n’est pas untnoine,
ce n’est pas même le pape que Philippe-Auguste avait en face de lui ;
c’était la morale elle-même, c’était la société régénérée par la foi chré-
tienne, c’était la loi de l’avenir et du monde; et il le comprenait si bien,
qu’il se soumit à d’aussi irré istibles adversaires.
Reste la quatrième objection, qui n’est pas non plus du temps de
Philippe Auguste ; et à laquelle nous allons répondre pour le légat.
A notre avis, rien n’est moins sérieux que de présenter le souverain
pontife, le chef suprême de l’Eglise, comine un prince étranger. Com-
me chef de l’Eglise, le pape représente l'unité dogmatique et morale du
catholicisme : or, les dogmes n’ont pas de nation, et les idées ne se
fixent point par des degrés de latitude et de longitude. Catholicisme
veut dire universalité ; et en quelque lieu du monde qu’une décision de
l’Eglise lui parvienne, un catholique lui trouve la même auloriLé, et lui
accorde le même respect.
Supposons qu’au lieu d’habiter Rome, le pape Innocent III eût ha-
bité Saint-Cloud ou Saint-Denis, est ce que cela aurait changé sa posi-
tion à l’égard de Philippe-Auguste ? Est-ce que sou legal aurait auto-
risé le concubinage d’Agnès ? Est-ce qu’il ne lui aurait pas prêché les
mêmes doctrines et les mêmes désirs ? Un pape de France se fût donc
conduit de la même façon qu’un pape d’Italie, par la raison que, com-
me chefs de l’Eglise, les papes h ibitent un monde intellectuel, et non
un monde géographique, et que la parole de Dieu, qu’elle éclate dans
les buissons de l’Horeb, dans les nuages du Sinui. sur les roches du
Golgolha ou sous les fresques du Vatican, a partout son caractère in-
violable et sa valeur absolue .
Nous avons cherché à rétablir la vraie portée des grandes questions
soulevées par l’œuvre dramatique dont nous parlons, quoiqu’il nous
paraisse difficile que le public d’élite réuni dans l’enceinte du Seconu-
Théâtre Fi ançais u’ait pas redressé, sous ce rapport, les erreurs ad
poète. „
A. GRANIER de CASSAGNAC. |