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1816. M. SOI.
ON S’ABONNE :
A Anvers au bureau du Précur-
seur , Bourse Anglaise , N° 1040 ,
en Belgique et à l’étranger chez
tous les Directeurs des Postes.
A WF S?8 ? Laimli Décembre.
Journal Politique, Commercial, Maritime et Littéraire.
l'AIX. — LIBERTÉ. — PROGRÈS.
ABONNEMENT PAR TRIllBSTRH
Pour Anvers, 15 fr.; pouftla pro-
vince 18 fr.; pourVëtranger 20 fr.
Insertions 25 centimes la ligne.
Réclames 50 •’V
SS Décembre.
Le Ministère et la relâche à Cônes.
Les raisons qu’oppose le ministère aux réclamations qui lui
sont faites par ie commerce n’ont pas la moindre consistance,
avons nous dit samedi dernier.
A quoi se réduisent-elles, en effet, abstraction faite des sottes
idées de méfiance que lui prête le journal des RR. PP.? A
ceci : — La loi est trop récente pour que l’on puisse en appré-
cier les effets ; puis des procès sont engagés, sont pendants de-
vant les tribunaux; il convient d’en attendre l’issue, avant de
prendre une décision.
Voilà les seuls arguments de MM. Malou et Dechamps, qui
se disent animés des meilleures intentions, mais sont, à leur
grandregret, obligés de ne pas faire ce qu’ils voudraient, à cause
de ces deux empêchements, invincibles aujourd’hui. Et voilà ce
que l’on appelle de la bienveillance, tandis que ce n’est qu’un
leurre hypocrite.
La loi est trop récente, disent-ils- Non, elle n’est pas trop
récente ; il y a deux ans et demi qu’elle est en vigueur, et cer-
tes ce temps a suffi de reste, pour que l’on ait pu apprécier, par
expérience, si les effets qu’elle est appelée à produire sont fa-
vorables ou funestes. Qu’ont-ils été, depuis le premier jour jus-
qu’à présent ? Demandez-le au commerce et à l’industrie belges.
Nous défions que l’on cite vingt individus qui en aient tiré un
profit direct, et le nombre de ceux qui ont à s’en plaindre est
trop grand, pour que nous puissions le déterminer d’une ma-
nière approximative. Comment aurait-il pu en être autrement,
lorsque la loi a produit précisément le contraire de ceque pro-
mettaient ses premiers pères, ses auteurs, et de ce qu’en atten-
daient quelques-uns de ses crédules partisans ?
Elle devait favoriser la navigation, au profit du commerce et
de l’industrie belges, développer la marine nationale et la ren-
dre puissante, disait-on.
Elle n’a rien favorisé du tout. La navigation a été entravée,
au détriment de ce même commerce et de cette même indus-
trie ; la marine nationale ne s’est pas enrichie ; elle est demeu-
rée, comme devant, incapable de pouvoir suffire à la centième
partie des besoins du négoce, et, puisque l’on a parlé de l'ex-
ploitation du pays par Ta spéculation étrangère, les navires
belges ont en grande partie servi à seconder cette même ex- :
ploitation. Combien, en effet, n’en a-t-on pas affrétés, pour
compte étranger, qui, partis sur lest d’Anvers, sont allés pren-
dre charge à Liverpool et nous • ont ramené directement des
denrées coloniales? Quel avantage, dans l’idée même de nos
adversaires, a-t-il pu résulter, pour le pays d’opérations de
ce genre ? aucun ; il n’a dû y avoir que du préjudice, et ce sont
précisément ces sortes de spéculations que la loi du 21 juillet
1844,qui leur semble si précieuse,favorise d'une façon toute par-
ticulière, grâce aux entraves que rencontrent à la relâche dans
les ports intermédiaires les naviresélrangersqui pourraientfaire
concurrence.Qui empêche,en effet,un négocianlanglais de louer
le navire d’un de nos armateurs ; de le faire conduire à vide
dans un des ports de la Grande-Bretagne, de le charger là de
manufactures anglaises, puis de l’envoyer soit à la Havane, soit
au Brésil, soit aux Indes, d’où il nous ramènera, avec privilège
et toujours pour compte anglais, du sucre, du café, ou d’aulres
produits transatlantiques ? ce sont là de ces manoeuvres com-
merciales trop faciles et trop lucratives en même temps, pour
que les spéculateurs étrangers ne les pratiquent pas ; aussi les
pratiquent-ils fréquemment, et plus on met d’entraves à la
relâche des navires étrangers, plus on les y encourage en les
favorisant.
Puis, est-on le bien venu à faire ne fùl-ce qu’une simple al-
lusion à l’exploitation de la Belgique par l’étranger, lorsqu’on
a, par le fait même de l’institution des droits différentiels, et
comme première conséquence dp la loi du 21 juillet 1844, livré
à la Hollande une grande partie de notre marché de consom-
mation ?
Cette même loi devait créer un grand marché en Belgique.
— Mais comment aurait-elle pu produire cette merveille, à
l’aide de mesures restrictives ? Le premier élément, l’élément
essentiel de tout grand marché, c’est l’abondance de la mar-
chandise, et qu’a-t-on fait, pour créer un grand marché en Bel-
gique? On a précisément repoussé les navires qui amenaient
la marchandise, c'est-à-dire l elément essentiel. On a consé-
quemment fait tout le contraire de ce qu’on devait; aussi, loin
d’agrandir le marché belge, l’a-t-on rétréci ; loin de protéger
les ports belges, a-t-on en réalité protégé les ports d’Amster-
dam, de Rotterdam, de Hambourg, qui ont reçu avec empres-
sement les cargaisons auxquelles les droits différentiels for-
çaient nos négociants de renoncer.
Après de tels résultats, diamétralement opposés à ceux que
l’on attendait et qui doivent nécessairement se reproduire sans
fin, parce qu’ils dérivent de causes naturelles, on ne saurait
donc être admis à prétendre que la loi est trop récente pour
être modifiée, car cela reviendrait à dire qu’un malade ne doit
être guéri que le plus tard possible.
Quant à ce qui est de la raison puisée dans les procès pen-
dants devant les tribunaux, ce n’est là qu’une mauvaise dé-
faite, car ces procès forment une question à part, et tout à fait
distincte des modifications que réclame aujourd’hui le com-
merce. D’un côté, il s’agit du passé , et, de l’autre, il s’agit de
l’avenir. Depuis quand d’ailleurs les hommes d’Etat en sont-
ils réduits à remettre à des avocats et à des juges le soin de dé-
terminer,quels sont les bons ou les mauvais principes commer-
ciaux? Les avocats et les juges peuvent être très habiles, pour
tout ce qui les concerne , mais comme ce n’est point là leur
affaire, que c’est avant tout celle des gouvernements, le minis-
tère, en alléguant ce prétexte, a fait l’aveu implicite de son
mauvais vouloir ou de son incapacité.
Quelle que soit, au reste, la décision des tribunaux, et nous
pensons qu’elle ne peut être que favorable au commerce, les
idées de M Malou se modifieront-elles d’une manière favora-
ble ? Non ! ceux qui en ont l’espérance se trompent. M. Malou
reculera peut-être, malgré la supplique du journal des RR. PP.
mais, il n’avancera pas.
Association Commerciale et Industrielle. — Souscrip-
tion en faveur de la classe nécessiteuse.
Messieurs les membres du comité central sont convoqués
pour jeudi prochain,à 6 heures du soir, pour arrêter les mesu-
res à prendre en faveur de la classe ouvrière, pendant la saison
rigoureuse.
Le Moniteur de ce jour publie un arrêté royal qui proroge
jusqu’au 31 décembre 1847, le terme de la loi du 18 juin 1842,
relative au régime d’importation et transit direct et par en-
trepôt.
On lit dans le Politique:
Le ministère se préoccupe beaucoup de la candidature de M. Mossel-
man, au Sénat.
Il a engagé M. Lehoye, président du tribunal de Nivelles, à se mettre
sur les rangs, M. Lehoye a eu le bon sens de repousseriez avances
qui lui étaient faites.
On parle aussi de M. Gilez, parent de M. le comte de Beaufort.
Nous ne pensons pas que ces tentatives aient la plus petite chance
de succès.
On écrit d’Aix-la-Chapelle, le 24 :
Il y a quelque temps, nous avons communiqué un mémoire des in-
dustriels du Rhin inférieur, dans lequel ils exposaient les désavantages
résultant pour la Prusse du traité hollando-belge et de la nécessité oû
se trouverait le gouvernement d’intervenir à cet effet. Nous apprenons,
que la chambre de commerce d’Aix-la-Chapelle et de Burtscheid s’est
prononcée dans le même sens. (Gazelle d’Aix-la-Chapelle.)
On écrit d’Amsterdam à la Gazette de Cologne sous la date du
19 décembre :
« On commence à comprendre chez nous les avantages qui doivent
résulter pour nos rapports avec nos colonies de l’Inde, de l’organisa-
tion d’une voie de communication avec l’Asie plus prompte et indé-
pendante de l’Angleterre. La Société de Commerce des Pays-Bas voue
toute son attention à la route par Trieste, et recevra directement par
le voyage d’essai du mois de février ses dépêches par la voie de Colo-
gne et de Trieste. Il est vrai que toutes les espérances que la route nou-
velle a fait concevoir ne recevraient leur entière et complète réalisation
que lorsque les chemins de fer de Trieste au Rhin auront été construits.
Les Français hâtent la construction du chemin de fer de Marseille, tan-
dis qu’en Allemagne le sort des sections d’Arnhem à Duisbourg, de
Bonn à Mayence, de Bretlen ou de Carslruhe à Stultgardt, d’Ulm à
Augsbourg et de Munich à Bruck-sur-la-Mur est encore indécis. Cette
dernière ligne est surtout importante, et les nouvelles de Vienne font
espérer qu’elle sera construite.
u Ce n’est pas sans étonnement que nous avons appris de Bruxelles
que le ministre belge des travaux publics, M. de Bavay, malgré le con-
trat existant avec le Lloyd autrichien, a formellement défendu qu’on
continuât de tenir prêt à Verviers un convoi spécial pour le transport
des dépêches à Ostende, et que déjà des démarches ont été faites pous
que la question soit portée devant les chambres belges. Je puis vou
annoncer de bonne source que ce refus n’a pas peu contribué à la re-
prise du projet d'un chemin de fer de Dusseldorf à Flessingue, et qu’il
pourra aider à sa réalisation. Ce dernier port de mer présente pour
l'embarquement et le débarquement rapide des avantages si grands
qu’ils compensent suffisamment le petit détour que la ligne projetés
nécessiterait. » .
JAPON.
On lit dans le Courrier du Havre :
Nous avons appelé l’attention du commerce sur l’expédition de l’ami-
ral Cécile au Japon, et nous lui avons fait connaître la démarche que
le roi des Pays-Bas avait faile auprès de l’empereur de ce pays lointain,
pour l'engagera entrer de bon gré en relation avec le commerce eu-
ropéen. sous peine de se voir traiter comme les Chinois l’ont été par
les Anglais.
Nous avons dit aussi que l’empereur dédaignant ces ouvertures,
avait, au contraire, déclaré que l’exemple de la Chine le fortifiait dans
son système d’isolement, et que cet empire n’était entamé que parce
qu’il avait eu la faiblesse d’accorder aux étrangers trop de facilités
pour pénétrer dans son territoire.
Comme on le pense bien, une question decelle importance ne peut
en rester là. et l’Angleterre, moins dédaigneuse que nous de débou-
chés à l'extérieur, quelque éloignés qu’ils soient, s’occupe du Japon
avec cette activité persévérante qu'elle apporte aux affaires qui inté-
ressent son commerce. Il y a, ce nous semble, quelque chose à faire
ici de la part de notre gouvernement, car nous n’admettons pas que
M. Cécile, ait.de son autorité privée, fait cette pointe au Japon.Il avait
probablement ses instructions, et son excursion n’y aura été que le
préliminaire d'une expédition plus sérieuse. En attendant, voici ce
que nous lisons dans le Morning-AdverUser :
Les journaux français ont annoncé que le roi des Pays-Bas avait
adressé à l’empereur du Japon une lettre pour l’inviter à établir des
relations commerciales avec l’Angleterre, mais que l’empereur avait
répondu que la meilleure politique pour un pays était d’éviter tout
contact avec les étrangers, et que la Chine n’aurait pas éprouvé les hu-
miliations qu’elle avait subies de la part des Anglais, si elle leur avait
constamment défendu l’accès du pays.
Les journaux français expliquent ainsi la non réussite de la mission
qu’avait reçue le contre-amiral Cécile, qui avait été chargé de négo-
cier un traité de commerce avec l’empereur du Japon. Le but qu’on se
propose se devine aisément. Là où la France ne réussit point, ou désire
qu'aucun autre peuple européen ne réussisse, car son triomphe serait
une preuve de sagesse et d’influence supérieure. Sans examiner si les
lettres dont on nous parle ont été réellement écrites, nous croyons
pouvoir démontrer que l’intervention inutile du roi des Hollandais et
la mission infructueuse du contre-amiral Cécile ne doivent point dé-
courager l’Angleterre. Au Japon, comme parloutailleurs, ou comprend
très bien la différence qui existe, sous le rapport maritime, entre notre
nation et toutes les autres. En sorte que nous pourrions espérer de
voir nus négociations avoir une issue plus heureuse que celles de la
France, delà Russie ou de la Hollande.
L’erreur capitale de tous ceux qui se sont rendus en embassade au
Japon, a été de prendre un ton trop humble vis-à-vis de l’Empereur ;
ils ont eu le tort de laisser s’accréditer cette idée que leurs souverains
se trouvaient dans un état d’infériorité à l’égard du souverain du Ja-
pon. Il faut que nous changions de système, et que nous fassions
comprendre à l’Empereur du Japon que’la Grande-Bretagne, en appe-
lant son attention bienveillante sur les demandes du commerce, n’est
pas dans une position à souffrir qu'on la traite avec dédain, ou que
l’on renvoie ses ambassadeurs sans avoir examiné sérieusement l’af-
faire qui les a amenés.
Veut-on appuyer les demandes d'un ambassadeur ? que i’on organise
l’ambassade d’une manière qui soit à la fois digne de la Grande Breta-
gne et du Japon, et nous croyons que notre ambassadeur, s’il était ha-
bile, réussirait dans sa mission ; d’ailleurs, nous avons fait autrefois le
commerce avec les Japonais dans les termes de la plus parfaite égaliié,
et si nous cherchons aujourd'hui à renouer nos relations avec eux. ils
ne sauraient nuus soupçonner de vouloir raetlre la force à la place de
la raison. Nos prétentions sont justes et bien fondées, et si l’on sait les
faire valoir, la Cour du Japonles reconnaîtra certainement.
GRECE.
On écrit d’Athènes, le 6 décembre : Une note du ministre Kolelti,
adressée à sir Lyons en réponse à celle de lord Palmerston, éloigne les
reproches que celui-ci avait adressées au gouvernement grec pour
avoir fait revenir des kandiotes émigrés en Turquie par des moyens
trompeurs. M Koletti dit que la note adressée le IÖ novembre par le
gouvernement grec à la Porte ottomane, n’avait d’autre but que de
maintenir les bons rapports en tre les deux cabinets. Quant à la négli-
gence du ministère grec de réprimer les désordres de l’intérieur. £ >-
letli repousse ce reproche de la manière la plus énergique. Cel le insinua-
tion,bien qu’émanent d’un cabinet ami,serait attentatoire à l’honneur
d’un pays dont les puissances, qui ont aidé à la constituer, dévi aient
avoir à cœur de respecter la dignité et l’indépendance.
De nombreux témoins pourraient attester que loin délaisser impu-
nis les crimes, les assassinats, etc. Le gouvernement grec ne se lasse
pas de garantir la sûreté publique. Pour le prouver, on n’aurait qu’à
mettre en lumière les progrès du commerce et de l’agriculture. En
faisant parvenir au cabinet anglais une réponse si injustement imposée,
le gouvernement grec déclare accepter toujours avec reconnaissance
des conseils , mais il ne cache pas en même temps la douleur que lui
causent des accusations blessantes pour l’honneur de la nation, du roi
et de son gouvernement.
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FEUILLETON*
AGNÈS SÎJ’. nÉKANIE.
Agnès de Méranie a obtenu un succès digne de l’auteur de Lucrèce-
Nous publierons une appréciation littéraire de cette œuvre nou-
velle de M. Ponsard ; mais dès aujourd’hui, nous mettons sous les
yeux de nos lecteurs, un article très remarquable que nous trouvons
dans VEpoque, et qui apprécie avec une netteté de vue et une haute
raison.les erreurs historiques qui fourmillent dans la nouvelle tragédie.
L’article de l'Epoque écrit avec un rare talent, est une élude qui illu-
mine une époque loin de nous, mais qu’il importe de juger historique-
ment et non avec nos idées d’aujourd’hui.
On a représenté hier soir, au second Théâtre-Français, une tragédie
dans laquelle se trouvent discutées des questions très importantes et
très délicates d’histoire, de morale et de religion. Le nom de l’auteur,
M. Ponsard, qu’un succès subit, considérable et justifié à plus d’un
titre, recommandait à la sympathie publique, la présence d’un grand
nombre d’hommes éminents dans la politique et dans les lettres, les
questions traitées dans l’œuvre dramatique, tout cela s’est réuni pour
donner à cette représentation la proportion d’un événement; et en
laissant à d’autres le soin de juger l’œuvre littéraire, nous avons cru
que des questions élevées, difficiles, de tons les temps et de tous les
pays, des questions qui louchent à la famille, à l’autorité religieuse, à
l’indépendance des gouvernements politiques, méritaient de notre
part quelques mots d’explication.
Il s’agit, dans cette tragédie, du mariage de Philippe-Auguste avec
Agnès, fille du duc de Méranie. On sait qu’avant d’épouser Agnès, en
M96, Philippe-Auguste, déjà veuf, avait, trois ans auparavant, épousé
Ingelberge, fille du roi de Danemarck, de laquelle il s’était séparé, et
qui vivait alors dans un couvent. Le pape Innocent 111 mit le royaume
de France en interdit, l’an 1200, à cause de la répudiation d’Ingelberge,
et ne le fit lever que sept mois après, sur la promesse du roi de repren-
dre la reine délaissée. Voilà toutlesqjet de la tragédie, dans laquelle
trois personnages, Agnès, Philippe-Auguste et le légat du pape discu-
tent, pendant cinq actes, les questions de la famille, du divorce, du
pouvoir spirituel et de l’indépendance politique des princes. C’est sur
ces questions que nous avons cru nécessaire de dire quelques mots.
A notre avis, aucun des trois personnages dont il s’agit ne dit ce
qu’il devrait dire, dans la situation où il est et dans la thèse qu’il sou-
tient. Nous allons nous expliquer.
D’abord, il nous parait impossible de n’être point choqué du langage
du roi et d’Agnès, l’un par rapport à l’autre. C’est un langage qui peut
convenir à des amants, à des fiancés que l’on voudrait séparer, mais
qui n’a pointée caractère grave, posé, calme, digne qu’inspire le ma-
riage et que dictent les sentiments toujours sévères de la famille.
Quand le légat veut séparer le roi et Agnès, ils étaient unis depuis
quatre années, et ils avaient deux enfants ; celte circonstance été à
l’amour ce qu’il pouvait avoir non pas de tendre et de;profond, mais
ce qu’il pouvait avoir d’efféminé, d’affecté de romanesque, soit dans
l’idée, soit dans la parole. L’homme le plus réellement affectueux ne
dit pas à la mère de ses enfants ce qu'il dit à sa maîtresse, ou même à
sa fiancée. L’amante peut être jalouse, et intéresser en le disant ; mais
Agnès, se prétendant femme légitime de Philippe-Auguste et ne vou-
lant pas se séparer de lui,.de crainte qu'il n’en aime une autre, n’a pas
conscience de ses droits ni de ses devoirs de mère, outrage le père de
ses enfants eu l'accusant par avance d’adultère, et dégrade son carac-
tère d’épouse en avilissant, par un doute injurieux, le caractère de
son inari.
De toutes les paroles que le légat dit à Philippe-Auguste et à £gncs,
la plus terrible et la plus poignante, sans contredit, est la seule qu’ils
ne relèvent pas : « Vos enfants seront bâtards ! » Mon Dieu, un homme
et une femme à qui l’on dit : vos enfants seront bâtards, c’est-à-dire
déchus moralement.civilement, c’est-à-dire dégradés par avance au
nom de la loi et du monde, c’est-à-dire retranchés de la famille, c’est-
à-dire privés de l’honneur et du bonheur de pouvoir dire publique-
ment : mon père ! et de s’entendre dire, mes enfants ! un homme à qui
l’on ravit la chose la plus douce, la paternité; une femme à qui l'on
ravit la chose la plus sainte, la maternité ; et qui oublient cette douleur
ineffable et suprême pour s’adresser des madrigaux, pour parler de
leurs belles amours, pour s’appeler son chevalier ou sa mie, cel homme
et cette femme n’ont ni cœur, ni entrailles, et ils mentent quand ils di-
sent qu’ils aiment, car ifs aimeraient surtout leurs enfants.
Nous trouvons donc que, dans l’œuvre qui nous occupe, le sentiment
de la famille n’a été ni véritablement compris, ni dignement exprimé ;
et que les paroles qui conviennent à Titus, épris de Bérénice, ne con-
viennent pas à un,père de famille qui parle à la mère de ses enfants.Phi-
lippe-Auguste, refusant de quitter Agnès, parce qu’en l’armant cheva-
lier on lui fit jurer de rester fiilèle à sa dame, est autant en dehors de la
vérité morale, qu’Agnès refusant de quitter Philippe-Auguste, parce
qu’il en aimerait une autre. Du reste, Philippe-Auguste est assez mal
inspiré en parlant à tout propos de sa fidélité à sa dame, lui qui, après
avoir fait venir d’Allemagne une jeune princesse et l’avoir épousée, l’a-
vait outrageusement reléguée dans une abbaye, reniant à la fois sa re-
cherche de fiancé, sa loyauté d'homme, sa parole de chevalier,
Venons aux questions historiques, politiques et religieuses et com-
mençons par celles que traitent entre eux Agrès et le légat.
Agnès se justifie de ne point vouloir quitter Philippe-Auguste : pre-
mièrement, sur ce qu’elle s’est mariée de bonne foi, la cour de Rome
ayant attendu cinqans avantde condamner le divorce d’Ingelherge, et
sur ce qu’elle n’était pas obligée d’étre plus savante sur le droit canon
que les prélats qui avaient célébré son mariage; secondement, sur ce
que, aimant le roi, en étant aimée,jet en ayant des enfants, il n’y avait
dans toute sa conduite aucun crime qui put justifier la colère du pape.
Voilà, en somme, les raisons données par Agnès. Qu’y répond le
légat? Heureusement, nous l’avons déjà dit, le légat ne répond rien do
ce qu’il devrait répondre, car autrement la tragédie ne durerait pas
un quart d’heure.
Sur le premier point, relatif au silence gardé pendant cinq ans par
la cour de Rome, sur le divorce d’Ingelberge, le légat donne pour
excuse la vieillesse deCélestin III, pontife incertain, lequel venait d être
remplacé par Innocent III Celle réponse et quelques autres pareilles
prouveraient que ce légat savait assez peu son métier, car le pontife in-
certain, quoique âgé de quatre-vingt-huit ans, avait donné un brel con-
tre le divorce de Philippe Auguste, et cassé la sentence des évêques
réunis à Cotnpiégiie, par lesquels le roi était parvenu à faire approuver
sa conduite; de telle sorte qu'innocent III, pape plus énergique, n’avait
fait néanmoins qu’exécuter la décision de son prédécesseur. Agnès
n’était donc pas fondée à alléguer le silence de Rome, qui s’étail pro-
noncée contre le divorce d’iugelberge, trois ans avant son propre
mariage. .
Sur le seeond point , relatif à la bonne foi d’Agnes , qui avait pu
croire, malgré la sentence du pape Célestin , à la légitimité de son
mariage, le légat ne sait que répondre,et il se borne, visiblement ému,
à dire : » Celui qu’il faut convaincre est à Rome ! » Ce n’est là rii la ré-
ponse d’un légat, ni la réponse d’un homme réfléchi,D’abord, un légat |