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1875-1876
N0 3.
2e A N N ÉE.
ABONNEMENTS
Belgique......fr. 25-00
Étranger......fr. 28-00(le port en sus.)
DIRECTION :
Rue Cans, 22, Ixelles.
L’ÉMULATION
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE
D’ARCHITECTURE
— DÉPOSÉ —
DE BELGIQUE
— DÉPOSÉ —
ANNONCES ET RÉCLAMES
A FORFAIT.
S’a resser rue des Palais, 193
SCHAERPEEK.
RÉDACTION :
Rue des Quatre-Bras, 5, Bruxelles.
— 19 —
— 20 —
— 21 —
Bruxelles, le 1er novembre 1875.
SOMMAIRE: La profession d’Architecte. E. A. — Mastic à base métallique. Note.
— Notes de construction : Le Sol. — Les concours. — Biblio-
graphie. — Faits divers. — Bordereaux de Prix.
La profession d’Architecte.
Dans notre première année et dans les deux pre-
mières livraisons de notre deuxième année, nous
avons soulevé diverses questions relatives à la posi-
tion de l’architecte dans la société moderne, et nous
nous sommes efforcés de faire ressortir ce que pré-
sente de vicieux la situation dans laquelle il s’y trouve
placé.
Nous avons présenté quelques observations quant
à la législation qui détermine la responsabilité de
l’architecte et du constructeur, et la façon dont la res-
ponsabilité est appliquée à chacun d’eux ; nous avons
signalé la fréquence des accidents et nous avons été
amenés à réclamer le certificat de capacité, le
diplôme, si l’on aime mieux.
Dans les deux premiers numéros de l’année en
cours de publication, l’un de nos collaborateurs a
soulevé la question des concours publics et, dans une
étude sérieuse, examiné l’organisation de ces con-
cours tant au point de vue de leur influence artistique
que de la garantie d’impartialité qui doit présider au
choix des lauréats. Se basant sur les résultats de con-
cours récents, il a recherché si les concours ouverts
en Belgique doivent être internationaux, ou si, seuls,
les artistes belges doivent être admis à y prendre
part.
Dans le cours de cet article, l’auteur a soulevé
aussi l’importante question de l’enseignement de
l’architecture en Belgique, se réservant d’en faire
une étude spéciale dans un prochain numéro.
Nous reviendrons souvent sur ces questions, car
nous sommes convaincus qu’il y a des erreurs, des
abus, et que notre devoir est de les combattre en ré-
clamant pour l’architecte (je dirais volontiers véritable,
proprement dit), les prérogatives accordées à certaines
professions, telles que celles d’avocat, de médecin.
De nos jours, il est un grand nombre de gens qui
se sont emparés du titre d’architecte sans se préoc-
cuper nullement des devoirs de la profession; sans se
demander s’ils ont les connaissances et les aptitudes
nécessaires pour les remplir dignement, sans même,
bien souvent, connaître ou comprendre les prescrip-
tions de la loi quant à ces devoirs de la profession.
Parmi ces nombreuses personnes qui ont pris le
titre d’architecte, il en est peut-être une bonne moitié
qui n’ont, comme études préalables ou élémentaires,
que quelques années de pratique en qualité de maçon
ou d’entrepreneur, et dont quelques-unes n’ont quitté
la profession première qu’après avoir éprouvé les
soucis de constructions peu réussies, d’accidents qui
ne doivent étonner personne (eux surtout) ou d’entre-
prises malheureuses.
Pour cette profession même nous n’hésiterions pas
un seul instant a réclamer une épreuve, un examen
peut-etre, avant d’autoriser qui que ce soit à exposer
tous les jours l’existence de bon nombre d’ouvriers
aux hasards d’une construction hardie à force d’être
risquée ; nous le réclamerions si nous n’avions à côté
de l’entrepreneur responsable, Yarchitecte, tout aussi
responsable dans notre esprit, qui le guide, qui le
dirige dans l’exécution.
Mais il est une question qui nous revient sans cesse
à l’esprit, parce qu’elle n’est nullement résolue quant
aux professions dont nous nous occupons.
Suffit-il de déterminer la part de responsa-
bilité DE L’ARCHITECTE ET DE L’ENTREPRENEUR; LA
LOI A-T-ELLE FAIT TOUT CE QUELLE DOIT A LA SOCIÉTÉ
EN DÉTERMINANT LES PÉNALITÉS A INFLIGER EN CAS
D’ACCIDENTS ET SON DEVOIR NE COMPREND-IL PAS AUSSI
LA DÉTERMINATION DE MESURES DESTINÉES A PRÉVENIR
LES ACCIDENTS EUX-MÊMES?
La loi, prenons un exemple au hasard, ne s’est pas
contentée de punir le droguiste coupable d’un acci-
dent quelconque, en vendant, par erreur, quelque ma-
tière nuisible ; mais n’a-t-elle pas, à côté de ce commer-
çant, placé le pharmacien qui doit, lui, prouver qu’il
connaît les matières nuisibles et celles qui peuvent en
combattre l’action funeste et quelquefois mortelle.
Le cas n’est-il pas identique quant au commerçant
(l’entrepreneur) qui nous fournit des mètres cubes de
maçonnerie, de pierre ou de bois, et l’architecte
(l’homme de science), qui doit, tous les jours, prouver
qu’il sait déterminer qualitativement et quantitative-
ment les matériaux à employer, qu’il sait comment ces
matériaux doivent être placés.
A notre point de vue, et nous croyons que c’est
bien là la pensée du législateur, la responsabilité est,
si non plus grande pour l’architecte, au moins égale
pour celui-ci et l’entrepreneur. Cela ressort avec évi-
dence de la position de ces deux personnes l’une vis-
à-vis de l’autre ; l’architecte étudie la construction
projetée non-seulement au point de vue technique de
la bonne distribution, du confort et de l’hygiène, non
seulement au point de vue artistique, mais encore
(du moins cela doit être,) à celui, tout pratique et
très-important, des moyens d’exécution de l’œuvre
qu’il a conçue.
A ce moment l’entrepreneur se met à l’œuvre et
non-seulement demande aux dessins qui lui ont été
remis les principes de la construction qui lui est con-
fiée, mais encore reçoit chaque jour de l’architecte,
les renseignements, les explications qui lui sont né-
cessaires.
Concluons : l’architecte conçoit et dirige l’exécu-
tion conforme aux dessins ; l’entrepreneur fournit les
matériaux et la main d’œuvre. A celui-ci de fournir
des matériaux résistants, de bonne qualité, afin de
prévenir les accidents qui résulteraient infailliblement
de l’emploi de matières ne présentant pas les quali-
tés quelles doivent posséder. A celui-là de prévoir
les difficultés de construction, telles que porte à faux,
surcharges, poussées, etc., et de prendre toutes les
mesures nécessaires.
En outre, dans les questions de construction quel-
que peu difficiles, l’architecte et l’entrepreneur se
consultent souvent ; cela ne fait-il pas ressortir que
les responsabilités sont au moins équivalentes : c’est
ce que nous voudrions voir admettre, c’est ce qui nous
fait insister pour l’examen de cette question si impor-
tante.
L’architecte (nom que nous devons selon toute pro-
babilité au seizième siècle) était jadis dans de tout
autres conditions : le maître de l’œuvre, comme on
l’appela dès le treizième siècle, était chargé de la con-
ception, de la composition et de la conduite des tra-
vaux du bâtiment qui lui était confié. Il s’occupait
non-seulement de la construction, mais encore de tous
les détails accessoires, tels que l’ameublement, les ta-
pisseries, etc.
Les ordres religieux qui, seuls, jusque vers le mi-
lieu du treizième siècle, s’occupaient d’arts et de
sciences, donnaient au monde non-seulement les sa-
vants et leurs découvertes; mais encore les artistes
qui ont créé des édifices si remarquables, dont un
bon nombre, malheureusement, ont disparu. Cela
résulte peut-être de l’organisation des écoles de Char-
lemagne, qui a subsisté, semble-t-il, du neuvième au
douzième siècle, quoique cependant à la fin du dixième
siècle, — celui qui devait voir la fin du monde
dont la prédiction avait plongé l’occident dans une
indifférence complète des arts et des sciences, — ces
écoles aient subi une secousse dangereuse pour leur
existence. Mais les religieux qui les dirigeaient et les
novices qui en suivaient les cours n’en continuèrent
pas moins leurs travaux, et nous voyons prospérer le
monastère que quelques moines bénédictins avaient
fondé au milieu du dixième siècle : l’abbaye de Cluny.
L’Europe entière connut à cette époque les docteurs de
la célèbre abbaye, que nous voyons fonder à Paris,
dès le onzième siècle, le collège Cluny (devenu la
Sorbonne).
C’est vers cette époque aussi que fut érigée l’im-
mense église de Cluny, fondée par saint Hugues et
dont un belge, l’abbé Ezelon, chanoine de Liége,
dirigea la construction.
Les moines de Cluny et de Citeaux formèrent au
onzième et au douzième siècle une école d’architec-
ture ; c’est à elle que nous devons les superbes édifi-
ces et les admirables fragments de la fin de l’époque
romane et de la transition.Les moines réguliers ne sé-
journaient pas constamment dans le même monastère,
et en voyageant de couvent en couvent, ils se com-
muniquaient leurs observations, le résultat de leurs
études particulières. Il en résultait donc une grande
unité dans leurs conceptions, au point de vue du style.
C’est dans une de ces excursions peut-être que saint
Bernard de Citeaux remarqua la vallée de la Thyle
où plus tard quelques moines de son ordre vinrent
fonder la grande abbaye de Villers.
C’était toujours un ecclésiastique qui dirigeait l’exé-
cution des bâtiments et les moines travaillaient sous
ses ordres. C’est lui, maître de l’œuvre, qui étudiait
l’édifice et donnait toutes les instructions nécessaires
aux moines-ouvriers.
Pendant le douzième siècle l’esprit civil se réveille
et prétend aussi avoir sa part de priviléges et de li-
bertés ; pendant un siècle il lutte contre la noblesse et
le suzerain et au treizième siècle enfin, la grande con-
juration du peuple de chaque cité, subdivisée en ligue
de citoyens par corps de métier ou corporations, par-
vient à se faire reconnaître par le pouvoir. Chaque
corps de métier eut ses apprentis, ses compagnons
et ses maîtres.
L’Architecture sortie du monastère devint un état,
et eut la même organisation. On reconnaissait les
compagnons passants et étrangers, et l’on recevait
successivement les grades d’affiliés, reçus, finis et
initiés. Au XIIIe siècle, la franc-maçonnerie s était
répandue en Allemagne et en Angleterre ; les abbés
et les prélats faisaient partie de la corporation, et
dans l’érection des édifices, on voyait les compagnons
subdivisés en groupes, en brigades de dix hommes
conduits par un maître-maçon.
Cette remarquable organisation, qui réunissait tous
les membres d’une corporation par les liens de la hié-
rarchie et de la fraternité, eut une grande influence
sur les progrès de l’architecture ; le maître de l’œuvre
qui n’obtenait ce grade qu’après avoir fait ses preuves,
possédait les principes résultant de plusieurs siècles |