Full text |
1878.
N° 6.
4e ANNÉE.
ABONNEMENTS
S’adresser rue de la Pompe, 5
BRUXELLES
ADMINISTRATION
Boulevard du Hainaut, 74
Bruxelles
L’ÉMULATION
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE
D’ARCHITECTURE
DE BELGIQUE
— DÉPOSÉ —
BUREAUX : RUE DE LA POMPE, 3, BRUXELLES
— DÉPOSÉ —
ANNONCES & RÉCLAMES
A FORFAIT
S’adresser rue de la Pompe, 5
BRUXELLES
DIRECTION —RÉDACTION
Rue des Quatre-Bras, 5
Bruxelles
— 37 —
Bruxelles, Juin 1878.
— 38 —
— 39 —
SOMMAIRE
Concours pour la construction d’un musée des Beaux-
Arts à Anvers. — Le monument à la mémoire du roi
Léopold I. — A nos abonnés et confrères. — Anvers.
Concours pour la construction de maisons d’ouvriers.
Compte-rendu. — Correspondance. — Faits divers.
Concours pour la construction d’un Musée des Beaux-Arts à Anvers
Nous lisons dans la Fédération artistique l’ar-
ticle suivant, que nous croyons utile de placer sous
les yeux de nos lecteurs :
“ Nous trouvons dans la Meuse, de Liége, la
lettre suivante, envoyée d’Anvers à ce journal, à la
date du 3 juin :
“ Il y a des peintres qui ne peignent plus, dans
le vrai sens du mot, comme l’Anatole de Manette
Salomon. Si parfois on les voit reprendre palette
et pinceaux, c’est que les amis chez lesquels ils
trouvaient toujours leur rond de serviette sont en
voyage. Ainsi que le loup chassé du bois par la
faim, tiraillé par ce tyran qui se nomme l’estomac,
on les rencontre alors, quêtant des travaux infimes,
bien heureux d’accepter même des enluminures
pour les marchands d’images.
“ Le sculpteur qui ne sculpte pas nous a été
révélé par Sardou dans Piccolino. C’est Annibal, le
grand Annibal qui épate le brave pasteur en lui
disant : “ Une supposition que j’aie à faire votre
statue, que diable voulez-vous que je fasse d’un
bonhomme comme vous ? A ses yeux, nous som-
mes trop laids, nous manquons de ligne, de galbe
et notre affreux costume moderne est anti-sculp-
tural.
“ Je vous présente à mon tour l’architecte qui
n’édifie rien. A-t-il du talent? Oncques ne le sait.
On a cependant pas mal bâti depuis dix ans, et pas
une maison, ne coutât-elle que mille francs de loyer,
n’a été construite, que je sache, d’après un plan
portant sa signature.
« Lorsqu’il parle—et il a la langue bien pendue,
je vous l’atteste — des projets qu’il avait conçus
pour tel ou tel monument érigé à Anvers, et qu’on
lui demande pourquoi ses projets n’ont jamais vu
e soleil, il vous répond que c’est parfaitement
superflu.
“ Tout est donné à l’avance, prétend-il; il n’y a
plus de justice; nous vivons sous le règne de la
faveur. Tous les concours sont des mystifications,
et il se garde bien d’y prendre part, étant certain,
vu la raideur de son échine et les appuis sérieux
lui faisant défaut, de ne jamais être premier. A
quoi bon alors faire cadeau de ses idées à ses con-
frères, des pillards, des plagiaires, des recommen-
ceurs de tout ce que l’on connaît?
“ S’il se rencontre, dans les petits cénacles ou
dans certains cabarets, des gens qui le considèrent
comme un Mansard ou un Violet-Le-Duc, il en est
d autres, et je suis de ceux-là, qui ne voient en lui
qu’un impuissant doublé peut-être d’un paresseux.
“ Comme je vous le disais tout à l’heure, il s’ex-
prime fort bien, et lorsqu’il n’est pas question de
ses monuments grandioses en style du dix-neu-
vième siècle, qu il affirme avoir créé, car il est de
son temps en architecture, il tient parfois des dis-
cours fort sensés. Je n en veux pour preuve que ce
qu il racontait l’autre soir dans une réunion d’in-
times, à propos du nouveau musée d’Anvers, pour
lequel un second concours vient d’être jugé néces-
saire.
« — Ce n’est pas la première fois, s’écriait-il, que
nous voyons un concours annule. Cela est arrivé à
Paris lorsqu’il s’est agi du Grand-Opéra. Seule-
ment, M. walewski, alors ministre, bien que le
concours fut médiocre, décida que les primes pres-
crites par le programme seraient quand même
accordées aux auteurs des meilleurs projets.
“ Que constatons-nous à Anvers? Un jury nommé
par la ville examine les plans envoyés , en classe
cinq, dont deux excessivement remarquables, et
après mûres délibérations, force calculs, regrettant
qu’aucun d’eux ne soit inexécutable pour la somme
fixée de deux millions, pose les conclusions sui-
vantes :
“ 1° Le concours est à recommencer entre les
cinq premiers d’après un nouveau programme ;
“ £° Les plans des lauréats devront quand même
être primés.
“ Que fait la ville? Elle accepte avec enthou-
siasme le premier paragraphe, mais refuse carré-
ment d’adhérer au second.
“ Comment la trouvez-vous celle-là? Je suppose
que je sois un des concurrents choisis —je ne le
serai heureusement jamais,mais enfin je le sup-
pose. — J’ai une clientèle que je vais négliger, pas
vrai? Si des travaux se présentent, je les renvoie,
absorbé par la confection de dessins ayant deux
mètres et demi de largeur. Je cours à Vienne, à
Berlin, à Munich, à Dresde examiner ce qui existe,
à Dresde surtout, un article du programme recom-
mandant expressément de s’inspirer du système
d’éclairage établi au Musée de cette, ville. Je fais
des sacrifices de temps, d’argent, et quand j’ai la
chance d’être tiré hors du pair, qu’un jury ayant
tout pouvoir déclare que j’ai droit à une prime, on
remet tout en question avec un programme nou-
veau, et, comme on dit vulgairement, je puis me
fouiller. Travailler pour l’empereur d’Allemagne
est une expression qui avait bien vieilli. Je pro-
pose, à l’avenir, de la remplacer par “ travailler
pour l’Administration communale d’Anvers.
“ Soyons juste : si la ville modifie son pro-
gramme, c’est qu’il était défectueux. Pourquoi en
faire pâtir les lauréats? Notez bien, et vous verrez
si je suis bon prophète, que le second concours
n’aboutira pratiquement pas plus que le premier,
la superficie du terrain étant restée la même et l’un
des conseillers communaux les plus compétents en
fait de bâtisse ayant déclaré que la somme de deux
millions serait, dans le second comme dans le pre-
mier cas, toujours insuffisante.
“ Eh bien ! Je vous le dis sans ambages, si j’étais
l’un de cinq élus, je ne voudrais plus entrer en lice.
R est incontestable si mon travail avait un mérite
quelconque comme lignes ou comme dispositions
intérieures, que son exposition publique a permis
à mes concurrents de profiter de mes trouvailles et
que rien ne me prouve qu’ils ne se les approprie-
ront pas.
“ Vous pourriez faire de même, me direz-vous ;
c’est vrai, mais je ne le ferais pas et c’est pourquoi
je m’abstiendrais.
“ Oh ! Attendez, je n’ai pas fini. Vous me deman-
dez comment la ville eût dû se tirer d’affaire lors-
que le jury affirmait que la somme portée au budget
était insuffisante? J’y arrive. Voici, moi, ce que
j’aurai résolu :
“ 1° Pas d’exposition publique des projets;
“ 2° Mise sous scellés des plans primés et per-
mettant à leurs auteurs d’en prendre des calques
pour leur usage ;
“ 3° Considérant que le seul grief reproché aux
lauréats était d’avoir mis au monde des projets trop
dispendieux, seul motif qui obligeait de n’en accep-
ter aucun, j’aurais demandé à chacun d’eux de sim-
plier le sien en restant dans la donnée première.
J’aurais fait, en sens inverse, ce qui se pratique
dans tous les concours d’Académie, où l’on produit
une esquisse que l’on transforme en rendu en
l’achevant dans l’esprit de la composition. Et voilà.
“ Il est bien entendu que je laisse à mon archi-
tecte du xIxe siècle toute la responsabilité de ses
conclusions. J’ignore, quant à moi, comment un
jury aurait osé prendre la responsabilité de classer
des projets sans le contrôle d’une exposition publi-
que. C’est alors que l’on eût crié à la faveur et à
l’injustice. Lorsqu’il s’agit du concours pictural
pour le prix de Rome, on n’exhibe pas les esquisses,
il est vrai, mais les tableaux exécutés d’après les
six meilleures sont soumis, après jugement, à l’ap-
préciation du public.
“ Dans tous les cas, il est bien dur pour un artiste
qui, le plus souvent, en est à ses débuts, d’avoir
travaillé en pure perte, et je suis fort surpris que
nos édiles, si larges d’ordinaire, n’aient pas, con-
trairement à l’avis du jury, nommé par eux et dans
lequel ils devaient avoir entière confiance, trouvé
l’allocation des primes chose tout équitable.
“ Cette façon d’agir, je le crains fort, pourrait
avoir pour résultat d’éloigner du second concours
des gens de valeur, dont on pouvait attendre d’ex-
cellentes choses et qui sont, pour l’heure, complé-
tement découragés. “
“ J’ignore quel peut être l’architecte platonique
et disert mis en scène par le spirituel correspondant
de la Meuse. Mais imaginaire ou non, il exprime
sous une forme humoristique des vérités assez
tristes à constater et que pour ce il faut examiner
sans faiblesse.
“ Le Conseil communal d’Anvers, en annulant le
concours du nouveau Musée a, comme le fait
observer la Meuse, suivi la ligne de conduite
adoptée pour le nouvel Opéra de Paris, avec cette
différence que, lorsque le gouvernement français
maintenait la prime à des concurrents au-dessous
de leur tâche, Anvers, où cinq à six projets d’un
mérite réel et deux au moins franchement remar-
quables étaient fournis, se borne tout simplement à
casser le concours sans accorder aucune indemnité
aux architectes distingués par le jury. Et cepen-
dant, ce même jury, en concluant à l’annulation
du concours, pour la raison qu’aucun des plans
fournis ne pouvait être exécuté pour la somme sti-
pulée, concluait non moins carrément au maintien
des primes, juste indemnité des travaux, des frais,
des voyages et des études supportés par les vain-
queurs d’un tournoi sans résultat.
“ L’Opinion d’Anvers a fait clairement ressortir,
dans un des articles, l’inconséquence du vote émis
par la majorité du Conseil communal. Le concours
annulé, — et pourquoi? par suite de défectuosités
contenues dans un programme imposé à la légère,
— la ville en institue un second, mais dans des con-
ditions plus avantageuses. Seulement, au lieu de se
montrer logique, et de reprendre la chose ab ovo,
on reconnaît moralement le mérite des plans jugés
supérieurs, en décidant que les cinq premiers
artistes classés, mais non primés auront seuls le
droit de reconcourir.
« Mais songe-t-on bien que de ce chef on accorde
à ces artistes un privilége encore plus criant, peut-
être, que le déni de justice dont ils ont été victimes
en se voyant privés de l’indemnité promise à leurs
consciencieux travaux ?
“ Expliquons-nous. ;
“ Dans la séance du,Conseil, où la mesure en
question a été prise, un homme du métier, un spé-
cialiste , homme compétent et dont l’expérience ne
peut être mise en doute, M. l’architecte Rex, mem-
bre du jury, déclarait que d’aucune façon, un nou-
veau Musée, même établi dans les conditions les
moins monumentales, sur la superficie indiquée
par les exigences du programme', ne pouvait être
réalisable pour la somme de deux millions.
“ Et c’est cependant cette somine de deux mil-
lions, fixée comme maximum, dont on s’est servi
pour assommer les artistes assez audacieux pour
tenter l’aventure, comptant bien sur une majora-
tion qui, jusqu’à ce jour, en fait de monuments
publics, n’avait jamais été réfusée.,
“ Or combien d’architectes éminents, et qui
auraient peut-être fourni des plans supérieurs, ne |