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1845. — Hï,° 889.
ANVERS, Jeudi 16 Octobre.
(Diitéiue Année.)
LE PRÉCURSEUR
On 8’ato>ot*v\m /
A. Anvers au bureau du Précur-
seur, Bourse Anglaise, N» 1040;
en Belgique et à l’étranger chez
tousles üirecteursdes Postes.
JOURNAL POLITIQUE, COMMERCIAL, MARITIME ET LITTERAIRE.
PAIt. — LIBERTE. — PROGRES.
f*.r iHmntr*.
Pour Anver*, 15fr ; pour la pr*>
vin ce 18 fr.; pour l’étranger 20 fr*.'
Insertions 2b centimes la ligne.
Réclames 30 » •.___ »
tB Octobre.
Elections.
Il est du plus grand intérêt des partis d’être logiques. Pour
démontrer au gouvernement que les jugements politiques du
pays ne sont ni un caprice ni un entrainement, il faut qu’il y
ait solidarité entre les actes de même nature et de même por-
tée qui se succèdent.
Les élections communales vont bientôt avoir lieu dans notre
ville. Nous avons déjà émis notre pensée sur l’esprit que nous
espérons y voir présider, mais nous n’en aimons pas moins voir
notre opinion continuer à prévaloir dans cette nouvelle circon-
stance. 11 nous semble qu’il est de l’intérêt de la ville d’Anvers
de ne point se voir exposée aux railleries et au mépris de cette
presse dont elle a repoussé les conseils avec une patriotique
énergie.
En elfet, la presse rétrograde, la presse anti-commerciale,
la presse enfin, qui a intérêt à obscurcir toutes les questions
qui ne sont pas en harmonie avec ses prétentions illibérales,
cette presse, disons-nous, ne compte pour donner quelque vie
à sa défaillante polémique que sur la division qui pourrait naî-
tre entre les hommes importants des grandes cités.
Elle n’ose pas annoncer officiellement que c’est là le plus
cher de ses vœux, mais ce vœu est au fond de son cœur. Il y a
mille moyens d’arriver sournoisement à un premier résultat, et,
pour notre part, nous sommes tentés de croire que le parti
qu’elle représente, n’est pas entièrement étranger aux querel-
les qui nous ont affligés qui se sont fait jour à Liège, et ont
manqué de diviser également les libéraux de Bruxelles.
Nous citons ces exemples pour mettre les électeurs de notre
Cité en garde contre cette jésuitique façon de rentrer en appa-
rence eu grâce auprès des électeurs. .
Et nous n’insinuons pas cette accusation à la légère ; nous
avons la preuve qu’à Bruxelles, dans une réunion libérale qui
a eu lieu naguère, des hommes, parfaitement dévoués à la cause
mixte, ont plaidé la cause des noms les plus avancés celle des
hommes qui passaient même pour n’obéir qu’eu rechignant à la
Constitution, plutôt que de porter leurs voix sur les candidats
libéraux modérés et fermes.
Ces moyens n’ont été évidemment employés que dans l’espoir
de voir réussir quelque candidat dont la défaite était certaine,
afin, peut-être de faire passer un autre candidat opposé à la
nuance libérale qui aujourd’hui a l’appui éclatant et solennel
des grandes villes de la Belgique.
Mais cet espoir a été déçu. Liège, qui pendant quelques mois
a vu son Association Libérale se scinder en deux camps, Liège
va réparer cette faute grave,quoiqu’elle soit moins dangereuseau
fond qu’on ne semblait vouloir le faire croire. Bruxelles n’a pas
même voulu commencera se diviser et il faut le dire à l’honneur
des hommes qui veulent faire marcher plus rapidement le pro-
grès : ils n’ont pas voulu donner la moindre satisfaction aux ad-
versaires communs de leur opinion. Ils se sont dignement ran-
gés sous le drapeau de la majorité et le candidat aujourd’hui
désigné pour l’élection du 20 juin l’emportera à uue immense
majorité.
U en sera de même à Liège et à Bruxelles pour les candidats
qui se présenteront aux élections communales. 11 y a à
Bruxelles un certain nombre de conseillers qui n’oni plus la
confiance des habitants. La ville de Bruxelles n’est pas bien
administrée : une foule de lacunes de vices même existe dans
son sein, et ce n’est pas faute d’avertissements que les préposés
à son embellissement et aux améliorations qu’elle exige, ont
incomplètement rempli leur devoir. Or, les électeurs de
Bruxelles ont compris, parfaitement compris cela. L’opinion
prédominante, l’opinion libérale a donc pensé qu’en éliminant
quelques membres routiniers et incapables, en mettant à leur
place des hommes nouveaux, doué de plus de zèle,on répare-
rait les fautes, on comblerait les lacunes. La ville d’Anvers est,
nous semble-t-il, dans un cas relativement semblable; mais ce
qu’il y a de plus curieux, c’est que ce sont justement les hom-
mes les plus capables que le parti rétrograde voudrait voir
éliminés. On dirait qu’il avait peur qu’on ne fit pour lui ce
qu’il a fait à Bruxelles et il a pris les devanls, et c’est de lui
qu’est parti un arrêt d’ostracisme.
Mais, les électeurs, nous en avons la conviction, ne s’y lais-
seront pas prendre. Ils comprendront que trois intérêts à la
fois sont engagés pour eux dans ce débat qui, lui aussi, a sa
solennité : d’abord les intérêts de la cité, puis les intérêts de
leur opinion qui doit recevoir une nouvelle consécration; puis,
enfin, le bon sens qui demande que, sous peine de passer pour
inconséquente, la population électorale d’Anvers reste fidèle à
son arrêt du 10 juin.
Il y a un journal qui donnerait beaucoup, pour que nous
nous occupassions de lui. Il vient dans ce but, d’attacher à sa
rédaction un professeur de langue française dont la mission
est de signaler au public les fautes de grammaire que les feuil-
les belges pourraient commettre. Ce Monsieur a entrepris sa
tâche et signe sa critique ü. O : il se vante ; c’est un zéro tout
simple. Quand on se targue de redresser le mauvais langage,
on ne fait pas imprimer une phrase telle que celle-ci : « Si la
» connaissance du français excluait les principales qualités d’un
» journal qu’on vient d'énumérer, etc , etc., etc. »
La connaissance d’une langue a pu procurer une qualité,
mais elle n’en a jamais exclu une seule ; puis, qu'est-ce que les
qualités d’un journal qu’on énumère. Est-ce le journal qu’on
énumère? La grammaire ditoui, impérativement oui, et cepen-
dant le bon sens dit non, car on n’énumère pas un journal.
O camele carnele, ce qui veut dire traduit en français : Vous
ferez passer un cable par le trou d’une aiguille avant que nous
ne nous occupions de vous davantage. Continuez votre cours
de langue française, mais de grâce commencez vous même par
ne pas olfenser cette langue. C’est un gros péché.
Produits indirects.
Le Moniteur publie l’État comparatif suivant des recettes des neuf
premiers mois de l’année 1843 avec celles des mois correspondants de
l’année 1844.
MONTANT DES RECETTES.
NATURE DES IMl’OTS.
Administration des contributions directes, etc.
Droits de douanes.....................
2 / le sel............................
* 1 les vins étrangers................
a \ les eaux-de-vie! étrangères.......
ô 1 ( indigènes........
§ \ les bières et les vinaigres.......
% 1 le sucre..........................
tü I ( de quittances ... __
o I les timbres < de permis de circula-
•5 ' , ( lion................
Droits de gar. des matières d’or et d’arg.
Recettes diverses.....................
Administralion de l’enregistrement, etc.
Enregistrement........................
Greffe................................
Hypothèques...........................
Successions...........................
Timbre................................
Amendes...............................
Produits des canaux et rivières.......
Produits des barrières................
Ministère des travaux publics.
Produit des postes....................
— du chemin de fer d’après les ver-
sements réels connus à l’administration
du trésor public...................
au 30 sept.
1843.
0,181.591 62
3 519,809 51
1,430,466 10
174,229 57
5.022.216 20
5,168,511 35
2,090,494 03
5,978 10
790 25
106.471 11
8,537. 56
7,557,042 62
232.163 78
1.219.594 83
4.090.455 10
2,177,357 21
134,208 54
2 325 613 53
1.411.594 72
2,498,566 09
au 50 sept.
1844.
8,508,679 20
2,544,746 06
1,415.908 15
166,049 30
2,910.926 93
4.814.574 27
2,786,024 15
671,766 96
4.476 24
110.934 00
7,368 89
7,686.636 85
219.184 65
1,594,544 19
3,635,668 60
2,567,281 85
120,180 85
2,024.633 28
1,491,127 50
2,435,503 89
9,297,297 51 8,594,335 56
55,648 575 11 55,726,151 35
Il résulte de ce tableau que les recettes des 9 premiers mois de cette
année donnent un excédent de fr. 1.922,421 76 sur celles de 1844.
suis sac.
Lucerne, 9 octobre. — Les élections municipales qui viennent d’avoir
lieu ici assurent de nouveau la majorité au parti radical, qui , comme
on le sait a la prépondérance dans la représentation de la ville.
L’instruction sur l’assassinat de M. Leu est terminée. On désigne
comme auteur de cet assassinat un certain Muller, habitant d’un dis-
trict de ce canton. Il élait détenu dans la maison de correction de la
ville, mais on vient de le transférer, ainsi que ses complices , dans une
prison particulière, car on a découvert une conspiration tendant à fa-
ciliter l’évasion des prisonniers.
Le projet arrêté dernièrement à Zurich entre des députés de plu-
sieurs cantons, pour donner plus de développement à l’école de théo
logie catholiquede Solenre.a été très bien accueilli par les populations
On espère ainsi contre balancer l’influence du séminaire des jésuites
établi dans cette ville. On compte si)# cantons qui ont donné leur ad-
hésion : Berne, Argovie. Bêle (campagne), Schaffouse, Soleureet Thur-
govie.
Berne, te9 octobre. — L’ami de la constitution annonce que M. le
comte de Pontois, ambassadeur de France, sedispose à faire une tour-
née en Suisse pour s’instruire par ses propres yeux de la situation des
esprits dans les divers cantons et tâcher de faire connaître parmi les
adversaires des jésuites la confiance dans la France qui a été très com-
promise par suite des prétentions inadmissibles de cette puissance.Cette
nouvelle semble être confirmée par le Narrateur de St-Gall, M. de Pon-
tois est arrivé le 7 dans cette ville, il se rend à Appenzell, son voyage a,
dit-on, pour but des essais de pacification générale en Suisse.
FRANCK.
Paris, H octobre. — Il était de nouveau question depuis hier dans
les bureaux des ministères d’une prochaine dissolution des chambres.
On attend, pour décider définitivement celle question,le retour de MM.
Montalivet et Dnmon, qui ont reçu l’ordre par le télégraphe de revenir
immédiatement à Paris. Si la dissolution est décidée, l’ordonnance pa-
raîtra au Moniteur avant la fin d’octobre et les élections générales n’au-
ront pas lieu avant les premiers jours de décembre. tCorresp.)
— On parle de la prochaine apparition d’un journal une fois aussi
grand que l’Epoque, sous le litre de l'Omnibus.
— On vient d’essayer à Vincennes des carabines qui portent leurs
balles à la distance de 1,500 mètres.
— Il est question d’établir dans chacun des 12 arrondissements de
Paris, des bains publics chauds pour les pauvres.
Cette amélioration qui nous vient d’Italie est déjà sur le point de
passer en pratique en Angleterre.
— M. de Lamartine va. dit-on , prendre le patronage du nouveau
journal l'Esprit Public, comme M. Tliiers a pris celui du Constitutionnel.
— La reine s’est jointe à M. le duc de Nemours pour assurer le sort
de la veuve et des enfants du colonel Berthier, qui vient de mourir en
Afrique.
— On écrit de Toulon, le 10 :
« La plus grande activité règne dons l’arsenal maritime ; les frégates
à vapeur le Labrador. l’Orënoque, l'Albatros, le Monlezuma et le Panama
arment pour être affectées au transport des troupes en Algérie. t'As-
modée, qui est déjà en route pour le nord de l’Afrique avec des détache-
ments de divers corps, et le Corner, de retour depuis peu du Levant,
sont affectés au même service. L’autorité maritime a ordre de presser
les préparatifs ; il faut qu’un premier envoi de troupes puisse être fait
avant le 20.
» Deux frégates à vapeur, le Monlezuma, qui prend déjà son charbon
sous la grande mâture, et le Panama, doivent être installées pour re-
cevoir des chevaux à bord. Il est question d’envoyer en Algérie deux
régiments de cavalerie, et l’on doit aussi songer à remplacer l’escadron
de hussards qui faisait partie de la colonne de Ghazaouat. On annonce
que mille chevaux seront embarqués, dont 500 à Toulon et 500 à Port-
Vendres. »
— Le supplément du Courrier de Marseille, daté du H octobre, con-
tient la nouvelle suivante :
Florence, 9 octobre.
Les troubles qui viennent d’agiter les Etats-Romains sont entière-
ment appaisés ; les insurgés qui avaient pu se soustraire aux poursui-
tes des soldats pontificaux et autrichiens, se sont, dispersés dans les
Appenins ; traqués dans ces montagnes, les fugitifs, avaient cherché
un refuge dans des vallons solitaires de la Garfagnana ; mais forcés de
fuir encore devant des paysans soulevés contre eux, ils se sont décidés
à aller chercher un dernier refuge sur le sol toscan.
Il existe entre le grand-duc de Toscane et te gouvernement pontifi-
cal un traité non écrit, mais toujours observé, par suite duquel l’extra-
dition en matière politique doit être mutuellement exercée entre les
deux états. Le grand duc en cette circonstance, a pris dans son cœur
paternel une décision tout à fait inespérée. Il a déclaré que l’extradi-
tion n’aurait pas lieu, et avant, que raisons eussent pu être entendues,
il a donné ordre de faire embarquer tous les réfugiés dans un navire
qui se trouvait dans le port de Livourne et qui va les conduire à Mar-
seille.
Cette nouvelle, répandue dans Florence vers le soir, a produit la plus
vive sympalhie, la population s’est portée au théâtre de la Pergola, où
la cour assistait à une représentation des Puritains : la foule était ani-
mée du plus grand enthousiasme. Le grand-duc a été entouré des
marques de la plus touchante affection. La loge où il se trouvait a été
remplie de fleurs par le peuple reconnaissant.
— En reproduisant la rétractation du prince de Talleyrand , nous
avons dit, d’après l'Ami de la Religion, que celte pièce était déposée au
secrétariat de l’archevêché dè Paris. Cette énonciation a donné lieu à
la lettre suivante, que M. l’archevêque de Paris a adressé à MM. les cu-
rés du diocèse :
o Paris, le 11 octobre 1843.
« Monsieur le curé.
« L’auteur d’une biographie, et plusieurs journaux , viennent de ré-
véler l’existence de deux lettres du prince de Talleyrand que mon
respectable prédécesseur n’avait pas jugé à propos de livrer à la pu-
blicité.
» Il est très probable, d’après les recherches que j’ai immédiatement
prescrites dans mon secrétariat, que si ces deux documents y ont été
FEUIIXETON.
VOYAGE A MADAGASCAR. (D
IV.
On ne reconnaît que deux crimes dans l’Ue de Madagascar, le vol et
l'assassinat. Lorsque le kabharh s’assemble pour l’un de ces crimes ou
pour tous-deux à la fois, il se compose de sept, de neuf ou onze juges;
ces juges n’apparliennent à aucune classe particulière, ils n'ont fait
aucune étude préalable; ils sont pris parmi les plus anciens et les plus
vertueux habitants desvillages. Ils arrivent souvent de points assez
éloignés au lieu fixé pour tenir le kabharh ; ils sont obligés de s’assem-
bler à jeun et d’être couverts d’une toile bleue formant, par la manière
dont iis se drapent, un manteau.
Ils s’asseyent en cercle; au milieu se placent les accusés et les accu-
sateurs ; les avocats sont : le plaignant ; et si le plaignant est mort, sa
femme, et si sa femme est morte, scs enfants ou ses plus proches
parents. On ne permet pas de payer quelqu’un pour la défense, et les
longs discours sont interdits.
Lorsque la cause est entendue, s’il s’agit d’assassinat, le coupable est
condamné à payer la valeur présumée de l’homme qu’il a tué. Cette va-
leur est en rapport avec les services que cet homme pouvait rendre à
sa famille.
Si le coupable ne peut pas payer, il est tué à coups de piques, comme
le sont les prisonniers : on appelle cela être sagayé. La rareté des lusils
oblige presque toujours à se servir de piques. Si le coupable peut
payer, on le met simplement en prison pour un ou deux mois; cette
prison consiste à être attaché avec des cordes dans mie cabane.
Si le coupable n’a commis qu’un vol, on l’oblige à le reslituer. et si la
restitution est devenue impossible, on met le voleur à la disposiiion du
volé, qui le tue ou qui en fait son esclave. Lorsque la cause, quelle
qtV'elle soit.est entendue, les juges passent aux voix ; cinq voix sur sept
condamnent. Si les juges ne sont que quatre contre trois, l’homme
n’est pas condamné, etle kabharh est remis à une autre lime.
Mais si les procès criminels sont rares, il n’en est pas de même des
procès civils auxquels les défrichements des terres donnent lieu.
La terre appartient à qui la défriche, et, du moment où on cesse de
la cultiver, elle tombe dans le domaine public. Aucun homme n’a en-
core osé dire à Madagascar Celte terre est à moi. Il s’élève très fréquem-
ment dés contestations au sujet de terrains qui ne sont pas bien ex-
ploités. Si l’homme qui a défriché un terrain et qui y a fait une récolte
(1) Voir le Précurseur des 3 6 et 9 octobre.
de riz laisse un an s’écouler sans en faire une seconde, il court le risque
de voir ses voisins s’en emparer sous prétexte que la terre n’est pas
cultivée. L’homme qui a défriché résiste et prétend garder le terrain;
une querelle s’engage et ne se termine jamais que par l’assemblée du
une
kabharh.
Pour éviter ces procès si souvent renouvelés et qui sont d’ailleurs
les seuls procès civils qui aient lieu, on vient de faire une nouvelle loi ;
cette loi fixe à trois années le délai qui constitue le défaut de culture.
Le commerce des habitants de l’ile de Madagascar est presque nul.Le
Malgache est habile, fier, brave, intelligent, mais très paresseux. Tout
vient fort bien dans cette Ile dont le climat est si fatal aux francais ; on
y recueille des fruits délicieux etdes cilrouilles dont le goût exquis est
inconnu en France. Le blé et la vigne réussissent mal, et on s’y occupe
peu de leur culture.
L’eau-de-vie et le rack remplacent le vin; l’abus de ces liqueurs est
encore plus contraire à la vie des Français que le climat de Madagascar.
On trouve dans cetle île presque tous les animaux que nous avons en
Europe et beaucoup d’autres dont nous ne soupçonnons môme pas
l’existence; mais le nombre des bœufs et des vaches y est tellement
prodigieux que l’on cède un bœuf pour un couteau.
Non seulement les Malgaches n’ont ni prêtres ni idoles, mais ils sont
sans médecins; ils ne croient, comme Rhélas me l’avait trop prouvé par
lui-méine, qu’au génie du mal durant la vie, et mourir pour eux c’est finir.
Ce pays est peut-être le seul qui offre le spectacle aussi triste que
singulier d'un peuple qui est parvenu à se maintenir sans être soumis
aux pratiques d’aucune religion. J’ai vainement essayé de remonter à
la source de cette fatale croyance du mal qui ne les abandonne qu’à
l’heure de la mort, persuadés qu’ils sont que le mauvais génie perd
alors tout son pouvoir. J’ai vainement questionné les vieillards les plus
vénérés de l île : leur croyance remonte à des temps si reculés qu’au-
cune tradition de famille n’a pu jeter sa lumière sur les ténèbres d’une
aussi complète ignorance
J’ai vu mourir une Malgache, la sœurde Rhélas, une belle jeune fem-
me adorée de sa famille et de ses esclaves, et j’ai gardé de cette mort
une impression qui ne s’effacera jamais.
Je ne veux point arriver à cette partie de mon écrit sans vous avoir
donné quelques détails sur les diverses tentatives que les Portugais,
les Hollandais, les Anglais et les Français ont fuites pour occuper Mada-
gascar.
L’anse aux Galions, quille peut recevoir que des navires d’un faible
tonnage, fut le premier endroit où les Portugais s’établirent vers 15i8.
Il est probable et presque certainque l’anse aux Galions fut le premier
point de file où les Européens aient, à cette époque déjà si loin de nous,
cherché à se fixer. Les Portugais étaient sous les ordres d’un chef que
les indigènes nommèrent Macinorbei, par abréviation d’un nom com-
posé d’un mot portugais et d’un mot madécasse. Monsignorbci, c’est-à-
dire grand seigneur ou grand monsieur. Ce chef portugais avaitsoixante-
dix hommes sous ses ordres ; il aborda à l’anse aux Gabions sans la
moindre difficulté de la part des indigènes, s’établit dans la province
d’Anassi, qui a longtemps gardé le nom de l’llot des Portugais, et y fit
bâtir une maison de pierres. C’était la première construction de ce
genre élevée sur le sol de l’ile de Madagascar; quelles furent les pensées
des indigènes à la vue de celte habitation si différente des leurs ? c’est
ce que l’on n’a jamais su, mais le résultat en fut affreux.
Sous prétexte de faire honneur au grand chef qui venait s’établir
parmi eux et jeter les premiers fondements d’une colonie, les Malgaches
apportèrent du rack. du riz, du miel, et organisèrent devant la maison
un banquet de réjouissance. Vers la fin de ce repas, commencé avec con-
fiance et galté. lies Portugais, qui se trouvaient sous la violente in-
fluence du rack. furent égorgés avecleurchef : ils passèrent de l’ivresse
à la mort avec la rapidité de la fondre. Cependant l’agonie fut cruelle;
ils se défendirent, et cinq d’entre eux, moins grièvement blessés,
échappèrent au massacre et parvinrent à s’enfermer dans leur maison
de pierres avec trente nègres, leurs esclaves. Ils avaient des fusils, de
la poudre et des balles, leur parti fut bientôt pris: il fallait ou mourirde
faim entre quatre murs, ou devoir leur salut au courage et à l’audace ;
ils armèrent leurs nègres et firent feu sur plusieurs villages qu’ils brû-
lèrent. Due capitulation eut lieu presque aussitôt ; les Portugais pro-
mirent de quitter Madagascar, et les indigènes s’engagèrent à leur
fournir des vivres jusqu’à l'arrivée d’un navire qui les prît à bord et
les ramenât en Portugal. ,
Les Hollandais vinrent peu de temps après et entrèrent en négocia-
tion avec les habitants qui avoisinent la baie d’Antongil ; là, ils ache-
taient des esclaves et du riz , et plusieurs d’entre eux y ayant installé
une habitation, rendirent de très grands services à un jeune prince nè-
gre qui régnait sur cette côte et avait de rudes guerres à soutenir con-
tre ses voisins. Ces braves Hollandais avaient plus de talents guerriers
que de vertus privées; ils se livrèrent à l’ivrognerie, à la débauche, et
provoquèrent la eolèi-e du prince nègre. Oubliant les saintes obliga-
tions de la reconnaissance, il les fit tous massacrer : Hollandais et habi-
tations disparurent en un seul jour. ,
Vers 1644. un siècle après ce désastre . les Anglais abordèrent au
nombre de quatre cents dans ia baie de Saint-Augustin , et s’installè-
rent dans un fort bâti par d’autres Européens à une époque que l’on
n’a pas pu préciser. Ge fort était abandonné depuis longtemps; Mais
les Anglais ne purent s’y maintenir, la maladie et la misère les forcè-
rent à fuir Madagascar.
(La suite prochainement). Mêlante YALDOR. |