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Le nouveau Palais de Justice de Bruxelles
Dans son numéro 2, l’Émulation a publié sur
le nouveau palais de justice de Bruxelles, un
article dont l’auteur a pris pour épigraphe :
La critique est aisée et l’art est difficile.
Il a parfaitement raison, et je reconnais que quel-
que soit le mérite d’une oeuvre humaine, elle est et
sera toujours susceptible de critique.
Le palais dû aux talents de M. Poelaert échap-
pera d’autant moins à cette règle générale, que
chacun a la prétention plus ou moins fondée de
pouvoir juger une œuvre architecturale ; mais ceux
qui savent ce qu’il faut de connaissances sérieuses,
de talents réels et de travail assidu pour créer un
monument de l’importance de celui qui nous
occupe, apporteront toujours dans leur examen
critique les sentiments d’une appréciation juste et
bienveillante.
L’auteur de l’article auquel je réponds, M. Ch. N.,
a tout d’abord obéi à ces sentiments, si j’en juge
d’après les considérations générales par lesquelles
il débute.
On lit, en effet, dans l’article en question : Il est
peu de constructions qui puissent inspirer un aussi
profond sentiment de force, de grandeur et de
majesté. Plus loin, le caractère grandiose du
monument le frappe à ce point qu’il ne balance
pas à le comparer à l’église de Saint-Pierre de
Rome, voulant ainsi justifier cette pensée qu’il
exprime, que les Grecs n’auraient certes pas
désavoué l’artiste habile à qui la Belgique est rede-
vable de cette magistrale conception.
Mais après ces prémices, il ne tarde pas à céder,
à son tour, à la tendance naturelle vers la critique,
et, à ma grande surprise même, il finit par appré-
cier l’œuvre magistrale de M. Poelaert avec une
sévérité qui doit étonner.
Le monument dont la Belgique pensait pouvoir
s’énorgueillir un jour, ne produit, dit-il, qu’une
déception difficile à combattre ; c’est une conception
due à des constructeurs inconscients et où les men-
songes artistiques dominent-, l’auteur n’a pas même
suivi une marche logique en proposant la construc-
tion de ce superbe dôme qui doit s’élever si fière-
ment dans les airs. Pénétrant ensuite dans les
détails, il affirme que de vastes salles trop grandes
en général pour les besoins du service, ne recevront
du jour qu’indirectement par de véritables soupiraux
de caves, et que déjà des élançons doivent soutenir
certains ouvrages prêts à tomber en ruine à cause
des vices de construction.
La critique a depuis trop longtemps acquis un
droit de cité en Belgique pour ne pas y jouir d’une
entière liberté; il est donc tout naturel que chacun
exprime, comme il le comprend, l’impression que
produit sur lui l’œuvre de M. Poelaert; mais l’au-
teur de l’article en question admettra sans aucun
doute avec moi que la liberté dans la critique peut
se concilier avec la vérité, et c’est en l’invoquant
que je puis lui donner l’assurance que les deux der-
niers faits qu’il a énoncés sont erronés. Il suffît,
pour s’en convaincre, de visiter le palais dont l’en-
trée est toujours libre.
En ce qui concerne l’étendue des salles et des
locaux qu’il déclare être trop grande pour l’usage
auquel ils sont destinés, il ignore sans doute que
M. Poelaert a dû se conformer à un programme
déterminant toutes les dimensions et qui a été
rédigé par une commission composée de magis-
trats choisis dans les cours et tribunaux, par-
faitement à même d’apprécier les besoins réels
des divers services.
Je ne saurais non plus partager les réflexions
que fait M. Ch. N. en se plaçant au point de vue
de la conception générale du palais; mais, —je le
répète, — je respecte la liberté de la critique autant
que la liberté clans l’art, et je me borne à déclarer
que là où il prétend que, dans la création de son
œuvre M. Poelaert n’a pas suivi une marche
méthodique, je découvre, au contraire, des qua-
lités originales et hardies qui ont à mes yeux un
mérite réel.
Une seule observation me semble devoir être
relevée, parce qu’en la produisant l’auteur me
paraît avoir obéi, comme tous ceux qui l’ont faite
antérieurement, à un sentiment artistique dont je
cherche vainement la justification ; il s’agit, d’ail-
leurs, plutôt d’une question technique que d’une
question d’art.
L’architecte, dit-on, en employant le fer comme
M. Poelaert l’a fait, ment à son œuvre, car il
emploie des matériaux auxquels il donnera un
aspect tout différent de leur nature, mais ressem-
blant à ceux dont il aurait dû se servir.
Je présume que cette critique ne repose pas sur
une question de poids ou de volume, mais qu’il
s’agit de défendre un principe que j’ai quelquefois
entendu énoncer et en vertu duquel on doit pouvoir
juger une construction par son aspect extérieur;
sinon il y a, répète-t-on, mensonge artistique, dû à
des constructeurs inconscients.
Si le principe énoncé ci-dessus doit être accepté
par les architectes à l’égal d’un dogme, et consé-
quemment s’ils doivent bannir de leurs œuvres
toutes les combinaisons qui ne permettent pas de
montrer au grand jour les moyens d’exécution aux-
quels ils ont recours, il faut reconnaître que bien
peu d’artistes anciens ou modernes échappent à la
critique que l’on fait de l’œuvre de M. Poelaert.
Pour ne citer que des monuments connus de
tous, je demanderai ce que seraient devenus le por-
tique du Panthéon à Paris, la colonnade du Lou-
vre, l’église de la Madeleine et tant d’autres édifices
de cette importance si les architectes éminents qui
les ont construits avaient dû s’interdire l’emploi du
fer qu’ils ont eu soin de dissimuler; ces monuments
n’auraient pu s’élever puisqu’ils ne se maintiennent
que grâce aux ouvrages en fer qui entrent dans
leur construction.
Pour supprimer les ancrages invisibles, mais
toujours indispensables dans la plupart des monu-
ments, il faudrait faire rétrograder l’art architec-
tural jusqu’au temps des Égyptiens qui recou-
vraient par des monolithes les entrées de leurs
temples et palais.
Ainsi, du moment où le mensonge artistique ne
se réduit pas à une simple question de poids ou de
volume, on le retrouve dans la plupart des monu-
ments et même dans ceux qui appartiennent à la
belle époque romaine et de la Grèce antique.
Il est sans doute possible d’éviter dans les monu-
ments ce qu’on qualifie de mensonges artistiques,
mais à quel prix ou à quelles conditions pourrait-on
le faire? Jamais d’abord sans dénaturer l’œuvre
conçue par l’artiste, ou sans limiter dans son essor
les élans de son génie. Que deviendraient dans ce
cas les progrès en architecture?
On a cité le dôme des Invalides, et je ne puis que
me rallier entièrement aux éloges que l’on en fait :
dans son ensemble comme dans ses détails, c’est
une composition des plus remarquables. Et cepen-
dant, si on appréciait ce monument avec cette
logique sévère que l’on applique dans l’examen du
palais de justice de Bruxelles, ne devrait-on pas
trouver peu rationnelle aussi la construction d’un
dôme en pierres, surmonté d’une charpente en bois,
recouverte à son tour d’une enveloppe métallique?
Dans l’opinion de M. Ch. N., l’œuvre de Souffiot,
c’est-à-dire le dôme du Panthéon de Paris, serait
une des rares constructions de ce genre à l’abri de
toute critique.
Je suis donc autorisé à dire que s’il était vrai que
le mensonge artistique fût une critique fondée, le
palais de justice de Bruxelles la subirait avec un
grand nombre de monuments jouissant tous d’une
célébrité bien méritée. Dès lors, il est bien permis
d’en conclure que cette critique procède plutôt d’un
sentiment exagéré de l’art architectural, et qu’il
serait d’autant plus regrettable de le convertir en
principe, qu’en l’imposant il aurait pour consé-
quence inévitable de mettre obstacle au progrès.
On admire avec raison un grand nombre de
monuments romains surmontés d’un dôme et l’on
est naturellement frappé de l’élégance, de la
richesse et de la hardiesse de ces coupoles : qui a
jamais songé à les qualifier de mensonges artis-
tiques parce qu’ils sont construits en poteries
recouvertes d’un enduit?
Pourquoi serait-on plus autorisé à donner cette
qualification à une soffite parce que l’architecte se
serait servi pour la construire de poutres en fer ou
en bois dissimulées par un enduit? Lorsque de nos
jours on exécute une voûte en briques, on trouve
tout naturel de la cacher par un enduit auquel on
donne mille formes diverses ; le fer n’est-il pas pour
la soffite ce qu’est la brique pour la voûte, c’est-à-
dire un moyen d’exécution d’autant plus utile que
l’emploi du fer permet de donner plus de légèreté
et de hardiesse aux monuments et un écartement
plus grand aux points d’appui?
C’est donc vainement que je cherche le motif
spécial ou logique qui expose l’architecte à enten-
dre qualifier son œuvre de mensonges artistiques,
quand, par mesure de prudence, de solidité ou
d’équilibre, il juge nécessaire de faire usage du fer
sans le mettre en évidence.
Il existe sans doute de nombreuses constructions
où les architectes ont trouvé très-convenable d’em-
ployer le fer comme un élément essentiel, comme
un motif principal de décoration ; il en est de même
de la brique ; mais au point de vue de l’art archi-
tectural, c’est une faculté réservée à la liberté de
l’artiste et dont on ne peut lui faire une obligation.
Il est évident même que si les grands architectes
de la Grèce ou de Rome avaient eu à leur disposi-
tion le fer comme les architectes modernes, ils
n’auraient pas balancé à s’en servir pour construire
des monuments d’un aspect plus imposant et plus
grandiose encore que tous ceux dont on conserve le
souvenir; le mensonge artistique ne les eût pas
arrêtés, et de même qu’ils ont recouvert d’un enduit
le marbre, ou d’un placage plusieurs de leurs édi-
fices, ils n’auraient pas balancé non plus à dis-
simuler l’emploi du fer.
Je n’ai pas la prétention d’être architecte, mais
je conçois assez les difficultés de l’art architectural
pour admirer les artistes qui osent entreprendre des
monuments de l’importance de celui du palais de
justice, car ils ne peuvent être récompensés à l’égal
des peines et du travail qu’ils s’imposent et des
soins nombreux qu’ils se créent. Pour exercer l’ar-
chitecture avec cette ampleur de conception que
l’on distingue dans l’œuvre de M. Poelaert, il ne
suffît pas que l’artiste ait du génie, il faut encore
qu’aux talents acquis par le travail il unisse une
expérience très-grande et des connaissances scienti-
fiques très-étendues.
Le gouvernement encourage avec raison la pein-
ture et la sculpture ; il n’épargne pas en leur faveur
les honneurs ou les distinctions dont il dispose:
sous ce rapport, les architectes n’auraient-ils pas
quelque raison de se plaindre de ne pas être traités
sur un pied de parfaite égalité?
Je me permets d’appeler sur ce point l’attention
de M. Ch. N. Le rôle de critique qu’il a pris et qui
est digne de sa plume lui donnera souvent l’occa-
sion de découvrir le vrai mérite, de le proclamer
sans hésitation et de réclamer en sa faveur les
récompenses qui lui sont dues et qui pourraient se
faire trop longtemps attendre, W.
FAITS DIVERS
PARIS. — Exposition universelle. — Le gouvernement
français vient de se rendre acquéreur du bâtiment élevé par
la Belgique et qui a pour auteur M. l’architecte E. Janlet.
C’est non-seulement un succès brillant pour l’artiste de
talent à qui est due cette œuvre remarquable, mais c’est
encore un succès précieux pour l’école belge d’architecture.
On sait que, dans cette superbe composition, M. l’archi-
tecte Janlet s’est surtout inspiré des traditions de notre art
national, et nous constatons ce grand succès avec d’autant
plus de bonheur que nous avons eu à combattre à diverses
reprises les étranges convictions de publicistes français
quant à l’invasion de la Belgique par l’art et les artistes
français.
C’est la plus éloquente, la plus convaincante réponse que
l’on pourrait faire à des appréciations quelque peu inspirées
par le chauvinisme.
ŒUVRES EXPOSÉES. — Parmi les œuvres envoyées
au Salon des beaux-arts, nous citerons notamment de beaux
dessins de M. C. Licol, architecte à Bruxelles. Cet artiste
qui, depuis bientôt dix ans, s’occupe de l’étude de l’abbaye
de Villers-la-Ville avec un soin, un amour que connaissent,
seuls, les vrais artistes, les bibliophiles et les archéologues,
a exposé de superbes dessins, plans, coupes et élévations de
ce précieux monument historique.
M. l’architecte H. Beyaerl, l’artiste éminent à qui nous
devons déjà un grand nombre de nos meilleurs monuments
modernes, a envoyé, si nous sommes bien renseignés, une
belle collection de dessins parmi lesquels, notamment,
ceux de la gare de Tournai.
M. Poelaert, l’éminent architecte du palais de justice,
sera représenté par son œuvre colossale autant qu’admirable:
le palais de justice, dont la maquette fait déjà l’admiration
des artistes français.
M. Samyn expose les dessins du local de la Société
Union et Philantropie; dans le groupe scolaire, croyons-
nous, se trouvent exposés divers dessins, plans, élévations
et coupes d’écoles construites en Belgique, et notamment
l’œuvre de M. l’architecte E. Hendrickx : la remarquable
école modèle.
M. Schadde, d’Anvers, expose les dessins de la gare
gothique de Bruges, dont la construction lui est confiée.
Joignons à cette liste fort abrégée et que nous écrivons un
peu au hasard, la façade, œuvre remarquable de M. E. Jan-
let, et nous aurons le droit de conclure que l’école belge
d’architecture est dignement, supérieurement représentée.
BRUXELLES. —Porte de Hal. —L’on fait, en ce
moment, la toilette des pelouses qui entourent le bâtiment
si heureusement restauré par M. l’architecte Beyaert. Ne
pourrait-on pas, au moyen des souvenirs historiques tels
que canons, obusiers, etc., décorer les abords d’une façon
originale?
Il suffirait même de se rappeler le parc d’artillerie ancienne
installé aux Invalides, à Paris.
On pourrait saisir cette occasion pour disposer d’une
façon un peu plus heureuse et surtout plus utile la remar-
quable margelle en fer forgé, style Renaissances qui se
trouve là posée avec un faux air d’abandon.
Les travaux du Marché du Temple, au boulevard du Hai-
naut, sont poussés avec activité; les toitures sont posées;
on travaille actuellement aux façades, dont on achève les
sculptures.
Le monument promet d’avoir bonne apparence bien qu’il
manque peut-être un peu d’élévation.
Nous nous en occuperons dans un prochain numéro. |