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1878.
N° 5.
4e ANNÉE.
ABONNEMENTS
S’adresser rue de la Pompe, 3
BRUXELLES
ADMINISTRATION
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Bruxelles
L’ÉMULATION
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE
D’ARCHITECTURE
DE BELGIQUE
— DÉPOSÉ —
BUREAUX : RUE DE LA POMPE, 3, BRUXELLES
— DÉPOSÉ —
ANNONCES & RÉCLAMES
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S’adresser rue de la Pompe, 3
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Bruxelles
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Bruxelles, Mai 1878.
— 26 —
— 27 —
SOMMAIRE
L’enseignement de l’Architecture. — Le nouveau Palais
de Justice de Bruxelles. — Faits divers.
L’enseignement de l’Architecture
Il n’est pas inutile de jeter de temps à autre un
coup d’œil rétrospectif, cela est même nécessaire.
N’est-ce pas le moyen par excellence de comparer
les choses et de s’assurer des résultats obtenus par
une succession d’efforts vers le progrès?
C’est ainsi que nous avons relu avec beaucoup
d’intérêt les lignes qui suivent, écrites lors du
Congrès artistique de 1868 par l’un de nos cri-
tiques d’art les plus réputés, M. J. Rousseau,
aujourd’hui directeur des beaux-arts.
“ L’enseignement de l’architecture donne lieu à
une critique à laquelle peu d’établissements échap-
pent. En général le programme des études est mal
ordonné. Les gradations, les transitions néces-
saires d’une branche à l’autre ne sont pas obser-
vées. C’est ainsi que, dans certaines académies, on
passe brusquement de la copie des ordres à un
cours de composition appliquée à des habitations
particulières. On ne nie pas que ce dernier ensei-
gnement ne soit pratique et qu’il ne réponde à des
besoins positifs; mais quel rapport a-t-il avec la
copie des ordres et comment le donner convenable-
ment si rien n’y prépare l’élève? On lui demande
là précisément un genre de composition où il ne
fait aucune application de ce qu’il a appris et où
il introduit des éléments qu’on ne lui a pas ensei-
gnés. Le plus souvent et dans la plupart des
écoles, tous les exercices de composition sont pré-
maturés. Cette précipitation rend un mauvais ser-
vice aux élèves quelle trompe sur la mesure réelle
de leurs aptitudes; elle n’est pas moins fâcheuse
pour ceux qui les emploient et qui sont exposés à
de grands mécomptes.
“ Répéterons-nous qu’un enseignement quelcon-
que ne peut aboutir à des résultats sérieux qu’à la
condition d’échelonner toutes ses parties d’après une
méthode rigoureuse? R faut que tous les cours s’y
déduisent logiquement les uns des autres, sinon
ces leçons sans ordre et sans lien s’évanouiront
d’elles-mêmes et ne se fixeront jamais dans les
mémoires.
“ Avant même d’aborder l’étude de l’architecture,
l’élève doit savoir dessiner et posséder sur l’art
des idées générales. Ces idées, nous l’avons dit,
n’existent que lorsque les études premières ont été
poussées jusqu’au dessin de la figure inclusive-
ment.
“ Par quoi commence alors l’étude de l’architec-
ture? La plupart des auteurs sont également
d’accord sur ce point : ils font ouvrir le cours par
l’étude des ordres, c’est-à-dire par ce qui forme,
dans un édifice, l’arrangement régulier des parties
constitutives, bases, colonnes, entablements, etc.
Les ordres romains ou grecs sont ici les modèles
universellement choisis. Nous tenons à ce qu’on ne
se méprenne pas sur les raisons de cette préférence,
Veut-on que l’artiste, reniant les instincts de sa
race, les goûts de son époque, fasse du romain et
du grec. Nullement. Mais c’est que les ordres
antiques nous offrent des modèles d’une simplicité
et d’une logique toutes particulières; c’est qu’on
s’y rend compte, mieux que dans tous les autres
modèles d un autre style, des éléments qui entrent
dans une construction, des agencements qu’elle
comporte; c’est, en un mot, que cette étude des
ordres romains ou grecs donne la clef des autres
architectures et des autres styles.
“ L’élève étudiera d’abord les éléments des ordres,
moulures, chapiteaux, etc. Ici une observation.
Il y aurait tout à gagner à ce que ce premier ensei-
gnement se donnât, non plus seulement comme
aujourd’hui sur de simples modèles graphiques,
mais avec l’auxiliaire des modèles en relief; il
serait bon même, pour plus de clarté, que ces
modèles fussent construits et ajoutés de façon à
pouvoir être démontés dans toutes leurs parties
essentielles. Des modèles en relief, si nous sommes
bien informés, sont employés dans les leçons
d’architecture de l’Ecole militaire. Il semble
oiseux d’en démontrer l’utilité; nous avons dé-
montré suffisamment le danger des modèles gra-
phiques, qui portent les commençants aux copies
serviles en les dispensant de l’effort du raisonne-
ment et de l’interprétation. Quant à l’avantage de
pouvoir les décomposer, qui ne sait la difficulté de
faire comprendre aux classes élémentaires cer-
taines formes complexes, telles que celles d’un
chapiteau corinthien? Les modèles que nous pro-
posons permettront à l’élève de voir les ordres et
leurs divers éléments sur toutes leurs faces ; il en
comprendra l’ajustement et la construction. Il sera
donc préparé pour étudier, dans le cours suivant,
tous les agencements et toutes les combinaisons
auxquels ils se prêtent.
“ Nous venons de parler de construction. Il va de
soi qu’il ne saurait être question de donner, dans
le cours tout à fait élémentaire dont nous nous
occupons, des leçons sur l’art de la construction
proprement dit, c’est-à-dire des explications sur les
matériaux, les charpentes, les forces, les résistan-
ces, les poussées, etc.; une pareille étude ne vien-
drait pas à son heure. Mais il semble utile de faire
voir à l’élève, dès les premières leçons, que chaque
forme qu’il copie a sa raison d’être et comment
elle est dictée, en quelque sorte, par la logique
même des choses.
“ Une objection a été posée au jury. Les ordres
de Vignole sont-ils bien le meilleur modèle qu’on
puisse prendre pour l’apprentissage de l’architec-
ture? On sait en effet que Vignole est incomplet;
il n’a guère connu que les monuments romains et
n’a pas étudié les belles antiquités de la Grèce. La
tradition grecque, dans toute sa pureté, serait évi-
demment un meilleur point de départ. Mais, si
Vignole a été adopté pour l’enseignement, c’est
qu’il faut bien une sorte de catéchisme aux com-
mençants : Vignole en est un. On reconnaîtra plus
tard ce qu’il a d’incomplet; ce sera l’étude de
l’enseignement supérieur; mais ne discutons pas si
Vignole a vieilli tant que nous n’avons pas de
quoi le remplacer.
“ Après l’explication des ordres, après l’étude des
chapiteaux, des modillons, des membres de chaque
ordre copiés dans différentes projections, devra
venir un cours d’application pour étudier l’agence-
ment des ordres, leurs combinaisons entre eux, les
règles qui président à leur superposition, etc. ; les
exercices de ce cours seront utilement complétés
par des explications orales et par un travail au
tableau.
“ Quand on aura mené ainsi un élève, fût-ce
un simple menuisier, jusqu’au but de l’étude des
ordres, on lui aura déjà donné une somme d’instruc-
tion très-considérable et d’instruction très-pra-
tique. Il aura le sentiment des proportions, et se
tirera sans difficulté de la plupart des travaux les
plus délicats de sa profession.
“ Après ces études seulement s’ouvrirait le cours
de composition. Et pour que celui-ci fût vraiment
un cours d’application, où l’élève utilisât ce qu’il
a appris, nous voudrions qu’on ne lui donnât
d’abord à composer que des motifs simples et
homogènes, tels qu’une porte de ville, un arc de
triomphe, etc. Il s'essaierait ensuite à la composi-
tion des édifices, avec la prescription de n’y
employer d’abord qu’un seul ordre, puis plu-
sieurs : rien n’empêcherait même que ces exercices
marchassent parallèlement avec le cours d’appli-
cation des ordres, l’enseignement de l’architecture
serait couronné enfin par l’étude des styles variés
qu’elle a adoptés et des formes de tout genre
qu’elle a revêtues chez des races et à des époques
différentes, et, dans cette étude supérieure comme
dans toutes les études d’application, il importera
de faire une place toute spéciale à l’art flamand,
qui, par cela même qu’il s’est développé sur notre
sol, doit être supposé plus conforme aux tendances
de notre pays, à son caractère, à ses mœurs, à ses
aptitudes, et dont les traditions méritent ainsi une
attention toute particulière. Le professeur expo-
sera l’origine et les caractères distinctifs des diffé-
rents styles. Des leçons à la fois théoriques et
historiques feront voir comment ils ont pris nais-
sance et se sont développés sous l’influence des
climats, des matériaux, des besoins locaux ou des
ressources spéciales, etc. Un aura ainsi l’occasion
de faire ressortir, par une foule d’exemples signi-
ficatifs, la logique qui préside à toutes les grandes
conceptions architecturales, malgré le champ
infini quelles ouvrent à l’imagination, et les
splendeurs que l’inspiration de l’artiste peut jeter
à son tour sur la science du constructeur.
“ Là s’arrêteraient les études académiques de
l’architecte, telles que les comporte l’organisation
actuelle. Mais est-ce à dire qu’au sortir de ce
cours son éducation sera complète? Nullement, et
il serait dangereux de s’illusionner à cet égard. Il
lui restera à parcourir toute une nouvelle série
d’études qui échappent aux académies, et dont
M. Violet-Leduc a esquissé un programme exact.
“ La pratique, dit cet auteur, la connaissance des
moyens d’exécution, l’administration, sont aussi
nécessaires à l’architecte que l’art de rendre sa
pensée par le dessin. Je voudrais donc que les
jeunes architectes qui auraient obtenu une récom-
pense aux expositions trimestrielles (de l’école des
beaux-arts), pussent fréquenter les chantiers de
l’Etat, qu’ils y remplissent temporairement des
fonctions de surnuméraires, que l’Administration
les chargeât au besoin de relever un édifice, de
faire des opérations sur le terrain. Cela se pra-
tique dans les ponts et chaussées; les élèves reçoi-
vent des missions temporaires. Ces services
seraient constatés par des certificats et pourraient
plus tard devenir des titres pour obtenir des places
de conducteurs et d’inspecteurs de travaux. Ce
serait un stage qui n’existe pas et qui cependant
est nécessaire. ,,
“ Rien de plus juste que ces réflexions. Le
stage qu’on demande ici pour l’architecte cor-
respond exactement à celui que suit un jeune doc-
teur en droit au sortir de l’université ; il ne sera
apte à plaider qu’après avoir étudié chez un maître
du barreau la pratique de sa profession ; et l’archi-
tecte ne sera apte à construire qu’après avoir fré-
quenté les chantiers et fait le travail de bureau
dont parle M. Violet-Leduc. Mais comment s’as-
surer qu’il a traversé ce stage indispensable?
Comment savoir qu’il possède les connaissances
pratiques, nécessaires à l’exercice de son art? C’est
une constatation impossible à faire en Belgique,
en l’absence de diplôme de capacité, et elle ne
serait possible que si le gouvernement prenait à .
sa charge cette éducation complémentaire, si
importante au point de vue de la bonne exécution
des constructions publiques et même souvent de la
fortune des particuliers, comme le fait observer le
rapport joint au décret qui a réorganisé, en 1863,
l’enseignement de l’école des Beaux-Arts de Paris.
“ Mais la question des diplômes (qu’on pourrait
d’ailleurs ne pas imposer et qui finiraient par
s’imposer d’eux-mêmes) touche à un point de
législation et sort conséquemment de notre cadre.
Nous ne croyons donc pas avoir à insister sur
cette réforme : il nous suffira de l’avoir indiquée. ,, |