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L’ÉMULATION.
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non pas dans les fondations. Les fissures de la culée rive
gauche ayant paru, après un certain temps, rester station-
naires, on y injecta un coulis très liquide de ciment de qua-
lité convenable. Cette opération sembla tout d’abord produire
de bons résultats, et pendant près de tout un mois les pare-
ments de la culée restèrent intacts ; puis tous les joints se rou-
vrirent et le mouvement de dislocation reprit comme précé-
demment, quoique avec moins d’intensité.
Au mois d’octobre i885, la culée rive droite présentait un
aspect analogue à celui quelle offrait au début de l’année,
avant les injections ; seulement si le nombre des fissures était
à peu près le môme, leur largeur était en moyenne la moitié
moindre. Enfin, une dernière visite faite au mois de janvier
a permis de constater que les fissures, bouchées à l’aide de
nouvelles injections, ne s’étaient plus ouvertes que d’une
quantité insignifiante, répondant à environ un demi-milli-
mètre pour trois mois et, dans ces conditions, on s’est décidé
à livrer le pont à la circulation.
Il n’y a pas à hésiter à attribuer à l’emploi du ciment de
Campbon les phénomènes observés dans les maçonneries du
pont sur l’Etier de Mauves. On doit, en effet, écarter l’hypo
thèse d’un mouvement dans les fondations, car on a constaté
qu’il n’y avait eu, dans la culée de rive droite, ni tassement
vertical, ni translation horizontale dans une direction quel-
conque, ni déplacement angulaire autour d’un axe de rota-
tion. Les pieux, d’ailleurs, avaient été battus à refus absolu.
Nous avons, du reste, recueilli de nombreux exemples d’ac-
cidents analogues, produits dans d’autres ouvrages d’art ou
dans des constructions civiles par l’emploi des ciments de
Campbon.
Sans parler de murs de clôture complètement déversés par
suite d’un rejointoiement au ciment de Campbon sur une de
leurs faces; de pierres tombales du cimetière de Saint-Nazare,
scellées avec du ciment de Campbon, qui se sont soulevées et
séparées de leur soubassement ; de pierres brisées dans nom-
bre de murs, par suite de l’inégalité de la couche de mortier
de ciment de Campbon placée dans les joints, nous citerons,
pour nous en tenir à des désordres plus graves, ceux qui se
sont produits à la maison centrale de Rennes et dont les effets
les plus remarquables ont été observés dans les dallages (3).
Sous des arcades au pourtour d’une cour intérieure, le dal-
lage en ciment de Campbon a chassé hors de l’alignement du
mur de face des blocs en granit mesurant 2m95 de longueur
sur om36 de hauteur et om76 de largeur; ces pierres, soulevées
et déversées, ont entraîné avec elles une portion du mur en
moellons, et plusieurs des pieds-droits en granit des arcades ont
été rompus et détachés de la masse. Dans une cantine, égale-
ment dallée en ciment de Campbon, au rez-de-chaussée de la
même maison, deux pierres du socle en granit ont été dis-
jointes et déplacées d’un demi-centimètre vers l’extérieur ; le
le dallage, coupé en 1880 tout au pourtour, sur une largeur de
5 centimètres, s’est dilaté à tel point qu’en mai 1884 les
saignées étaient presque complètement bouchées.
Voici enfin un dernier fait qui se rattache directement aux
travaux publics. Le ciment de Campbon a été employé, con-
curremment avec du ciment de Boulogne, dans la construc-
tion des petites voûtes en briques qui réunissent les poutres
d’un pont en fer, établi par les soins du service vicinal sur la
Seine, entre Douges et Savenay (Loire-Inférieure). Dans la
moitié droite du pont, où l’on a fait usage de ciment de Bou-
logne, les voûtes sont parfaitement intactes et leurs joints se
conservent en bon état, tandis que, dans la moitié gauche, le
mortier en ciment de Campbon, qui réunit les briques, a'
subi des dislocations et des mouvements d’expansion tels qu’il
s’est produit des fissures dans les maçonneries, un soulève-
ment des voûtes et un renversement des bords du trottoir.
Les analyses, qui ont été faites à diverses époques au labo-
ratoire de l’école des Ponts et Chaussées sur des échantillons
de ciment de Campbon, adressés soit par le propriétaire de
l’usine, soit par les ingénieurs auxquels il présentait ses pro-
duits, ont toujours révélé une forte proportion de magnésie,
qui avait, dès l’origine, attiré l’attention de l’ingénieur chargé
de la direction du laboratoire de l’école des Ponts et Chaus-
sées, et motivé de sa part des réserves sur la façon dont le
ciment de Campbon, produit non encore suffisamment expé-
rimenté, pourrait se comporter dans les travaux.
Nous résumons ci-après les résultats obtenus dans ces ana-
lyses :
(3) Les renseignements qui suivent sont dus à l’obligeance de M. Le-
charlier, membre correspondant de l’Institut, professeur à la faculté de
Rennes.
DOSE DE MAGNÉSIE pour 100 <D Vh 'Ü n en NATURE DU MÉLANGE.
0 Tj jd Ciment et magnésie Ciment et magnésie Ciment et magnésie
de ciment O —■ calcines calcinée calcinée
de <u a P ensemble au rouge à part au rouge à part au blanc
Boulogne. vif pendant pendant pendant
2 douze heures. douze heures. douze heures.
10 pour 100. 1 25 décemb. i885 26 décemb. i885 28 » 24 décemb. i885
2 29 » 26 »
4 pour 100. I 2 février 1886. 3 février 1886. 4 janvier 1886.
2 1 4 » 5 » 5 »
2 pour 100. , I 8 février 1886. Tubes intacts le Ier avril. Tubes intacts
2 8 » le ier avril.
Le gonflement du ciment de Campbon coïncidant avec une
dose exceptionnelle de magnésie, on a dû tout naturellement
1 attribuer a cette magnésie elle-même. C’est donc dans cette
voie qu’ont été dirigées les expériences entreprises par le ser-
vice spécial des ciments pour rechercher la cause des acci-
dents signalés.
Des ciments de qualités éprouvées ont été mis en pâte dans
des tubes de verre mince, les uns à l’état naturel, les autres
avec des doses de magnésie calcinée variant depuis 2 p. c.
jusqu à 35 p. c.; dans une première série d’expériences, la
magnésie avait été calcinée isolément et mélangée seulement
après refroidissement avec le ciment servant aux essais ; dans
une seconde série, la magnésie et le ciment avaient été préa-
lablement mélangés et le mélange avait été porté au rouge
dans un appareil spécial. D’autres tubes ont reçu des pâtes de
ciment pur à titre de témoins.
La moitié des tubes a été conservée à l’air libre, l’autre moi-
tié a été remplie d’eau. Au bout d’un temps souvent très court,
variant suivant la dose de magnésie et suivant son degré de
calcination, les tubes remplis d’eau se sont fendus sous l’ac-
tion du mélange magnésien, tandis que les tubes conservés à
1 aii libie sont restés intacts, ainsi que ceux, immergés ou non,
qui renfermaient du ciment pur. Bien que les résultats ne
soient pas exactement comparables, la résistance des différents
tubes de verre n étant pas toujours la même, il peut être inté-
ressant de donner quelques détails à ce sujet.
Des tubes contenant des mélanges de 35, de 25 et de i5 p. c.
de magnésie calcinée, soit au rouge, soit au blanc, ont été
immergés le 23 octobre i885. Dès le 27, un premier tube se
cassait le matin et les autres successivement, en sorte que le
28, aucun tube n’était plus intact.
Enfin, des pâtes gâchées le 16 décembre, et mises sous l’eau
dans des tubes le jour même après leur prise, ont brisé les
tubes aux dates suivantes :
DATE COMPOSITION CENTÉSIMALE.
des ai Alumine. <D ai
PROCÈS-VERBAUX d’analyse. Perte au feu Sable siliceux Silice combiné Peroxyc de fer. Chaux. Magnésii Acide sulfuriqt Total.
i5 janvier 1876 . . I,IO i,o5 i5,oo ii,i5 2,40 52,65 16,20 0,45 100,00
12 avril 1876 . . . 0,40 » 14,80 8,00 4,60 47.3o 24,30 0,60 100,00
22 décembre i883. 1,90 » 18,3o 2.95 3,6o 44,80 28,i5 o,3o 100,00
28 juin 1884 .... 1,80 o,35 20,70 3,35 3,65 43,3o 26,70 o,i5 100,00
29 avril i885 . . . 1,35 O 00 0 18,20 4,60 4,i5 43,95 26,50 0,4 5 100,00
Des mélanges à 10 et à 5 p. c., faits le 3 novembre, se sont
brisés, les premiers entre le 7 et le 12, les seconds entre le 21
et le 23.
Les mélanges de ciment et de magnésie se comportent
donc de la même manière que les ciments magnésiens et
subissent un gonflement irrésistible par leur contact avec
l’eau. Afin qu’il ne pût subsister aucun doute sur cette assimi-
lation, un dernier essai comparatif a été fait sur un échantil-
lon de ciment de Campbon, mis à côté d’un ciment de Bou-
logne, mélangé de 25 p. c. de magnésie.
Des pâtes formées avec chacun de ces échantillons ont été
placées dans des tubes semblables, en colonnes d’environ
om8o, assez longues pour qu’on pût espérer rendre apparent
le gonflement de la matière, non seulement par la rupture
des tubes, mais aussi par une dilatation des colonnes. Puis,
on a versé l’eau dans les tubes. Le tube renfermant le mélange
de ciment de Boulogne et de magnésie s’est fêlé au bout de
quelques jours et, par la suite, il s’y est manifesté des fissures
nombreuses, les unes transversales, les autres en forme héli-
coïdale, qui accusent nettement les efforts longitudinaux de la
matière en travail de dilatation. |