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L’ ÉMULATION.
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L’enseignement de l’Architecture
II
ors de la discussion du budget de i agriculture,
de l’industrie et des travaux publics, dans la
séance du 3 mai 1886 à propos de 1 article 54 :
Encouragement en faveur de renseignement des arts
plastique et graphique, M. Wagener, représen-
tant de Gand, émit les mêmes critiques sur l’enseignement
actuel des beaux-arts en Belgique, notamment de 1 archi-
tecture.
Ainsi que nous le disions dans notre requête adressée
l’année dernière aux Chambres législatives, la création dune
école d’architecture, où l’on enseigne à la fois la science et lart,
où l’on forme de vrais architectes, est d’une incontestable utilité.
Les arguments que M. Wagener est venu apporter a notre
cause le démontrent une fois de plus. Voici son discours et la
discussion à laquelle il a donné lieu :
« M. Wagener. Messieurs, je voudrais demander au gou-
vernement où en est la question de la réorganisation de l’Aca-
démie d’Anvers.
« Si j’ai bonne souvenance, l’honorable ministre de l’agri-
culture nous avait promis, il y a quelques jours, de nous
donner à ce sujet des renseignements exacts et complets. Je
ne sais si j’ai lu le Moniteur avec distraction, mais jusqu’à pré-
sent je ne les y ai pas trouvés.
« Ce que je crois savoir, c’est qu’on a singulièrement rape-
tissé le projet qui avait été soumis au gouvernement par une
commission dont j’ai eu l’honneur d’être le président et qui a
travaillé pendant plusieurs années à élaborer un programme
complet, tenant compte de l’enseignement artistique donné
dans les principaux pays de l’Europe.
« Je ne crains pas de dire et de répéter que si le gouverne-
ment avait réalisé le projet présenté à l’honorable M. Rolin
par la commission, la ville d’Anvers eût été dotée d’un institut
peut-être sans rival en Europe.
« Le nom de la ville d’Anvers est encore célèbre dans toute
l’Europe au point de vue de l’art. Je me rappelle que, voya-
geant dans le nord de l’Allemagne et m’adressant à des per-
sonnes peu instruites, qui me demandaient d’où j’étais origi-
naire, celles-ci me répondaient, quand je leur disais que
j’appartenais à la Belgique: « Ah ! c’est probablement d’Anvers
que vous venez ; d’Anvers, la ville artistique. » A tel point que,
dans l’esprit de beaucoup d’étrangers, la ville d’Anvers est la
cité où les beaux-arts se confondent.
« Dans les dernières années, l’enseignement artistique de
l’Académie d’Anvers n’a guère fait de progrès ; il s’y est mani-
festé, au contraire, une décadence véritable qui a été recon-
nue par tous les membres de la commission dont j’ai dirigé
les travaux et dans laquelle se trouvaient, des personnes
appartenant à la ville d’Anvers.
« C’est précisément pour remédier à cet état de choses que
nous aurions voulu voir régénérer l’enseignement artistique de
l’Académie d’Anvers par la création d’un double institut ; on
aurait eu d’abord un institut communal, semblable aux aca-
démies de Bruxelles, de Gand et de Liège; puis, au-dessus
de cette académie communale, de ce qui représenterait, si je
puis m’exprimer ainsi, l’enseignement moyen des beaux-arts,
se serait élevé Vinstitut supérieur, véritable université artistique,
qui eût facilité aux jeunes gens bien doués l’accès des som-
mets de l’art sous toutes ses formes et dans toutes ses direc-
tions.
« Cette université artistique ne devait pas être, dans l’opi-
nion de la commission, une institution communale, mais un
établissement de l’Etat, réunissant dans son sein les illustra-
tions de toutes les écoles, groupant autour d’elle toutes les
forces capables de faire de nouveau atteindre à l’art cette per-
fection et ces grandes allures qui n’existent plus que dans le
souvenir.
« Si je suis bien informé, le gouvernement a résolu de don-
ner suite au projet élaboré par la commission, mais, comme
je le disais en commençant, en le réduisant singulièrement,
sous prétexte que le projet complet coûterait trop cher.
1886
« Je sais qu’on ne peut tout faire à la fois, je sais que
Rome n’a pas été bâtie en un jour, mais j’aurais voulu que le
projet primitif demeurât, dans son ensemble, intact, sauf au
gouvernement à ne le réaliser que successivement, suivant les
ressources dont il disposerait annuellement.
« C’est avec un véritable regret que j’ai constaté notam-
ment, d’après une conversation que j’ai eue avec l’honorable
chef du cabinet, qu’on se proposait de rétrécir le plan de la
commission, en ce qui concerne l’enseignement de l’architec-
ture.
« A l’heure qu’il est, il ne faut pas se le dissimuler, rien
n’est plus mal organisé dans notre pays que l’enseignement de
l’architecture.
« Il y a un grand nombre d’académies de province où se
trouvent ce qu’on appelle des cours d’architecture et qui ne
sont, en réalité, que des cours de dessin. On y a appris à des-
siner d’après Vignole ; quelques années plus tard, dans les
académies où l’enseignement de l’architecture est le plus déve-
loppé, on apprend aux élèves à faire des dessins empruntés
au style roman et au style gothique (x).
« Et les élèves de ces écoles, lorsqu’ils ont obtenu des prix,
et lors même qu’ils n’en ont pas obtenu, inscrivent naïvement
sur leur porte : « M. un tel, architecte. »
« Mais ces messieurs ne sont pas architectes le moins du
monde ; ce sont des dessinateurs plus ou moins habiles, mais
qui ne savent pas construire, du moment qu’il s’agit d’édifier
des bâtiments sortant des données ordinaires. Nous avons des
preuves nombreuses, en Belgique, de leur incapacité, au
point de vue scientifique.
« Il me semble que si l’on veut avoir des architectes véri-
tablement dignes de ce nom, il faut tâcher de former des
hommes qui appuient l’architecture sur les données de la
science ; qui connaissent la stabilité d’une manière approfon-
die, qui aient des notions exactes sur la résistance des maté-
riaux, qui aient suivi des cours complets de technologie.
« M. Beernaert, ministre des finances. Il existe des uni-
versités.
« M. Wagener. Voici, sous ce rapport, la situation : il
existe à Gand une école du génie civil, très bien organisée,
dans laquelle on forme des ingénieurs dont l’Etat belge a le
droit d’être fier.
« Mais la section pour ingénieurs-architectes qui fait partie
de cette école laisse à désirer au point de vue de l’art.
« On apprend aux jeunes gens qui suivent les cours de
cette section la stabilité, la résistance des matériaux, la tech-
nologie, mais on ne les y exerce pas suffisamment au dessin,
parce qu’on n’a pas annexé à cette section un nombre suffi-
sant de cours de dessin pratique.
« Il résulte de l’ensemble de ce que je viens de dire que
nous ayons, d’une part, des ingénieurs qui ne sont pas ou du
moins pas suffisamment architectes, d’autre part, des archi-
tectes qui généralement ne sont pas ingénieurs.
« Telle est la triste situation contre laquelle se débat la
Belgique.
« Quand on charge les ingénieurs des ponts et chaussées
de faire un bâtiment, ce qu’ils construisent est assurément fort
solide, mais généralement aussi d’un goût fort douteux, pour
ne rien dire de plus ; et je ne rencontrerai pa$ de contradic-
teurs à cet égard.
« Lorsque, d’une part, on charge un architecte non ingé-
. nieur d'édifier un-bâtiment sortant des données ordinaires,
l’on a toujours à craindre de voir ce bâtiment nous tomber
sur la tête.
« Une voix. Cela n’est jamais arrivé.
(( M. Wagener. L’église de Laeken n’a pas été achevée,
de peur qu elle ne vînt à tomber sur les passants : l’auteur de
cet édifice était cependant un architecte de renom.
« Il en résulte que nous devons tâcher de former désormais
de véritables ingénieurs-architectes ou de véritables archi-
tectes-ingénieurs, peu importe, qu’on mette l’une de ces quali-
fications avant l’autre (2). Ce qui importe, c’est que dorénavant
ceux qui veulent devenir des architectes sérieux reçoivent un
enseignement scientifique convenable et de tout point suffi-
sant. Je sais bien qu’à l’institut supérieur d’Anvers on aura,
d’après les projets du gouvernement, un soi-disant cours de
stabilité, de résistance des matériaux et de technologie, c’est-
à-dire que toutes ces choses seront enseignées pendant un ou
tout au plus deux semestres, à raison d’une ou de deux heures
par semaine. Mais, ce n’est pas en si peu de te'mps qu’on
enseigne un ensemble des choses aussi difficiles.
« Remarquez d’ailleurs qu’il faudrait exiger des jeunes gens
qui sont appelés à suivre les cours scientifiques nécessaires à
l’architecte, qu’ils aient des connaissances préliminaires suffi-
santes. Si j’ai bien compris ce que m’a dit l’honorable chef du
cabinet dans une conversation que j’ai eu l’honneur d’avoir
avec lui, on a ' singulièrement rapetissé le programme de
l’enseignement architectural à l’Académie d’Anvers. Je lui ai
objecté que l'Allemagne était pleine d’écoles polytechniques
où l’enseignement scientifique de l’architecture était parfaite-
ment combiné avec l’enseignement pratique. L’honorable
ministre en est convenu, mais il disait que pour le moment il
ne croyait pas pouvoir réaliser cette organisation en Belgique
et qu’au surplus il ne s’attendait pas à grand’chose de ce que
pourrait produire en cette matière l’enseignement scientifique.
(1) Ces écoles où l'on fait autre chose que de l’art classique sont bien
rares. 1 (Note de la Rédaction.)
(2) Le titre d’architecte suffirait; l'architecte véritable doit savoir
construire solidement en même temps qu'avec art, les autres ne sont pas
des architectes. (Note de la Rédaction.)
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