Full text |
UE PRECURSEUR9 Vendredi 24 JfnHht 1840
Notre domination est établie dans la province de Tittery; la province de
Constàntine est tranquille et soumise : il ne reste plus qu’à mettre à la
raison les partisans d’Abd-el-Kader dans la province d’Oran, et cette der-
nière tâche sera vigoureusement entreprise dès que nos troupes auront
pris quelque repos, et que la saison sera plus favorable.
— affaire de Mme eaff-arge. — On nous écrit de Brives, 20 juillet :
Je m’empresse de vous annoncer que la chambre des mises en accusa-
tion de la cour royale de Limoges s’est occupée, dans son audience du
18 de ce mois, de l’accusation d’empoisonnement portée contre Mme Ma-
rie Capelle, veuve Laffarge.
Sur les conclusions conformes du procureur-général, la chambre des
mises en accusation a renvoyé Mme Laffarge devant les assises de la
Corrèze qui s’ouvriront à Tulle à la fin d’août prochain.
La santé de Laffarge est toujours faible, une toux sèche et pres-
que continuelle la fatigue beaucoup. Elle ne sort pas de sa cellule. Les
forces physiques lui manquent pour faire quelques promenades dans la
cour étroite de la prison; néanmoins, avec les soins qui lui sont prodi-
gués par son médecin, on espère que les forces reviendront bientôt.
L’accroissement de son malaise actuel n’est que le résultat des émotions
que cette dame a dû éprouver lors des débats du dernier procès.
IPEiysionocsiie Sa jiress® IVssnçaitse.
Le NATIONAL tient aujourd’hui la promesse qu’il a faite à M. Ch. de
Bourmont et publié le plaidoyer justificatif qu’il lui a adressé en faveur
de son père.
u Peut-être, dit-il, trouvera-t-on que nous avons poussé bien loin le
respect du sentiment filial, en insérant dans nos colonnes ce plaidoyer,
dont la longueur ne détruit pas la faiblesse. Le fait matériel est avoué ;
un général de division quitte son poste et passe à l’ennemi; il avait reçu
un commandement, il l’abandonne : il trahit ; il quitte ses troupes au
moment où il avait ordre de marcher: il déserte.... Que signifient après
cela toutes les explications ? Elles tomberaient d’elles-mêmes en suppo-
sant que M. Ch. de Bourmont racontât les faits avec exactitude. »
Le SIÈCLE, à propos des événements de la Péninsule, demande quelle
était la pensée d’Espartero. La correspondance ministérielle qui lui est
contraire, dit-il, que son but était d’amener une transaction entre les
nuances du parti constitutionnel qui se sont trop long-temps combat-
tues, en portant au pouvoir des représentants modérés de ces diverses
nuances.
La PRESSE revient encore sur les éloges que l’on prodiguait au minis-
tère et fait remarquer que les événements semblent s’accorder peu avec
ce qu’en disaient les panégyristes.
« Il n’y à pas quinze jours encore, dit-elle, que les journaux du ca-
binet entonnaient un bruyant hosanna en l’honneur de leurs patrons.
Le traité de commerce avec l’Angleterre était conclu ; le différend
de l’Angleterre avec le roi de Naples était arrangé; l’Orient était paci-
fié; l’Espagne allait enfin jouir d’une ineffable tranquillité ! Tout cela
était désormais acquis, tout cela était dû au ministère du l'> mars, à ce
grand ministère devant lequel tous les obstacles tombaient comme par
enchantement, au dedans comme au dehors. »
Mettant ensuite en regard de ce prospectus la réalité présente, la
Presse trouve : que le traité de commerce avec l’Angleterre est loin d’ê-
tre conclu ; que le Moniteur n’a nullement confirmé la nouvelle de la fin
du différend anglo-napolitain; que la pacification de l’Orient n’est guères
avancée; enfin que la tranquillité de l’Espagne est encore un problème
à résoudre.
La plupart des autres journaux parisiens sont presqu’exclusiment
consacrés à la reproduction du rapport du maréchal Valée.
KEliCilQUE.
Bruxelles, juillet. — Le gouvernement belge vient d’être informé
par M. le chargé d’affaires de Belgique à Copenhague, qu’un avis du
consul-général de Russie, en cette ville, publié dans les journaux da-
nois, a fait connaître très récemment que tous les ports russes sur la
mer Baltique sont ouverts à l’importation des grains, gruaux et farines,
venant de l’étranger, avec exemption de tous droits d’entrée.
11 paraît que l’apparence d’une mauvaise récolte, celte année, dans
les provinces du centre, a donné lieu à cette mesure. En Suède eten Da-
nemark, la récolte s’annonce sous les meilleurs auspices. (Munit.)
courses de chevaux. — Voici quel était le programme des courses de
chevaux qui ont eu lieu hier dans la plaine de Mon-Plaisir :
Course dite la Poule, pour les chevaux de toutes races. — Une seule
épreuve. — Prix 1000 fr. donnés par la ville, plus 150 fr. fournis parles
concurrents pour chaque cheval en lice (inscrit). Etaient inscrits : 5»
JVorthless (4 ans, appartenant à M. Spalding; 2° Lady Mary (4 ans), à M.
l’ray ; 5» Myrtle (7 ans), à M. liamal ; 4» Snarley-Yow (5 ans), à M. de
Heeckeren;5° Château (5 ans),à M, Duvalde Beaulieu; 0" codes (3ans),
à M. Duval de Beaulieu.
Course des cheveaux indigènes. — Deux épreuves en partie liée. —
Prix : 2000 fr. donnés par la ville. Etaient inscrits : 1» Caméléon (Sans),
à la société verviétoise ;2° Faregatne (3 ans), à M. Duval de Beaulieu.
Course de chevaux de toutes races. — Deux épreuves eu partie liée. —
Prix : 2500 fr. donnés par la ville. Etaient inscrits: 1°PareDevil(Sans),
à M. Spalding ; 2° Lady Mary (4 ans), à M. Eray ; 3° Myrtle (7 ans), à M.
de Hamal ; 4“ Pce (4 ans), à la société verviétoise ; 5° Wild ilèro (4 ans),
à M. de Heeckeren;0° Victoria (7ans),àM. Bryan;7«(Late) Gypse Mai/y
(6 ans), à M. De Caters ; 8° Château (5 ans), à M. Duval de Beaulieu.
Dans la première course des chevaux indigènes , le prix a été rem-
porté par Caméléon.
Dans la course dite la poule le'prix a été remporté par Snarley-Yow.
—im’. zaBmmmmmmmmmmmmmimmKmmuammmmmmÊmmammmmmmmmmm m ■—-mm-r
Dans la course de chevaux de toutes races, le prix a été remporté par
Wild-Hera, qui a fait les deux tours de l’arène en 4 minutes et 0 secon-
des. , . .
Il a couru seul à la 0* épreuve. Trois chevaux seulement, sur huit qui
étaient inscrits, ont pris part à la première épreuve.
ANVERS , liE SI JUILLET.
Hier matin, un chien enragé a parcouru la quatrième section.--On l’a
poursuivi le long de la rue des Peignes et du Champ des Flamands, et
ce n’est qu’à l’Esplanade qu’on est parvenu à l’abattre après qu’un en-
fant en avait été mordu. Dans cette saison,la police devrait redoubler de
vigilance et la régence préposer des hommes dans les cinq sections pour
tuer les chiens non-muselés. Cesmesuresauraie'nt le mérite de prévenir
de fâcheux accidents.
— Ce malin un charpentier-constructeur est tombé de l’échafaudage
d’un navireen construction sur un des chantiers delaTéte-des-Flandres.
Blessé assez grièvement, il a été transporté à l’hôpital-civil.
— Ce matin est parti pour Bruxelles le beau yacht anglais Ruby, ar-
rivé dans notre portie 10 de ce mois avec deux passagers de distinction.
Le Ruby est allé prendre ces personnages pour les reconduire à Londres.
— Hier soir est arrivé par le bateau à vapeur hollandais Stad Nym-
wegen, le baron Dembschen, conseiller de S. M. l’empereur d’Autriche.
— Avant-hier matin, un jeune couple, marié dans la matinée, s’était
rendu à Borgerhout pour y fêter dignement le jour de leur union; ils
ne savaient guère, hélas ! les tribulations qui les y attendaient. A peine
attablés avec tous leurs amis dans un des nombreux cabarets de ce fau-
bourg, arrive un ancien amant de la mariée, ex-prétendant à sa main,
et aujourd’hui furieux de se voir supplanté par un rival. Le nou-
veau venu commence par accabler d’injures celle qu’il accusait d’in-
fidélité et, ce qui pis est, révélé, en présence de toute la société, cer-
tains faits, peu propres à édifier le mari d’un jour sur la vertu desa
femme. Un combat régulier s’engage entre celui-ci et l’agresseur, et les
combattants ne sont séparés que par les soldats du poste voisin. La noce,
commencée sous de riants auspices, a fini, on ne peut plus désagréable-
ment, et la lune de miel des nouveaux mariés promet de se remplir
d’amertumes.
— On dit que l’Administration des chemins de fer prépare une agréa-
ble surprise à MM. les fumeurs, et qui ne fume pas aujourd’hui? A dater
du 1er août, il y aura en circulation des diligences tabagies, où l’on pourra
user en touteliberté le cigarre aristocratique ou se distraire avec la pipe
populaire. Le modèle de ces diligences est achevé; on le dit très confor-
tablement distribué pour sa spécialité.
Quelques personnes paraissent n’avoir pas compris le sens de l’arti-
cle du programme des l'êtes de Rubens qui font mention du cortège
commercial et maritime.Cette disposition du programme sera exécutée
de la manière suivante : Les principaux arts et métiers en activité à
Anvers seront représentés dans le cortège,chacun par un char;un grand
nombre de chefs d’atelier,diverses corporations industrielles, maîtres et
compagnons doivent également faire partie du cortège.
Nous reproduirons demain le jugement rendu par le Tribunal de
Commerce d’Anvers, en son audience du 13 de ce mois, en cause du
capitaine Bachelet, commandant le navire français La Zélie, contre
D. Mauroy.
Nous appelons l’attention de nos lecteurs sur le bulletin de la bourse
de Paris, que nous publions à la fin de notre correspondance privée par
pigeons. On y trouvera les bruits qui ont motivé la baisse sur les fonds
espagnols.
L’Administration des postes vient, dit-on, de soumettre à M. le mi-
nistre des travaux publics, un mémoire remarquable sur un nouveau
système de correspondances de la capitale avec toutes les communes
du royaume, même les plus reculées, système mis en concordance avec
le service des chemins de fer existant et de ceux décrétés légalement
ou simplement projetés. Il résulterait des données de ce document, ba-
sées sur les renseignements les plus précis, relatifs aux distances et aux
moyens de communication, que, aussitôt l’achèvement du réseau de
chemins de fer, toutes les communes de la Belgique sans exception
pourraient recevoir les lettres de Bruxelles, ou y faire parvenir celles
qu’elles y adresseraient, en moins de 24 heures. Beaucoup de commu-
nes, éloignées des grandes lignes du rail-way national, mais y touchant
[wr des routes ordinaires, recevraient leurs correspondances plusieurs
fois par jour.
Si ce vaste projet se réalise, et il a en sa faveur toutes les chances d’un
progrès utile et incontestable, Paris, Londres, Francfort, Amsterdam,
c’est-à-dire, une grande partie de la France, de l’Angleterre, de l’Alle-
magne et presque toute la Hollande, ne seront plus qu’à trente heures
et moins des communes les plus éloignées des frontières limitrophes
de ces Etats ou de la mer. Si à ces facilités, on ajoute celles projetées
pour les relations avec l’Amérique, notre beau pays jouira réellement
de tous avantages de sa position centrale; le monde entier profitera de
ce qu’il s’est senti, au milieu d’une forte commotion politique, assez de
de ressources et d'énergie, pour exécuter la plus grande œuvre maté-
rielle de notre époque; nos chemins de fer nous assurent une haute
prépondérance, remplaçant toutes les autres forces numériques, fai-
sons en sorte qu’ils atteignent leur but de civilisation progressive par
leur utilité universelle. (Commerce.)
L’état de la prochaine récolte s’annonce sous les apparences les plus
favorables. On a reçu de la Russie des nouvelles très avantageuses sur
la croissance des blés. Le seigle fait espérer une excellente récolte dans
les gouvernements de Tirser, de Nowgqrod, de Marosloff, et dans plu-
sieurs autres. On a aussi de bonnes nouvelles au sujet de l’état du fro-
ment dans un grand nombre de localités. En Lithuanie les blés ont éga-
lement bien réussi, et il en est de même à Odessa.
Le prix des grains se raffermit en Angleterre, et l’on remarque même
une tendance a la hausse. Il paraît que des doutes y existent sur l’état
de la récolte. Les lettres d’Ecosse disent que les pluies ont été conti-
nuelles et froides, et que les grains ont de la peine à mûrir. On s’attend
à ne faire lamoisson que très tard dans ce pays. Les nouvelles de l’Irlan-
de ne sont pas favorables non plus. Le temps humide et froid empêche
la récolte de faire quelque progrès. On dit aussi que le vent glacial et la
pluie qui ont régné sur la côte de l’ouest ont causé de grands dommages.
D’un autre côté, les rapports de l’intérieur et des comtés de l’Est, sont
très satisfaisants, principalement pour lesavoines et les pommes de terre.
En France, la situation se présente sous un aspect beaucoup plus fa-
vorable. Les derniers renseignements parvenus sur les récoltes, dans
le département de la Seine , sont des plus rassurants. Dans les départe-
ments qui forment le rayon habituel de l’approvisionnement de Paris,
la situation des blés est la même que dans le département de la Seine ;
la récolte va se faire très prochainement, et elle s’annonce très bien.
Chez nous, en Belgique, les campagnes de la Flandre, de la Hesbaye,
du Limbourg, sont couvertes de riches moissons. Le seigle surtout est
parfaitement venu. Le froment peut-être ne sera pas d’une qualité
aussi bonne que les années précédentes. Il ne sera pas non plus aussi
abondant. Mais quelques jours de soleil et de chaleur pourront considé-
rablement améliorer cette récolte. Les pommes de terre et les avoines
ont bien réussi. Somme toute, cette année comptera parmi les plus fa-
vorables ; s’il n’arrive aucun sinistre, nous n’aurons pas à nous en
plaindre.
Correspondance privée «lu Précurseur.
(par pigeons.)
Paris, 23 juillet.
On croyait que M. le maréchal Grouchy avait renoncé au procès qu’il
avaitannoncé devoir intenter à M. le général Berthezène.
M.le maréchal Grouchy écrit des eaux de Courseules,au Courrier
Français, une lettre dans laquelle il déclare qu’ayant rempli toutes les
formalités voulues, il ne doutait pas que la chambre des pairs ne fût
constituée en cour de Justice avant la clôture de la session législative.
Cet espoir ayant été déçu, il est allé prendre les bains de mer; mais il
déclare qu’il renouvellera ses demandes légales avec non moins d’éner-
gie qu’il n’en a mis à les faire.
— M. de Rumigny, ancien ambassadeur de France à Madrid estarrivé
à Paris. Il ne se rendra à son poste de Bruxelles qu’après les fêtes de
Juillet.
— Le pape a tenu un consistoire secret le 13 au matin, dans lequel ont
été nommés,M. Affre à l’archevêchéde Paris, M. Goussetà l’archevêché
de Reims; M. Darcimoles, ex-vicaire-général de Meaux et Sens à l'évè-
ché du Puy; M. Chartrousse, vicaire-général du diocèse de Grenoble, à
l’évêché de Valence, et M. Graverai), curé de Brest, à l’évêché de Quimper.
Maintenant que la presque totalité des officiers espagnols a quitté le
département des Pyrénées-orientales, le camp du champ-de-Mars sera
levé.
Une première colonne de 1070 hommes est partie de Perpignan le 16,
et a été dirigée sur Rhodès (Aveyron).
Le départ de la seconde colonne, forte de 1052 hommes, a été opérée
le 17 pour Alby.
Chaque jour le même nombre d’hommes lèveront le camp et seront
dirigés sur les dépôts de l’intérieur et remplacés à Perpignan par les
bandes nombreuses qui, chaque jour, inondent notre frontière.
M. Hénaut, préfet du département, a toujours été présent au départ
de ces troupes, qui ont été dirigées avec le plus grand ordre.
Nouvelles d’Espagne.
La Gazette de Madrid du 10 publieles décrets suivants : Les opérations
militaires, dont la direction exigeait les soins exclusifs du capitaine gé-
néral Don Baldomero Espartero, duc de la Victoire et de Morella et gé-
néral en chef des armées réunies, étant arrivées à un terme heureux et
décisif, le soin de ces opérations ayant été le seul motif qui me fit ac-
cepter par mon décret royal du 21 décembre 1838, sa démission des
fonctions de commandant-général de la garde royale, qui lui avaient été
conférées par décret du 11 du même mois de la même année, sur l’ex-
position qui m’a été faite parle lieutenant-général don Géromino Valdès,
a qui j’avais confié, par suite de cette démission et par le même décret
royal du 21 décembre, ccs importantes fonctions, en ma qualité de Reine
régente, je confère de nouveau le commandement général de la garde
royale audit capitaine-général Duc de la Victoire et de Morella, suivant
ma royale volonté telle qu’elle est énoncée dans le susdit décret royal
du 11 décembre 1838, témoignant en même temps par le présent ma
satisfaction du zèle et de la loyauté avec lesquels le lieutenant-général
Don Géromino Valdès s’est acquitté de ces fonctions. Vous l’aurez pour
entendu.
Barcelonne, le 11 juillet 1840. LA REINE.
Contre-signé : D. Séraphin, Maria de Soto, comte de Cléonard.
Par un second décret de la même date, le lieutenant-général don
Géromino Valdès est nommé inspecteur-général des milices provin-
ciales, en récompense de ses bons et loyaux services, en remplacement
du maréchal de camp don Alphonse Gallego.
Un jour, mon père nous appela ma sœuret moi ; il nousfit asseoir au-
près de lui, auprès de notre mère, pour nous apprendre un grand mal-
heur : il nous parle de ses affaires, de ses spéculations et nous comprî-
mes qu’il était ruiné, déshonoré, perdu!— Rajouta, eu hésitant, avec
un embarras extrême, qu’une espérance lui restait encore : le mariage
de Lazarine....
— Mon mariage ! lui dit ma sœur ; si nous sommes ruinés, qui donc
voudra de moi pour sa femme?
— Le plus riche armateur de la ville, M. de Pontois....
— Dieu soit loué ! s'écria la pauv re enfant, et que M. de Pontois soit
béni !
— Prends garde, Lazarine! balbutia ma mère; ton futur mari n’est
plus jeune !
— Qu’importe ! Est-ce que le cœur a des rides ?...
A mon tour, je lui demandai en tremblant: Lazarine, la main sur la
conscience, lu n’aimes personne ?...
Elle me répondit, avec un sourire : Je vous aime ! voilà tout.
Malgré l’espoir de cette union si brillante, mon père était bien abattu,
ma mere bien inquiète, et moi bien triste; Lazarine seujf se montra gaie,
contente, ravie; elle nous quitta en riant, eu chantant, comme une folie
bien heureuse.... — Sublime comédie !
Je ne sais trop pourquoi, il me vint l’idée subite de sortir sur ses pas
et de la suivre : elle monta jusqu’au dernier étage de la maison et se
glissa dans une petite chambre donl elle oublia de fermer la porte, sans
doute à force d’émotion.
Cette mansarde appartenait à un commis de mon père, un jeune
homme appelé Joseph, orphelin recueilli autrefois parmi nous, élevé par
les soins, par l’amitié, par l’intelligence de Lazarine : elle lui avait ensei-
gné à lire, à écrire, à penser, à sentir et à aimer ; que voulez-vous ?...
dans sa reconnaissance, l’élève profita de cette charmante instruction
pour adorer son amie, sa protectrice, sa maîtresse !
Lazarine lui raconta sans trembler, sans,pleurer, toutee quivenaitde
se passer dans le salon de mon père; elle lui parla de ses devoirs, de son
mariage, de leur séparation nécessaire, indispensable : n’ayant pas la
force de l’approuver avec des paroles, l’amoureux se mit à l’approuver
du geste et du regard.
— Joseph! lui dit Lazarine, jurez-moi de vivre en honnête homme,
d’avoir de la volonté, de la résolution et du courage.
— Jele jure! répondit le jeune homme.
* - Jurez-moi de m’aimer toujours, sans chercher à me revoir jamais.
— Je le jure !
J urez-moi d’aimer et de servir, si je meurs, mon père, ma mère, mon
frère, tous ceux que j’aurai aimés.
— Je le jure !
— Adieu donc et partez !... vous êtes un noble cœur et je vous aime !
Près de sortir, Lazarine s’arrêta sur le seuil delà porte, et se tournant
encore vers Joseph, qui la regardait en sanglottant :
— Ami! s’écria-t-elle, il y a bientôl deux ans, je t’ai donné ma pre-
mière parole d’amour : reçois aujourd’hui mon premier et mon dernier
baiser !
Joseph s’agenouilla avec respect, pour recevoir, des lèvres de Laza-
rine, ce baptême de l’amour malheureux; ma sœur se pencha tristement
• sur le front du néophyte,—elles deux martyrs s’embrassèrent!...
Je n’ai point revu ce jeune homme, madame ; où souffre-t-il mainte-
nant? que fait-il ? est-il de ce monde ? — S’il vit encore, que le ciel le
soulage! que le baiser de Lazarine lui porte bonheur!
La semaine suivante, madame, je signai au contrat de ma sœur, et
notre père fut sauvé ! — Au bout de quinze jours, la célébration du ma-
riage eut lieu devant le maître-autel de l’église métropolitaine, avec
une pompe et une splendeur inimaginables : l’assistance était nom-
breuse, brillante; les pauvres, secourus par les mariés, formaient au-
tour d’eux un cortège d’honneur, j’allais dire de bonheur; la foule était
accourue sur les marches et dans la nef de l’église, pour se mêler, de
près ou de loin, aux magnificences de la cérémonie;monseigneur l’évé- j
que lui-même daigna officier ce jour-là, madame ; et pour que l’élo-
quence ajoutât encore à la solennité de la bénédiction nuptiale, les or-
gues sacrées prirent tout à coup la parole et adressèrent aux deux
époux un sermon admirable, tout plein de douceur, d’entraînement et
d’harmonie; les demoiselles de la ville portèrent envie à la future des-
tinée de Lazarine : vous allez voir, madame, s’il y avait, dans ce bel
avenir quelque chose qui dût exciter la jalousie!...
Quand elle arriva chez elle, chez son mari, ma sœur était toute pâle,
toute tremblante; les esprits-forts de la fête plaisantèrent, avec des
mots et des sourires sauvages, sur cette émotion, sur cette pâleur, sur
tout ce terrible embarras que donne le plus beau jour de la vie; enfin,
l’on se mit à jouer, à danser, à faire de la musique, à courir dansles sa-
lons et dans les bosquets de l’hôtel; lorsque toutle monde fut déjà bien
fatigué du jeu, des instruments et de la danse, on se prit à réclamer la
présence de la mariée; on entendit crier, par toute la maison : Où est
Lazarine ? où est ma femme ? où est ma fille ? où est ma sœur ?
Hélas ! madame , Lazarine s’était retirée bien avant l’heure , dans la
solitude delà chambre nuptiale; en accourant auprès d’elle, mon père,
ma mère et moi, nous la trouvâmes étendue sur un lit, calme, muette,
immobile ses petits bras croisés sur sa poitrine, enveloppée dans son
voile de mariée, comme dans le chaste linceul d’une jeune fille.
En nous voyant penchés sur elle, inquiets, haletants, éperdus, ma
sœur se releva lentement ; elle écarta les plis de son voile , j’allais dire
de son suaire; elle nous fit signe de nous asseoir et de l’écouter :
— Mon père, ce mariage a-t-il réparé les torts de la fortune envers
vous ?
— Oui ! lui répondit mon père.
— La main de votre fille a-t-elle sauvé votre honneur ?
— Oui !
— L’avenir de ma mère sera donc heureux ?
— Oui !
— Le nom de votre fils sera donc respecté ?
— Oui !
— Vous m’aimez tous ?
— Oui !
— Vous n’avez plus besoin de moi, et maintenant, je n’ai qu’à
mourir !
Alors, madame, avec une intention secrète qui ne pouvait naître que
dans la pensée d’une vierge, Lazarine détache de son sein le bouquet
de la mariée et, le donnant à ma mère, elle murmura ces mots : Pour
mon mari ! — Au même instant mes yeux se fermèrent; je chancelai,
j’eus le vertige, j’exhalai un soupir terrible et je tombai la face contre
terre.
Quand je revins à moi, il était déjà nuit : je me trouvai seul, dans un
lit qui n’était pas le mien, dans une grande chambre triste et mal éclai-
rée ; sans doute on m’avait oublié pour ma sœur ! — J’écoutai, et j’en-
tendis des plaintes , des gémissements ; il me sembla que quelqu’un ré-
clamait l’assistance du docteur au chevet de Lazarine : Je me levai à la
hâte ; je m’habilai au hazard ; je m’élançai hors de la maison ; je me mis
à courir dans les rues de la ville, la tête découverte, les pieds nus , les
vêtements en désordre, et j’allai frapper ainsi à la porte du médecin ; et
comme je soulevais déjà le marteau de cette maudite porte, un bruit
sourd gronda près de moi, à côté de moi; c’était le bruit d’un orgue,
madame, d’un orgue attardé sur la place publique et dont les sons me
firent tressaillir. Il me vint une idée sinistre, affreuse ; je frappai mon
•front d’une main tremblante, et je m’écriai, les yeux tournés vers le
ciel: Lazarine est mortel — Et C’était bien vrai! madame: Lazarine
venait d’expirer !
Si vous n’avez point assisté au spectacle de la mort, au milieu delà fa-
mille, dans une personne et une affection bien aimées, vous n’avez pas
encore souffert dans ce monde, vous ne savez rien de la douleur !—Dans
cet immense moment au dernier souffle de l’âme qui s’envole, il vous
semble que c’est un peu de vous-mème que vous avez perdu, qui se dé-
tache et qui s’en va je ne sais où; c’est votre propre sang qui coule par
une large blessure ; c’est votre chair que l’on déchire ; c’est une fibre de
votre cœur que l’on coupe et que l’on arrache !
L’absence, n’est-il pas vrai? augmente les grandes passions, les grands
sentiments, les grandes douleurs; eh bien! madame, appliquez à la
pensée d’une absence douloureuse l’éternité de la mort, et jugez comme
l’on pleure, comme l’on se souvient, comme l’on regrette, comme l’on
souffre !
Ma mère seule n’a jamais voulu croire à la mort de sa fille; elle nous
a raconté, bien des fois, qu’une nuit, la toiture de la maison s’étant en-
trouverte, des anges se glissèrent jusqu’au chevet de Lazarine; ils la
prirent vivante sur leurs ailes et ils l’emportèrent vers Dieu ! —11 est
vrai de vous dire aussi que ma pauvre même est devenue folle.
Depuis ce temps-là, madame, quand les accents plaintifs d’un orgue
éclatent auprès de moi, ils me réveillent en sursaut, que je dorme, que
je rêve tout éveillé ou que je pense; chacun de ses gémissements m’ap-
porte un souvenir et une crainte; il me rappelle des infortunes, il m’an-
nonce de nouvelles douleurs ; chacun de ses soupirs notés glisse dans
ma pensée, comme le prélude d’un hymne de mort qui va sechanter dans
mon cœur; chacune de ses mélodies équivoques est une parole secrète
qui me fait trembler ; c’est une voix mystérieuse qui vient de murmurer
au fond de mon ame : Prends garde !.... il t’arrivera malheur !
— Maurice, mon ami, lui dit Clémentine, en essuyant ses larmes,ayez
du courage, espérez des temps meilleurs !... Je veux faire mentir la voix
de l’orgue qui vous a parlé ce soir, qui vous a tant effrayé.... — Vous
a-t-elle prédit la souffrance, la mort ? elle ment ! car vous êtes jeune et
l’on ne meurt pas à vingt ans; — vous a-t-elle prédit l’infortune, la mi-
sère? elle ment ! car je suis riche ; — vous a-t-elle prédit les tourments
du cœur, le désespoir et l’amour malheureux ? elle ment? car je vous
aime....
— Vous, madame,! s’écria Maurice, étonné de son bonheur.
— Enfin, continua Clémentine, la voix de l’orgue vous a-t-elle prédit
l’ennui, la solitude, l’abandon ? Elle ment encore, elle ment toujours !
Car, désormais, je serai près de vous, je serai votre femme !
Maurice, ivre de joie, hors de lui, essaya vainement de vaincre sa fai-
blesse et son émotion, pour répondre à Clémentine, pour se jeter à ses
genoux, pour la remercier et la bénir; il la regarda et ses yeux se fermè-
rent soudain; il tenta de lui parler et ses lèvres se serrèrent aussitôt,
dans une étreinte convulsive; il voulut marcher et il chancela; il tendit
la main à Clémentine et il totnbaà ses pieds, sans mouvements, sans re-
gards et sans voix !
Aux cris de la jeune femme, on accourut de tous les côtés de la mai-
son; des médecins furent appelés à la hâte: ils examinèrent long-temps
l’état du pauvre malade, si long-temps, que M™<- Wilson se décida à le»
interroger, bon gré, malgré; elle leur demanda, en tremblant : Mes-
sieurs, est-ce un évanouissement ? — Est-ce une léthargie? Non, lui ré-
pondit une voix sans pitié, c’est la mort !
Maurice avait succombé sous le choc d’une émotion trop violente; il
venait de mourir d’un excès de bonheur et d’un anévrisme rompu !
Plus tard, revenue desoneffroi, desa douleur, peut-étredeses regrets,
Clémentine disait souvent, au souvenir de l’orgue de Barbarie, et de la
fin tragique de Maurice ; Hélas ! il est donc vrai? les pressentimentssont
des ombres que l’avenir projette dans notre pensée, pour nous donner
réveil et nous prévenir de son approche ! LOUIS LURINE. |