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1885.
N° 2.
10e ANNEE.
L'ÉMULATION
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE
DARCHITECTURE
DE BELGIQUE
BUREAUX : BOULEVARD DU HAINAUT, 139, BRUXELLES
ABONNEMENTS
Belgique . . . .25 francs.
Etranger (port en sus). 28 francs.
L’année parue mise en
carton . . . .50 francs.
ADMINISTRATION
Boulevard du Hainaut, 139
Bruxelles
— DÉPOSÉ —
ANNONCES & RÉCLAMES
A FORFAIT
S’adresser à 11. Ch. CLAESEN, éditeur
Rue du Jardin Botanique, 26
LIÈGE
DIRECTION
Rue Royale Sainte-Marie, 128
Schaerbeek
— DÉPOSÉ —
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SOMMAIRE
Les Concours publics à la Chambre des Représen-
tants. V. D. — Société Centrale d’Architecture de
Belgique : Assemblée générale extraordinaire du
23 janvier 1885; Excursions; Assemblée mensuelle
du 6 février 1885. — Concours : Concours Louis
Hymans ; Concours pour la construction d'un palais des
Beaux-Arts à Lille, deuxième épreuve : concours défi-
nitif, V.D.; Concours divers. — Œuvres publiées. C. N.
Archéologie. — Nécrologie. — Faits divers.
LES CONCOURS PUBLICS
A LA CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS.
Dans sa séance du 27 janvier dernier, la Chambre des
représentants s’est occupée de cette question si intéressante
des concours publics.
A propos de l’article 31 du budget de la justice et des cultes,
M. le représentant Delebecque a demandé au Gouvernement de
subordonner l’octroi de subsides, aux provinces et, aux commu-
nes, pour la construction d’églises, àlamiseau concours public
des plans de ces édifices. Voici le discours de M. Delebecque
et le compte rendu de la discussion à laquelle il a donné lieu :
Messieurs,
J’ai demandé la parole sur l’article 31 pour appeler l’at-
tention de la Chambre sur l’architecture de nos monuments
religieux.
Tous ceux qui, en Belgique, s'intéressent aux beaux-arts,
et la Belgique est le pays des beaux-arts, sont frappés de l’es-
pèce de dépression qui existe pour notre art architectural.
On constate avec chagrin que souvent nos églises n’ont
plus de caractère artistique bien pur.
Malgré les subsides de l’Etat et des provinces, les com-
munes choisissent parfois leurs architectes, non pas précisé-
ment a cause de leur talent, mais souvent à cause d’un certain
népotisme local, a cause de recommandations et aussi quelque-
fois à raison d’un certain intérêt politique.
Je voudrais trouver un remède à cette situation afin de
relever le niveau de notre art architectural, pour donner à nos
monuments non pas le caractère qu’ils avaient autrefois, ce qui
serait impossible, mais pour relever le niveau actuel.
On m’a objecté que l'architecte ne peut donner que ce
qu’il a.
La commission des monuments examine leur travail et
donne ensuite l’autorisation aux artistes d’exécuter leurs
œuvres.
Voici ce qui se passe généralement : on rend responsable,
parfois bien injustement, la commission des monuments les
membres de cette commission sont cependant animés d’un
grand désir de bien faire; je ne veux pas émettre la moindre
critique à leur égard et je dirai seulement qu’ils ne peuvent
transformer des œuvres médiocres.
Quel est le remède à cette situation?
Je crois que le niveau artistique dans notre pays est resté
cependant dans une très bonne moyenne, en la comparant à ce
qu’elle est dans les pays étrangers; on trouve que nos archi-
tectes valent autant que ceux des pays voisins; cependant le
voyageur qui visite la France et l’Allemagne peut constater que
les églises de construction récente y sont fort belles et ont un
cachet spécial. Dans nos petites communes, au contraire, on
constate, —comment m’exprimerais-je? — un laisser aller, une
lourdeur, un manque d’élégance presque constants.
Je pense que la cause de cette infériorité réside dans le
défaut d’initiative ; il faudrait plus d’émulation parmi les archi-
tectes. Nos jeunes artistes se découragent ; pour les encourager,
il leur faudrait la certitude de réussir quand ils ont bien fait.
Je me permets de signaler à l’honorable ministre un moyen
de remédier dans une certaine mesure à ce mal, c’est d’orga-
niser les concours publics; pourquoi ne pas inviter les com-
munes et les provinces, ainsi que les établissements publics, à
donner les commandes aux artistes qui auront fait preuve de
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talent et de mérite. La commission des monuments a un rôle
fort difficile; comme je l’ai déjà dit, elle ne peut suffire à
rendre bons les projets des artistes; elle les amende, les ren-
voie à correction deux, trois, quatre fois, et, comme le projet
revient avec des changements, la commission, lassée, finit par
donner son autorisation afin que les travaux ne soient pas
retardés trop longtemps et que la commune soit dotée de l’éta-
blissement qu’elle désire.
Quel est le rôle de l'Etat? C’est d’accorder les subsides. Si
l’Etat n’accordait son subside qu’à la commune qui mettrait au
concours public le plan du monument à ériger, et son exécu-
tion, je crois qu’on arriverait à un résultat bien meilleur.
En outre, il y a dans cet ordre d’idées un sentiment démo-
cratique : c’est de vouloir que les jeunes puissent arriver à leur
tour et faire preuve de talent, de vitalité, en un mot, qu’ils
puissent se montrer et prendre la place à laquelle ils ont droit.
Aujourd’hui l’occasion leur fait souvent défaut et le concours
leur donnerait la certitude de pouvoir arriver à la réputation, à
la fortune; et c’est là un sentiment bien légitime chez les
jeunes artistes, chez les jeunes travailleurs,
Il y a beaucoup de jeunes artistes qui font de grands efforts
pour arriver et qui ne veulent pas recourir à l’intrigue, ni
mendier les faveurs.
Eh bien, messieurs, ces caractères sont d’autant plus esti-
mables, il faut les soutenir. A mon avis, le concours public
leur facilitera les moyens d’arriver à la réputation et de con-
quérir les honneurs et la fortune.
La Belgique n’est pas inférieure aux nations voisines ; en
Allemagne, en Autriche, en France, on fait appel aux concours
publics.
Ainsi à Vienne, pour l’église Votive; à Paris, pour l’église
du Sacré-Cœur; à Hambourg et à Berlin, pour la cathédrale;
à Lille, pour Notre-Dame de la Treille; à Grenoble, à Leval-
lois-Perret, enfin, messieurs, dans bien d’autres villes dont je
ne vous donnerai pas la liste, car elle est trop longue, tous
ces monuments ont été mis au concours.
Pourquoi ne ferions-nous pas en Belgique ce qui se fait en
Allemagne, en Autriche, en France, et ce qui se fait même
pour des monuments civils en Italie et ailleurs? Nous arrive-
rions ainsi à améliorer considérablement l’aspect général de
nos monuments. Je prierai donc M. le ministre de la justice
d’examiner cette question avec attention, car il importe qu’elle
soit résolue sans tarder.
Le moyen pratique serait d’inviter, par voie de circulaire,
les provinces, les communes et les fabriques d’église à mettre
au concours les édifices du culte catholique et, en second lieu,
de n’accorder les subsides de l’Etat à ces provinces, communes
et fabriques d’église qu’à la condition sine quâ non qu’elles -
procéderaient ainsi.
On pourrait arriver ainsi au résultat que je poursuis et qui
doit être dans le désir de tous les membres de cette Chambre,
car nous avons tous un intérêt égal à voir notre génération
produire des monuments qui seront admirés par les généra-
tions futures, plutôt que de faire, comme c’est le cas dans
quelques villages, de véritables granges. Je ne suis ici que le
porte-parole de la jeunesse. Il existe à Bruxelles une société
d’architecture qui a formulé un règlement des concours publics;
j’en ai ici un exemplaire, et si M. le ministre veut me permettre
de le lui passer, il le consultera, j'en suis sûr, avec un certain
intérêt, et je pense qu’après les paroles que je viens de pro-
noncer, il pourra faire droit à ma demande et mettre au con-
cours les plans des églises à construire, en subordonnant
l’octroi des subsides à cette condition.
M. Woeste. — Deux mots seulement pour faire des réserves
au sujet de l’idée qui vient d’être émise par l’honorable
M. Delebecque. Je ne m’oppose pas à ce que le ministre de la
justice en fasse l’objet d’une étude attentive; mais je lui
demande de ne pas s’engager légèrement dans ce sens.
L’honorable membre demande que, désormais, l’Etat n’ac-
corde plus de subsides pour la construction d’églises que pour
autant que les communes et les fabriques se soient engagées à
mettre au concours public les plans des églises à élever. 11
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ajoute, à la vérité, que le gouvernement doit prévenir de ses
intentions par voie de circulaire les administrations intéressées.
Mais, même avec ce tempérament, l’innovation qu’il propose
constituerait une nouvelle entrave à la liberté des communes.
(Oh! oh! à gauche.)
Actuellement les communes reçoivent des subsides de l’Etat
sans condition, en ce sens qu’elles traitent pour les plans
comme elles l’entendent et que ceux-ci n’ont besoin que de
l’approbation du gouvernement, laquelle intervient après l’avis
de la commission royale des monuments. Désormais il s’agi-
rait de dire aux communes : Ou bien vous passerez par nos
conditions pour le choix des plans et de l’architecte, c’est-à-dire
vous mettrez au concours les plans des églises à construire;
ou bien vous n’aurez plus de subside. Dans ces conditions, il
est incontestable qu’il y aurait là une nouvelle entrave à la
liberté des communes.
M. Rolin-Jaequemyns. — Les communes n’ont pas un droit
absolu aux subsides du gouvernement.
M. Woeste. — Je ne prétends pas cela. Je sais que les sub-
sides constituent un don gracieux du gouvernement, une simple
faculté pour lui, que le gouvernement est libre de les accorder ou
de les refuser. J’examine la question de savoir s’il est conve-
nable que le gouvernement pose en cette matière une nouvelle
entrave à l’initiative et aux choix des communes. (Interruption.)
L’honorable M. Rolin m’interrompt. Je sais que, lorsqu’il
s’agit de brider la liberté des communes, on peut être sûr de
rencontrer l’honorable membre.
M. Rolin-Jaequemyns. — Je demande la liberté du gouver-
nement.
M. Woeste, — Je suis d’accord avec vous puisque je recon-
nais que le gouvernement a le droit d’accorder ou de ne
pas accorder des subsides. La question est de savoir s’il faut
en subordonner l’octroi à la condition qui vient d’être indiquée
par l’honorable M. Delebecque. (Interruption.)
Permettez, monsieur Rolin, vous répondrez, si vous le jugez
à propos; vous ne me laissez même pas développer ma pensée.
Or, je prétends, messieurs, qu’il êst inutile de placer les
communes dans une situation plus rigoureuse que celle qui
leur est faite actuellement.
Cette exigence nouvelle, en effet, serait-elle justifiée en fait?
S’il en était ainsi, je comprendrais jusqu’à un certain point
l’idée préconisée par l’honorable membre. Mais il ne me paraît
pas être au courant de ce qui a été fait, au point de vue des
constructions d’églises, depuis un certain nombre d’années.
Il a visité la France et l’Allemagne, et il a parlé des belles
églises qui y ont été construites. Mais s’il voulait bien par-
courir les Flandres, il verrait que, dans ces dernières années,
on y a édifié un très grand nombre d’églises d’un style à la fois
très sévère et très pur, qui fait l’admiration non seulement des
Belges, mais encore des étrangers.
Il suffit de faire un voyage dans le pays flamand pour se
convaincre de l’exactitude de ce que j’avance.
M. Delebecque. — J’ai fait ce voyage.
M. Delcour. — Il ne faut pas sortir du Brabant pour cela.
M. Woeste. — Sans doute ; mais je parle des Flandres,
parce que je connais plus spécialement les églises de mon
arrondissement. Au surplus, ce qui est vrai du Brabant et des
Flandres, est également vrai des autres provinces.
Que des églises médiocres aient été construites, c’est évident;
il ne peut en être autrement, parce que les belles églises coû-
tent généralement assez cher, et que les communes et les fa-
briques d’église n’ont souvent que des ressources limitées. Le
gouvernement peut-il empêcher cela? Non, car il n’intervient
par voie de subsides que dans une mesure restreinte; il inter-
vient à proportion de l’intervention des fabriques, des com-
munes et des provinces, et quand, faute de ressources, cette
intervention est limitée, il est impossible d’ériger un édifice
qui ne laisse pas à désirer jusqu’à un certain degré au point
de vue artistique.
Mais, messieurs, là où les communes et les fabriques
d’église ont des ressources suffisantes pour bâtir de belles églises, |