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1884.
N° 9.
9e ANNEE.
ABONNEMENTS
Belgique .... 25 francs.
Elranger (port eu sus). 28 francs.
L’année parue mise en
carton . . . .50 francs.
L'ÉMULATION
PUBLICATION MENSUELLE DE LA SOCIÉTÉ CENTRALE
ANNONCES & RÉCLAMES
A FORFAIT
S’adresser à M. Ch. CLAESEN, éditeur
Rue du Jardin Botanique, 26
LIÉGE
ADMINISTRATION
Boulevard du Hainaut, 139
Bruxelles
D'ARCHITECTURE
DE BELGIQUE
DIRECTION
Hue des Quatre - Bras, 5
Bruxelles
— déposé — BUREAUX : BOULEVARD DU HAINAUT, 139, BRUXELLES -déposé-
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SOMMAIRE
Les concours publics en Belgique et à l'étranger. E. T. A.
A propos de l'Exposition nationale d'Architecture.
Alphonse Wauters. (Suite, voir n° 8, col. 82.) — Société
Centrale d’Architecture : Assemblée générale du
8 août 1884. — Jurisprudence. — Bibliographie.
Nécrologie. — Concours. — Faits divers.
LES CONCOURS PUBLICS EN BELGIQUE
JET A LÉTRANGER.
La revue allemande Ueber Land und Meer a publié sur le
concours ouvert à Berlin pour l'érection d’un nouveau Pai’-
lement un article dont voici ia traduction :
Le concours ouvert par le gouvernement allemand pour la
construction d’un édifice destiné au Parlement a été jugé le
24 juin. Le jury a déposé son rapport plus tôt qu’on ne croyait ;
son travail cependant n’était pas facile à faire, car cent quatre-
vingt-neuf architectes ont répondu à l’appel, et parmi eux beau-
coup d’artistes des plus réputés de l’Allemagne.
Le premier prix est échu en partage à MM. Paul Wallot,
de Francfort-s/Mein, et Frédéric Thiersch, de Munich, tous
deux jeunes encore et peu connus en dehors de leur pays.
C’est le projet du premier qui sera exécuté, avec quelques
modifications, et après l’adoplion définitive par la commission
parlementaire.
Trois seconds prix ont été décernés à :
MM. Cerner et Wolffenstein,
Kaiser et Grossheim, et
Henri Seeling, tous cinq de Berlin,
et cinq troisièmes prix à :
MM. Busse et Schwechten, de Berlin,
Ende et Bockmann, de Berlin,
Giese et Weidner, de Dresde,
Sclmpmann, de Berlin, et
Stier, de Hanovre.
Le lauréat du premier concours qui a eu lieu ii y a quelque
temps, M. Louis Bohnstedt, n’a remporté aucun prix; il n’a
pas même eu la chance de se voir allouer une des dix primes
de 2,000 marks que le jury a accordées aux artistes suivants,
dont les projets très remarquables seront conservés par la
commission du concours :
MM. Otto Wagner, de Vienne,
Eisenlohr et Weigle, de Stuttgart,
Bluntschli, de Zurich,
Hallier et Fitscher, de Hambourg,
Ferstel, de Vienne,
Stammann et Zianow, de Hambourg,
Gorgolewsky, de Berlin,
Schmieden et Speer, de Berlin,
Hoszfeld et Hinkeddeyn, de Berlin, et
Buhlmann, de Munich.
Il ne paraît pas que le rapport du jury ait été accueilli très
favorablement par les architectes en général et par la presse.
On trouve d’abord, que le projet de M. Wallot, qui va être exé-
cuté, n’a pas le caractère monumental de celui de M. Thiersch.
Ce dernier, quoique ayant surtout une valeur au point de vue
académique, dépasse cependant de beaucoup le premier par
son originalité et sa science d’arrangement. Au centre du pro-
jet s’élève une coupole rappelant un peu celles de Saint-Pierre
de Rome et de Saint-Paul de Londres, et qui paraît être beau-
coup plus à l’échelle de l’immense place Royale (sur laquelle doit
être élevé le monument), que le couronnement carré et maigre
qui surmonte le projet de M. Wallot. Tandis que la coupole
du premier se trouve au-dessus d’un grand vestibule, celle du
second est placée sur la salle des séances dont elle est cepen-
dant séparée par un vitrage. Cette construction, percée de
quatre ouvertures colossales, doit servir à flistrihuer la lumière
à la salle des séances et elle a fourni à son auteur une idée
qui ne manque pas d’originalité'. M. Wallot, dans sa notice
explicative, dit que la lumièrésjaillissant des quatre ouvertures
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apprendra aux Berlinois l’activité et le sentiment du devoir des
législateurs de l’empire.
En somme, M. Wallot ne semble pas avoir donné à ses
façades le caractère voulu, et parmi les deuxièmes et troisièmes
primes il se trouve plusieurs façades ayant plus de valeur,
notamment celle de MM. Kaiser et Grossheim.
L’exposition a produit une bonne impression et elle a con-
firmé le fait, que depuis quelques années l’architecture a fait
un grand pas en Allemagne. Quatre projets étaient traités en
style gothique, deux en renaissance allemande et le reste en
renaissance italienne.
M. Wallot, un des deux premiers lauréats, est né à Offenheim.
Il a fait ses premières études à Darmstadt, est allé ensuite
à Hanovre, puis à Berlin, et après un voyage en Italie
et en Angleterre, s’est établi à Francfort, où il a élevé plu-
sieurs constructions privées remarquables. Enfin, il a obtenu
la première prime au concours du cimetière central de Dresde
et la troisième, au concours du pont Saint-Étienne de Vienne.
M. Thiersch, qui a également obtenu la première prime, est à
peine âgé de 30 ans, est né à Marburg, en Hesse. Élève de
l'académie de Stuttgart, il compléta ses études dans l’atelier
de M. Mylius et Bluntschli, les architectes bien connus de
Francfort, voyagea pendant deux ans en Italie et en Grèce et, à
son retour, fut nommé professeur d’architecture à l’École
technique supérieure de Munich. Lors du concours ouvert à
Francfort pour la construction de ia gare centrale, son projet
très remarqué fut acheté par la Commission, et récemment
encore, en collaboration avec deux ingénieurs, il a eu la pre-
mière prime au concours du pont du Rhin, à Mayence. Ce pont
est actuellement en voie d’exécution.
*
L’article de la revue allemande nous a paru intéressant, non
seulement à cause du fait principal qu’il relate, mais encore
parce que nous y trouvons un encouragement précieux pour
des idées que l’Émulation, à maintes reprises, a défendues.
Depuis longtemps déjà, nous avons demandé et entendu
réclamer par la grande majorité des architectes la mise au
concours des édifices que les administrations publiques et le
gouvernement ont à faire exécuter.
Quand nous disons concours, nous entendons appel fait à
tous, mais loyalement, sans arrière-pensée et non pas pour
donner un semblant de satisfaction à l’opinion publique et avec
l’idée bien arrêtée de ne tenir aucun compte du résultat quel
qu’il puisse êlre. Nous ne songeons nullement à ces farces que
les administrations s’ingénient de temps en temps à jouer aux
architectes; le concours de Schaerbeek est un des derniers et
non le moins bon spécimen du genre; celui que l’administra-
tion des hospices de Liège a ouvert, il y a quelques mois, pro-
met également de l’amusement à tous ceux qui ont eu le flair
de n’y point prendre part; enfin, la Société d’Harmonie
de Verviers, tentée probablement par les deux exemples
que nous venons de citer, met au concours les plans pour la
reconstruction de son local. Elle demande les plans du rez-de-
chaussée, étages et caves, toutes les façades, deux coupes à
l’échelle de 0.02 par mètre; les détails demi-grandeur de
toutes les moulures et ornements, tant extérieurs qu’inté-
rieurs, et enfin un devis détaillé en vue de l’adjudication.
La construction occupera une surface de 4300 mètres et le
devis pourra atteindre le chiffre de 350,000francs. Enfin, une
prime de 2,500 francs sera accordée au projet déclaré le meil-
leur par un jury à nommer par la Société, et une somme de
500 francs pourra être allouée au projet classé second. En
échange de la prime de 2,500 francs, l’auteur du projet primé
devra fournir les épreuves nécessaires à l’exécution des travaux
sans nouvelle indemnité.
En lisant ce programme, dont l'Émulation a, d’ailleurs,
déjà parlé et qu’elle a caractérisé très justement, on ne peut
s’empêcher tout d’abord de sourire en songeant à qui l’Harmo-
nie de Verviers, qui compte probablement dans son sein des
personnes intelligentes, a confié l’élaboration d’un travail aussi
délicat que celui dont nous nous occupons. Toutefois, la bonne
humeur ne résiste pas à une lecture attentive de ce document,
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et la façon inouïe dont y sont traités les architectes est bien
faite pour froisser tous ceux qui ont souci de notre dignité
professionnelle. Voilà une construction d’une certaine impor-
tance, elle coûtera au moins 350,000 francs, et l’on peut sup-
poser que l’architecte capable de mener à bonne fin une œuvre
pareille ne sera pas certainement le premier venu. Les diffi-
cultés de tous genres qu’il aura à vaincre, les soins artistiques à
donner à une construction telle qu’un cercle, exigeront un
talent réel et une expérience consommée.
Pour le payer de tout cela que lui offre-t-on? 2,500 francs,
moins des trois quarts pour cent de la dépense. Nous ne par-
lons ici que de la question d’argenl, car nous pensons bien que
l’auteur du programme est quelque marchand; lui dire qu’un
artiste n’acceptera jamais le jury proposé ni tant d’autres
choses plus ridicules encore, serait peine perdue.
Les auteurs d’inepties pareilles à celles du programme de
Verviers ne devraient pas être pris au sérieux et nous espérons
qu’ils ne le seront pas, mais le mal qu’ils font ne peut être
réparé; ii est bien certain, en effet, que pas un architecte de
quelque talent ne se présentera à une lutte semblable. Le résul-
tat ne peut donc être que négatif, et malheureusement c’est de
de ce résultat qu’on s’autorisera pour dire plus tard que les
concours n’ont jamais rien produit de bon.
Le public, incapable d’apprécier, ne voit que le jugement
du jury; pour lui, pas de premier prix signifie mauvais con-
cours. Il ne s’inquiète pas du dessous des caries, et ne se
demande pas si le jury avant de commencer son examen savait
parfaitement que l’exécution ne serait confiée à aucun des con-
currents; il ne soupçonne pas que le programme a peut être été
rédigé en dépit du sens commun, et finalement, croit comme
certaines personnes qui ont intérêt à propager cette idée, que
les concours sont du domaine de l’utopie.
Ce qui se passe depuis quelque temps est déplorable, pro-
fondément décourageant et du train dont nous marchons, les
concours deviendront choses absolument ridicules. Aucune
garantie n’est donnée aux architectes, le jugement se fait ou ne
se fait pas, les décisions du jury sont parfois, sans raison,
modifiées par les administrations communales, et lors d’un der-
nier concours n’a-t-on pas vu supprimer toutes les primes pro-
mises au programme et décernées par le jury? Nous n’en fini-
rions pas si nous citions tous les faits qui se sont produits,
toutes les injustices qui ont été commises. On voudrait ridicu-
liser le principe des concours, le discréditer à tout jamais, qu’on
ne s’y prendrait pas autrement (1). Et cependant, n’est-ce pas
une chose juste et qui mise en pratique avec loyauté serait
absolument inattaquable?
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On ne paraît guère s’occuper, non plus, de la situation qui
est faite au jeune architecte qui se décide à tenter la chance à
son tour, après 10 années d’études et de travail de bureau, las
enfin de n’éludier que les conceptions des autres ou plus las
encore de voir ses propres idées servir à établir la réputation
de son chef, ainsi que cela ne se voit que trop souvent.
Ii ne peut faire comme le négociant qui étale ses marchan-
dises; il n’a pas la ressource du peintre et du sculpteur qui
exposent leurs œuvres dans leur complet achèvement et s’il a
la naïveté de prendre part à une des Expositions générales des
Beaux-Arts, il en sera pour ses frais, car le public dont l’édu-
cation n’est pas faite ne regardera pas ses dessins, s’ils sont
présentés simplement et s’en méfiera si leur auteur y a mis trop
d’habileté.
L’avocat et le médecin sans occupation peuvent à la rigueur
se passer la fantaisie de faire de l’art pour l’art, les consulta-
tions gratuites ne sont pas encore défendues.
Mais quel serait, croyez-vous, l’accueil que ferait un pro-
priétaire à un architecte lui offrant ses services gratuitement?
Dans la situation actuelle, pour obtenir un travail d’une
(1) Mais c’est ce que l’on veut, soyez-en persuadé, cher collaborateur,
et tant qu’on s’adressera pour la rédaction des programmes et le juge-
ment des concours à ceux de nos confrères qui ont tout intérêt à
discréditer ceux-ci, les choses ne se passeront pas autrement.
(Note de la Rédaction.) |