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1844. — M.° 8ö.
On s’abonne :
A Anvers au bureau du Précur-
seur , Bourse Anglaise, N° 1010;
en Belgique et à l’étranger chez
tous les Directeurs des Postes.
•H'
trimestre * c-
; puW la pro- *
tranger‘20 fr.
A3¥VERS, VeiHlt*e«Si S 6 Jaiiticr.
Séritc Aiiiftée.)
J01MAL POLITIQUE, COMMERCIAL, MARITIME ET LITTÉRAIRE.
ï»ÆIX. — E.BBESl'B’É. — PÎÏOER&SL
AbttBbnenienS pan
Pour Anvers, 15fr ;
vince 18 fr.; pour l’t_c
Insertions 25 centimes 1_ _
lléclames 50 » i _
r fy—
8 5 janvier.
BÏJ»!KET BSE E/!&TrE’B':BSB£VS6.
Les deux dernières séances de la Chambre n’ont offert qu’un
très médiocre intérêt. Tous les articles proposés par le gouver-
nement ont été adoptés.
Seulement, nous avons une remarque à faire, d’abord sur la
manière dont la Chambre entend l’économie, ensuite sur la
question distributive.
Dans le courant de l’année et chaque fois qu’il s’agit de dé-
ficit, c’est-à-dire de l’état normal auquel nos habiles gouvernants
nous ont habitués; toutes les voix s'élèvent pour réclamer des
économies , et le gouvernement s’empresse alors de promettre;
mais quand arrivent les débats sur les budgets, alors toutes ces
protestations s'avanouissent et chaque ministre vient demander
un peu plus que l'année précédente.
Dans la séance d’avant-hier, la Chambre s’est, en vérité, sur-
passée. Peu lui importe que le déficit soit déjà considérable et
que jusqu'ici on liait trouvé aucun moyen de le combler; la
Chambre, à la suite de nous ne savons quelle condescendance
ou quelle provocation ministérielle, a doublé la somme des
secours à accorder à l’industrie linière. De par son initiative
elle a accordé 150 mille francs au lieu de 75 mille, demandés
primitivement par le ministre de l’intérieur. Voilà pour l'éco-
nomie.
Nous le disons sans hésiter, les populations des Flandres mé-
ritent toutes les sympathies de la Chambre , de la législature ;
nous n’avons pas la moindre critique pour ce supplément de
subside à une industrie morale et qui agit sur le sort de plu-
sieurs centaines de mille prolétaires ; quoique nous ayons à
juste titre à nous enquérir si le ministère n'a pas vu dans cette
initiative une menace de certains députés de l’abandonner s'il
n’accédait pas à leur proposition et s'il n’a pas voulu conjurer
cette menace, nous ne nous arrêtons point à cette supposition
que tout justifie, mais nous avons à lui demander compte de sa
partialité et de son injustice.
Quoi ! chaque fois qu’un cri s’élève au nom d’une industrie
souffrante, il ouvre aux réclamants et la bourse de l’Etat et des
promesses de sympathie; tantôt c’est l’industrie cotonnière,
tantôt c’est l'industrie houillère, tantôt c'est l’industrie linière,
à toutes il fait des concessions que d’ailleurs nous approuvons
en partie, et chaque fois qu’il s’agit de commerce et de naviga-
tion sa sollicitude fléchit!
Quoi! le gouvernement fait des efforts constants par les sub-
sides, par la protection, par la diplomatie, pour développer
l’industrie, et pour le commerce rien. Non-seulement pas de
sympathie, mais de l’antipathie ! Quand il s’agit de protéger la
navigation, c’est avec une sorte de laborieux efforts qu'il arrache
quelques milliers de francs à la législature; quand il s’agit d'ai-
der le commerce, c’est le contraire qu’il fait. Car, qui peut
contester un seul instant qu’au lieu d’accorder au commerce
toute la sollicitude qu’il mérite, le gouvernement ne fait tout
ce qu’il peut, pour ainsi dire, pour le paralyser?
Qu'est-ce qui empêche notre commerce de fleurir? C’est l’ab-
sence de relations. C'est l’absence de traditions.
Or, pour retrouver tous ces éléments perdus, que faut-il?
De la stabilité.
Eh bien ! cette stabilité, le gouvernement n’en veut pas pour
nous, pour notre province. C’est le commerce d’Anvers qu’il
frappe constamment, en ne lui laissant pas une heure de repos
pour organiser ses relations à l’extérieur. Tantôt c’est une na-
vigation régulière décrétée, qu’on supprime. Tantôt c’est la loi
sur les sucres, principe de toute navigation de long-cours,
qui vient paralyser tout le système d’exportation. Hier encore,
c’est le tabac et l'immense commerce qu'il entraîne qui est de-
venu l’objet de sa sollicitude fiscale. Demain ce sera autre
chose encore. Nous pouvons dire, sans être démenti, que depuis
que M. Nolhomb est au pouvoir la ville d’Anvers, celte métro-
pole commerciale du royaume,ne voit plus dans le gouvernement
FEUILLETON BU PRÉCURSEUR.
Uia mot au peuple à propos du projet de Soi
sur Be taBssve. — S*œr 'B’Ba. Van ISyswyeBi.
C’est sous ce titre que notre poète flamand vient de faire paraître une
satire assez virulente,non-seulement contre le projet de loi sur les tabacs
dont M. Mercier s’est rendu coupable, mais encore contre le système
général suivi par le gouvernement dans la plupart des questions com-
merciales et industrielles. Le récent projet de loi sur les tabacs est ce-
pendant l’acte ministériel sur lequel s’épanche avec le plus d’abandon
la verve satirique du poète. Le ridicule devait atteindre un projet déjà
chargé par les malédictions de la population ouvrière.
Nous voudrions pouvoir reproduire ici toutes les spirituelles saillies
du poète; nous voudrions pouvoir vous redire dans son mordant lan-
gage et la décadence du commerce des sucres, et la situation pénible
de l’industrie linière , et la misère qui tombera plus drue, plus serrée
sur la classe pauvre si le projet concernant le tabac devait être converti
en loi du royaume. Chaque mot est comme une flagellation appliquée
sur l’œuvre si intempestive de M. Mercier. A près a voir signalé les incroya-
bles vexations que le projet entraîne après soi. le poète s’écrie :
O Heer, laet de Regie niet op ons nederkomen !
Wy winnen nu noch slechts het dagelyksche brood ;
Dryft ons niet dieper in ellende en bittren nood.
Gy hebt ons steeds bevryd van ramp en ongelukken.
Moet thans die zware slag ons matte schoudren drukken ?
liet noodlot wenlle naer ’t uw wyze wil bevool,
Doch, hoed ons voor gevaer en voorden Monopool !
Maintenant, pour faire corn prendre jusqu’à quel point M. Van Ryswyck
a déversé le ridicule sur le projet de loi sur les tabacs ainsi que sur les
hommes qui l’ont conçu, nous faisons suivre ici, in extenso, la chanson
qui termine la spirituelle satire que nous avons sous les yeux :
Lied.
Wïze: La faridondaine, la faridondon.
Nu word het zeker slechten tyd,
Wy hebben regt tot klagen ;
Wy zyn byna schier alles kvvyt,
En nog wil men ons plagen.
’t Schyntof men nooytals kvvaed verzon.
La faridondaine, la faridondon,
Nu dreigt m’ons wéér met de regie,
biribi.
A la façon de barbarie, mon ami.
Nu wilt de Slaet in rooktabak
Alleenig handel dryven ;
Om in der burgren legen zak.
Te zoeken naer deschyven,
un tuteur de ses intérêts, mais une éternelle épée de Damoclès,
une menace incessante qui paralyse complètement toute opéra-
tion extérieure, toute entreprise commerciale de long-cours...
C'est là la misérable situation que nous devons à un ministère,
qui a pris ironiquement, sans doute, le nom de ministère d'af-
faires.
Nous commencions à nous emparer d’un commerce immense,
du commerce des tabacs; vite un impôt tyrannique, un impôt
accompagné de mesures restrictives , inquisitoriales; la Cham-
bre réadmettra pas ce projet de ioi, tout nous le prouve ; mais
comment nommer un ministère qui jette ainsi de gailé decœur,
la crainte et l’irritation dans des populations laborieuses et
paisibles comme les nôtres?
Pour notr e part, nous ne pouvons comprendre tant deparliu-
lité et tant d injustice; qu’on fasse pour les Flandres, pour le
flainaut, pour la capitale des sacrifices qui concourent à l’amé-
lioration de leurs destinées, jamais nous n’avons fait qu’approu-
ver ces mesures. Le bien de tous fait la splendeur de notre pays.
Mais devons-nous donc toujours, et toujours être traités comme
des parias par le ministère de M. Nolhomb?
Toutes ces causes auxquelles viennent se joindre les méfaits
moraux du ministère, uous font donc comprendre la résolution
qu’ont prise les députés de la province d’Anvers de voler contre
le cabinet qui nous gouverne.
Tout député d’Auvers qui donnerait un vote de confiance,
dans les circonstances actuelles, à l’homme fatal qui pèse de
toute sa politique tortueuse sur notre pays, et notamment sur
notre province, serait désapprouvé par les électeurs ses man-
dants.
Le moment de refuser tout concours à M. Nolhomb est donc
arrivé, et cette fois au moins on ne dira pas que c’est un vote
de parti, mais un acte de justice et presqu’un cri de détresse.
PROJET EÏE Ii»I &§JK B.SÎS TABACS.
Décidément, M. Mercier peut se féliciter de l’œuvre qu’il a
mise au jour ; il a le droit de s’enorgueillir de l’enfant si bien
caressé. Entendez-vous toutes ces plaintes, toutes ces réclama-
tions, tous ces murmures de crainte et de désespoir qui s’exha-
lent du sein delà classe ouvrière? Voyez-vous tous ces mé-
moires, toutes ces pétitions, toutes ses suppliques, qui arrivent
au roi, aux chambres et même aux ministres? Cette unanimité
de réprobation ne devrait-elle pas porter M. le ministre des
finances à retirer spontanément son projet de loi de funeste
augure? M. Mercier n’en fera rien, nous le supposons ; son es-
prit si essentiellement fiscal doit déjà nous traiter, tous tant
que nous sommes, de visionnaires. M. Mercier ne veut que ses
millions ; il ne voit et n’entend pas au-delà.
Il sèmera la destruction partout, sans calculer, comme l’a
fort bien fait observer un journal, que là où il n’y aura plus
de fabrication, M. Mercier perdra ses recettes, absolument
comme le roi qui perd ses droits là où il n’y a rien.
En attendant que l’esprit de M. Mercier veuille bien prendre
line direction plus favorable au commerce et à l'industrie du
pays, voici ce que nous trouvons dans le dernier numéro du
Journal de Bruxelles :
a La chambre a adopté hier les articles du budget de l’intérieur, com-
pris dans les seize premiers chapitres. Avant de commencer le débat,
elle s’est occupée du projet de loi des tabacs. Plusieurs membres ont
engagé le gouvernement à prendre à ce sujet les avis des chambres de
commerce et des commissions d’agriculture.
» Nous devons avouer que nous avons été surpris d’entendre M. le
ministre des finances déclarer qu’il n’avait pas cru devoir s'adresser à
ces corps, qu’il savait d’avarice que leur opinion serait hostileau projet.
Ne nous étonnons plus alors si l’exposé des motifs de M.le ministre ren-
ferme des erreurs, et si on s’y est mépris de la manière la plus grave sur
la portée commerciale et financière du nouveau projet.
» Ainsi voilà une industrie qui remue annuellement plus de vingt mil-
lions de fr., qui fait vivre des milliers de familles, et sans s’enquérir de
rien, sans s’inquiéter de son passé, de son présent, de ses espérances
pour l’avenir, on la frappe d’un impôt au hasard,au risque de la tuer au
profit de la Hollande et de la France ? Est-ce ainsi que le gouvernement
En al wie hier zyn brood meê won.
La faridondaine, la faridondon.
Kan teeknen voor de Colonie,
biribi,
A la façon de barbarie, mon ami.
Dit is wéér eenen bonzen trek
Die Frankryk ons komt spelen ;
Zy houden met ons volk den gek,
En geven ’t hol bevelen :
En ’t ministerie zegt : c'est bon !
La faridondaine, la faridondon ;
Haest zien wy les droits-rèunis,
- biribi,
A la façon de barbarie, mon ami.
Zoo moeten wy met leed belaén,
voor vreemde wetten buigen ;
Ik wou dat ras het uer ging slaen,
Dat alles viel in duigen.
En dal de Turk ons overwon.
La faridondaine, la faridondon.
Of wel de Rus en Compagnie,
biribi,
A la façon de barbarie, mon ami.
Police eorwtionndîe de Paris.
I.n douceur perfide. — Cyprien Triquet est prévenu d’avoir battu
sa femme ; il ne nie pas ce fait coupable et indélicat, mais il s’excuse en
disant qu’il n’a pas pu faire autrement : « Monsieur, dit-il, si vous con-
naissiez ma femme, vous comprendriez les deux soufïlels que je lui ai
donnés. J’ai naturellement le caractère le plus doux .- la preuve c’est
que je suis blond et que je n’ai pas de barbe : on sait qu’un blond sans
barbe n’est pas un homme emporté. Quand j’étais apprenti, lues cama-
rades m’appelaient mouton.
M. le président. — Tout cela ne vous justifie pas du tout d’avoir battu
voire femme.
Triquet.— Ah ! monsieur ! si vous connaissiez ma femme. Je l’ai épou-
sée parce qu’elle était jolie, elle m’a accepté parce que j'avais l’air d’une
bonne pâle d’homme, et que mon sobriquet lui promettait que je serais
une bonne pâle de mari.
M. le président.—Vous vous expliquerez tout à l’heure sur les faits de
la cause. Asseyez-vous, nous allons entendre votre femme
Triquet. — C'est tout ce que je demande: quel caractère ! elle ne peut
pas dire un mol sans se mettre en fureur, sans vous dire des injures à
vous faire dresser les cheveux sur la télé; elle ferait monter la mou-
tarde au nez à une statue de marbre, si elle lui parlait pendant trois mi-
nutes. Moi, je suis blond, c’est vrai ! mais je ne suis pas de marbre.
Triquet s’asseoit, confiant dans l’effet que va produire la déposilion
de sa furibonde épouse; il se frotte les mains comme un homme pleine-
eût dû procéder dans une matière aussi grave ?est-ce de cette manière
qu’il eût dû traiter la seule industrie que nous ayons conquise depuis
notre émancipation politique ? Non certes. Aussi. M. le ministre de l’in-
térieur a-t-il annoncé que les chambres de commerce et les commis-
sions d’agriculture seront consultées.
» Le tabac, dit-on, doit fouruirsoii contingent dans les eharges pu-
bliques. Soi!. Mais frappez-le sans anéantir l'industrie des tabacs, sans
ressussiler toute cette fiscalité odieuse, qui ne sert en définitive qu’à
démoraliser les populations et à les mettre, en quelque sorte, en guerre
ouverte avec les agents du gouvernement.»
AA'OIaK'raCH.BK.
Loxores, 23 janvier. — Sir Francis Burdett, représentant du Wilts-
hire septentrional à la chambre des communes, est mort ce matin an
palais de Saint-James à l’âge de 74 ans. 11 est peu de membres de l'a-
ristocratie anglaise dont les ancêtres remontent aussi haut que ceux
du noble défunt. Illugh Burdett, le chef de la famille, était un des plus
illustres compagnons de Giiillaume-le-Conquéranl. Le défunt barronet,
après.s’étre fait remarquer par son zèleoulré potirla cause libérale et par
ses opinions exaltées qui lui valurent deux condamnations à l'amende
et à la prison, lit tout à coup volte-face et passa dans le camp des tories.
Celte conversion fit dans le temps beaucoup de bruit. Le major Burdett,
fils aîné du défunt, succède à ses titres et à ses biens.
— L’ordre paraît suffisamment rétabli dans le Carmarthenshire pour
ne plus nécessiter la présence, dans le comté, des détachements d’offi-
ciers de police qui y avaient été envoyés. Ces détachements ont reçu
l’ordre de revenir à Londres.
— On écrit de Dublin, le 21 janvier :
Il est probable que l’audition des témoins à charge sera épuisée jeudi
ou vendredi, et les prévenus présenteront alors leurs moyens de défense
et feront entendre leurs témoins. Voici dans quel ordre les défenseurs
prendront la parole : M. Sbeil, avocat de M. John O’Conuell, parlera le
premier; viendrontensuite M. Moore, avocat du révérend docteur Tier-
ney ; M. Whiteside pour M. Duffy, M. Fitzgibbon pour M. Gray, M.
M’Donagh pour M. Barrelt et M. Hatchel pour M Ray. enfin M. O’Con-
nell présentera sa défense lui-même et parlera le dernier.
Comme on le pense bien, sa plaidoirie ne se bornera pas à ce qui lui
est personnel, elle embrassera tout l’ensemble du procès. On croit gé-
néralement qu’elle occupera deux audiences de la cour. M. O’Connell se
place tous les jours au-dessous du siège du greffier de la couronne et se
livre exclusivement à l'examen de tous les documents relatifs à sa dé-
fense. (Morning Avertiser.)
— Clty-nrtlcle du Globe, 4 heures i Le marché des fonds anglais a
montré beaucoup de fermeté, et les 3 p. c. annuités ont subi une légère
liaussejc’est surcette valeur quecontinUenlà porter les achats du cour-
tier du gouvernement. Si on n’avait pas en vue une réduction de la det-
te, pourquoi n’achèlerait-on pas du 3 1[2 p. c. dont le cours est relati-
vement moins élevé ? Les actions de la banque ont également haussé
de 1 p. c.;le coursactuel est 193, 191. de sorte que depuis le ISdécembre
dernier le cours a augmenté d'environ 12 p c. Cons. également plus fa-
vorables à 97, 97 1 [8, prix d’ouverture, et 97 l|8, l|4.
Les transactions ont été animées au marché des valeurs étrangères
et tous les cours se sont améliorés plus ou moins. Esp. 5 p. c. 22 7|8 ; 5
p. c. 31 l)g 3[8.— Port. eonv. 40, 40 7(8. On espère que le parti Palmella
obligera le ministère portugais à s’occuper des finances du pays qu’on
dit être dans un grand désordre. — Mexic. fermes à 32 Ij2, 7|8, ce qui
constitue une hausse de 1)2, 7(8 p. c. — Belges 100. — Les fonds hollan-
dais et russes ont présenté une grande fermeté.
ESIMG.VE.
Madrid, 18 janvier.—Les journaux de l'opposition de ce jour donnent
copie d’une protestation qui a été dirigée de Lisbonne par Olozaga. En
voici un extrait :
« Comme la suspension des séances des cortès n’a pas permis de
» communiquer à la commission du congrès chargée d’examiner le
» projet de mise en accusation que je sollicitais moi-même, je crois de-
» voir faire connaître les motifs qui m’ont forcé de sortir d’Espagne.
» Les craintes les plus fondées, les menaces les plus graves, les con-
» seils les plus sages, tout fut impuissant pour m’empéclier de me pré-
» senter au congrès, dans les circonstances les plus difficiles, les plus
» hasardées. J’expliquai dans cette assemblée, non tout ce qui pouvait
» se dire, mais j’en dis seulement assez pour mettre mon honneur à
» couvert et éclairer l'opinion publique, qu’on avaiteberebé à surpren-
» dre d’une manière incroyable. Le dépit, la rage de ceux qui avaient
» désiré me condamner au silence, qui leur convenait, augmenta nalu-
» Tellement ; ma maison étant entourée de jour et de nuit, mes démar-
» marches épiées, mon existence vivement menacée, mes amis mecon-
» seillèrent, exigèrent même que je misse ma vie à l’abri de semblables
» embûches. Je le fis en effet, mais à peine arrivé en cette ville, je dé-
» clàrai que j’étais prêt à me présenter et à activer autant qu’il serait
» en mon pouvoir, l’aplanissement des lenteurs qui précèdent la mise
» en accusation, si l’on voulait auparavant décider s’il y avait lieu ou
» non à acccusation.
» Ma lettre écrite le lendemain de mon arrivée, le 23 décembre, fut
ment rassuré, et regarde avec satisfaction madame Triquet sortir de la
chambre des témoins et s’avancer à la barre.
Mme Triquet est une forte brune, aux cheveux noirs comme des ailes
de corbeau; ses grands yeux noir, surmontés de deux épais sourcils
qui se rapprochent et se touchent presque à leur naissance, ont une ex-
pression de vivacité extrême, et l’on comprend que la colère doit sou-
vent leur faire lancer des éclairs et la foudre.
Le mari se frotte de plus en plus les mains, car M»' Triquet en s’ar-
rêtant au pied du Tribunal a lancé à son époux un regard fulminant, et
ses sourcils se sont froncés rapidement.
Le mari s’écrie : Vous voyez... ça n’est encore rien:
M. le président. — Madame, racontez-nous dans quelle circonstance
votre mari vous a frappée.
Mme Triquet, avec douceur. — Oh! monsieur, si vous voulez, nous
n’en parlerons pas.
M. le président. — Une plainte a été portée, il faut que les faits soient
connus du Tribunal.
Mme Triquet. — Je n’en veux pas à mon mari,c’est un excellent hom-
me. .. Mais il est quelquefois un peu vif.
Triquet. — Qu’est-ce qu’elle dit !
Mme Triquet. — Je m’efforce de le calmer par ma douceur et mes rai-
sonnements.... J’y parviens quelquefois, car il est bon au fond; mais il
arrive aussi, comme le 15 décembre, que sa vivacité l’emporte !
Triquet.—Ah ! ça, elle ne se facile pas!
Mme Triquet. - La table n’était pas servie quand il rentra pour dîner;
il me fil quelques observations, auxquelles je répondis avec calme...
Triquet. —Elle me traita de brigand.
M™» Triquet (avec douceur). — Oh ! mon ami, ai-je jamais proféré un
pareil mot ?
Triquet. — Non ! vous vous êtes gênée.
Mm» Triquet. —Enfin, je servis le potage et le bœuf...
Triquet. - Et quand je demandai les cornichons, madame me dit qu’il
y en avait à table.. .Notez qu’il n’y en avait pas... et que nous n’élions
que nous deux,moi et ma femme.Sur qui pouvait tomber lecalembourg?
Mme Triquet.—Pardonnez-moi, je croyais les avoir servis... c’est une
erreur.
Triquet. — Oh ! oh !
Mme Triquet (avec la plus grande douceur). — Mon ami, il fallait me
dire : « Tu te trompes » au lieu de me donner deux soufflets.
Triquet. — Messieurs, c’est inouï, ma femme joue ici une perfide co-
médie. Je ne l’ai jamais ouïe parler avec ce calme extraordinaire.
Mme Triquet. — Mon cher ami, tu vois bien que c’est toi qui l’em-
porte.
Triquet.—C’est-à-dire que c’est une odieuse machination .. Elle joue
la sainte nitouche pour me faire condamner... C’est renversant.
Mme Triquet.— Mon Dieu, je vous pardonne, si le tribunal veut bien
vous pardonner. Seulement, ne donnez plus de soufflets... cela ne prou-
ve rien et c’est brutal.
Triquet retombe épuisé sur son banc , en murmurant avec découra-
gement : h Elle joue la douce... je suis perdu ! »
Le tribunal condamne le pauvre mari à une simple amende de 25 fr. |