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LE PRECURSEUR, mercredi 2 Décembre 1840,
très vifs au cabinet du 12 mai; ils sont injustes, que la chambre me per-
mette de le lui démontrer.
Quand les hostilités éclatèrent, le cabinet dont je faisais partie eut
deux buts : l’un présent, l’autre futur ; le premier, d’empècher une se-
conde intervention russe à Constantinople ; le second, de constituer la
Turquie comme tous les autres étals de l'Europe, de la mettre sous la
protection du droit public européen.
M. Barrot vous a dit qu’on nous avait offert de forcer les Dardanelles;
mais, messieurs, tout le contraire est vrai ; vous avez eu toutes les piè-
ces sous vos yeux, y avez-vous trouvé une seule trace d’une pareille
proposition ? N’avez-vous pas vu au contraire que c’est le cabinet fran-
çais qui a usé de toute son énergie pour empêcher une nouvelle invasion
russe,alors que le cabinet anglais semblait s’y résigner;n’est-cepas nous
qui avons dit que permettre a ce protectorat de se manifester une secon-
de fois, c’était mettre le droit là où le faible trouvait secours ?
M. Dufaure remet sous les yeux de la chambre l’historique déjà pré-
senté par l’honorable M. Passy.
Mais, continue l’orateur, le cabinet avait dans sa politique un double
but, et le premier s’est trouvé atteint, les Russes ne sont point venus à
Constantinople. Ne doit-on pas nous en savoir quelque gré ; ce résultat
n’est-il pas dû à la noble attitude que nous avions prise, à la résolution
hautement proclamée d’en appeler à la guerre, dussions-nous la faire
seuls, si les Russes entraient dans le Bosphore ? La chambre en jugera.
Je comprendrais qu’un partisan de l’alliance russe vint attaquer notre
politique en nous disant que l'intérêt français était en Syrie. Mais ce
partisan de l’alliance russe, ce ne peut èlrc M. Barrot, car son langage
d’aujourd’hui serait en contradiction avec celui qu’il tenait lors de la
discussion du projet de loi des dix millions. Oui, comme il le demandait
alors, comme il le disait aujourd’hui, nous nous sommes opposés à l’in-
tervention, à toute espèce d’intervention.
Je ne dirai plus qu’un mot : non, lorsque lord Palmerston a dit que
la France céderait, il n’a pas pu puiser cette conviction dans la conduite
du cabinet du 12 mai, car ce cabinet n’a pas cédé un seul instant; si lord
Palmerston a tenu ce langage, d’autres circonstances ont pu l’y auto-
riser; mais, je le répète, ce n’est aucun des actes du ministère dont j’ai
fait partie.
Messieurs, ne soyez pas injustes envers un cabinet pour grossir l’apo-
logie de l’autre. Prenez les faits, diseutez-les, mais rendez-nous justice.
Je n’examinerai pas maintenant ce qui s’est passé depuis notre retraite;
je ferai une seule observation : les négociations n’échouent pas toujours
par la faute des négociateurs; il peut y avoir eu, en dehors des hommes
politiques qui gouvernaient mon pays, des causes, des événements, des
intérêts qui ne pouvaient que faire manquer les négociations.
Enfin le traité a été conclu. M. Barrot disait tout à l'heure qu’il y a eu
un moment où toute la France se croyait lésée, c’est vrai, et c’est au
moment de la conclusion du traité. A ce moment, la France entière s’est
préoccupée de deux points : le premier, c’était notre exclusion des né-
gociations; le second, c’était l’exécution de ce traité dont on entre-
voyait comme conséquence la déchéance du pacha. Ce sentiment se
conçoit donc.
Pour ma part, j’en fus saisi comme tout le monde, et je ne compris
pas comment le cabinet dans cette circonstance n’avait pas appelé les
chambres à venir fortifier sa politique. Mais il n’en est pas moins vrai
que les chambres n’ont point été convoquées : il n’en est pas moins vrai
que le cabinet n’a pas énergiquement protesté, comme nous aurions
protesté vous et moi, monsieur Barrot.
Non, point de protestation, une note faible dans laquelle on n'oppose
à l’exécution du traité que les difficultés d’exécution. En réponse à cette
note, lord Palmerston publia un mémorandum, M. Thiers y répondit
par un autre mémorandum qui scrutait les faits, mais qui ne contenait
aucune protestation. Je veux bien croire que le cabinet alors ne croyait
pas que le traité fût ratifié : que. du moins, il ne croyait pas qu’il fût
exécuté; mais enfin dans tout cet échange de pièces il n’est pas un mot
qui prouve que le cabinet considérât le t aité comme uneiinsalte.
Enfin, le canon de Beyrouth a retenti, et alors se sont produits deux
faits, la note du 8 octobre, qui abandonnait la Syrie aux chances de la
guerre, et enfin le rappel de la flotte qu’un autre cabinet que celui du
?" mars avait envoyée dans les mers de l’Orieul pour y sauvegarder nos
Messieurs, tout ce que je dis, ce n’est pas pour récrimer; mais ne
faut-il pas répondre à l’incroyable apologie que M. Barrot vous a faite
de la note du 8 octobre et du rappel de la flotte i1
m. barrot. Oui, j’ai dit que la note du 8 octobre était une note d’éner-
gie, et cela est vrai, car elle posait un cas de guerre; mais je n’ai pas
loué le rappel de la flotte.
m. dufaure. C’est vrai, je me rappelle maintenant que M. Barrot vou-
lait l’envoi de la flotte à Alexandrie.
Au moment où la chambre va se prononcer, il faut bien donner aux
actes leur véritable caractère. Non, la note du 8 octobre et le rappel de
la flotte alors que retentissait le canon de Beyrouth, ne sauraient s’ap-
peler des actes d’énergie.
Ainsi, messieurs, voilà la situation qui nous a été faite. Si la chambre
eût été appelée après le traité du 13 juillet, elle aurait pu prendre une
situation, sauvegarder son honneur. Mais aujourd’hui tout est fait; no-
tre position est engagée; et. je le dis à regret, il faut que la chambre
l’accepte.
Ici, du reste, je ne vois pas de différence entre le langage de M. le
ministre des affaires étrangères et celui de M. Barrot : que dit M. le
ministre des affaires étrangères ? que la note du 8 octobre est un grand
acte politique.
m. thiers. Je demande la parole.
m. dufaure. Je prie la chambre de me pardonner ma franchise; je
n’appartiens à aucun des partis politiques qui croient briller dans ce
débat, et aucun n’a le droit de vouloir m’imposer son opinion.
Je le reconnais, il faut se résigner; mais en parlant de résignation,
j’entends, moi aussi, une résignation ferme, une attitude armée ; j’en-
tends indiquer, moi aussi, aux puissances étrangères que nous ne vou-
lons pas menacer leur territoire, mais que nous connaissons toutes les
éventualités du 15 juillet ; que nous saurons faire; face aux événements
graves qui peuvent en résulter; que si les puissances étrangères pou-
vaient vouloir conquérir en Orient une influence trop grande, nous som-
mes prêts à nous y opposer.
Aussi, messieurs, si je me contente des armements qui ont été prépa-
rés par le cabinet du 1« mars, et qui, je le crois, seront vigoureusement
organisinés par M. le président du conseil, c’est parce que je crois
qu’avec 500,000 hommes il aura de quoi faire face à toutes les éventua-
lités, parce que c’est la paix armée, la plus forte que la France puisse
avoir, et comme je crois qu’il est impossible qu’il y ait déclaration de
guerre dans la position où nous sommes mis, après ce qui s’est passé,
apres les actes du gouvernement vis-à-vis de l’étranger, j’ai la convic-
tion qu’il n’y a pas lieu à des armements de guerre, mais qu’il faut une
paix vigoureusement armée. Voilà ce qui me suffit, voilà ce que je de-
manderai, voilà ce que, de mon côté, j’appuierai de mon vote. J’ajou-
terai qu'à ces armements de terre, je suis prêt à joindre des armements
maritimes autant que nous en demandera l’expérience de mon ancien
et illustre collègue, M. l’amiral üuperré. (Marques très vives d’assenti-
ment.) Pour cela, que notre flotte soit armée, que nos bâtiments se mul-
tiplient, j’hésiterai d’autant moins, que ces armements sont employés
en temps de paix à protéger le commerce et le pavillon français.
„ Oui, messieurs, pour les armements maritimes, je promets' mes votes
a M. l’amiral Duperré; mais en échange de mes voles, il me permettra
de lui adresser une prière : lorsqu’il composait avec tant de soin et
tant d’amour la magnifique escadre qui est en ce moment dans le port
de loulon, ce n’était pas pour qu’elle jetât l’ancre dans le port de
Toulon. 1
Je le répète, M. l’amiral Duperré ne me démentira pas ; lorsque nous
layons formée, lorsque nous l’avons mise sous les ordres du brave et
habile amiral Lalande, ce n’était pas pour qu’elle vint jeter l’ancre à
Toulon ; c’était pour qu’elle restât dans la Méditerranée, pour qu’elle
fut a 1 entrée du détroit des Dardanelles pour surveiller ce qui se passe-
rait sur les côtes de Syrie et d’Alexandrie, dont elle est séparée dans ce
moment, par toute la Méditerranée et par toute l’épaisseur de l’escadre
anglaise. Au lieu de cela, lorsque le canon a commencé à retentir sur les
côtes de Syrie, notre brave marine, ces officiers, ces soldats qu’il ai-
mait d’un amour de père, ont été obliges d’abandonner le lieu où le ca-
non retentissait, et de tourner les vaisseaux vers la France.
Je termine, messieurs. Sur les termes de l’adresse, je partage l’opinion
de l’honorable M. OdilonBarrot. La paix est une douce chose, nous l’a-
vons dit souvent,nous en avons apprécié les bienfaits, mais nous ru; de-
vons pas le dire si haut, et surtout nous ne devons pas le dire si souvent.
m. thiers. Jç ne viens pas discuter les actes des divers cabinets, ni
user de représailles envers le 12 mai. Je viens seulement rectifier les faits.
t °nxVAUt *alre Peser Sllr le Dr mars la conséquence des événements.
Les événements sont assez graves pour que chacun se défende d’en
accepter la responsabilité; cela est naturel. Je veux, quant à moi, poser
devant le pays les faits comme ils sont.
Que peut un cabinet constitutionnel ? que peut-il? donner sa démis-
sion... (Agitation au centre droit. Les interpellations les plus violentes
sont adressées de ce côté à l’orateur.)
m. le président réclame à plusieurs reprises le silence.
m. thiers. Les fureurs ne me troubleront pas.
Voix du centre droit. A l’ordre! à l’ordre!
m. thiers. Quand je dépends la dignité, l’honneur de mes collègues
et mon propre honneur, dans les limites de la Constitution, je ne crains
personne.
Quant à la note du 8 octobre, elle a été proposée le jour où les événe-
ments de Beyrouth ont été connus. Que contenait-elle? Est-il vrai qu’eUe
contint l’abandon de la Syrie? Je dis non. J’ai à cet égard cité des do-
cuments écrits. Vous avez entendu ou pas entendu ces documents.
U. DUFAURE. J’ai lil.
h. thiers. La note, après avoir été soigneusement discutée, n’a au-
cunement fixé les limites des territoires. Elle garantissait l’existence du
vice-roi, sans dire qu’il serait vice-roi d’Egypte ou vice-roi d’Egypte et
de Syrie. (Bruit au centre.) Elle garantissait le vice-roi contre un acte
de déchéance. Elle faisait quelque chose de plus méritoire, et qui, je
pense, n’avait pas été fait depuis dix ans, elle posait un cas de guerre;
et je suis convaincu qu’aujourd’hui, si le cas de guerre se réalisait, on
ne tiendrait pas parole. (Vive et tumultueuse agitation.)
La note du 8 octobre posait un cas de guerre, et en présence de ce
reproche qu’on nous a adressé tant de fois de ne pas faire la guerre
pour un allié éloigné et incertain, poser un cas de guerre, c’était, il
m’est permis de le dire, un acte d’énergie.
Dans ce plan d’une sympathie hautement manifestée pour le pacha,
il était nécessaire que la flotte fût près du théâtre des événements pour
prêter appui au pacha. D’une autre part, c’eût été une grande impru-
dence d’envoyer la flotte, c’est-à-dire de braver la possibilité de la
guerre sans se mettre sur le pied de guerre, tout cela se liait.
Il fallait donc après avoir proposé d’envoyer la flotte, proposer de
compléter les armements ; ei pour obtenir le complément des arme-
ments la présence des chambres était nécessaire ; c’était en quelque
sorte le dernier terme obligé de la situation.
Qu’a fait le cabinet du l« r mars ? Après ses résolutions arrêtées sur ces
divers points, il a fait son devoir constitutionnel, il a proposé par 2 fois
ses résolutions.
Elles n’ont pas été accueillies, il s’est retiré. (Sensation prolongée.)
S'étant retiré pour cette cause, son droit est de le dire à la chambre et
au pays. Il ne rejette la responsabilité que sur ses successeurs.
La séance est levée.
Séance du 30 novembre.
L’ordredu jour est la continuation delà discussion du projet d'adresse.
m. de carné. Je viens soutenir le système de paix armée, si brillam-
ment développé dans la dernière séance par M. Dufaure. On a dit qu’il
n’y avait qu’un mauvais procédé de la part de l’Angleterre envers la
France. 11 y a plus suivant moi, il y a un changement profond dansles
dispositions de l’Angleterre. Deux politiques peuvent exister en Orient:
une de conservation avec la France ; une autre de complicité avec l’An-
gleterre ; pour que l’Angleterre se soit décidée à rompre ses anciennes
relations,pour qu’elle se soit décidée à oublier sesancienues antipathies
et à se rapprocher de la Russie, il faut qu’une politique nouvelle se soit
manifestée en Europe, sinon publique du moins occulte.
M. de Carré énonce l’opinion que le traité du 15juillet s’il n’a pointété
accompagné des formes les plus convenables pour la France, ne consti-
tue pourtant pas une de ces insultes qu’on doit venger par la guerre.
Mais au fond ce traité est alarmant. Il révèle chez l’Angleterre et la Rus-
sie des arrière-pensées menaçantes. La France devra persévérer dans
ses armements et surtout dans ses armements maritimes.
La question de guerre, dit l’orateur, a cessé d’exister du jour que la
question d’ürient, au lieu de rester orientale, est devenue européenne.
La guerre ne pouvait avoir lieu que dans la Méditerranée. Elle ne peut
avoir lieu aujourd’hui que toute l’Europe est intervenue; il faut adhé-
rer au traité et rentrer dans les conseils européens, ou bien conserver
l’isolement et la politique de paix armée.
Cette politique permet d’attendre avec dignité, avec confiance les
éventualités qui dans mon opinion sont prochaines. La France est dé-
sormais déliée de tout engagement avec l’Angleterre. Cette dernière
alliance a été féconde il est vrai, et pour l’Europe et pour les deux pays.
Mais, au fond, elle n'est pas normale. Nous avons gardé avec loyauté
notre parole à l’Angleterre : mais elle nous en a dégagés par sa conduite.
Nous n’avons plus qu’à suivre une politique française, et si la guerre
éclate, nous ne soulèverons point les passions de bouleversement dont
nos voisins s’effrayeraient, mais comme nous le disait dernièrement M.
le ministre des affaires étrangères, nous appuierons les droits légitimes
des peuples.
m. de tocqueville. Messieurs, j’aurais voulu dire contre l’adresse tout
ce qu’a dit le préopinant; mais à mon grand étonnement, il a parlé
contre le projet d’adresse et a voté pour. 11 ne me reste qu’à imiter son
exemple (hilarité), non pas bien entendu dans la conclusion.
M. de Tocqueville félicite le préopinant de n’avoir pas fait de person-
nalités, il n’en fera pas lui-même, mais il déplore qu’on ait accusé les
sentiments de ceux qui ont voulu la guerre dans les circonstances ac-
tuelles, mais par des motifs autres que ceux de la majorité de cette
chambre.
Quelques voix. La majorité n’est pas encore connue.
M. de Tocqueville s’élève toutefois contre la guerre de propagande.
Il pense que cette propagande est un mauvais souvenir d’un temps an-
cien. Aujourd’hui, la guerre parla propagande nous laisserait isolés
(adhésion au centre), elle éterniserait les malheurs de l’Europe. La
guerre qui convient à la France, est une guerre énergique, mais calme
et modérée. (On rit.)
Messieurs, ajoute l’orateur, une grande transformation s’accomplit en
Orient. Les vieilles institutions s’éteignent, les antiques religions de
l’Orient disparaissent. L’Europe enlace l’Orient de toute part. L'Europe
n’arrive plus comme au temps des croisades sur un point de cet antique
Orient ; elle le presse, l’enveloppe sur tous les points à la fois. Au milieu
de ce travail de transformation, il n’est pas permis à la France de rester
inactive et isolée; plu tôt que de souffrir ce rôle secondaire et humiliant,
la guerre, la guerre ! 11 faut en présence de cette situation, que la Fran-
ce dise à l'Europe que dans un cas donné elle fera la guerre. Car mes-
sieurs, ce qui vient de se passer en Syrie, n’est que le commencement
d’un grand drame qui va se développer en Orient.
Sans doute, messieurs, il y a des faits accomplis; ces faits sont doulou-
reux; ainsi il y a la prise de Beyrouth, il y a la prise de St.-Jean-d’Acre
qui sont des faits accomplis, mais il y a d’autres faits accomplis, et ces
faits sont honorables pour la France; je veux parler de la note du 8 oc-
tobre. Dans cette note, la France couvre le pacha d'Egypte, elle déclare
que la possession de l’Egypte par un autre que le pacha serait un casde
guerre. Eh bien ! le cabinet du 2!) octobre n’a pas dit qu’il ferait respecter
ce fait accompli. Au contraire, si j’ai bien compris, le discours de M. le
ministre des affaires étrangères à une autre tribune, le cabinet du 2!)
octobre abandonne le pacha d'Egypte à son malheureux sort. Je me
trompe peut-être, mais alors que M. le ministre des affaires étrangères
vienne déclarerà cette tribune qu’il accepte la notedu 8 octobre comme
un fait accompli (Silence au banc des ministres.)
Je veux bien que le ministère accepte les faits accomplis, même les
faits accomplis qui sont douloureux pour la France; mais ce que je re-
doute, ce sont les conséquences de ces mêmes faits accomplis. Ainsi, il
est fort possible que l’Angleterre garde long-temps la citadelle de St.-
Jean-d’Acre, qu’elle obtienne d’une manière lort amicale de traverser
d’une manière permanente l’isthme de Suez et de s’établir sur les
bords de l’Euphrate. Eh bien, c’est contre ces éventualités que je vou-
drais que la France prit ses précautions. Ainsi, je voudrais qu’on posât
des cas de guerre et que ces cas de guerre fussent appuyés par des ar-
mements. M. Dufaure vous a parlé hier d'augmenter vos armements
maritimes. Je le demande aussi, pour une raison dont M. Dufaure ne
vous a point parlé. Cette raison, la voici : c’est que je pense que l’Angle-
terre le défend....
(Vives exclamations à droite.)
A gauche. Oui ! oui !
M. Guizot gesticule avec colère.
m. de tocqueville. J’accepte avec plaisir la protestation de M. le mi-
nistre ; niais enfin, je devais bien parler d’un bruit qui s’était répandu
dans le public.
A droite. C’est le National qui a parlé de cela.
m. de tocqueville. On a dit, MM., que si nos armements étaient con-
tinués, ce serait considéré par l’Angleterre comme un cas de guerre.
Nouvelles réclamations au centre.
M. de Tocqueville. Je croyais qu’une insinuation de cette espèce avait
élé laite auprès du gouvernement.
M. Guizot fait un geste d’incrédulité et de dédain.
Eh bien, dit M.de tocqueville, jesuisenchanléqu’il n’ensoit pasainsi,
mais enfin je crois qu’il est nécessaire de poser dans votre adresse des
cas de guère. Je dois dire en outre quelque chose qui peut-être, à mon
grand regret, excitera des passions dans cette chambre. (Chut ! chut !)
Je crois, messieurs, que le ministère du 21) octobre est arrivé aux
aff ires dans des circonstances qui ne lui permettent pas de faire les
t ratestutions que je désire.
Il y a, messieurs, dans ce pays, une opinion que je n’atlaquepas, mais
qui existe cependant. Celle opinion est qu'il n’y a pas de guerre possi-
ble dunsnoLre pays sans révolution. Eh bien ! celle opinion, le ministère
actuel la représente, car M. le ministre des affaires étrangères l'a expri-
mée dans une lettre confidentielle, mais qui était peut-être destinée à
la publicité. Ce ministère, messieurs, prête une force à l’étranger qui
peut-être veut nous faire la guerre. — (Adhésion à gauche.)
Messieurs cetle opinion représentée dans le cabinet est peut-être
celle qui pourrait précipiter plutôt qu’une autre cette révolution que
vous redoutez. Je sais encore aussi bien que vous qu’au milieu de notre
société il y a aussi une société, une poignée de barbares qui voudraient
s’emparer de la guerre pour vous écraser vous et moi, pour anéantir la
civilisation tout entière. Je la connais, cette poignée de barbares et
c’est parce que je la connais que je veux lui ôter son masque, ce masque
de faux patriotisme. (Adhésion au centre.)
Le moyen de réduire les mauvaises passions à l’impuissance, c’est de
s’adjoindre aux bonnes. (On rit à droite.) vous voulez étouffer l’esprit
révolutionnaire et le patriotisme, c’est,trop de moitié.
m. cuizot adresse à M. de Tocqueville des interpellations que nous
n'entendons pas.
Vainement, dit M. de Tocqueville, vous voudriez, en parlant des in-
térêts matériels, dompter l’esprit de patriotisme; mais vous n’y pensez
pas, cet esprit vous écraserait vous même, et Dieu veuille qu’il n’écrase
que vous. (On rit à gauche.)
M. de Tocqueville déclare en terminant qu’il redoute la guerre, mais,
qu’il y a une chose qu’il redoute plus encore : c’est ce que M. le ministre
des affaires étrangères lui-même appelait dans la coalition une paix
sans gloire.
M. de Tocqueville descend delà tribune et reçoit les félicitations des
membres de la gauche et entr’autres de M. Taschereau.
M. de Jouffroy monte à la tribune.
m. de jouffroï. L’année dernière, quand je fus chargé par une de vos
commissions de préparer le rapport sur le crédit de dix million sjjdams
l’affaire d’Orient, la chambre adhéra à la politique qui était développée;
dans ce rapport. On a voulu depuis s’étayer des résolutions de ce rap-
port. Constitutionnellement on n’en avait pas le droit. Les ministres
responsables n’ont pas le droit de rejeter sur la chambre le mauvais
succès de leurs mesures. Aujourd’hui, messieurs, je viens examinerjsi
les divers cabinets qui se sont succédé se sont véritablement conformés
àjla politique que nous avions indiquée. 11 avait élé question de, deux
politiques, l’une arabe, l’autre turque. Le rapport ne parlait d’aucune
de ces politiques.
Il se contentait de signaler deux périls : l’un au Nord, l’antre au Midi
de l’empire ottoman; mais particulièrement au Nord. Il demandait
qu’on réunit un congrès occidental, s’il était possible, pour former un
protectorat européen et y établir pour base, qu’aucune puissance euro-
péenne ne pourrait s’accroître aux dépens de la Porte.
Nos affaires ont été conduites de telle sorte que nous avons été sur le
point de faire la guerre contre toute l’Europe pour un traité que la com-
mission de 1839 s’était proposé. (Murmures). Oui, messieurs, ce traité
abolit celui d’Unkiar-Skelessi, il empêche l’établissement des Russes à
Constantinople, il met ce point importantàcouvert.- Mais ila été signé
en dehors de la France, il a jusqu’à un certain point sacrifié le pacha, et
c’est sous ce rapport que la diplomatie française a été compromise.
Voilà quel était le véritable intérêt français. On a prétendu que nou9
devions être plus égyptien qu’ottoman, nous préoccuper davantage
de l’Egypte que de Constantinople : c’est le but contraire que la politi-
que du gouvernement aurait dû poursuivre. La question égyptienne
était secondaire. Mais véritablement nous avions signalé les deux périls
en mettant celui qui menaçait le pacha sur la seconde ligne.
Je n’ai jamais été grand partisan de l’alliance anglaise; mais peut-être
nous préoccupons-nous trop de la situation qu’elle nous a faite. Exami-
nons un peu celle qui est faite à la Russie par le traité du 15 juillet.
Croyez-vous que cette dernière puissance comptât sur l’issue qui s’est
manifestée ? Le traité d’Unkiar-Skelessi n’existe plus et la Russie se
trouve exclue des affaires d’Orient. J’établis en fait que la Russie a été
plus trompée que la France par le résultat.
Je sais bien, continue l’orateur, que quelques personnes supposent
qu’il existe des conventions secrètes, des arrière-pensées. Je l’ignore,
mais on ne les avoue pas, mais vous êtes prévenus, vous êtes armés.
Il est dangereux, messieurs, délaisser croire à un grand peuplequ'il
est vaincu. Je dis que tout n’est pas terminé. Un grand rôle nous reste
encore à jouer en Europe.
Et s’il y a déception jusqu'à ce jour, c’est pour la Russie, dont toutes
les prévoyances sont trompées. Nous avions redouté sa présence à Con-
stantinople : aujourd’hui elle serait impossible sans une levée d'armes
de toute l’Europe. La France aobtenu ce grand but qu’elle se proposait
et de plus elle est prête pour toutes les grandes éventualités de l’avenir.
La séance continue.
KEIjGIQIUE.
Bruxelles, 2 décembre. — M. le cardinal-archevêque de Matines est
arrivé hier mardi à Bruxelles, accompagné de ses vicaires-généraux et
est descendu chez M. Willaert, curé primaire de la Chapelle.
Le but du voyage du cardinal-archevêque était la cérémonie de cano-
nisation d’un saint, cérémonie religieuse quia été célébrée hier mardi
en l’église de la Chapelle.
Après la cérémonie, M. Fornari, nonce du Pape, a rendu visite au
cardinal-archevêque.
— Une erreur s’est glissée dans la nouvelle que nous avons donnée
sur l’introduction des machines pour fabriquer le drap; ce n'est pas
M. Kindt, ainsi que nous l’avions dit d’abord, qui s’est rendu en Angle-
terre pour l’achat de ces objets. Celte mission a été confiée à d’autres
personnes. (L’Observateur.)
Chambre des Représentants.
(PRÉSIDENCE de M. FALLON.)
Séance du 1 « décembre.
sommaire. — À mendements au projet des mdemnités. — Foie sur la pris•
en considération de diverses demandes en naturalisation.
La séance est ouverte à 3 1(2 heures par l’appel nominal et la lecture
du procès-verbal.
Les pétitions suivantes sont adressées à la chambre :
Des distillateurs de la ville d’Vpres demandent une modification à la
loi sur les distilleries.
Le sieur Willems, saunier, adresse des observations sur la loi de 1822,
sur les sels.
Trois habitants de Floreffe demandent l’annulation d’une délibération
du conseil communal, en matière de milice.
L’administration communale d’Audenaerde demande qu’il soit ap-
porté des modifications à la loi du 27 mai 1837, relative à l’octroi sur les
genièvres.
La chambre de commerce et des fabriques d’Anvers, adresse des ob-
servations sur les modifications proposées au budjet des voies et
moyens, en ce qui concerne les cafés, riz, bière, genièvre, etc.
Des bateliers charbonniers du Hainaut, se plaignent de se trouver
arrêtés à Bruges par suite de l’écoulement des eaux du canal d’Ostende,
et demandent la construction du canal de Zelzaete pour remédier à
ces inconvénients.
Des brasseurs de bière adressent des observations contre l’aug-
mentation qui est projetée de l’accise sur la bière.
Le sieur Cuvilier, vinaigrier de troisième classe à Bruxelles, adresse
de renseignements sur les vinaigreries artificielles et réclame la protec-
tion delà chambre en leur faveur.
m. le ministre de l'intérieur. Messieurs, il est d’usage, à la chambre,
de renvoyer à la commission chargée de l’examen d’une loi, les amen-
dements qu’on présente à cette loi. Le gouvernement a préparé à la loi
des indemnités des amendements qui la modifient complètement. Je
demande que ces amendements soient imprimés par les soins du bu-
reau, et renvoyés à la commission du projet de lui sur les indemnités.
On verra, du reste, que cette loi est bien moins effrayante qu’on ne le
croit, le chiffre des indemnités à accorder étant moins élevé qu’on ne
l’avait supposé.
m. dumortter. M. le ministre fait très bien de déposer à l’avance les
amendements que le gouvernement désire introduire dans la loi, et je
l’en remercie ; mais, messieurs, en présence du budget des voies et
moyens, qui consacre de nouveaux impôts, jepenseque nous ne devons
pas presser la discussion de la loi sur les indemnités, qui peut encore
augmenter nos dépenses. Je demande doncqueces amendements soient
renvoyés en sections, et non à la section centrale.
M. le ministre nous dit que les amendements changent complètement
le système de la loi; c’est donc une nouvelle loi, pour laquelle il faut un
examen approfondi.
m. le ministre des affaires Étrangères, L’honorable M. Dumortier
s’effraie à tort de la proposition de mon collègue de l’intérieur, dont il
ne saisit pas toute la portée. De quoi s'agit il? De régulariser une dis-
cussion dont l’époque n’est pas même préjugée par la proposition. Lors-
que l'ordre du jour appellera la discussion de cette loi, M. le ministre
présenterait ces amendements, qui suivraient la marche ordinaire,
c’est-à-dire qu’ils seraient discutés séance tenante, ou renvoyés à la
section centrale ou à la commission. C’est uniquement pouréviter cette
perte de temps que mon collègue avait proposé de la renvoyer de suite
a la commission. '
M. doignon. Ces amendements sont-ils de nature à changer entière-
ment le système de la loi ?
M. le ministre de l’intérieur. Ces amendements n’ont aucune ten-
dance à modifier le système de la loi. Le plus grand changement est de
fixer le maximum des sacrifices, et quand on aura examiné les détails,
on verra que ce maximum ne doit pas nous effrayer.
MM. Doignon , Dehus ainé et De Mérodf. demandent que les amende-
monts soient d’abord imprimés. On décidera ensuite si on doit les en-
voyer aux sections ou à la commission.
m. le ministre de l’intérieur. Ma proposition avait pour but de ga-
gner du temps et non d’en faire perdre. Je ne prolongerai donc pas la
discussion actuelle. Demain je déposerai sur le bureau les amendements
auxquels j’ai fait allusion, et après-demain je renouvellerai ma motion.
L’ordre du jour appelle la prise en considération de plusieurs de-
mandes en grande naturalisation.
Celle de M. Jansin est rejetée par 55 boules noires contre 4 blanches;
celje de M. Grunen est rejetée par 40 boules noires contre 4 blanches.
La séance est levée à 4 heures et demie. — Demain, séance à 3 heures. |