Full text |
1840. — N.°335
AN 5rï£RS , Vendredi 80 ISoveiedere
C/lnc|iiièvtie Aimée
LE IMS ÉL I K
On s’abonne : à Anvers au bureau
du PRÉCURSEUR, Bourse Anglaise,
N.o 1040 ; en Belgique et à l’étranger
chez tous les Directeurs des Postes.
JOURNAL POLITIQUE
COMMERCIAL, MARITIME
ET LITTÉRAIRE.
Abonnement par trimestre.
Pour Anvers, la francs; pour la pro-
vince, 18 frs. ; pour l'étranger,$‘) frs. *
Insertions centimes ü par ligne.
PAIX. — LIBERTÉ. — PROGRÈS.
SOïlSovemhpe.
DISCUSSION DE UA OSAfflBKl! DES KEFRÉ-
SENTANTS. — CHAMBRES ME COMMERCE.
Les débats de la Chambre ont présenté un de ces phénomènes qui
se reproduisent souvent dans le jeu des gouvernements représentatifs.
Une discussion établie sur un point particulier, accidente! d’une insti-
tution, s’élève lont d un coup,s’élargit, et l’on arrive à la criliqneentière
de l’institution, lorsque, incomplète dans ses bases, vicieuse dans ses ,
dispositions, elle ue répond pas à l’esprit du gouvernement national, |
et n’est plus en harmonie avec les perfectionnements dont on a fait
profiter les autres institutions. Ainsi le projet de loi sur les chambres
de commerce qui avait simplement pour but de faire supporter les
frais que ces chambres occasionnent par la commune, la province et
l’état, chacun par parties égales, a donné lieu à une importante dis-
cussion, dans laquelle on a critiqué l’organisation des chambres de
commerce dans leur base et soulevé de graves questions d'économie
commerciale.
Le point de départ de cetle discussion a été un amendement de M.
Dumorlier qui proposait l’élection des membres des chambres de
commerce selon le même mode qui celui des tribunaux consulaires.
Ou sait que les membres des chambres de commerce sont choisis
parle gouvernement sur la présenlationdechaque chambre elle-même.
Il en résulte de graves abus : les membres des chambres de commerce
se perpétuent et ne peuvent représenter ainsi l’industrie et le com-
merce dans ses variations et dans ses progrès. La chambre de com-
merce d’Anvers a trouvé, il est vrai, le moyen d'atténuer ce mal, eu
décidant, par un réglement intérieur, que le renouvellement aurait lieu
par tiers et que le tiers sortant ne pourrait être réélu, si ce n’est après
l'intervalle d une année. Mais celte disposition, toute particulière à la
ville d’Anvers, présente elle-même un autre inconvénient, en ce que
l’amélioration qu elle produit n'étant pas généralisée dans toutes les
localités, il en résulte une anomalie qui rompt l’unité d’une adminis-
tration centrale.
D un autre côté, on sait également comment se nomment les mem-
bres des tribunaux de commerce: ces membres sont nommés par les
négociants notables. Le gouverneur de chaque province forme la liste
de ces négociants notables, et il lés convoque pour procéder à l’élection
des juges qui doivent ensuite être agréés par le gouvernement. Ce
mode beaucoup plus rationnel, devrait être au moins appliqué à l'é-
lection des membres des chambres de commerce.Elles pourraient alors
même représenter l’opinion réelle des localités; car les négociants et les
industriels seuls d'une place sont aptes à en représenter les intéréts
et en exprimer les besoins.
Nous allons même plus loin, nous pensons que cette base électorale
de notables, déterminée par le gouverneur, est infiniment trop étroite,
et ne peut jamais exprimer la majorité d’une ville commerciale. Peut-
on admettre, par exemple, que 80 ou 85 notables que contient la liste
d'Anvers représente l’industrie et le commerce de cette place ?
Le ministère a repoussé ces propositions par unefin de non-recevoir;
obligé de reconnaître la réalité des abus et l’opportunité du remède il
en renvoie l’application à un autre temps. Quoiqu’il en soit, l’attention
publique est éveillée et la presse saura stimuler l’apathie des chambres
et du ministère.
En définitive, l’amendement de M. Dnmortiera été rejeté et le projet
adopté à l'unanimité par 54 membres présents.
PROJET ME LOI SUR UES CÉRÉAUES.
Nous n’avons fait qu'indiquer l’exposé des motifs qui accompagnait
le projet de loi présenté par M. le ministre de l’intérieur, et prorogeant
les lois temporaires du 2.5 novembre et du 26 décembre 1839, sur les
céréales. Cet objet qui touche aux plus nombreux intérêts de la popu-
lation, donne de l’importance aux explications de M. le ministre de
l’intérieur que nous reproduisons textuellement :
« La loi du 25 novembre 1839 a, par modification temporaire à la loi du
51 juillet 1854, prohibé jusqu’au 23 novembre 1840 inclusivement, la
sortie des grains et farines de froment et de seigle ainsi que des pom-
mes de terre et de leurs farines.
«Celle du 20 novembre 1859 a admis en outre, par modification à la
loi du 51 juillet 1834, la libre entrée et la libre sortie de l’orge jusqu’à la
même époque.
« Ces deux lois temporaires ont accordé au gouvernement la faculté
d’en modifier ou d’en faire cesser les effets.
« L’époque de l’expiration du terme de ces lois étant très prochaine,
le gouvernement a soumis à une instruction spéciale le point de savoir
s’il y a lieu de prolonger ce terme avec ou sans modifications.
« Les députations permanentes desconseils provinciaux, ainsi que les
commissions provinciales d’agriculture ont été entendues. Je mettrai
sous les yeux de l’assemblée les avis qui ont été recueillis.
« Vous remarquerez, messieurs, que parmi les divers faits qui ressor-
tent de cetle instruction, on peut noter ceux-ci :
« 1° La récolte de 1840 en céréales a été presque partout, et saufquel-
ques localités partielles, admirable tant sous le rapport de l’abondance
que de la qualité. On a lieu d’espérer le même résultatpour les pommes
de terre dont la récolte n’était pas faite ou achevée au moment de l’in-
struction ;
« 2» Les approvisionnements de froment et de seigle sont suffisants
pour les besoins du pays :
« 5° Parmi lescommissions d'agriculture, une faible majorités’est dé-
clarée pour le retour à la loi de 1854; mais parmi les autres corps qui
ont été consultés, une forte majorité s’est prononcée pour le maintien,
au moins temporaire, des lois de 1859;
« 4° Les avis varient sur le terme pour lequel ce maintien devrait
avoir lieu; plusieurs d’entre eux tendent non-seulement à faire appli-
quer à l’avoine les dispositions de la loi du 26 décembre 1859 relatives
à l’orge, mais même à faire prohiber la sortie de ces deux espèces de
céréales.
« Après avoir médité les résultats de cette instruction, le gouverne-
ment s’est décidé à vous présenter, messieurs, un projet de loi qui a
pour objet :
A. De prolonger jusqu’au 30 novembre 1841 inclus, le terme de la loi
du 25 novembre 1839 ;
B. De proroger également jusqu’au 50 novembre 1841, la loi du 26
décembre 1839 relative à l’orge;
C. D’appliquer à l’avoine les dispositions de cette dernière loi.
« Le gouvernement conservera le droit de modifier ou de faire cesser
les effets de la loi selon les circonstances.
« Voici eu peu de mots, les motifs de ces dispositions ; ce n’est pas à
l’occasion des lois temporaires qu’il convient de discuter les principes
qui doivent régir le commerce des céréales. L'importance delà matière
réclame un examen spécial et approfondi.
« Les circonstances qui ont guidé le législateur en 1839, existent en-
ras
core; les prix du froment, du seigle et de l’orge sont restés élevés. Les
pommes de terre se sont vendues généralement plus cher en 1840 que
les années précédentes. Si l’on joint à cela l’incertitude des événements
politiques et l’insuffisance delà récolte dans certains pays du Nord, on
conviendra facilement (pièces lois temporaires peuvent être prorogées;
elles ne préjugent d’ailleurs en aucune manière la loi permanente sur les
céréales, qui sera, sous peu de jours, soumise à vos délibérations
« En ce qui concerne l’application delà loi du 26 décembre 1839 à l’en-
trée de l’avoine, je ferai remarquer, messieurs, que cette mesure, déjà
réclamée de plusieurs côtés vers la fin de l’année dernière, est surtout
bien motivée aujourd’hui que les prix sont beauçoupfplus élevés qu’ils
ne l'étaient à cette époque.
« Les mêmes considérations qui appellent la libre importation, au
moins temporaire, de l’orge et de l’avoine, ont fait exprimer le vœu,
ainsi que je l’ai dit plus haut, qu’on en prohibât la sortie.
« Le gouvernement n’a pas cru, messieurs, que cette dernière mesu-
re fût nécessaire.
« il est à observer en effet, que depuis la loi du 31 juillet 1834, la sor-
tie de ces deux espèces de céréales a toujours été libre, et cependant,
en consultant les relevés des quantités exportées, l’on peut se convain-
cre qu’elles ont été constamment d’une très faible importance. De sorte,
messieurs, qu’il y a des motifs suffisants pour maintenir pour toutes
deux, dans la mesure temporaire dont il est aujourd’hui question, le
régime de liberté que la législature a cru devoir consacrer à l’égard de
l’orge, par la loi du 26 décembre 1839.
« Le gouvernement compte vous soumettre prochainement une dis-
position spéciale sur l’entrée de certaines quantités de grains du Lim-
bourg cédé, dans le district de Verviers.
« Bien que la loi du ti juin 1840, qui règle cette objet, cesse également
d’être en vigueur à compter du 50 de ce mois, il n’est pas urgent de la
renouveler, puisque l’entrée du froment eontiuuant encore à être libre
pour tout le royaume, le district de Verviers peut, sans obstacle, s’ap-
provisionner là où il le trouve convenable.
— Voici le texte du projet de loi :
« Art. 1". La loi du 25 novembre 1839 (Bulletin officiel, n° lxxiii), .et.
celle du ‘26 décembre 1839 (Bulletin officiel n" i.xxxu), resteront en vigueur
jusqu’au 50 décembre 1841 inclusivement, à moins que le gouverne-
ment ne juge utile d’en faire cesser les effets en tout ou en partie avant
cette époque.
« Art. 2. Par modification temporaire à la loi du 31 juillet 1854 (Bulle-
tin officiel, n» xi.vn), les dispositions de la loi précitée du 26 décembre
1839 sont rendues applicables à l’avoine.
« Art. 5. La présente loi sera exécutoire le jour môme de sa promul-
gation. »
DES ARMEMENTS DE UA FRANCE.
Que deux ou plusieurs individus attaquent un seul homme, la con-
science publique se soulève; plus les assaillants sont nombreux, plus le
blâme de l'opinion est sévère. S’il ne s’agit que d'une simple rixe elle
flétrit les agresseurs du nom de lâches ; elle leur inflige le nom de vo-
leurs s’il y a spoliation, et celui d’assassins, s’il y a meurtre. En cha-
cun de ces cas la justice intervient et châtie selon la gravité du délit ou
du crime.
Mais qu’un peuple fort attaque un peuple faible; que deux ou plu-
sietn s étals réunissent leurs forces et combinent leurs hostilités pour
dépouiller, pour anéantir un autre état, quoique au fond l'immoralité
de l’action soit la même, les noms changeut; alors le vol s’appelle con-
quête et l’assassinat, victoire.
Pour le vol des biens et l’assassinat des personnes privées le bagne
attend le voleur et l’échafaud l’assassin; mais dans le vol des provinces
et l’assassinat des nations, le spoliateur acquiert le litre de conquérant
et l’exterminateur est surnommé le victorieux. Enfin il y a, selon le
droit et l’équité, recours contre le voleur des biens des particuliers et
contre l’assassin des personnes privées; il n’y a recours légal d’aucune
espèce ni contre les spoliateurs d'un état, ni contre les exterminateurs
d’une nation; l’histoire l’atteste et la Pologne encore palpitante est là
pour le dire.
Dans aucun coin de la terre, et depuis que le monde est monde,
la raison humaine n’a pu parvenir à instituer un tribunal des nations
où la justice et non l’épée prononçât dans les questions litigieuses qui
s’élèvent entre les peuples et les peuples, entre les gouvernements et les
gouvernements; à l’égard de ces questions les hommes stalueul encore
à la manière des brutes ; ils se ruent sur leur proie, ils l'abattent, ils la
déchirent et la part de chacun est faite à raison de sa force et non de
son droit.
Tout ce qui a été imaginé de mieux depuis deux siècles pour les
conservations des existences nationales c’est un certain équilibre, une
certaine balance entre les puissances de l’Europe. Après la réforme re-
ligieuse on imagina je ne sais quelle pondération entre les forces des
états catholiques et celles des protestants, et, depuis la réforme politi-
que, on s’essayait à balancer les forces des monarchies absolues, par
celles des monarchies constitutionnelles. L’alliance entre l’Angleterre,
la France, l’Espagne et le Portugal promettait de devenir la basepuis-
sante de ce grand contre-poids.
Mais à l’improviste, voilà celte alliance rompue par le traité Pal-
merston; voilà le poids de l’Angleterre qui d'un des bassins de la ba-
lance est par lui jeté dans l’autre ; voilà par ses intrigues et celles de
ses agents l’Espagne préoccupée de l’aveugle soin de se retrancher der-
rière les Pyrénées; voilà la France seule, sans alliés, en présence d’une
coalition nouvelle et réduite à faire l’énumération des forces dont cette
coalition et ses satellites peuvent disposer pour l’assaillir.
Or, que trouve-t-elle au réveil de sa longue et imprudente con-
fiance ? Partout des institutions militaires à la fois économiques et for-
tes qui permettraient de réunircontreelle360,0ü0 Autrichiens,250,000
Prussiens, 160,000 hommes de la confédération germanique, 100,000
Russes, 45,000 Hollandais, 35,000 Piémontais; c’est-à-dire, près d’un
million de soldats ! Sans compter les Anglais, dont la politique n’est
pas de se montrer sur les grands champs de bataille dans la première
année de la guerre; sans compter non plus les milices, les landwerh et
les réserves de toute nature qui,dans chaque pays,font le service à l’in-
térieur et recrutent les armées de ligne.
Et l’on s'étonne que la France arme ! et l’on se récrie parce qu’elle
aussi songe à adopter des institutions militaires analogues à celles qui
font la sécurité des autres Etats !
Heureusement pour l’indépendance des peuples,outre une force of-
fensive proportionnée au nombre des habitants et qui. pour la France,
pourrait être portée à 800,000 soldats, il existe une puissance défen-
sive plus formidable encore : c’est celle de la population mâle tout en-
tière organisée pour le maintien de l’ordre et la défense du foyer.
Si cette force qui, en France, est évaluée à au moins six millions
d’hommes, on ne prend que ceux de 20 à 35 ans , formant la partie
mobilisable, on trouve encore 1,946,000 hommmes, et si enfin de ces
dix neuf cent quarante six mille hommes on renvoie dans les rangs de
la garde nationale sédentaire tous ceux qui ne sont ni célibataires, ni
veufs sans enfants, ni hors des cas d’exemptions personnelles, il reste
encore plus de douze cent nulle hommes à entrer dans des corps pro-
pres à devenir les auxilaires de l’armée de ligne. Un général vient de
proposer de les répartir, d’après les régions qu’ils habitent, entre neuf
armées territoriales et deux grandes réserves, loules pourvues de cava-
lerie, d’artillerie et de corps du génie suffisants pour le service auquel
elles pourraient être appelées; toutes capables d’assurer l’indépendance
du pays contre des coalitions nouvelles ayant pour objet caché ou pa-
tent d’attenter à celte indépendance.
L’organisation d un système défensif, fort et permanent, est un
soin qui trop iong-temps a été négligé par la France ; elle s'en occupe
enfin et l’Europe paraît s’en alarmer, t.esgouverneraenls de laPrusse.de
l'Autriche, des Etals de la Confédération germanique semblent ne pas
vouloir que la France prenne , pour sa propre sûreté, les mesures de
prudence qu’ils ont prises pour la leur. Ce serait un peu lard revenir
aux exigences de 1814 et de 1815 Prétendre aujourd'hui meure à exé-
cution les articles secrets des traités de Vienne et contraindre Louis-
Philippe à en subir les conditions, serait tenter une entreprise d'une
toute autre difficulté que celle de soumettre Mébémet-Aii à f exécution
des stipulations du traité de Londres.
ME U’F.QUIUI 1ERE EUROPÉEN.
POLITIQUE DE LA FRANCE AYANT ET DEPUIS LES TRAITES
DE VIENNE.
M. de Carné a traité celte question avec la profondeur de pensées,
l’originalité de vues, la force et l'élégance de style qui en font un des
meilleurs écrivains politiques dont la France s’honore. Nous essayons
de donner une idée de son système et nous reproduisons quelques-
unes de ses pages. Nous avertissons totilefois nos lecteurs que nous
n'acceptons en aucune manière la responsabilité de certaines opinions
émises par M. de Carné touchant la Belgique, dans l’avenir de ses re-
lations avec la France : nous nous bornons au rôle de simple rap-
porteur.
Le principal objet de ce publiciste est de rechercher quel rôle paraît
réservé à la France dans les complications qui menacent le monde, et
quels principes nouveaux elle est appelée à faire prévaloir dans le
droit public européen. 11 a remarqué que la politique des peuples mo-
dernes a subi des vicissitudes avant d'atteindre sa forme actuelle et,
attribuant à la révolution de 89, une influence extérieure, il pense quelle
est destinée à jeter à son tour dans le monde quelques maximes frap-
pées au coin de celte universalité départie à ses résultats sociaux.
M. de Carné se livre à la critique du droit des gens tel que l’a for-
mulé Grotius et tel que l’a constilué le congrès de Vienne selon les
principes professés par le publiciste hollandais. La ruine de l’édifice
élevé par le congrès de Vienne, dit-il, constate trop que les transactions
fondées sur de pures convenances diplomatiques sont également dé-
nuées decelleforce morale qui,seule, fonde le droit et garantit l’avenir.
Ainsi des principes plus larges serviront un jour de hase à des com-
binaisons moins factices; des violences contre lesquelles le lemps ne
prescrit pas seront redressées, dans l’intérêt commun, selon des lois
plus rationnelles et des principes moins arbitraires. Quand se consom-
meront ces grands changements, se demande l’auteur, par quelles
voies s’opéreront-ils? Il juge cetle réponse en dehors des prévisions
humaines. Mais quelle attitude devra prendre la France lorsque les
événements la contraindront à des résolutions décisives ? Quelles
maximes doit-elle proclamer aujourd'hui comme bases de son droit
public et de son système fédératif? M.de Carné croit que ces questions
peuvent, dès à présent, être posées et résolues. Laissons-Ie parler lui-
méme :
L’intelligence humaine est aujourd’hui vivement préoccupée d’une
idée à laquelle les faits consommés paraissent avoir imprimé comme
une sorte de consécration. On croit à la puissance de la raison publique
au point d’espérer que la guerre pourrait cesser de devenir le dernier
argument des rois; on trouve dans les précédents que chaque jour ac-
cumule les premiers délinéaments d’une jurisprudence internationale
qui fera prévaloir le génie de transaction où domina si long-temps celui
de la force. On ignore sans doute encore le mode selon lequel pourrait
se constituer d’une manière définitive ce haut arbitrage européen; on
ne sait rien ni des moyens à employer pour l’accomplissement d’une
telle œuvre, ni de la manière dont elle pourrait se combiner avec l’in-
dépendance respective des états; mais Ton croit fermement à la forma-
tion d’une association nouvelle, et Ton en poursuit la pensée sous mille
formes : les uns l’érigent en théorie humanitaire, les autres comptent,
pour la réaliser, sur l’expérience chèrement acquise par les peuples, ou
sur ces agitations intérieures qui, en menaçant Tordre social, imposent
aux gouvernements une réserve dontleur sûreté même leur pres( rit de
ne pas se départir.
Nous n’hésiterons pas, sans exclure cet ordre de considérations, à re-
monter jusqu’à l’origine des idées répandues dans la société moderne ;
nous y verrons une modification de ce christianisme latent dont le
mondeest comme imprégné, alors même qu’il méconnaît la source de
ses inspirations les plus puissantes. C’est parce que l’idée chrétienne
s’est réalisée dans le droit civil, que les peuplesont conquis l’égalité sur
l’esprit de caste ; c’est parce qu’elle tend à se réaliser dans le droit des
gens, que la paix se maintient au milieu des plus difficiles épreuves, et
que l’opinion publique a jusqu’ici dominé de tonte sa hauteur el les ca-
prices des ministres aventureux et les antipathies des cours. Il n'est
donc pas interdit d’espérer que la guerre ne fléchisse un jour comme
l’esclavage devant cette grande révélation de l’égalité naturelle (fi s
êtres et de la fraternité des peuples, dont dix-huit siècles n’ont pas Suffi
pour épuiser la profondeur féconde. Depuis l’établissement du chris-
tianisme, le monde est constamment travaillé par cette idée d’une di-
rection pacifique opposée à celle de la force. L’énergie de la foi popu-
laire la réalisa partiellement au moyen-âge, alors même que la prédo-
minance du pouvoir militaire semblait rendre cette réalisation plus im-
possible. Sur cette idée se forma le grand corps de la chrétienté ; elle
releva les peuples du joug delà conquête, et ralluma dans les âmes.avec
le sentiment de la dignité humaine, l’étincelle de la liberté.
La plus belle histoire qui soilà écrire,serait assurément celle du droit
public primitif de l’Europe catholique, tel qu’il résulte des décisions
pontificales, des actes des assemblées nationales, et de ces innombra-
bles conciles dont la mission n’était pas alors moins politique que reli-
gieuse.
Ici, M. de Carné trace en quelque sorte le plan de celte histoire
telle qu'il la conçoit: il signale el développe les principales difficultés
que dût rencontrer, à l’origine des Etals européens cette œuvre do
l’association universelle. La première résultait de la manière vague et
mal définie dont furent comprises à celte époque la suprématie ponti-
ficale et les prérogatives de l’Empire. De là un antagonisme permanent
entre ces deux pouvoirs. D un autre côté, c’était l'esprit des iustitu-
tulions féodales qui rendait impossible l'application de cette spiritua- |